Chapitre 8

Notes de l’auteur : Les mots blessent, encore et toujours...

Sur une note plus positive, Joyeuses Pâques à tous et à toutes !

Pendant le reste de la matinée, il se dit qu'il n'avait peut-être pas eu la meilleure attitude envers sa mère. Cette dernière se démenait pour lui depuis quelques années et voilà le genre de remerciement qu'il lui consacrait. Il se sentait minable. D'ailleurs, une fois la colère passée, il lui envoya un message pour la rassurer. Il lui devait au moins ça.

Charlotte l'accompagna jusqu'à la cantine. La situation entre les deux jeunes était toujours tendue mais la rouquine essayait de détendre l’atmosphère. Elle s'évertuait à parler de l'école et des cours, sans compter les ragots qui circulaient dans la classe. Gabriel n'en avait rien à faire des "couples" ou de cette"cette garce" qui avait "piquée le copain" d'une de ses amies. Il continuait de l'écouter non seulement pour faire taire ses pensées destructrices, mais aussi pour lui faire plaisir.

Munis d'un plateau, de ses couverts et d'un verre, ils attendirent leur tour dans la file d'attente. Entourés d'adolescents, ils n'articulèrent plus un mot, n'échangèrent plus un regard. Le duo souhaitait se fondre dans la masse. D'ailleurs, Gabriel avait remis sa capuche en place. La jeune fille, quant à elle, tentait vainement de dissimuler sa morphologie sous la veste qu'elle avait achetée avec quelques tailles en plus. Tous les deux avaient des problèmes qu'ils essayaient de régler à leur manière. La dissimulation n'était peut-être pas la meilleure méthode à adopter mais ils ne connaissaient que ça. Par le passé, ils avaient essayé de s'ouvrir au monde. Et l'on pouvait aujourd'hui deviner les résultats désastreux de cette tentative pleine de bonne foi. 

- Tu étais dans quelle école avant d'intégrer ce lycée ?

- Je suivais des cours sur internet. Je n'ai jamais vraiment aimé les études, se sentit-il obligé d'ajouter.

Il espérait que cette justification soit suffisante. Il ne voulait pas avoir à s'expliquer plus que ça. D'ailleurs, Charlotte s'en contenta puisqu'elle enchaîna sur un autre sujet :

- Tu sais déjà ce que tu vas faire l'année prochaine ? Je pense intégrer l'université de Lille mais bon, ce n'est pas encore sûr.

- Je n'ai rien de prévu pour l'instant.

Une fois cette journée passée, il n'était même pas sûr de continuer le lycée alors penser à l'avenir... Serait-il capable de quitter son petit cocon pour voler de ses propres ailes un jour ? L'imaginer le rendait fébrile. Il n'était pas assez mature ou encore "normal" pour l’espérer.

Il avait encore besoin de ses parents pour le rassurer. À 17 ans, il était peut-être pathétique de sa part de se considérer comme un oisillon, incapable de s'envoler sans la supervision de ses parents, mais c'était exactement ce qu'il était.

Il déposa son plateau sur le comptoir et le laissa glisser le temps de son avancée. Le regard que lui lança la cantinière ne lui échappa pas, et il se renfrogna dans son sweat-shirt noir.  Il était sur le point d'énoncer son plat quand on le devança.

- Je voudrais des pâtes avec un steak-haché s'il vous plaît, demanda une voix masculine à ses côtés.

Son attention glissa alors sur le jeune homme en fauteuil roulant qu'il avait croisé plus tôt dans la journée. Le plateau de ce dernier reposait sur les accoudoirs de sa chaise tout en étant maintenu par l'une de ses mains. L'inconnu reçut son assiette et s'en alla sans un mot.

- Qu'est-ce que tu prends ? Interrogea la cuisinière tout en versant le féculent dans de la vaisselle propre.

- Un steak, s'il vous plaît.

Il prit son plat et son plateau puis suivit Charlotte jusqu'à une table reculée. Il observa timidement son environnement avant de planter un premier coup de fourchette dans sa nourriture. Il la trouva fade et sans saveur. Le gringalet s'obligea cependant à finir son assiette. S'il devait rester ici toute la journée, autant qu'il la subisse le ventre plein.

Il était surpris de constater les restes dans le plat de son amie. Elle n'avait presque rien avalé. Le lycéen ne voulait pas se montrer indiscret, mais il devait avouer qu'il trouvait ce comportement plutôt étrange, surtout quand il avait entendu son estomac gronder plus d'une fois.

- Tu ne manges pas ? La nourriture n'est pas terrible, mais bon, ça passe quand même.

- C'est juste que j'ai mal au ventre.

Racontait-elle la vérité ? Gabriel en doutait. Cependant, il ne chercha pas à en savoir plus. Il ne la connaissait pas après tout. Puis, ce n'était pas comme s'il savait comment se comportait une fille. Il n'en avait pas assez côtoyé dans sa vie pour savoir si picorer dans son assiette était un comportement normal ou non.

Pendant sa période sombre, il avait regardé beaucoup de séries télévisées, notamment sur la vie lycéenne et autant dire que les jeunes de son âge rencontraient toutes sortes de problèmes ! Il se doutait qu'il ne rencontrerait pas autant de péripéties en réalité mais autant dire qu'il restait méfiant parce qu'une part de vérité restait ancrée dans ces feuilletons.

Ses pensées furent interrompues par un groupe de personnes riant beaucoup trop fort. D'instinct, il se retourna pour observer cet orchestre bruyant s'installer un peu plus loin. Il fut étonné de voir l'inconnu en fauteuil roulant se tenir en bout de table parmi tout ce chaos. Ce dernier ne semblait pas s'en formaliser. Il continuait de manger son repas sans un mot.

Ses yeux s’écarquillèrent quand il rencontra le regard de l'une des filles du groupe. Il se redressa pour faire face à Charlotte. Son rythme cardiaque avait fait une brusque embardée suite à ce contact. Elle était là. Il remonta sa monture sur son nez puis adressa un faux-sourire à sa camarade. Il essayait de garder la face alors qu'il n'en menait pas large.

Un désagréable frisson lui parcourut le dos quand il entendit leurs voix baisser de volume pour ne devenir que des murmures. Il se sentit rougir à l'idée qu'ils parlent de lui. Un seul mot suffit à lui faire prendre son plateau et à déguerpir plus vite que l'éclair.

Quasimodo.

Quasi-modo

C'était nouveau. Il ne saurait dire si c'était pire que "gueule cassée". Derrière lui, il entendit la démarche précipitée de la rouquine. Cette dernière avait les joues rouges et le regard fuyant, comme si elle avait reçu elle-même les insultes. Sauf que ce n'était pas le cas. Gabriel avait été l'unique victime de cette nouvelle appellation. 

- Ne fais pas attention à ce qu'ils disent, ce sont des crétins.

Charlotte avait vu la peine dans ses yeux. Elle maudissait ce groupe pour des mots qui écorchaient le cœur. Elle avait été elle-même victime de leur jugement par rapport à son poids. Dans son cas, elle pouvait espérer leur faire changer d'avis, elle y travaillait en tout cas : elle mangeait en plus petite quantité depuis quelques jours. Elle pouvait changer.

La jeune femme contempla un instant la cicatrice sur son visage. La blessure semblait si profonde. Une opération chirurgicale pourrait probablement couvrir les marques. Elle ne comprenait pas pourquoi il n'y avait pas songé, surtout s'il était complexé par son apparence.

- Puis Quasimodo... Comme si tu lui ressemblais, ajouta-t-elle. Il est bossu et il a la tête déformée, c'est ridicule.

Gabriel appréciait ses efforts. Vraiment. Mais ils n'étaient pas suffisamment éloquents pour lui faire oublier. Le nom donné à ce personnage de fiction se répétait en boucle dans sa tête. Il avait mal. Bien qu'il n'avait pas voulu revenir à l'école, il avait espéré que ces nouvelles circonstances lui seraient plus favorables. Il s'était trompé.

- Tu sais, même si tu ne portais pas cette cicatrice, cet abruti t'aurait trouvé un autre surnom. Il m'appelle "Charlie la chocolatine", côté créativité, on est loin du compte !

La rouquine rit contrairement à lui. Elle rit par dépit. Elle rit parce qu'il était plus correct de rire que de pleurer dans ce genre de situation.

Au final, Charlotte fut rassurée de le voir si sérieux. Il ne l'avait pas accompagnée sur cette voie parce qu'il ne la trouvait pas marrante justement. Ce genre de conversation qui pouvaient être drôle pour certains ne l'étaient pas pour d'autres. Si le monde s'en rendait compte alors il est certain que celui-ci serait meilleur. Pourtant, à nouveau, Gabriel ne fit aucun commentaire.

Il était maussade. Il avait honte. Il voulait rentrer chez lui. D'autres pensées, plus noires encore, se succédèrent à l'infini. Aujourd'hui, un nouveau mot s'ajoutait à cette liste infernale : Quasimodo. 

Il soupira puis ajusta sa capuche. Il espérait rompre cette boucle un jour. Après tout, on ne pouvait vivre éternellement avec ce sentiment de désolation, pas vrai ? En tout cas, il essayait de s'en convaincre.

 

***

 

Vers 18h, Gabriel se rua sur le parking du lycée. Les rumeurs de son "nouveau" surnom avait visiblement fait le tour de la classe. Il avait l'habitude des surnoms idiots et il essayait de les ignorer, la plupart du temps. Il ne voulait pas se l'avouer mais il avait mal. Le peu de confiance qui lui restait avait été complètement réduit à néant. Le jeune homme souhaitait se réfugier dans sa tanière et ne plus jamais en sortir.

Sa mâchoire se contracta quand il vit la fille au loin. Elle marchait aux côtés du garçon qui avait lancé ce nom ridicule. Ils se méritaient bien tous les deux, se dit-il.

- Gabriel ! On se voit demain ? Charlotte lui demanda avec une étrange lueur dans les yeux.

Elle ne voulait pas qu'il abandonne ses études ici pour reprendre les cours en ligne. Elle avait enfin trouvé un ami et elle ne voulait pas s'en séparer aussitôt, aussi égoïste que cela puisse paraître.

La rouquine comptait sur lui. Elle était sûre qu'à deux, ils pourraient affronter vent et tempête.

- On verra.

Le gringalet lui fit un signe de la main avant de rejoindre au pas de course la voiture de sa mère. En chemin, il ne manqua pas de reconnaître la bénévole du refuge, aussi connue comme la sœur de Charlotte. Cette dernière sembla le reconnaître malgré sa capuche puisqu'elle lui adressa un bref mouvement de tête. Dès que sa cadette referma la portière derrière elle, elle s'engagea sur la route.

Gabriel, quant à lui, monta à l'intérieur de la voiture de sa mère avant de boucler sa ceinture.

- Comment ça s'est passé à l'école ?

Malheureusement, sa question demeura sans réponse.

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