Chapitre 78 : La vie ne s'arrête jamais

Par Kieren

« Alors comme ça, les offrandes ont disparu de l'autel ? »

Le Gamin acquiesça en me montrant la construction en bois au pied du pêcher. Il y avait accumulé tous les ossements des animaux que nous avions mangés depuis son réveil, et ce matin, il n'y restait rien d'autre que le galet marron et bleu qu'il avait posé avec les premières offrandes. Plus un seul os.

« Je n'y ai pas touché en tous cas. Un animal sauvage a dû passer par là. »

« Mais il ne devrait pas rester quelques os par terre ? » demanda la Gamine. « Je vois mal une grosse bête prendre tous les os dans sa bouche et aller plus loin pour les manger en paix. Ils étaient trop petits. »

« Quelqu'un a peut être voulu nous jouer un tour. Vous en avez parler à d'autres, vous deux ? » Les deux gosses firent ''non'' de la tête. « Dans ce cas on demandera à ceux qui sont déjà venu. Riton, Théo et Billy. Je ne vois pas ce qu'ils feraient avec des ossements mais on peut toujours leur demander. Entre temps, est ce que ça vous dirait de construire un autel un peu plus gros ? Après tout, nous pouvons faire quelque chose de plus esthétique et de plus fermé pour éviter que les os se fassent chaparder. Qu'est ce que vous en dites ? »

Le Gamin hocha la tête vigoureusement et la Gamine sourit devant l'enthousiasme de son frère, et puis elle ajouta : « Vous avez une idée de construction en tête Vieux Gamin ? »

« Déjà il nous faut quelque chose de large. On risque de manger quelques gros gibiers, donc on a besoin de place. Ensuite il faut pouvoir poser les ossements sur le sol, afin qu'ils puissent retourner en terre. Donc il nous faudrait en principe une caisse, avec une double ouverture : une devant avec des portes battantes, pour observer et entreposer les premiers os, puis un couvercle au dessus pour pouvoir remplir lorsqu'ils n'y aura plus beaucoup de place. »

Le Gamin me regarda l'air déçu, sa sœur interpréta : « On ne peut pas les entreposer en un vulgaire tas. Les esprits méritent plus de respect. »

« Mmmh... Dans ce cas vous pourriez les ranger dans l'autel. Les catacombes de Paris sont garnies de squelettes formant des murs entiers. Aussi, que ferons nous lorsqu'il n'y aura plus de place ? »

« … On fera un autre autel ? »

« Tu veux que ma colline se transforme en un cimetière ? »

« Pourquoi pas ? »

« Parce que mes moutons n'auront plus de place pour brouter. »

« … Et si l'on faisait un muret ? Plusieurs autels les uns à coté des autres ? »

« Ça reste envisageable, pourquoi pas. Ils le font bien en Inde et en Amérique du Sud d'après ce que je sais. Maintenant, il faut trouver une solution pour l'odeur. Les os ne sont pas dépourvus de chair à l'intérieur et ça attire les bestioles. Qu'est ce que vous proposer ? »

Le Gamin leva un doigt en l'air et creusa un trou, il y plaça un caillou, le recouvrit, attendit quelques secondes et le déterra.

« Tu veux enterrer les ossements dans le sol le temps que les vers s'occupent de grignoter la structure, tu les déterres et là seulement tu les disposes dans l'autel ? »

Il hocha la tête, sa sœur approuva, moi aussi.

« Pour les petits animaux vous aurez besoin de travailler lentement. On risque de perdre quelques os, mais ça reste possible. »

« Vous voulez nous faire manger des souris Vieux Gamin ? »

« Pourquoi pas, c'est pas mauvais, mais pas très nourrissant. Non, je pensais aux poissons. »

« … On aura pas le choix, on devra faire attention. »

« Ou alors ! Je vous donne un filet à poisson très fin, on en fait un sac, vous mettez vos arêtes dedans et on plonge le tout dans la rivière. L'eau lavera tout ça et on pourra les ressortir en entier. L'idée te plaît Gamin ? »

Celui-ci hocha la tête.

« Bon, » dis je en claquant dans mes mains, « On a un plan d'attaque, maintenant on va prendre du papier et des crayons et on imagine le design que l'on veut. Vous êtes prêts ? » Ils acquiescèrent avec le sourire. « Alors c'est parti ! »


 

Chacun s'installa dans son coin et l'on dessina en silence. Le Gamin fit un château, la Gamine pensa à une urne géante et moi à un autel catholique : un simple pavé avec une ouverture à l'avant et au dessus. Les enfants votèrent pour le mien car ils aimaient l'agencement des bouts de bois qui formeraient la couche externe. Une surface plane laisserait une plus grande possibilité de décoration.

Finalement la construction se fit en une semaine. Riton vint nous aider un peu alors qu'il passait par là. Ce n'était pas lui qui nous avait piqué les ossements. Plus tard je demandai à Billy et à Théo, et eux non plus n'y avait pas touché.

Une fois l'armature terminée, nous avons coupé des petits morceaux de bois de différentes couleurs et nous en avons fait une mosaïque sur les quatre faces. Le toit était plat, alors nous en avons fait une table. L'idée de manger sur des cadavres ne nous dérangeait pas , nous savions tous les trois que la Terre n'était faite que de cela. De même que la vie. Alors mangeons avec nos morts, puisque la vie ne s'arrête jamais.

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