Chapitre 74 : Pétales de rose

Par Kieren

Lorsque la Gamine se sentit prête, elle se leva, et marcha seule.

Nous saluâmes Suzanne et nous partîmes, Riton nous accompagna sur une petite centaine de mètres avant de rentrer chez lui.

« Ayant dormi ou pas, la routine du travail n'attend que moi ! »

Le soleil sortit des arbres et réchauffa nos dos pendant que nous remontions la colline. Ma chienne passa à hauteur de main de la Gamine et cette dernière hésita, puis lui caressa la tête. Aucune des deux ne s'arrêtèrent pour autant, mais ma chienne ralentit un petit peu le pas.

Nous aérâmes la cabane, laissant les mouches s'envoler. Je pris une bouteille d'alcool, des bandages, une aiguille et un fil, le Gamin porta les seaux et la Gamine traîna sa frêle carcasse. C'était dur pour elle.

Nous descendîmes à la rivière, et pendant que le petit remplissait les seaux et aspergeait sa sœur, moi je désinfectais mes plaies, ce qui brûlait affreusement, puis je me recousis, ce qui picotait tout au plus.

J'hésitais à passer le reste de la bouteille d'alcool sur la Gamine, mais le savon en bloc faisait très bien l'affaire. L'eau sale ruisselait sur le sol car nous nous étions éloignés de la source, pas besoin de faire deux fois la même connerie.

Lorsque la fillette ne puait plus, je lui dis d'aller se baigner avec son frère. Je les regardais s'ébattre dans l'eau. Pendant ce temps je pansais mes blessures et je recommençais avec ma chienne, elle ne se plaignait pas. Elle ne se plaint jamais de toutes façons.

Sifil et Théo nous croisèrent, ils venaient pêcher un peu avant de préparer des vers de farine et en faire une quiche. Cela fit rire la Gamine et demanda si elle pourrait en goûter. Théo, surpris, accepta avec plaisir. Sifil pendant ce temps éclaboussait le petit frère, celui-ci lui répondait de la même manière.

Curieux, les gosses étaient encore plein d'énergie malgré la nuit blanche. Sans doute l'adrénaline.

Puis le Gamin remonta prendre les cannes à pêches. Moi je prenais le poisson à la fourche, Sifil à la main, ou à la patte, cela n'a pas d'importance. La Gamine l'imita, mais elle n'y arrivait pas aussi bien ; je lui donnai alors mon outil, pour qu'elle puisse essayer. Elle y arriva mieux. Son frère se débrouillait très bien avec une canne et se fit discret mais efficace. Puis Sifil me montra ma main et bougea ses antennes d'avant en arrière, curieuse. Je laissai la Gamine raconter son histoire puis je pris le relais. Théo jura ses grands dieux qu'il n'irait jamais dans ce cimetière, je lui dis que la promenade en valait la chandelle, il pouffa et m'assura qu'aucune ballade ne valait le coup de risquer sa vie. Je lui fis remarquer que la vie était une ballade, et qu'à la fin, dans tous les cas, on mourrait, alors il valait mieux vivre cette belle ballade, et se battre pour ne pas mourir.

« Oui. Mais quant même... » soupira Théo.

Sifil posa sa patte sur ses épaules et déploya ses ailes, comme pour le protéger. Elles étaient de la couleur et de la douceur des pétales de rose. Le Gamin, quand il vit cela, se rapprocha timidement, et regarda la demoiselle dans les yeux. Celle-ci réfléchit quelques secondes et hocha la tête, alors l'enfant toucha très délicatement ses ailes, ravi. Puis Sifil eut visiblement une idée : elle me regarda et pointa son dos puis le Gamin. Celui-ci comprit tout seul et tapa dans ses mains, tout excité. Sa sœur semblait emballée par l'idée et je donnai mon agrément.

Le gosse monta sur le dos de la mante religieuse et celle-ci battit des ailes à toute vitesse, le vent projeta Théo en arrière, moi et la Gamine tînmes bon.

Et ils s'envolèrent.

Et ils disparurent au dessus des nuages.

« Tu as peur Gamine ? »

« … Un peu, mais je lui fais confiance. Et puis, je n'ai jamais pu faire voler mon frère, il doit être heureux. »

« Ça valait le coup de survivre à cette nuit alors ? »

Elle pouffa, et sourit légèrement en regardant le ciel. « Sans doute... »

Théo alluma le feu, je vidai les poissons et la Gamine se reposa, couchée dans l'herbe.

Le vacarme reprit de plus bel alors que Sifil réapparaissait en se posant délicatement à côté de nous. Le Gamin lui serra très fort le cou et descendit, se cassa la figure et se releva immédiatement pour voir sa sœur et lui raconter son voyage avec toute l'excitation qu'il pouvait avoir.

C'est chouette de voler. Dériver dans les nuages. C'est calme parfois.

Nous mangeâmes avec bon appétit, la Gamine aussi. Je lui mis alors la plume de hibou dans les cheveux. « En souvenir de cette épreuve. » Elle la caressa un peu.

Nous dîmes ''au revoir'' aux deux jeunes et nous rentrâmes chez nous. Je demandai aux enfants de nettoyer la cabane pendant que moi et ma chienne nous fîmes sortir et paître les moutons.

Nous avions tous sommeil, mais la journée nous attendait. Cela ne nous empêcha pas de faire la sieste à tour de rôle.

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