Chapitre 70 : Le souvenir du cimetière

Par Kieren
Notes de l’auteur : Allez, maintenant on rentre dans la partie "horreur".

Ce soir là, le Gamin me montra sa trouvaille. Cela ne me plu pas du tout.

Au cours des derniers jours l'état de la Gamine se dégrada, doucement mais sûrement. Au début ce fut une simple toux, puis elle devint essoufflée, d'abord pour les tâches quotidiennes, puis pour marcher. Lorsqu'elle se fit battre à la course par son frère, je demandai au médecin de venir la voir, le docteur Froux.

Comment le décrire ? Il s'agissait d'un type d'une quarantaine d'année, en pleine désertification crânienne. Plus maigre qu'un squelette. Aussi vivant qu'un mort. Toujours en possession d'une flasque, il tirait souvent dessus, mais il n'y prenait visiblement aucun plaisir. Il était habillé en permanence d'une chemise noir, ou grise. Bref, il respirait la joie de vivre.

Je n'aimais pas ce type, un grain distant avec ses patients et une petite lassitude hautaine qui me l'avait fait rentrer direct dans la catégorie des connards arrogants.

Quand il vit le Gamin debout, il dit à haute voix « Oh ! Tu es encore là toi ? J'aurais pas cru... ».

Connard ! Mais il a le stéthoscope, pas moi. Il ausculta la Gamine, contre son gré, et je compatis.

« Elle a les poumons encombrés, elle n'a rien avalé de travers ? »

« Ma fierté seulement. » souffla t-elle pleine de reproche.

« Dans ce cas des antibiotiques pourront aider. »

« Elle a été mordue par une créature. Vous êtes sûr que des antibiotiques feront l'affaire ? »

« Évidemment, elle a été mordue. Quelle genre de créature ? »

« Le chat noir casse-couille dans le Jardin des Morts. »

« Mmmh... Une bien vilaine bête. » Il ne la connaît pas, c'est sûr. « Cela sort de mon domaine de prédilection. Mais donnez lui des antibiotiques au cas où. On ne sait jamais. »

Arrogant connard, et ignorant par dessus le marché. Et comme un con je lui donnai des antibiotiques. Évidemment son état empira, mais elle ne laissait rien paraître, surtout devant son frangin.

« T'inquiète pas mon frère, j'ai attrapé froid, un vieux rhume comme on en fait des tas. » disait elle avant de se coucher. « Va dormir cette nuit avec le Vieux Gamin, je ne veux pas te rendre malade. J'aurais vraiment tout gagné sinon. »

Le Gamin ne posa pas de question et alla se coucher. Avec une pointe d'hésitation il lâcha la main de sa sœur, prit son sac à dos et rentra dans ma chambre. Avant de rejoindre mon lit la Gamine me choppa le bras. Son visage resta stoïque.

« Vieux Gamin, je sens des choses grouiller dans mon ventre. »

« Sérieusement ? Tu es sûre que ce ne sont pas des haut-le-cœurs ? Tu ne te sens pas barbouillée ? »

« Non. Il y a des choses qui bougent en moi. » Et elle fut prise d'une quinte de toux, elle ne cracha rien, comme si l'air qu'elle expirait était lui même vicié. Elle se calma et me regarda très sérieusement. Elle sortit d'une voix enrouée : « Si je meurs, vous vous occuperez quant même de mon frère ? »

« … Pas aussi bien que si tu étais là. » Cela la fit sourire un peu.

« Alors je resterai un peu plus longtemps. Bonne nuit Vieux Gamin. »

« Bonne nuit Gamine. »

Je quittai la malade et rejoignis le Gamin dans ma chambre. Celui-ci me fixa. Je lui rendis son regard, et il le détourna.

« Toi, tu as fait une connerie. » Il acquiesça. « Montre moi. » Il ouvrit alors son sac et montra sa trouvaille.

Il s'agissait d'une poupée, qui ressemblait terriblement à sa sœur, les yeux vert et rouge, la longue tignasse qui arrivait aux genoux, le regard accusateur. Les habits étaient les mêmes. Une belle poupée. Quel dommage qu'elle appartenait à la tombe que l'on avait croisé dans le cimetière.

Je la pris dans ma main, et une odeur âcre de charogne envahit la pièce.

« Pourquoi as tu fait ça Gamin ? Je croyais que vous ne violez pas les sépultures. Cela ne t'appartient pas ! »

Il commença à pleurer et pointa du doigt le jouet, puis sa sœur.

« Tu pensais qu'elle lui était destinée ? »

Il hocha la tête.

« Comment dire ?... Monumentale boulette. Vu l'état de ta sœur c'est très probablement lié. Ça m'a l'air d'un piège. Si c'est le cas, tu as merdé, mais c'est ta sœur qui trinque... Merde ! Et ça pue ce truc ! Tu l'as lavée avant de me la montrer ? » Je me rendis compte que j'étais entrain de le faire paniquer, il pleurait à chaudes larmes et on voyait clairement l'affolement dans ses yeux.

Il hocha la tête entre deux crises de hoquet silencieux.

« Bon. Si l'état de ta sœur se dégrade on ira rendre la poupée cette nuit, sinon ce sera la première chose que l'on fera demain matin. Va à nouveau laver cette figurine. Je ne pourrai pas dormir dans cette infection. »

Il courut vers la salle de bain, mais je lui retins le bras.

« Tu n'as rien fait avec de mauvaises intentions, mais parfois, les idées généreuses ont des conséquences néfastes. Tu as ta part de responsabilité. Toujours. Ne l'oublie jamais. »

Il versa une dernière larme et alla savonner la poupée.


 

Plus tard dans la nuit, je fis un cauchemar. J'étais une des poupées sur la tombe des Jardins des Morts, et le chat noir me bouffait. Lentement. Membres par membres, en finissant par les yeux, et il me laissait là, aveugle.

Je me réveillai en sursaut. La sueur au front et les mains tremblantes. Je fus assailli par l'odeur. Une odeur de pourriture, de miasme poisseux, qui te colle aux narines, comme si tu t'étais barbouillé de jus de cadavre. Le Gamin dormait, les effluves le laissant indifférent.

Je tâtonnai à l'aveugle pour ouvrir la fenêtre. Mais la vitre avait une consistance particulière, comme si des feuilles mortes la tapissaient. J'allumai alors la pièce, et je les vis.

Des mouches, des milliers de mouches sur le verre, des vers sur le rebord et le plancher. La lumière les réveilla, et ce fut le pandémonium. Un ouragan hurlait dans ma chambre, et le sol se mît à grouiller. Je réussis, malgré le brouillard d'insecte, à ouvrir la fenêtre, et la vermine s'enfuit dans la nuit noir. Fuyant le cauchemar. Parce que celui-ci continuait de produire ses miasmes.

Dessous la robe de la poupée, coulait une matière visqueuse, rouge sang et jaune pus, dans laquelle se mélangeait des vers plus ou moins long, mais vivant, ça pour sûr.

Puis j'entendis la Gamine tousser violemment dans la pièce voisine, ce qui réveilla son frangin. Je mis la figurine dans un sac à dos et rejoignis la fillette, le Gamin était déjà à ses côtés.

Elle crachait du sang, dans lequel gigotait des vers blancs, d'une dizaine de centimètres. Elle me regarda, stupéfaite ; son frère me supplia du regard. Et moi, j'implorai l'aide de quiconque venait à entendre cette pensée : ''Merde''.

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