Chapitre 7

Par NaL

Professeur Abigail : le trident de poséidon

 

 

Chapitre 7

 

 

 

Au matin, tandis que le soleil montrait le bout de son nez, un singe malicieux entra dans la chambre d’Abby par la fenêtre entrouverte. Il se faufila parmi les mobiliers, évita les sous-vêtements par terre et trouva des restes du repas de la veille. Il en remarqua sur le lit et bondit sur le matelas.

Abby se réveilla soudainement, attrapa son pistolet qu’elle avait caché sous le coussin et le pointa vers le singe. Celui-ci émit un petit cri et partit à toute vitesse vers la fenêtre.

Abby reposa sa tête sur le coussin en râlant.

- Saleté de singe, me réveiller si tôt.

Elle constata la gueule de bois qui la tenaillait. Bien trop d’alcool la veille. A bientôt trente ans, elle n’avait plus le loisir de veiller si tard et de boire autant. Puis elle se rappela la délicieuse nuit qu’elle avait passé et chercha avec sa main le corps de son ex. Elle tâta les couvertures. Du vide.

Elle se retourna d’un coup. Il n’y avait personne d’autre qu’elle dans le lit. Elle chercha du regard Drake mais elle ne le vit nulle part. Ses affaires avaient disparues. Elle se leva et alla regarder dans la salle de bain. Personne.

- Non… murmura-t-elle.

Elle regarda le bureau et s’aperçut que toutes ses notes avaient disparues.

- L’enfoiré ! Hurla-t-elle en martelant l’air de ses poings.

Abby plongea dans le lit en se mettant la tête dans les coussins. Quelle conne ! Pensait-elle. Elle s’était faite avoir encore une fois ! Elle hurla dans le coussin, puis elle s’empara du pistolet avec l’idée de le chasser et de le tuer. Puis elle se ravisa quand une puissante tristesse s’empara d’elle. Il avait recommencé, l’enfoiré, songea-t-elle. Il avait planifié ça depuis le début, il s’était joué d’elle, sans aucun respect pour sa personne. L’évènement raviva la souffrance qu’elle avait vécue quand il l’avait laissé seule dans cette chambre d’hôtel à Lhassa. Elle eut les larmes aux yeux. Elle se sentait conne et avait honte d’elle-même.

Puis elle se ressaisit. Elle n’avait pas d’autres choix que de se blâmer elle-même. Elle savait très bien qu’elle ne pouvait pas lui faire confiance, mais elle l’avait fait quand même. Abigail se releva du lit, nue dans la chambre. Elle allait le retrouver et se venger. Il ne savait pas que la colère d’une femme pouvait être terrible.

Abby regarda le bureau et constata qu’il n’avait volé que les notes sur le temple submergé. Elle avait travaillé sur la traduction des signes de la stèle. Ils racontaient l’histoire d’un peuple qui avait dû fuir un cataclysme. L’élément essentiel était que les signes indiquaient l’endroit qu’ils avaient fui de manière précise. Quelque part en Méditerranée. L’Enfoiré était donc à la recherche de ce peuple et peut-être des artefacts qu’ils ont laissé. Il allait donc sûrement se rendre en Méditerranée.

Heureusement, Abby avait recopié les notes sur son Ipad avant de décapsuler les bières et de s’envoyer en l’air avec l’Enfoiré. Elle savait donc où chercher elle aussi. Abby pouvait le retrouver.

Elle alla prendre une douche, s’habilla et sortit prendre un café sur la terrasse du café. Le grand huit émotionnel qu’elle vivait depuis le réveil se calma à mesure que la gueule de bois s’évaporait. Assise en face de l’océan qui reflétait les rayons du soleil, buvant lentement son café, elle demanda au serveur une cigarette. Cela faisait quelques années qu’elle avait arrêté, mais la disparition de l’Enfoiré l’avait suffisamment remué pour qu’elle se permette d’en griller une.

Elle réfléchissait à la suite des évènements quand elle ressentit une sensation étrange. Elle sentait une force provenir de l’océan. Comme un vent mystique dirigé droit vers elle. Soudain, elle ne se trouvait plus sur une plage dans le sud de l’Inde, mais debout sur des falaises, en face d’un autre océan vaste.

Abby regarda autour d’elle, ne sachant pas où elle se trouvait. Je me suis endormie ? Songea-t-elle. Puis elle remarqua une forme d’escalier à même la falaise. Elle savait qu’elle devait l’emprunter. Elle descendit les marches grossièrement taillées et arriva à une espèce de grotte. Abby regarda à l’intérieur. La cavité semblait être profonde et vaste. Elle avait l’apparence d’un demi-cercle et avait été creusé dans la roche par des mains humaines.

- Abigail Alvarez, prononça une voix caverneuse.

Lorsque ses yeux s’habituèrent à l’obscurité, Abby remarqua que la grotte était aménagée : un matelas était posé à un endroit, il y avait aussi un réchaud à gaz, des livres et un sac de fourniture. Un ordinateur portable était posé à un endroit. Au milieu de la grotte avait été dessiné un mandala grandiose et coloré, et au milieu du dessin se tenait un homme assis en tailleur. Enroulé dans de grands tissus sombres, l’homme dévoila légèrement son visage. Un vieux visage à la peau bleutée et aux yeux dorés. L’homme de Tassili N’ajjer.

- Rapproche-toi, j’ai des réponses, murmura l’homme en faisant un geste vers elle.

Abby eut le réflexe de chercher son pistolet mais elle ne l’avait pas pris sur elle. Et puis, était-elle vraiment ici, avec l’homme bleu ou sur une plage en Inde ? Elle se demanda si elle n’était pas encore en train de rêver. Elle ressentit soudain une grande lassitude vis à vis de la situation, de l’Enfoiré, de l’homme bleu, de son travail, de la vie en général. Elle voulait juste s’étendre dans un lit et dormir.

- Je veux pas paraître malpolie, monsieur en bleu, mais j’ai la tête dans le cul et je viens de me faire avoir en beauté par un enfoiré, alors, s’il-vous-plaît, soyez rapide, dit-elle en se rapprochant.

L’homme haussa les sourcils et l’invita à s’asseoir en face de lui. Abby lui fit comprendre avec un regard résignée qu’elle préférait rester debout.

- Comme tu voudras. Ton ex te l’a faite à l’envers, c’est ça ? Les affaires de cœur sont toujours compliquées.

Abby fronça les sourcils.

- Comment vous savez ça ? Et ce n’est pas une affaire de coeur ! J’aime plus cet enfoiré depuis des années, s’indigna-t-elle.

L’homme eut un sourire ironique qui eut l’effet de creuser des dizaines de rides dans son visage. Ses yeux pétillaient.

- Alors comment cela se fait-il que tu sois dans cet état ?

Abby fit la moue.

- Je sais pas… Je croyais qu’il était sincère hier soir, avoua-t-elle.

Elle se sentait anormalement en confiance avec le vieil homme. Une sensation de calme et de confiance se dégageait de lui, comme si le fait d’être là avec lui allait aider les choses à rentrer dans l’ordre.

Abby sentit ses émotions remonter à la surface. Cela la fit paniquer, parce que, même si le papy bleu avait l’air bienveillant, elle n’avait pas l’habitude de se laisser aller avec les inconnus.

Lentement, l’homme leva sa main bleue et la lui tendit. Instinctivement, Abby la prit. Elle était exceptionnellement chaude et chaleureuse. Une sensation de bien-être emplit Abigail et chassa ses angoisses. Son regard croisa celui du vieil homme. Elle eut soudain l’impression d’entrapercevoir ce qui se cachait derrière ces yeux. Une profondeur immense. Elle avait l’impression de regarder un abysse. Et, comme le disait Nietzsche, quand on regarde l’abysse, l’abysse aussi regarde en vous, songea-t-elle.

- Les peines de cœur prennent parfois du temps pour guérir, mais tu verras, au final, le cœur guérit toujours, dit-il d’une voix douce.

- Qui êtes-vous ? Murmura-t-elle en lâchant la main et en s’asseyant, intriguée. Pourquoi savez-vous autant de choses sur moi ?

- Je m’appelle Atlas et je te surveille depuis longtemps. Parce que tu t’intéresses à mon histoire. Si j’interviens seulement maintenant, c’est parce que tu touches au but.

- C’est pas très clair. Pourquoi vous avez la peau bleue ?

- Et pourquoi pas ?

- Faîtes pas votre Rafiki s’il-vous-plait, répondit Abigail qui souhaitait reprendre le contrôle de la discussion. Vous avez dit que je m’intéresse à votre histoire. Qu’est-ce que vous voulez dire par là ?

- Mon histoire n’a jamais été raconté, pourtant elle est connue à travers le monde, dit-il. Je viens de la nuit des temps, d’une époque dont personne ne se souvient.

Abby fronça les sourcils.

- Et je m’intéresse à cette histoire… Vous voulez dire…

Il lui fit un sourire pour l’encourager.

- Vous avez vécu durant l’ère magdalénienne ?

- Ce que tu appelles l’ère magdalénienne, je l’appelle le temps de la destruction. J’ai effectivement grandi parmi la plus belle de toutes les civilisations, nous avions accumulé une connaissance exceptionnelle, mais l’avidité et l’arrogance a causé notre perte. Notre civilisation, la première d’entre toutes, a implosé et un grand cataclysme eut lieu. Les survivants, dont je fais parti, ont du fuir et s’installer parmi les tribus moins avancées qui peuplaient alors le monde. Ceux que vous appeliez les chasseurs-cueilleurs.

- C’est ce que raconte les messages laissés par nos ancêtres à travers tous les sites préhistoriques du monde ! Ils racontent tous une grande catastrophe et l’exode d’un peuple.

- C’est mon histoire.

Abigaïl n’était cependant pas convaincue.

- Comment avez-vous pu vivre aussi longtemps ?

- Cela fait parti de la connaissance que nous avions accumulé. Bien avant les grecs et donc bien avant vous, nous avions découvert les secrets de l’énergie. Observe cette grotte et peut-être comprendras-tu.

Abigaël promena son regard sur la grotte, observa les courbes de la cavité, la résonance des sons.

- Elle est remarquable, mais je ne vois pas le lien avec ce que vous me racontez.

- Je l’ai construite selon les mathématiques sacrées dont mon peuple était fier d’avoir découvertes. La circonférence du cercle est parfaite et correspond au nombre d’or, le nombre magique. Le couloir qui le mène est aussi pensé en géométrie sacrée. Retourne-toi.

Abigaïl se retourna et eut alors l’impression étrange de se retrouver devant une œuvre de James Turrel. Le tunnel qui menait vers la cavité était exceptionnellement bien gravé et un carré aux bords parfait découpait une partie du ciel. Ou alors était-ce le ciel qui découpait une partie de la roche ? Abby trouva le travail magnifique, elle se retourna pour le dire à Atlas et elle vit la lumière projetée par l’ouverture du tunnel s’étaler de manière symétrique sur les parois. Elle entendit les bruits de l’océan se répercuter à l’intérieur de la cavité selon un rythme curieusement coordonné, elle sentit alors que chaque élément dans cette pièce était relié à l’autre, comme des instruments d’un orchestre. Elle sentit alors ce que le vieil homme avait voulu dire quand il lui avait demandé de regarder à nouveau cette salle. Ses respirations semblèrent alors se caler au rythme viscéral de la salle et Abby se sentit faire parti d’un tout.

Abby ferma les yeux. Elle respira et expira, faisant le vide et laissant une grosse part de tension disparaître. Elle se sentait régénérée. Quand elle les rouvrit, elle vit qu’Atlas la regardait droit dans les yeux avec un sourire appréciateur.

- Tu sens ce qu’il t’arrive ? Cela arrive seulement parce que j’ai construit cette salle de cette manière. C’est encore meilleur quand je chante ou joue de la musique. L’énergie produite dans cette salle régénère chaque cellule de ton corps. En restant ici, tu pourrais vivre des centaines de milliers d’années. Ce sont ce genre de connaissances qui ont fait de ma civilisation la plus brillante d’entre toutes. Ce sont aussi ces connaissances qui l’ont détruite. C’est également grâce à ce genre de connaissance que j’ai pu t’aider à Tassili N’ajjer. J’ai été capable d’interagir aux flux d’énergie qui traversent notre globe à chaque moment. C’est comme ça que j’ai su ce que t’avais fait ton ex, que j’ai pu te faire venir ici alors que ton corps est encore en Inde.

- On va faire comme si je n’avais pas entendu la dernière phrase. Pourquoi est-ce nous avons perdu ces connaissances ? Demanda Abigaïl.

- Nous n’avons pas le temps de parler plus en profondeur de tout ça, annonça Atlas en se levant avec une vitesse et une souplesse qui surprirent Abby. Le temps nous est compté. Il faut que tu rattrapes ton ex. Sinon il mettra la main sur le Trident avant toi. Et il ne le faut pas.

- Donc c’est bien le Trident que j’ai trouvé ? Demanda Abby.

- Oui, répondit Atlas en se penchant sur son ordinateur portable. Tu as traduit les inscriptions sur le Temple du Dragon, dans la cité de Kandam ?

- C’est comme ça qu’il s’appelle ?

- Oui, ce que tu as vu sous l’océan, c’est l’une des nombreuses cités que les survivants ont fondé, suite à la destruction de la cité-mère.

- Attendez que je prenne mon carnet pour noter ce que vous dites.

- Tu es en projection astrale, tu te souviens ? Ricana le vieil homme. Tu ne peux pas prendre de carnet. Regarde ça.

Abby regarda l’image qu’il y avait sur l’ordinateur portable. C’était Google Earth. Abby trouva étrange qu’un homme ayant plusieurs milliers d’années puissent utiliser ce genre de technologie. Elle se fit à l’idée et regarda plus attentivement. Le pont sur Google Earth montrait un endroit dans la mer méditerranée.

- Cela correspond aux traductions que j’ai faite dans le temple, dit Abby.

- Oui, sauf que mes coordonnées sont plus précises. Il faut que tu fonces là-bas pour récupérer le Trident avant ton ex. Il ne faut pas que cet artefact se retrouve entre de mauvaises mains. Son pouvoir est incommensurable. Et très dangereux.

Abby regarda Atlas en fronçant le sourcil.

- Drake est un enfoiré, mais il n’a pas mauvais fond.

- Tu devrais vraiment faire plus attention à comment tu choisis tes hommes, fit Atlas en haussant les sourcils.

- Allez vous faire foutre.

Elle prit mentalement note des coordonnées puis Atlas reposa son ordinateur. Abby le regarda se rasseoir et elle allait faire de même quand il l’a stoppa d’un geste.

- Non ma fille, tu dois y aller. C’est urgent.

- Je dois rester pour vous poser des questions. Vous êtes une mine d’information. C’est trop précieux pour que je passe à côté, répondit-elle mais elle commençait déjà à se sentir partir.

- Une prochaine fois, je te le promet, dit-il en fermant les yeux et en poussant légèrement la main dans un geste rappelant à Abby ses cours de taekwondo. L’instant d’après, elle se sentit tirée en arrière par une force mystérieuse. Elle traversa le tunnel à toute vitesse et se retrouva à survoler l’océan. Elle vit les falaises qui abritaient Atlas disparaître à l’horizon. Elle se retourna alors et contempla le vaste océan, sentant un air incroyablement frais, en provenance de l’Antarctique. Elle sentit également une sensation étrange, un sentiment d’urgence, d’inquiétude, de menace, provenir du vaste horizon, comme si quelque chose d’immense sommeillait de l’autre côté de l’horizon, à l’intérieur du gigantesque continent de glace.

Avant qu’elle disparaisse complètement, elle eut le temps de penser : « pourquoi Atlas se cache-t-il ici ? ».

Et l’instant d’après, elle se retrouva dans sa chaise, la clope encore fumante et le café encore chaud. Elle but une gorgée en se disant que ces derniers jours avaient été les plus étranges de sa vie.

 

 

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