Chapitre 54 - Zakaria

Notes de l’auteur : Bonjour :D On est toujours en plein orage et, euh... je vais disparaître discrètement pendant une semaine, d'accord ? Hahaha... Ahem... (Bonne lecture quand même ?)

Pour manoeuvrer ce navire, ils n’avaient ni voile, ni gouvernail, ni langage pour ordonner à la magie d’Erin de se plier à la leur. 

La maegis leur avait épargné un affrontement, mais les avait lancés dans la tempête dans rien de moins qu’un gigantesque cercueil.

La seule différence positive, c’était qu’il leur restait encore une chance, même minuscule, de rejoindre Fenara et le Maître des Temps. Zakaria avait encore une chance de se venger de l’enchanteresse, s’il pouvait l’atteindre. Et quitte à être dans la merde, autant aller jusqu’au bout.  

— Suzette ! cria-t-il. Quel est le cap ?

— Droit sur les Alméïdes, capitaine !

— Del ne respire plus ! couina Sehar.

Le lézard avait posé le maegis au sol, et le maintenait à demi dans ses bras pour l’empêcher de glisser. Derrière le hublot de verre, les nuages qui filtraient l’air et protégeaient Del du mal avait viré à un noir orageux, et sa nuque baignait dans l’eau.

— Retire lui la combinaison ! ordonna Zakaria.

Lo aida Sehar à extirper le petit maegis du scaphandre, et appliqua les gestes de premier secours du mieux qu’iel pouvait, au milieu de tout ce chaos. Le vent secouait leur vaisseau de tous côtés et, Zakaria le savait, ils ne garderaient pas le cap longtemps. Les Alméïdes étaient la meilleure destination qu’ils pouvaient prendre, pour le moment. C’était une constellation de petits châteaux, un brin isolés du reste de la Toile. Ils auraient de vrais navires, peut-être des alliés, s’ils plaidaient correctement leur cas… Avec Jin à leurs côtés, Zakaria était quasiment certain que les maegis des Alméïdes ne les tueraient pas à vue, au moins. Peut-être.

Del toussa bruyamment, les yeux de nouveau ouverts et hagards, et Sehar s’accrocha à lui, en larmes et le souffle court. Nodia attira l’attention de Zak avec des grands gestes d’un bras, l’autre accroché à une branche tordue qui dépassait à peine de la chair de leur véhicule.

Le bateau tombe en morceau. On fait quoi ?

Zakaria serra la mâchoire. Ce qu’ils devaient faire, c’était maintenir le cap et aller plus vite, sans détruire la carcasse qui les protégeait encore. Mais sans voiles ni gouvernail, la seule chose qu’il leur restait pour cette manoeuvre, c’était leur magie.

— Lo, tu comprends le sortilège d’Erin ?

Lea faune était encore sous le choc, après avoir vu son meilleur ami inconscient, mais iel se ressaisit avec l’habitude de l’expérience, et posa ses mains sur la paroi visqueuse de leur vaisseau. Iel la retira presque aussitôt avec une grimace, comme si la chose sous sa paume l’avait mordu.  

— Oui, mais je ne peux pas le contrôler, c’est trop -

Un cri apeuré l’interrompit. Sur la dernière paroi qui s’était refermée sur la coque, Jin se débattait dans les lianes qui l’avait emportée de force avec eux. Ses yeux blancs paraissaient encore plus voilés que d’ordinaire, son esprit certainement en proie à de nouvelles hallucinations provoquées par le chaos autour d’elle. A ses côtés, Sia picorait ses propres liens pour essayer de se détacher, sans succès.

— Il faut les libérer, sinon…

Le tonnerre couvrit la voix du prince, aussitôt suivi d’un torrent de vent qui percuta leur navire. Zakaria n’eut pas le temps de s’accrocher à quoi que ce soit avant que le bateau spirale sur lui-même, projetant à terre ou sur les parois ses habitants. De l’eau était entrée par des minuscules brèches que la secousse avait créées.

Leur bateau ne tiendrait jamais assez longtemps. Il se briserait bien avant qu’ils n’arrivent à destination.

— On doit accélérer avant que tout explose !

— Nouveau cap, sur les Mervées ! les informa Suzette.

— Et merde.

— Pas le choix, gamin ! C’est maintenant ou jamais !

Elle avait raison. Il n’avait plus le temps ni de réfléchir, ni d’hésiter.

— Nodia, détache Jin et Sia ! Lo, avec moi !

Il ne fallut qu’un seul geste à la valeni pour trancher les lianes avec une lame d’ombre. Jin se retourna aussitôt pour planter ses mains dans la chair du vaisseau et la griffer en hurlant après Erin, et il fallut toute la force de Nodia pour empêcher la maegis de se faire mal, épaulée par Sia. Sehar retenait toujours Del contre lui pour le protéger des secousses, et Suzette, qui de toute façon n’était pas une mage, gardait un de ses yeux rivés dans une minuscule ouverture pour surveiller le cap.

Ne restait vraiment plus que Lo et Zakaria, pour les sauver tous.

— Il faut atterrir quelque part, n’importe où, souffla Lo.

—  Suzie, le cap ? interpella Zakaria.

— Toujours le même !

Dans le bref regard qu’ils échangèrent, Zakaria sut que sa vieille amie savait ce qu’il s’apprêtait à faire, et qu’elle s’y refusait de toute son âme - mais que rien de ce qu’elle ferait ou dirait ne l’arrêterait non plus. Ce regard disait tout ce qu’elle n’avait pas le temps de lui crier au travers de l’orage. J’ai déjà tout perdu, donc t’as intérêt à survivre, sale gosse.

— On a besoin d’un propulseur, expliqua Zakaria à Lo.

— Je m’en occupe !

— Quoi ? Non ! J’ai besoin que tu contrôles ce machin !

Lo posa sa main sur celle de Zakaria pour la placer contre la paroi, face à eux, et ses yeux gris déterminés lui pourfendirent le coeur.

— Ensembles. 

Zakaria sourit comme un désespéré, et se retourna vers le reste de la bande.

— Accrochez-vous !

D’un coup de son poing libre, il ouvrit la paroi arrière du vaisseau, assez pour y passer le bras. Lo l’imita, et sans avoir besoin de signal, iels laissèrent couler toute leur magie. Sans sortilège pour l’ordonner, sans artefact pour la canaliser, juste un torrent de magie dont les couleurs s’entremêlaient avec celles des éclairs.

Toute sa magie, ou presque. Par réflexe, Zakaria n’avait relâché que ce qui était valeni chez lui. Son grand filet d’ombre paraissait presque ridicule, en comparaison des éclats d’énergie de Lo. Ridicule, et insuffisant. Pour sauver leur vaisseau, il leur fallait plus.

Zakaria ne pouvait pas faire semblant d’être un valeni, ni prétendre être un maegis. Il devait être les deux, sans concessions. 

Jamais il n’avait utilisé ses deux magies ainsi, sans contraintes, sans séparation. Mêlées pour ne faire plus qu’une, non teintée par la peur d’être trop maegis, et pas assez valeni. 

— Continuez, on approche ! encouragea Suzette

Le filet d’ombre grossit, se fit multicolore, s’entrelaça avec la magie verdoyante et rougeâtre de Lo, jusqu’à ce que leur vaisseau vogue si vite que maintenir le poing dehors soit presque douloureux, griffé ainsi par le vent hurlant.

Pourtant, lorsqu’il ouvrit la bouche, ce fut un rire qui s’en échappa. Non seulement leur propulseur improvisé fonctionnait, mais en plus, utiliser sa magie de cette façon, pour la première fois, avait libéré quelque chose qu’il ne savait pas qu’il retenait encore dans ses entrailles.

C’était bien son genre, de se sentir entier et lui-même pour la première fois au milieu d’un orage qui menaçait de les tuer.

— Ah ! croassa Suzette. On va trop vite, là !

— Quoi ?

— Tournez ! A vot’ gauche ! indiqua le corbeau.

— Zak ! appela Lo. Maintenant ! 

Il imita lea faune sans réfléchir davantage, et leur vaisseau vira sur la gauche, dans la bonne direction s’il en croyait le cri de victoire de Suzette.

Trop vite, s’il en croyait les crissement du bois.

Lo et lui n’avaient presque plus d’énergie à donner pour avancer. D’un même geste, ils ramenèrent leurs poings à l’intérieur, le sortilège désormais inutile.

La coque craqua, hurla, et avec un sifflement sinistre, le vent s’engouffra de travers entre les parois, avec assez de force pour déchirer en deux le vaisseau.

Le temps que Zakaria ne comprenne qu’un trou béant s’était ouvert entre eux deux et le reste du groupe, Lo l’avait déjà attrapé par la taille, et avec le peu magie qu’il lui restait, le lança de l’autre côté, rattrapé de justesse par une main de Sehar.

— Lo ! appela le petit lézard, toujours accroché à Del, à peine conscient sous son autre bras.

— Même pas en rêve ! pesta Zakaria.

Il se releva avant que le sourire presque provocateur de Lo ne disparaisse dans l’orage, l’autre partie du vaisseau brusquement avalé par la tempête.

Cela n’avait duré qu’un instant, mais il avait bien vu dans son regard que lea faune lui ordonnait de rester. 

Va-t-en, survis, protège-les, avait supplié ses yeux. Laisse-moi partir.

Mais Zakaria n’avait jamais écouté personne, et il ne commencerait certainement pas aujourd’hui.

Il ne recula que d’un pas pour prendre de l’élan, et sauta dans la tourmente, droit dans la direction où la moitié brisée avait disparu. 

C’était la décision la plus insensée qu’il avait pu prendre ces derniers temps, et il en avait pris de sacrément mauvaises, pourtant. Nodia, Sehar, Del, Jin, Sia et Suzette auraient eu besoin de toute l’aide possible pour affronter Fenara, et Zakaria venait de se condamner à mort sans hésiter. Tout ça pour que Lo ne disparaisse pas seul dans la tempête.

Et il n’avait aucuns regrets.

Il percuta le débris à la dérive et s’y accrocha péniblement, ses mains rendues glissantes par la pluie et le reste de son corps malmené par le vent. Il tendit le bras pour attraper une prise plus haut, mais le morceau de bois se brisa aussitôt entre ses doigts. 

Il ne pouvait rester suspendu ainsi dans le vide plus de quelques secondes, il le savait.

Avant que l’impulsion de sa perte de prise ne disparaisse, il s’en servit pour se jeter en hauteur avec toute la force qu’il lui restait. Avec un craquement sinistre, il atterrit sur le plancher, et aurait roulé vers une autre ouverture si Lo ne l’avait pas retenu.

— Tu essaies de mourir ? gronda Lo.

Zakaria ne chercha pas à répondre. Il tira Lo contre lui, comme si cela suffirait à l’empêcher de disparaître. Contre son oreille, il n’eut plus besoin de crier pour se faire entendre par-dessus le tonnerre. 

— On est pas obligés de mourir. Prends ma magie.

Dans le bref regard qu’ils échangèrent, il vit toute la peur de Lo grossir brusquement. Lo qui n’avait pas hésité à se laisser partir pour les sauver, mais qui était terrifié d’échouer à présent qu’iels avaient une chance de survie, aussi minuscule soit-elle. 

Puis, iel posa une main sur la nuque de Zakaria, planta l’autre dans la chair de leur débris, et chassa ses doutes. Iel prit possession du peu de magie qu’Erin avait laissée dans leur débris, la remodela, la tordit, la façonna, en fit quelque chose de nouveau, plus petit. Fibre après fibre, l’arrière délabré du navire se transforma en cocon, tissé avec leurs magies conjointes. 

A chaque souffle, Lo en prenait un peu plus à Zakaria, et donnait tout autant à leur refuge. 

A chaque souffle, iels approchaient toujours plus de la mort, pour mieux les en préserver. 

Lorsque le dernier espace libre fut bouché, iels étaient recroquevillés l’un contre l’autre dans une boule minuscule. Lo ne put pas tomber plus loin que sur le bras de Zakaria, lorsque ses muscles se relâchèrent totalement.

Iel avait utilisé toute son énergie - trop d’énergie.

— Lo !

Zakaria attrapa son visage entre ses mains, et lea faune rouvrit les paupières pour le regarder, un épuisement infini dans ses yeux gris.

— Ne me fais pas ça, supplia le valeni. Je ne peux pas encore perdre quelqu’un que j’aime. 

Un sourire un brin moqueur tira sur ses traits fatigués, et sa voix resserrée par l’effort riait presque.

— Je croyais que c’était du «sans sentiment», toi et moi ?

— Je me fiche de ce que j’ai dis. Ne meurs pas maintenant, Lo. Ne me laisse pas retomber amoureux pour disparaître juste après.

Lo resta silencieux quelques instants, puis son visage se rapprocha doucement du sien. Zakaria trembla presque, lorsque leurs lèvres se touchèrent, dans le baiser le plus doux qu’ils aient jamais échangés.

— Je n’ai pas encore disparu, murmura Lo.

Iel ferma les yeux, trop épuisé pour tenir. Zakaria aussi s’effondra contre iel, le coeur battant mais les pensées claires pour la première fois depuis trop longtemps.

Si c’était ainsi qu’il devait mourir, avant la grande bataille, avant d’avoir pu obtenir sa vengeance… 

Zakaria sourit. Si c’était ainsi qu’il mourrait, pour protéger quelqu’un, pour un instant de paix… 

Alors c’était un bon moment pour mourir.

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Nanouchka
Posté le 23/07/2022
Yesssss ! Tu mets tout le monde en danger, c'est chouette.
Le rythme marche bien. Les différents POV fonctionnent aussi.
Ça vaut le coup de faire une correction orthographique et grammaticale, parce qu'il y a des coquilles par-ci, par-là (en général sur tous les chapitres, d'ailleurs).
Fascinante, cette magie d'Erin que Lo utilise aussi. Comment ça fonctionne ? Qu'est-ce que c'est ?
AnatoleJ
Posté le 23/07/2022
C’est un peu le moment où je me suis dit : deux secondes, comment ils vont survivre exactement maintenant ? Il y avait sérieusement un moment dans l’écriture où je savais pas comment ils allaient s’en sortir, c’était assez amusant (quoi que, est-ce qu’ils s’en sortent vraiment à un moment ? Pas sûr...)

Les aléas du premier jet, même si je me relis au moins une ou deux fois si ce n’est plus avant que le chapitre arrive sur PA, il reste toujours des coquilles x)

La magie d’Erin c’est « tout simplement » sa magie de Maegis, corrompue par la magie de Lo lorsqu’ils ont ramenés ses souvenirs. C’est pour cela qu’il n’y a pas beaucoup d’explications, c’est terre inconnue pour eux aussi !
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