Chapitre 49 : La neige fondue ride l'iceberg

Par Kieren

A la nuit tombé, nous sortîmes les fleurs d'acacia et des dizaines de pots de confiture. Dès qu'elle fut exposée aux étoiles, la branche libéra sa sève. On se relayait les uns après les autres pour changer les pots qui se remplissaient au fur et à mesure.

Alors que je faisais un aller-retour vers la cave, je découvris le Gamin qui explorait les sous-sols de la cabane.

« Sacré bordel, hein ? » dis je en rangeant les bocaux. Il y avait beaucoup de confitures, beaucoup de fruits confits et beaucoup de saucissons qui séchaient ici bas. Quelques souris se baladaient entre les bouteilles d'alcool divers et variées : vin de noix, mirabelle, poire, alcool de sapin, génépi et j'en passe. La majorité a été fait par moi, sauf les saucissons.

Pour le génépi, j'avais récupéré la recette dans les Alpes et les fleurs avec des montagnards de passage. J'étais reparti avec une dizaine de bouteilles bourrées de fleurs fraîches. J'en avais donné une à Riton et ce con m'avait fait croire qu'il l'avait diluer avec sa piquette. Mais il sait apprécier un bon alcool comme il se doit.

Le Gamin couru derrière les saucissons qui étaient suspendus à une poutre et commença à les pousser vers moi. Je le regardai. Il me fixa. Alors je me mis de l'autre côté de la poutre et poussa la saucisse séchée vers lui. Il me la redonna et je lui renvoyai.

Quel jeu à la con... Mais ça détend, et le gosse souriait. Il gagnait sa journée visiblement. Je ne me souviens pas avoir fait ça quand j'étais petit, mais ça devait être le cas. Je crois que j'essayais d'attraper les mouches à mains nues. Je me demande si j'en suis toujours capable...

Le petit retourna fouiller dans les jarres plus ou moins remplies d'épices, de pommes de terre et de pommes tout court.

Pendant ce temps, je m'assis sur un tas de tissu et me demandai si tout cela avait un sens : j'avais enfoui tout mon passé en dessous de ma vie, comme un iceberg qui ne laisse émerger qu'une toute petite partie de lui-même, alors que tout le reste qui reste sous la mer, la grande majorité de ce glaçon, lui sert de support pour qu'il puisse encore exister, pour éviter de disparaître. Et là, je laisse le Gamin fouiller cet énorme bordel dont est fait ma vie. Et il s'amuse. Ce qui n'intéresse personne, même pas moi, le fait rire et vibrer.

Ma foi... C'est bien... J'imagine...

N’empêche, j'aime bien cet endroit. Ça me résume un peu je crois. Beaucoup de poussière au milieu de nourriture. Ce que l'on ne voit pas tant qu'il n'y en a pas beaucoup. Tant que ça ne vieillit pas trop. Et maintenant que je suis vieux, il y a beaucoup de poussière. Il y a aussi beaucoup de vieilleries au milieu des débris.

C'est bien... C'est bien comme ça...

Ça tient chaud...de rêver dans des souvenirs. Vivre dedans nous fait mourir de froid. Mais en rêver... C'est comme la neige... C'est doux... Il ne faut pas oublier de se réveiller, c'est tout.

J'ouvre alors les yeux, je ne m'étais pas aperçu que je les avais fermés. Ni que je pleurais d'ailleurs. L'eau passa à travers mes rides et creusa un peu plus les sillons.

Le Gamin me regardait en fait. Il fronça les sourcils, m'essuya le visage avec le tissu qui traînait par terre, ce qui me recouvrit de poussière. Il continua malgré tout, alors je le laissai faire. Puis il prit ma barbe et essuya la saleté avec. Il la rendit noire. Puis il s'arrêta trois secondes, et il frotta la pointe de ma barbe sur son visage. Il peigna le contour de ses yeux en noir. Je ne savais pas ce qu'il faisait mais cela me faisait rire. Puis il dessina des rides sur son front et des joues. Puis il fronça les sourcils et fit une tronche sérieuse. Il me jaugea du regard, et puis il frotta mon crâne.

« Brave gosse. » Il en sourit fièrement.

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