Chapitre 46 : Lorsque la terre sombre

Par Kieren

« Bon, tu es prête Gamine ? »

« Donnez-moi le signal Vieux Gamin, et j'y vais ! »

Nous étions au plus sombre de la nuit, la Lune nous éclairait comme elle pouvait, mais j'avais pris avec moi des lampions. Il y en avait sur tout le chemin qui menait du toit à la cuve derrière la maison.

Le Gamin avait pour ordre de rester à côté du feu, je lui avais proposé de dormir, mais il avait bien l'intention de voir le procédé jusqu'au bout. La Gamine était perchée sur mes épaules et portait un échenilloir. Nous étions à 2 mètres de la grappe de fleurs la plus proche et je ne comptais pas m'approcher plus que nécessaire. Il nous fallait une belle marge de sécurité lorsque les fourmis sortiraient. La petite s'était entraînée à couper des branches juste avant et elle avait trouvé le coup de main.

« Alors coupe ! »

Le geste fut précis et la fleur tomba dans l'épuisette que je portais à bout de bras.

« Maintenant on se casse, mais doucement. » m'écriai-je, alors que l'arbre tout entier s'illuminait de milliers d'astres en colère. L'extrémité de l'épuisette commençait elle aussi à briller. Alors la Gamine jeta son outil de l'autre coté du toit, je me dirigea vers le trou qui menait au grenier, puis j’empruntai les escaliers, toujours en suivant la lumière des lampions. La fillette ne paniqua pas, moi non plus.

Arrivé sur le pas de la porte, je m'aperçus que le sol autour de l'arbre brillait d'un noir d'encre, mais les bestioles n'avaient pas encore atteint notre position, alors je continuai. Et juste avant que les fourmis n'arrivèrent à la moitié du manche de l'épuisette, je renversai les fleurs dans la cuve remplie d'eau, et la refermai d'une grande plaque en taule.

« Maintenant on court, et rapidement ! » annonçai-je en sprintant vers le feu de camps en maintenant la Gamine sur mes épaules.

Le sol se métamorphosait au fur et à mesure que les insectes sortaient des trous de leurs galeries et se répandaient avec la consistance du goudron. Mais elles ne s'approchaient pas du feu, et ce sur un rayon de 3 mètres. Le Gamin nous y faisait de grands signes.

Alors que nous étions à une dizaine de mètres de notre zone de sécurité, je m'aperçus que les fourmis entouraient déjà le feu de camps.

« Accroche toi bien Gamine, je saute ! »

« Vous ratez pas le Vieux ! Vous ratez surtout pas ! »

« Jamais ! » criai-je ; et je sautai.

En dessous de moi, il y avait un abyme où brillaient les enfers. Mais ce n'était pas mon jour, ni celui de la fille. Et nous atterrîmes juste à côté du frère. Il avait les mains sur la bouche, le souffle coupé. Et pendant un instant, seul les cendres brisaient le silence de la nuit.

« Bon, et bien voilà. Nous avons réussi. »

Le petit frappa dans ses mains frénétiquement et serra sa sœur dans ses bras pendant qu'elle descendait de mes épaules.

« Mon frère est très impressionné par votre performance Vieux Gamin. » dit calmement la Gamine. « Mais c'était quant même dangereux. »

« Dans la vie, on n'a rien sans rien les gosses. Nous avions tout préparé et tout répété avant d'entrer en action. »

« Ce n'était pas une critique. C'était une observation. Moi et mon frère, nous avons déjà fait plus risqué. Et nous sommes encore là. Non, ce n'était pas une critique. J'ai aimé ! C'était pour vous dire que j'ai aimé... »

Ah oui ? Elle a aimé quelque chose ? Je me retournai doucement, et effectivement elle souriait à pleine dent et scannait les environs avec les yeux grands ouverts.

« Et c'est beau, ces lumières, il n'y a plus de sol autour de nous, il n'y a plus qu'une mère d'étoile autour de notre île de feu. Vieux Gamin, c'est beau ! » Le petit secoua vigoureusement la tête, toujours en regardant l'arbre qui servait de pont entre le ciel et la terre. Il y coulait des étoiles.

« ...Merci. » dis-je en contemplant avec eux le spectacle qui s'offrait à nous.

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