Chapitre 45 - Lo

Notes de l’auteur : Bonjour :D Les joies du premier jet : je ne me souviens plus si notre cher prisonnier a été mentionné par son nom au tout début de l’histoire et je n’ai pas noté si c’était le cas, donc je lui en ai donné un nouveau... Oups. Bonne lecture !

La lumière grisâtre du dehors peinait à totalement entrer jusqu’à l’intérieur de la forteresse, et recouvrait tout d’une couleur poussiéreuse.

Ils avaient installé leur campement dans la tour d’observation, le seul endroit où les fenêtres n’avaient pas été barricadées et qui ne sentaient pas le renfermé. La tour était moins glauque que le reste, aussi, mais cela ne voulait pas dire qu’elle était chaleureuse pour autant. Il n’y avait plus aucun Cauchemar asservi par le valeni entre les murs, au moins. Même la biche de Sehar avait filé entre les collines, après que ce dernier lui ait fait une dernière caresse.

Ils avaient tous dormi quelques heures, puis très vite les kèvriens s’étaient réveillés pour ramasser à manger d’après une liste de course fournie par Zakaria. Alors que le reste de leur troupe se réveillait les uns après les autres, ils traitèrent les blessures superficielles, reprisèrent du matériel cassé le temps que Tsisco et Ressa ne reviennent de leur cueillette matinale. Suzette ouvrit grand les yeux dès que le sortilège d’endormissement se dissipa, courroucée et scandalisée, alors que Sia les entrouvrit quelques secondes, puis s’enfonça dans son nid provisoire pour prolonger sa sieste.

Nodia ne se réveillerait pas, ce jour-là. 

— Comment l’a-t-il piégée ?

Erin leva les yeux de son bras pour regarder Lo, puis reprit péniblement sa tâche. Elle tirait de sa peau les épines brisées pour en laisser de nouvelles repousser, et grimaçait à chaque opération.

— La galerie des portraits, celle du manoir, répondit-elle. Elle était là, comme une hallucination collective. Nodia l’a suivie sans réfléchir.

Sehar, assis juste à côté de Nodia pour veiller sur sa soeur, fixa Erin avec surprise.

— Ce n’était pas un Cauchemar, alors ?

La maegis fronça les sourcils, concentrée quelques instants sur sa réponse, puis arracha une nouvelle épine avec frustration.

— Je ne sais pas.

— Okay, mais la vraie question c’est quand même de savoir qui est ce type, non ? intervint Del.

Assis sur un vieux banc miraculeusement intact, il tentait de rester le plus immobile possible alors que Jin vérifiait l’état et les réglages de sa combinaison. Suzette redressa la tête, encore légèrement engourdie, et les plumes de son cou se dressèrent avec colère.

— C’est ton géniteur, Zaza.

— Mon quoi ? s’étrangla à demi le valeni.

— Ben le gars avec qui Fenie a couché pour te faire, explicita Suzette.

— Je sais ce que géniteur veut dire, merci bien, grogna Zakaria.

Il observa leur prisonnier avec une moue courroucée, et Lo les regarda l’un après l’autre à la recherche de ressemblance. Si Zakaria n’avait récupéré aucune caractéristique physique des maegis, il n’avait pas non plus reprit un seul des traits de ce valeni.

— Tu en es sûre ? demanda-t-iel.

— Malheureusement ouais, confirma Suzette. Mais je pensais pas qu’il irait jusqu’à se salir les mains et se battre, Fenie doit être à court d’alliés.

— Il aurait pu faire un effort pour se présenter de façon plus classe, quand même, constata Del avec une lueur moqueuse. Là c’est plus très menaçant.

Il essaya de se retourner pour regarder le cocon, mais Jin l’en empêcha en redressant ses épaules avant de reprendre ses réglages, Del désormais boudeur sous son scaphandre de verre.

— Je préfère ton papa, Sehar, conclut Sia.

Le corbeau se frotta la tête contre les côtes du petit lézard, et il caressa les plumes de son front avec un sourire. Les kévriens revinrent quelques instants plus tard, les bras et le dos chargés de beaucoup plus de nourriture que nécessaire. Le temps qu’ils préparent le repas et remplissent leurs ventres vides, la question du prisonnier fut momentanément écartée - mais une autre surgit bien assez vite.

— Donc… est-ce que ça veut dire que tu vas rentrer chez toi, Sehar ? demanda brusquement Del.

Lo pouvait sentir l’angoisse de son meilleur ami, et iel le comprenait. Les kèvriens n’étaient pas connus pour apprécier les visiteurs, et même si la mère de Sehar et Nodia avait été une exception, rien ne garantissait qu’ils pourraient facilement rendre visite à leur nouvel ami, une fois ce dernier de retour chez les siens. Lo aurait voulu le voir retourner en sécurité au plus vite, pourtant - mais iel s’était habitué à la présence du petit lézard et à sa douceur candide. Après un bref coup d’oeil vers son père, puis sa demi-soeur toujours inconsciente, Sehar secoua vivement la tête.

— Je ne peux pas laisser Nodia toute seule.

Il n’eut pas besoin de leur dire que par toute seule, il entendait sans lui - sans famille.

— Je n’allais pas partir sans avoir pu lui parler, de toute façon, confirma Tsisco. On prendra une décision avec elle lorsqu’elle sera réveillée.

Sehar sourit à son père, et le laissa l’englober de ses grands bras écailleux pour déposer un baiser sur son front.

— Et pour vous tous ? demanda Ressa. Vous avez prévu de foncer dans une autre baston ?

— Ça dépendra de ce que cet idiot a à raconter, j’imagine, répondit Suzette.

— Pas besoin d’attendre qu’il soit reposé, lui, siffla Zakaria. On pourrait le réveiller pour l’interroger.

— Bon plan, approuva Lo.

Ils formèrent un demi-cercle autour du cocon, ne laissant que Zakaria, Suzette et Lo assez proches pour toucher leur prisonnier. Lo n’eut besoin que d’un regard avec Zakaria pour savoir que c’était lui qui poserait les questions. Suzette se chargerait de l’intimidation. Lo n’était là que pour surveiller l’état de la prison - et comme soutien moral.

Pour réveiller le prisonnier, ils n’avaient pas besoin d’y aller dans la subtilité. Suzette lui pinça l’oreille avec son bec, ce qui sembla particulièrement douloureux pour les valenis, si Lo en croyait son glapissement de douleur et la grimace de compassion que Zakaria ne put retenir.

— Joyeux réveil, Orane. Crache le morceau ou c’est pas ton oreille que je picore ensuite. 

— Un plaisir de te revoir, Suzette. 

Orane se redressa dans son cocon autant qu’il put, l’air digne et moqueur, mais sa mâchoire se serra lorsque ses yeux tombèrent sur les deux kévriens qui encadraient Sehar.

— Où sont les autres valenis ? demanda Zakaria.

— Je suis le seul ici.

— Pas la question, ducon, pesta Suzette.

— Qui vous a dit qu’il y aurait quelqu’un d’autre que moi, dans cette forteresse ?

Ils se tournèrent presque tous vers les jumelles, et un sourire carnassier déformait les traits d’Orane. S’il pensait pouvoir les manipuler avec ses questions… Lo comprit que ce n’était pas impossible, malheureusement, lorsqu’iel vit la lueur de doute qui passa dans les yeux noirs de Zakaria. Lo n’hésiterait pas à lui tirer les oreilles aussi s’il prenait des décisions trop impulsives, cependant - Orane n’aurait pas de pouvoir sur eux tant qu’iel serait là.

— Tu es celui qui parlait à ma mère du cadavre du maître des Temps, constata Erin. Je reconnais ta voix.

Un bref éclair de fureur passa dans les yeux d’Orane, aussitôt masqué par une fausse assurance. Lo n’avait pas pensé au maître des Temps décédé depuis bien longtemps - mais iel savait que c’était un détail important.

— Depuis combien de temps tu travailles avec elle ? demanda Zakaria. 

— Rappelle-moi, tu as quel âge ?

L’insinuation ne plut pas à Zakaria, qui serra les lèvres et plia les doigts avant de les rouvrir. Quelques secondes passèrent sans qu’il n’enchaîne avec aucune question - mais Erin semblait trouver les réponses d’elle-même, plus son regard décortiquait méticuleusement les traits du prisonnier.

— Elle savait que nous viendrions ici lorsqu’elle m’a expliqué où les valenis avaient été emmenés.

La moue moqueuse d’Orane se décomposa, mais il ne semblait pas particulièrement inquiété pour autant.

— Elle savait, oui, confirma-t-il.

— Mais comment ? souffla Jin.

— Le cadavre du maître des Temps, supposa Erin. Elle l’empêche de disparaître parce qu’il contient encore une partie de son pouvoir, n’est-ce pas ? 

Lo fronça les sourcils. Pouvoir prédire avec ce niveau de précision les actions d’autant de personnes lui paraissait inconcevable, pouvoir du Maître des Temps ou non. Iel n’avait aucune idée de la réelle portée du pouvoir en question, mais si Fenara n’avait plus accès qu’à une partie de ce dernier, c’était d’autant plus improbable. 

Il y avait forcément une autre explication… 

— N’attendez pas une réponse de ma part. Je ne sais pas tout, c’est une de mes meilleures qualités.

Orane leur adressa un sourire provocateur qui n’était pas sans rappeler ceux de Zakaria - mais si ceux du prince poussait Lo à le titiller davantage, ceux d’Orane le glaçaient de colère.

— Pourquoi elle nous voulait ici, exactement ? demanda Lo.

— Pour ne pas vous avoir dans les pattes, bien sûr. 

— Mais ça n’a aucun sens ! Rugit Zakaria. D’abord elle veut nous tuer, puis nous capturer, nous tuer encore, et maintenant elle nous veut juste à distance ?

— Oui, confirma Orane avec un autre sourire.

— Il se paie votre tête, constata Ressa avec un sifflement désabusé. Je serais vous je lui collerais un bout de liane dans les dents.

L’idée était tentante, mais Zakaria semblait surtout vouloir lui tordre le nez à coup de poing. Lo lui attrapa un bras, et serra ses doigts assez fort pour le forcer à lea regarder.

— Il nous faut plus de temps pour réfléchir, pas pour le torturer. Quelle que soit la raison de sa présence ici, il n’est pas là pour nous aider, ni nous donner les réponses dont nous avons besoin.

Zakaria lea fixa en silence quelques instants, puis grogna et céda d’un geste du menton.

— Ce serait pratique si la violence était la réponse à tout, quand même. 

Lo sourit, et relâcha sa prise.

— Qu’est-ce qu’on fait alors ? intervint Del.

— On devrait rentrer à Pied-de-Troll, même sans soldats supplémentaires, proposa Jin. 

Orane lâcha un rire moqueur, qui lui valut une dizaine de regards noirs.

— Bonne chance avec ça. Mes chasseurs ont pris votre barque.

— Ils ont fait quoi ? s’indigna Suzette.

— Les Féroces, coupa brusquement Erin. 

Les regards noirs devinrent hallucinés alors que la maegis fixait intensément le prisonnier. Elle n’explicita pas son propos, plongée dans des calculs qu’elle seule pouvait comprendre.

— Les Féroces ? répéta Lo.

— Elles sont rapides.

En comparaison de ses précédentes interventions, celle-ci paraissait particulièrement perchée, mais Lo savait qu’Erin n’avait pas perdu la tête, loin de là. Ce qu’elle disait avait un sens plus large, plus profond.

Une signification plus connectée au reste du monde que ni iel ni les autres ne pouvaient saisir.

Erin se tourna brièvement vers Sehar, puis planta ses yeux verts dans ceux de Lo, comme si elle cherchait son approbation. En retour, iel sourit.

— Pas autant qu’un bateau, mais pas loin quand même, confirma-t-iel.

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Nanouchka
Posté le 19/06/2022
Choueeeeeette !
Interrogatoire de prisonnier, rencontre d'un autre père (avec cette thématique qui sillonne le roman : la relation parent-enfant), et mise en place d'un plan.
Bon rythme, lecture fluide.
Tu jongles avec beaucoup de personnages en même temps. Peut-être que l'une des questions à se poser serait : est-ce que tu as besoin de tous ? Parce qu'il m'arrive encore parfois d'être en confusion. À voir.
AnatoleJ
Posté le 26/06/2022
Héhé, c’est effectivement une thématique centrale et très importante pour moi, j’avais envie de la décliner sous plusieurs angles (comme celle des relations frères-soeurs-adelphes)

Je me pose la question aussi ! Au début, beaucoup des personnages était seulement « secondaires » puis au fur et à mesure je me suis rendu compte que eurs thématiques complétaient bien ce que je voulais dire avec mon quatuor de départ, donc j’ai voulu les approfondir aussi... bref, ce sera des choses à retravailler dans la réécriture ^^

Merci pour tes commentaires, à bientôt :D
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