Chapitre 43 - Nodia & Sehar

Notes de l’auteur : Bonjour :D Avertissement de contenu : ce chapitre contient de la violence (combats, sang, blessures, détresse émotionnelle forte) et très peu d'espoir. Si vous ne voulez pas rester sur une note déprimante, je vous conseille d'attendre la publication du chapitre suivant avant de lire celui-ci. Bonne lecture :)

NODIA

Elle était si près du but.

Nodia ouvrit la porte, le sang battant contre ses tympans comme un tambour de guerre, et ses yeux furieux examinèrent le champs de bataille. 
La pièce était entièrement vide.

Elle cligna des yeux, ausculta les ombres, mais ne trouva rien. Il n’y avait personne, pas même un cadavre, pas même un souvenir. Ni meubles ni débris. Seulement son souffle, rauque contre ses lèvres, qui emplissait le silence.

Pourquoi avait-elle cru qu’elle combattrait des Féroces enragées, repousserait des soldats haineux, que les valenis se trouveraient ici, en chair et en os ? Ils avaient été diminués, c’était impossible…

— C’est un piège, Nodia, murmura Erin.

La maegis s’était glissée jusqu’à elle sans un bruit, et Nodia l’ignora. Dans son ventre grandissait une fureur qui dévorait la peur d’avoir été piégée, l’écrasait pour ne plus rien laisser d’autre. Elle voulait se battre. Elle voulait cogner, transpercer, écraser, détruire. 

Hurler jusqu’à s’en arracher les poumons.

L’obscurité se mouva lentement devant elle. Elle reconnut la tranquille lenteur du prédateur qui savait qu’il croquait toujours sa proie. 

Tapis dans l’ombre, les Cauchemars se réveillaient. Nodia tira deux lances des ténèbres, et se campa sur ses talons.

Elle était prête.

— Bonjour, petite Nuit.

Elle ne reconnut pas la voix, pourtant familière. Comme si elle appartenait à un vieil ennemi. Ou un vieil ami, peut-être.

Qui qu’était cette personne, Nodia savait qu’il n’y avait qu’une seule issue à leur rencontre. 

Un combat. Puis la mort.

Un sourire carnassier déchira son visage. Elle serra les doigts sur sa lance, sa chair ombre parmi les ombres. Pour survivre aux Cauchemars et à leurs crocs d’argents, elle était prête à devenir une raison pour le monde entier de trembler. 

Les monstres n’avaient peur de rien, après tout.

Une part d’elle, minuscule, s’accrochait cependant à ce qu’avait dit Erin. C’était un piège, peut-être. 

L’autre part, la plus large, la plus affamée, ne voulait rien d‘autre que détruire sans réfléchir, se laisser aller dans les griffes du monstre qu’elle savait qu’elle était vraiment.
Nodia hurla, et plongea sa lance dans la créature la plus proche.

Elle tournoya, déchiqueta, lacéra, écrasa, planta, lamina. Elle criait et les glapissements de terreur des Cauchemars sonnaient comme une victoire à ses oreilles.

Dans sa danse destructrice, elle aperçut un éclat de lumière verte, puis plus rien. Son coeur gronda de colère, et elle reprit le massacre de plus belle.

Elle ne laisserait plus jamais la peur l’immobiliser au pire moment. Plus jamais.

Elle ne laisserait plus ceux qui comptait vraiment pour elle souffrir, peu importe l’horreur qu’elle infligeait pour y parvenir. Elle montrerait sa noirceur au grand jour, plus jamais invisible, plus jamais reléguée au second plan. Nodia serait vue, reconnue. Elle serait crainte.

Et cette idée l’exaltait. La peur qu’elle suscitait la rassasiait, elle s’en recouvrait comme d’une armure qui dévorait son occupant.

Plus jamais elle ne laisserait sa propre terreur mettre Sehar en danger.

Nodia s’immobilisa brusquement.

Sehar ! Où était le petit lézard ?

Un Cauchemar lui saisit la gorge, et elle lutta contre la vision qui recouvrit ses sens. Parfaitement consciente que rien de ce que ses yeux voyaient n’était réél, elle n’en ressentit pas moins toute la force de ce dont elle avait vraiment peur. Sehar, qui reculait de crainte face à elle, terrifié de ce dont elle était capable. Maro qui l’avait recueillie, Pacôme et Chaussette qui l’avaient traitée en petite soeur sans jamais la faire se sentir de trop, eux aussi avaient peur. Lo, Zakaria, Suzette, même Sia et les jumelles qu’elle se refusait d’apprécier, tous fuyaient, et chaque départ la torturait davantage.

Et lorsqu’elle fut tout à fait seule, que tout le monde était parti, il ne restait plus qu’une chose qui pouvait la craindre. Elle se voyait, une valeni comme il y en avait eu tant d’autres avant elle, sa lance d’ombre à la main. 

Elle se voyait, et Nodia avait peur de ce qu’elle devenait.

— Te voilà, petite Nuit.

Elle ne lutta pas, quand elle sentit une main se refermer sur son cou. Devant elle se tenait le visage d’un valeni, ses traits aussi familier que sa voix. Une terreur ancienne ressurgit du tréfonds de ses entrailles. 

Nodia savait qui il était. 

Mais que faisait-il ici, seul dans cette forteresse ?

Cauchemar ou réalité, elle lui abandonna la victoire. Une lance transperça sa poitrine, et le valeni la jeta au loin comme une poupée cassée.

Nodia n’était pas la meilleure combattante de l’Abradja. 

Elle ne le sera jamais.


***

SEHAR

Tout ce que Sehar voulait, c’était de nouveau sentir la main gantée de Del dans la sienne et celle de Nodia dans son dos. 

Mais il n’y avait que les crocs du Cauchemar, en cet instant.

Ces crocs, qui se refermèrent sur lui, et… 
 

Cling

Le Cauchemar recula la gueule, comme si sa pauvre proie esseulée était trop dure pour ses mâchoires, ou finalement pas assez ragoûtante. La créature tenta une deuxième puis une troisième fois, puis abandonna, et le renifla avec un couinement exaspéré.

Sehar se redressa lentement. Il était toujours vivant, et surtout, le Cauchemar ne lui avait donné aucune vision éponyme avant de tenter de le dévorer. Etait-ce pour cela qu’elle n’avait pas réussi à le croquer ? A présent, la créature lui tordait l’estomac d’une tout autre façon, ses plaintes devenues craintives, presque suppliantes.

Il avait déjà réussi à amadouer celui qui avait prit la forme d’une Féroce d’ombre… peut-être que celle-là aussi voudrait devenir son amie ?

 — On est pas obligés de se battre, tu sais.

Il tendit sa main pour la laisser le renifler, et espéra que ce qui avait empêché le Cauchemar de le croquer continuerait à fonctionner. La créature était totalement désintéressée par ses doigts, cependant, alors Sehar se concentra, et avec beaucoup plus d’aisance que la dernière fois, appela entre ses mains sa petite marionnette d’ombre. Il l’agita, et le Cauchemar sembla suivre ses gestes du museau, jusqu’à ce que des yeux d’argent n’apparaissent pour le regarder. Quelques instants plus tard, le Cauchemar avait pris forme - celle d’une jolie biche, avec des tâches grises sur sa fourrure d’ombre.

— T’avais peur aussi, alors ?

Sehar tendit la main pour lui caresser le museau, et la biche se lova aussitôt dans ses bras pour se frotter à lui. Il aurait pu rester des heures à la câliner, mais malheureusement, il avait des choses à faire.

— Tu m’aides à retrouver mes amis ?

La biche redressa ses oreilles arrondies, et tourna le museau vers le couloir. Elle se détacha de son étreinte et sauta en avant, ne s’arrêtant qu’avant de tourner pour vérifier qu’il la suivait bien. Sehar courut à sa suite, grimpa un escalier à quatre pattes, et espéra que sa nouvelle amie les menait dehors. Mais non : ils s’engouffrèrent entre deux panneaux étroits, dans un minuscule corridor qui lui rappela aussitôt le passage secret de Suzette, dans le château volant de la Toile. Si des maegis avaient construits cette forteresse ou dessiné le plan, c’était plutôt logique qu’ils y aient installé ce genre de conduit ici aussi… ou alors ils avaient empruntés l’idée aux précédents propriétaires de la forteresse. Sehar n’y connaissait pas grande chose - il essayait seulement de ne pas trop penser à la panique qui grandissait dans son esprit à chaque pas qu’il faisait.

La biche s’arrêta devant un panneau semblable à celui par lequel ils étaient entrés, mais celui-ci ne coulissait pas pour s’ouvrir comme une porte. Il n’y avait qu’une poignée, à hauteur d’yeux. Sehar la poussa doucement, pour révéler une fenêtre au grillage très fin, du genre de ceux qui permettaient de voir sans être vu. Un peu de lumière entra dans le couloir, et il pouvait voir, de l’autre côté, une gigantesque pièce presque vide.

Il plissa les yeux pour les forcer à s’habituer plus vite à la lumière, et recula brusquement, lorsqu’un cri fit trembler les murs et qu’un corps percuta la paroi, juste à côté de sa fenêtre invisible.

Il reconnut la peau lumineuse et verte d’Erin, à l’autre bout de la pièce, et devina la silhouette sombre d’un valeni inconnu et de plusieurs cauchemars face à elle. 

Il n’essaya pas de comprendre davantage ce qu’il se passait là-bas - le gémissement du corps tombé près de lui, il le reconnut aussitôt.

— Nodia ! 

Il ne savait pas si sa soeur l’avait entendue, mais supposa que ce n’était pas le cas pour les autres. Erin s’était lancée contre l’inconnu et ses cauchemars sans hésiter, une partie de son bras gauche changée en branchages. Sehar chercha un moyen d’ouvrir le panneau, mais il ne trouva aucune autre poignée. A ses côtés, la biche trépigna sur place, puis se glissa finalement au travers du panneau sous la forme d’un nuage noir, avant de reprendre consistance pour le regarder depuis l’autre côté.

Il n’y avait pas de porte, et il n’y en aurait jamais. Sehar devait improviser.

S’il n’aimait pas le fait qu’il était assez fort pour blesser, peut-être que cela pouvait au moins lui permettre de casser le panneau et protéger sa soeur. Il prit autant de recul que possible, et donna un grand coup d’épaule dans le mur.

Le panneau ne bougea pas.

Sehar tremblait de la tête au pied. Ce n’était qu’une petite grille - elle ne pouvait pas être si solide que ça, tout de même ?

Erin hurla alors qu’une partie de ses branchages se brisaient contre le sortilège de défense de l’inconnu, juste avant qu’elle ne porte un coup qui envoya son adversaire au sol. Nodia gémit, bien moins fort qu’avant - bien assez pour que Sehar sache qu’il n’avait pas le temps, qu’il n’avait jamais eu le temps.

La biche le regardait toujours. Sehar serra les dents, et recula de nouveau.

Cette fois-ci, lorsqu’il percuta la paroi, il passa au travers et tomba à terre. L’écho de sa chute et des débris qui virevoltaient couvrirent les clameurs du combat, pendant quelques instants - lorsque Sehar releva les yeux, l’inconnu le regardait.

— Ah. Voilà où tu te cachais. 

Sa voix n’avait rien d’extraordinaire, mais la moindre note le terrorisait. Surtout celles qui sonnaient comme une menace, et lui assurait qu’il n’y avait aucun malentendu sur ses intentions. Contrairement à sa biche d’ombre, le valeni comptait les écraser, quoi qu’il en coûte.

Sehar trébucha en voulant se redresser pour échapper à l’inconnu qui approchait à grand pas. Toujours à terre, il recula le plus possible sur ses fesses, mais trouva dans son dos la partie du mur qu’il n’avait pas détruite. Le valeni dressa un filet d’ombre entre ses doigts pour l’attraper, et Sehar se prépara à ramper au dernier moment pour l’éviter - mais il n’en eut pas besoin. La biche percuta l’inconnu de plein fouet, assez fort pour déstabiliser son sortilège et laisser le temps à Erin de se libérer pour reprendre l’assaut. 

Dès que le valeni se retourna pour se défendre, Sehar rampa jusqu’à sa soeur, le sang battant dans ses oreilles. 

Près du coeur de Nodia, il y avait un trou béant. Un sang noir en coulait, et collait ses cheveux défaits et ses vêtements éraflés.

— Non non non… Nodia…

Il attrapa son visage entre ses mains, et sentit avec soulagement qu’elle était encore vivante. 

Mais cela ne tenait plus à grand chose, et il n’avait aucune idée de comment l’empêcher de perdre trop de sang.

Il prêta à peine attention au plafond qui s’écroula, à l’autre bout de la pièce, ni à Lo et Zakaria qui débarquèrent pour prêter main-forte à Erin face à la horde de Cauchemars que le valeni avait soulevée.

Rien de tout cela n’était important, quand sa soeur perdait peu à peu conscience entre ses bras.

— Tu peux pas mourir, Nodia… Tu peux pas… 

Elle entrouvrit les yeux, un sourire faible sur les lèvres, et tenta de lever une main vers le visage de son petit frère. Ses doigts ne dépassèrent jamais le coude de Sehar, et ses yeux se fermèrent doucement.

Sehar s’accrocha à elle - que pouvait-il faire d’autre ?

Il s’accrocha et oublia la bataille qui faisait rage derrière lui, ainsi que la biche, qui disparut d’un bond. 

Il ne la vit pas partir au galop au dehors. Non pas vers la liberté, si facile à cueillir désormais, mais droit vers la personne qui, elle l’espérait, pourrait aider son nouvel ami et faire taire sa détresse.

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Nanouchka
Posté le 22/05/2022
Magnifique, ce chapitre, très fluide. Une fois que t'as tes éléments en place, tu sais très bien les faire se mouvoir, les orchestrer. Je pense que ce que t'auras à retravailler, ce sera plutôt les mises en place, pour que ce soit très, très clair, et que ce soit le plus léger possible en même temps.
AnatoleJ
Posté le 22/05/2022
Oh, merci tout plein :D C’est effectivement rassurant si les moments centraux fonctionnent une fois qu’on sait où on en est ! Je crois malheureusement qu’il reste encore du flou dans la suite (c’est du flou artistique, dit-il pour essayer de se convaincre lui-même), du coup je te rejoins totalement sur le fait que j’aurais à retravailler les mises en place, que ce soit à cet endroit ou tout du long !

Merci encore pour tout tes commentaires, à bientôt :D
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