Chapitre 36 - Del

Notes de l’auteur : Bonjour :D Un chapitre un peu plus optimiste cette semaine (merci Del). Bonne lecture !

A présent que son meilleur ami était de retour et qu’ils avaient ce qui ressemblait fortement à un plan imparable pour sauver le monde, Del se sentait nettement mieux.

Tout n’était pas résolu, loin de là. Il devait encore porter cette horrible combinaison orange, qui était de plus en plus désagréable et épuisante - et en prime, un véritable rempart contre toute marque d’affection plus que nécessaire - et bien que Lo soit réveillé, iel était… absent. Lea faune observait le paysage qui défilait sous leur bateau, sans se lasser des grandes tâches de couleurs à peine interrompues par les ruines et les rares petits villages. Del aussi aimait admirer la vue, d’ordinaire. Mais il préférait pourvoir regarder de près, toucher, sentir, et respirer l’air des endroits inconnus qu’il découvrait. Les voir seulement de loin était presque trop frustrant pour être agréable.

Et surtout, ils avaient tant à faire avant d’aller sauver les Valenis et stopper Fenara !

S’il était parfaitement honnête, plan imparable était peut-être une légère exagération de la réalité. Pour l’instant, ils avaient surtout une destination, escale incluse. Mais c’était mieux que beaucoup de leurs plans précédents, alors Del avait envie d’être optimiste. 

Seulement, sans Lo au meilleur de sa forme, c’était difficile de faire semblant qu’il y croyait, à cet enthousiasme débordant qui le caractérisait d’ordinaire.  Iel réagissait parfois à leurs conversations, mais c’était presque comme s’il y avait un mur entre eux, désormais. Le maegis ne pouvait rien faire d’autre que lui laisser l’espace de se remettre de ce qu’iel avait vécu.

C’était difficile, mais il devait le faire.

Pendant que Lo observait le paysage, les trois soeurs se reposaient sous le pont, Nodia faisait la sieste entre deux piles de cordages, Suzette pilotait le navire, et Zakaria s’était mis en tête d’enseigner à Sehar le subtil art de la manipulation des voiles. Ne restait plus pour Del que la très complexe tâche de profiter du spectacle. Une excellente façon de se changer les idées, et, avec un peu de chance, d’en récupérer de nouvelles particulièrement mauvaises pour tourmenter le lézard.

— Ne traîne pas, croassa Suzette qui participait de loin à l’instruction de l’hybride. Sinon -

Klang. Le cordage s’échappa des mains de Sehar, et la voile manqua de faire chavirer le bateau. Heureusement, Zakaria, totalement hilare, la retint avec dextérité au bon moment.

— Désolé, cria Sehar depuis le haut du mat avec une grimace.

— Recommence, ça va venir ! le rassura Zakaria.

L’hybride baissa les yeux, et croisa le regard de Del, qui sourit à pleines dents. Il éclata de rire lorsque Sehar lui répondit par un sourire un petit peu idiot au lieu de se remettre au travail, et la réprimande ne se fit pas attendre.

— Tu vas me laisser faire un détour toute la journée, l’oisillon ? Des nimbéins plus petit que toi auraient déjà fini depuis longtemps !

— Nimbéins ? répéta Del.

— Ceux qui se déplacent dans les nimbes, expliqua Zaza. On dit plus souvent moussaillon, mais Suzette est vieille.

Le maegis rit un peu, et profita du fait que Sehar recommençait sa manipulation pour harceler - autant que possible - le prince de questions.

— Tu as appris tout ça petit ?

Son regard s’assombrit légèrement, mais un sourire nostalgique éclaira vite de nouveau son visage.

— Très tôt. Ma mère - pas Fenara, mais la Dame - savait que j’étais un hybride, alors elle n’avait pas trop peur de m’envoyer en instruction dans la Toile. Mieux valait ça que me laisser continuer à squatter les bateaux qui passaient.

— Elle avait l’air d’être quelqu’un de bien. Elle t’a adoptée, non ? C’est déjà un bon indice du fait qu’elle était sympathique !

Ce n’était visiblement pas la chose la plus réconfortante qu’il aurait pu lui dire. Zaza perdit tout éclat, et dans sa voix couvait une colère qui ne demandait pas grand chose pour sortir.

— Elle ne m’a adopté. Le vrai Zakaria est mort né, et Fenara m’a mis à la place en pensant que ses sortilèges suffiraient à berner ma mère.

— Oh. 

Del n’osa pas lui demander quand, ni comment il l’avait appris. Ce genre de truc, ça devait peser sur une conscience… pas que le maegis en sache grand chose. Il avait toujours eu une famille plutôt simple, de gentils parents avec une bonne réputation et une situation confortable. Il était la seule mauvaise graine du tableau, et ils l’avaient laissé pousser avec amour. S’il n’y avait eu que ses parents, sa vie aurait pu être parfaite - mais le monde était bien plus vaste que deux personnes. 

Heureusement et malheureusement.

— Elle a eu Rudin, après moi, continua Zakaria. C’est lui qui aurait dû prendre le titre de Dame après notre mère… un vraie tête à claque, mais je serais mort sans hésiter pour sa sale gueule.

Del n’eut pas besoin que Zakaria explicite le fait que son petit frère était mort, comme le reste de sa famille. Mais depuis combien de temps portait-il seul son deuil ?

— Tu n’habitais pas dans le Manoir, alors ? lui demanda Del au lieu de remuer le couteau dans la plaie.

Il sourit, assez pour déformer l’une des nombreuses cicatrices colorées qui marquaient sa peau bleue. Le plus vexant, pour Del, était que malgré toutes les déformations que son visage avaient subies, entre cicatrices, nez légèrement tordu, yeux cernés de fatigue, une oreille déchirée au milieu, et cheveux noirs hirsutes et irréguliers, Zakaria restait incroyablement séduisant. Un bon bain et tous ses problèmes seraient réglés ! Alors que Del ? Lui n’avait que le privilège d’être mignon, et son unique cicatrice était bien plus hideuse à elle seule que toutes celles du prince réunies.

— Non, même s’il appartenait à notre famille, avant. Mais on a déménagé avant ma naissance dans une plus petite maison, un peu plus au sud de la forêt de cerises. C’était suffisant…

Le sourire avait déjà disparut - vite, il devait encore changer de sujet !

— Hey, pourquoi Pamplemousse n’est pas venue avec nous ? Elle avait l’air sympa !

Son regard se ralluma, avec bien moins d’incertitude que les fois précédentes. Il semblerait que cette fois-ci, Del avait choisi judicieusement.

— Mousse est la meilleure. C’est pour ça qu’elle est restée avec l’Armada, d’ailleurs, il faut bien quelqu’un pour garder un oeil sur eux. Et comme elle n’est pas encore une paria…

— C’est l’espionne parfaite ! comprit aussitôt Del.

Un klang au-dessus de leur tête les informa que Sehar avait finalement réussit à installer sa voile comme Suzette le voulait, alors Del poussa un cri d’encouragement pour le féliciter, qui lui valut un autre sourire un peu stupide de la part de l’hybride. 

— Bien joué ! confirma Zakaria. Si on continue à cette vitesse on devrait bientôt arriver à Pied-de-Troll.

— Oh, tu crois ?

— J’en suis même certain, tu vois comme il fait plus sombre ? Les lueurs commencent déjà à resdecendre.

Del poussa pour se lever de la caisse sur laquelle il était assis, et s’approcha du bord pour rejoindre Lo et regarder avec iel la nuit tomber. Sehar était redescendu de son mat, et s’appuya sur la rambarde juste à côté de lui, le coude contre le sien mais le regard résolument tourné vers le paysage. Le maegis retint un léger gloussement moqueur, et se concentra à son tour sur les grandes collines qui s’enchaînaient à perte de vue.

— C’est quand même plus cool d’y aller dans un véhicule digne de ce nom, hein ? rigola Del.

— J’aimais bien cette sphère, répondit Lo avec un demi-sourire.

Sehar grimaça pour toute réponse, puis ses yeux s’écarquillèrent brusquement, et il pointa devant eux.

— Ce n’est pas là ?

Il faisait de plus en plus sombre, en hauteur, mais les lueurs qui se ramassaient vers leurs corolles à ras d’herbe rendaient l’observation particulièrement facile. Del plissa les yeux, et repéra enfin au milieu des lumières végétales ce qui ressemblaient peut-être à des bâtiments éclairés par des lampes. Peut-être seulement - la vue de Sehar semblait bien plus acérée que la sienne.

— Nodia ? appela l’hybride.

Del ne l’avait pas vue sortir de son nid, mais la valeni s’étira et les rejoignit pour regarder la direction que son demi-frère pointait, avant de confirmer d’un signe de tête et de main que c’était bien leur destination.

— Préparez-vous à la descente ! prévint Suzette.

— Comment on fait ça ? demanda Sehar.

— Rien, répondit Zakaria. En temps normal, il n’y a qu’à apprécier la vue et saluer les gens sur le quai.

Del ne put s’empêcher de rire. Effectivement, ils n’avaient encore jamais eu l’occasion d’accoster dans des circonstances ordinaires, jusqu’ici. Entre sauter dans le vide au milieu des explosions et se laisser glisser jusqu’à des ruines abandonnées dans un silence de mort, il y avait forcément un juste milieu, et Del avait hâte de le découvrir.

Il sourit, inspira, et… 

BANG.

C’était arrivé bien trop vite pour qu’il ait le temps de comprendre ce qu’il se passait. Mais heureusement, Zakaria n’avait pas été aussi mou. Avec un bouclier invoqué au dernier moment, il avait dévié le tir de fusil sans que ce dernier n’ait eu le temps de toucher rien ni personne.

— On nous tire dessus ? s’indigna Del.

— Ils doivent penser que nous sommes des maegis de la Toile, constata Lo.

— Oh. 

 — Tu es sûre de ton coup ? demanda Zakaria.

Del n’avait vu Nodia signer sa proposition, mais il la vit acquiescer, et surtout récupérer une corde pour se jeter par-dessus bord après s’y être attachée. A croire que c’était une tradition familiale. Elle poussa un cri pour se signaler, et les villageois au-dessus durent la reconnaître, car malgré la cible facile qu’elle était devenue, aucun autre tir ne fusa dans l’air. 

— Nodia ? appela le tireur.

Ils étaient désormais assez bas pour que Del reconnaisse le gnome Chaussette avec ses cheveux roux, qui avait baissé son arme et les regardait abasourdi. A ses côtés, la naine Maro tenait une arbalète, toujours pointée en l’air, et dès que la corde frôla les toitures, Nodia sauta pour les rejoindre. Del l’entendit rire aux éclats lorsque le gnome la serra dans ses bras. 

— Attachez l’ancre sur la place ! ordonna Maro.

— Bien reçu ! croassa Suzette.

Zakaria montra à Sehar comment préparer l’ancrage, pendant que Del se contentait - encore une fois et avec une immense satisfaction - d’observer l’hybride. Son regard glissa jusqu’à la trappe qui menait sous le pont : est-ce que quelqu’un devait prévenir les trois soeurs ? Del trouva vite la réponse en apercevant de nouveau le fusil de Chaussette. Non, elles étaient très bien où elles étaient. Mieux valait ne pas affoler les habitants de Pied-de-Troll.

Le bateau s’arrêta à une petite dizaine de mètre des plus hautes toitures, et Zakaria déploya une échelle pour permettre à ceux qui ne pouvait pas voler ou sauter cette distance de descendre. Fort heureusement pour Del, il n’eut même pas à demander pour que Sehar propose de le porter sur son dos.

— Laissez-les manger d’abord, les questions plus tard ! cria Maro par-dessus le début de tintamarre des habitants du village.

— En voilà une qui sait de quoi elle parle, approuva Suzette.

La foule s’écarta pour les laisser passer, et depuis son perchoir, Del remarqua qu’il manquait quelqu’un, parmi les visages familiers qu’il pensait y retrouver.

— Hey, le gars qui se transforme en loup, il n’est plus là ? demanda-t-il à Chaussette.

Le gnome serra aussitôt les poings, et secoua la tête.

— Il est parti à votre recherche, mais il n’est jamais revenu. 

— Peut-être que Jin, Erin ou Sia l’ont vu ? supposa Sehar.

— Qui ?

— Les questions plus tard ! réprimanda Maro.

La naine ouvrit la porte de sa petite maison, et les poussa vers la table pour qu’ils s’y installent tous. Del se retrouva très vite coincé entre Sehar et Lo, ce qui lui convenait parfaitement. La pièce était définitivement trop petite pour leur assemblée, mais ce n’était pas bien grave. Au moins, cela faisait une raison supplémentaire pour ne pas avoir sorti les trois soeurs de sous le pont !

De la nourriture circula, trop vite pour qu’il ait le temps d’appréhender son origine, et les questions fusèrent aussitôt. Cette fois-ci, Maro n’intervint pas, alors ils entreprirent de raconter tout ce qui était survenu après leur départ précipité par l’arrivée du chasseur de prime. 

— T’as récupéré un nouveau frangin sans me demander la permission ? s’indigna Chaussette une fois leur part du récit conclu. T’es gonflée ma parole !

Nodia éclata de rire, et Sehar les regarda tous les deux avec perplexité, ses jolis yeux écarquillés, comme s’il ne savait pas s’il devait rire ou s’excuser.

— Mais ça passe pour cette fois, céda le gnome. Il a l’air aussi bizarre que toi donc je devrais bien l’aimer. 

— Et ici, alors ? Que s’est-il passé ? réclama Zakaria.

— Ici, c’est la merde. Des émissaires de la Toile sont venus et nous ont demandé de choisir un camp, sauf qu’on a absolument rien compris à ce qu’ils nous voulaient. Je veux dire, jusqu’ici, ça a toujours été tout le monde contre les merdes hostiles, vous voyez ? On essaie juste de survivre aux Féroces et aux Cauchemars, quand c’est pas la météo qui se réveille dont ne sait où… 

— Se faire la guerre entre Abradjiens, c’était hors de question, confirma Maro.

— Alors on a essayé de magouiller, pour voir un peu ce qu’ils nous voulaient exactement. On leur a demandé ce qu’ils se passeraient, si on refusait de les aider. Est-ce qu’ils continueraient quand même à nous fournir de quoi survivre ?

Chaussette serra les lèvres, ses longues oreilles pointues aussi frémissantes que celles d’un maegis angoissé. Del sut aussitôt que la réponse ne pouvait pas avoir été bonne, et Maro le confirma à la place du gnome.

— La Toile nous a abandonné sans hésiter, siffla la naine. 

— Alors c’est qu’ils n’étaient pas de notre côté, donc on n’allait pas être du leur, hein ! continua Chaussette. Mais le pire, c’est que l’Armada est passée pas longtemps après. 

Il jeta un coup d’oeil vers Zakaria, qui fronça aussitôt les sourcils avec surprise. Comment pouvait-il ne pas être au courant du passage de ses associés dans les parages ?

— Et pareil ! continua Chaussette en levant les bras. Tout ce qui les intéressait, c’était leurs histoires de camps ! Mais à quoi ça nous avance, nous, hein ?

— A rien, confirma Zakaria dans un sifflement serré. 

Del déglutit, et échangea un coup d’oeil avec Lo, dont le front était plissé avec concentration. Tout cela mériterait certainement une autre conversation entière pour éclaircir la question, mais lea faune avait d’autres priorités en tête.

— Vous n’avez plus de munitions pour vous défendre ? demanda Lo.

— Plus assez, répondit Maro en secouant la tête. Et pas assez de bons guerriers. 

Nodia signa, et Del se surprit à réussir à comprendre sa phrase entière. Vous m’avez moi, toujours.

— Je vous aiderais aussi, ajouta Zakaria. Et les soldats de la Nuit aussi voudront certainement vous prêter main-forte, une fois que nous les aurons libérés…

Maro lâcha un immense soupir, et Del sourit de voir dans le regard de la naine une lueur d’espoir bien plus enthousiaste qu’au début de leur conversation.

— Bon. Si on doit faire quelque chose, ce ne sera pas aujourd’hui. Je vais dire à tout le monde de venir sur la place demain après le petit déjeuner. Et là, on préparera ce qu’on a à préparer.

Nodia signa, et cette fois-ci, Del ne comprit qu’un seul mot : ensembles.

— Ouais, confirma Chausette avec un large sourire contagieux. Si c’est pour laisser des gens se démerder sur le côté, c’est même pas la peine. Quoi qu’on fasse ensuite, se barricader ou botter des culs, on le fera ensembles.

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Nanouchka
Posté le 09/04/2022
Yaaaaaay, un chapitre optimiste, on rentre à la maison, on retrouve des amis, et on va tous survivre ensemble.
Moi je propose que le tome 1 s'arrête là, pouf, comme ça tout le monde peut aller dormir de bonne humeur (je plaisante) (mais quand même).
Hâte de voir comment on va se dépatouiller de toute cette situation.
AnatoleJ
Posté le 09/04/2022
Dans le chapitre suivant, je suis sûr qu’ils vont se réunir pour se faire un brunch géant dans tout le village, et des messagers de Fenara vont débarquer pour livrer des patisseries et annoncer la fin des combats avec un billet d’excuse, et pouf tous leurs problèmes sont réglés (franchement une autre version alternative tout à fait valable, la liste s’allonge xD)
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