Chapitre 31 - Del

Notes de l’auteur : Bonjour :D Aujourd'hui, c'est le dernier chapitre un peu déprimant avant celui qui remonte le moral, courage ! Et bonne lecture :)

Lo était au bord de la mort, et tout était de sa faute.

Suzette avait raison. Il était totalement stupide, d’avoir pensé qu’à deux, ils pourraient accomplir ce qui était considéré comme impossible par la plupart des gens censés. Personne ne traversait le désert et n’en revenait pour raconter ce qu’il se trouvait au-delà. Mais Del avait eu l’espoir que, peut-être, les légendes étaient fausses - que ce n’était pas parce que cette terre inconnue était trop hostile, trop cruelle, et que tous les explorateurs intrépides qui avaient tenté l’aventure avaient été dévorés par quelques terribles monstres. Il avait cru, naïvement, qu’ils n’étaient pas revenus parce que la vie y était meilleure que chez eux, et que les kèvriens qui gardaient le désert n’étaient là que pour les dissuader d’aller piller des trésors ailleurs. Et puisque Lo et lui n’étaient pas après des richesses, ils auraient réussis à passer, et revenir sans encombre…

Mais il avait eu tord. Être dévoré n’aurait pas été un sort si terrible, finalement. Del l’aurait mérité.

Il avait si mal. Dans toutes les fibres de son corps, dans tous les recoins de son âme.

Il avait trop mal pour se tenir debout, et trop mal pour chasser les larmes de ses yeux. 

Il avait mal, mais Lo avait besoin de lui. Alors il tiendrait jusqu’à pouvoir regarder son meilleur ami dans les yeux, et y voir l’étincelle de malice qu’il y avait toujours trouvée.

— Tu es sûr que tu ne veux pas rester dans le Fort avec Suzette ? murmura Sehar.

— Et l’écouter papoter avec les nuages pendant que vous jouez avec des Cauchemars vivants ? Non merci.

Del était installé sur le dos de l’hybride, encore une fois, et avec la combinaison pour le recouvrir, c’était nettement moins confortable que les fois précédentes. La question de Sehar avait deux excellentes motivations : non seulement Del ne pouvait plus se déplacer sans son aide, pour le moment, mais ils avaient aussi laissés Lo sous la garde des deux corbeaux et des jumelles qui avaient causé tout ça. Ce n’était pas idéal, et si Del avait été capable de se diviser en deux, il l’aurait fait.

Mais il avait aussi peur que s’il laissait Sehar hors de sa vue comme il l’avait fait avec Lo, quelque chose lui arriverait à son tour. Et deux pertes en si peu de temps, Del ne s’en remettrait jamais.

Nodia tapota le bras de Sehar pour attirer son attention, et pointa son demi-frère, avant de signer une question.

Et toi ?

— Zaza a dit qu’il aurait besoin de tout le sang valeni disponible, rappela nerveusement Sehar.

— J’espère qu’il était pas littéral, pour le sang, grimaça Del.

Un cri de Féroce retentit, et ils se tournèrent tous les trois vers les collines aux herbes brunies qu’ils traversaient, à flanc de montagne. Nodia sortit aussitôt sa lance d’ombre, et Zaza, qui marchait devant eux, s’arrêta quelques instants pour regarder aussi, mais reprit rapidement son avancée.

— Tu as déjà affronté un Cauchemar, Nodia ? demanda Del.

Elle secoua la tête, et répondit par quelques signes lents. Seulement vus. Seulement fuis.

Lorsqu’ils avaient aperçu un Cauchemar, durant leur trajet de Pied-de-Troll au Manoir, Lo avait su de quoi il s’agissait au premier coup d’oeil. Où est-ce qu’iel avait pu apprendre à reconnaître un truc pareil ? Combien de choses Del ignorait encore sur son meilleur ami ? Son coeur se serra un peu à l’idée que désormais, les jumelles en savait bien plus que lui. Peut-être plus que Lo iel-même, si lea faune avait enfouis certains souvenirs. 

Et ça aussi, ça faisait mal, de ne pas être celui qui sait. Ou plutôt que la seule chose qu’il savait, ici et maintenant, c’était qu’une part de la vie de Lo lui échapperait sans doute toujours, parce que lui ne serait jamais le genre de maegis qui prenait ses souvenirs à un autre… 

Del soupira. Quel idiot. Dit comme ça, c’était très bien qu’il ne sache rien. Lo avait droit à ses secrets, autant que lui avait droit aux siens.

Ils avaient enfin rattrapé Zaza, qui s’était arrêté en haut d’une colline un peu plus haute que le reste, et observait les environs. Sa chemise grise rayée de noir et son pantalon bleu nuit étaient usés, mais pas assez pour masquer leur excellente qualité, et suffisamment pour souligner parfaitement la silhouette du valeni et accentuer son aura de dernier prince vengeur. Pour un peu, Del était prêt à croire qu’il surjouait peut-être son rôle, pour avoir l’air plus classe, ou peut-être - et Del maîtrisait le sujet - pour ne pas montrer à quel point il était perdu et terrifié, au fond.

— Je me demandais, comment on va capturer un Cauchemar s’ils peuvent prendre toute notre magie ? demanda Del sans plus aucune considération pour la peur hypothétique de leur guide.

Zaza se retourna vers eux, avec un sourire franc qui cassa un peu sa moue boudeuse habituelle.

— Leurs ombres ne sont pas mortelles. Elles paralysent leurs victimes avec des visions d’horreurs, et les dévorent ensuite. Tant que les dents ne nous touchent pas, le seul risque est de se pisser dessus.

— Attends, ça a des dents ? couina le maegis.

Nodia fit plusieurs signes, parmi lesquels Del ne reconnut que celui pour ombre

— Oui, ils sont faits de la même magie que nous, confirma Zaza. Surtout que toi, en réalité. Tu seras notre pilier, pour ce sortilège.

Del avait presque oublié que le prince était un hybride - pourquoi ressemblait-il si peu à un maegis, si Fenara était celle qui l’avait enfanté ? Del n’avait jamais rencontré aucun hybride issu de maegis, avant. Il avait presque cru en voir un, parmi les étranges amis de Lo, qui avait répondu de façon totalement énigmatique lorsqu’il avait tenté de lui demander ses origines. Typique des bardes. En réalité, Del était à peu près certain que l’hybridation était impossible, parce que les grossesses maegis étaient déjà très difficiles, et que toutes les grossesses d’hybrides étaient dures par nature. Et ça, c’était déjà sans compter le fait que ce serait probablement très mal vu. Mais peut-être qu’ils avaient des idées moins bêtes sur la question, de ce côté-ci du désert.

Ou de biens pires. S’il considérait le peu qu’il savait de la vie de Zaza, c’était le plus probable. Fenara était loin d’avoir été une mère idéale.

— Del, tu as assez d’énergie pour un bouclier ? demanda le prince.

— Euh… ça dépend de ce qui fonce dedans ?

Zaza invoqua une lance, tirée des ombres et un peu plus courte que celle que Nodia utilisait habituellement, et la pointa vers lui. Aussitôt, Sehar se tendit avec appréhension et se tourna juste assez pour faire rempart entre le maegis et le prince, mais Zaza se contenta d’un léger sourire.

— C’est juste pour faire un essai, pour que tu sois préparé. Le générateur à nimbus te protégera un peu en cas de problème, mais pas indéfiniment.

Del se concentra, et invoqua un petit bouclier devant lui, dans lequel Zaza planta doucement sa lance pour en tester la texture. Dès le premier contact, elle se craquela, et Del serra les dents.

— Plus souple, moins de couches… Voilà, très bien, approuva finalement Zaza. Si le Cauchemar s’approche de trop, protège-toi. Mais ce sera plus simple si vous n’êtes pas collés l’un à l’autre.

Il acquiesça, avec une légère grimace, alors que Sehar consentit enfin à le déposer par terre, au grand regret de Del.

— Sehar, montre-moi ta lance, continua Zaza en ignorant tout du drame qu’il venait de créer dans le coeur du maegis.

— Ma lance… ?

Zaza montra celle qui se trouvait dans ses propres mains, et Sehar baissa le regard avec un semblant de honte qu’il n’avait pourtant aucune raison de ressentir.

— Je ne sais pas faire ce sortilège…

— Oh. Nodia ?

La valeni invoqua la sienne sans effort, et s’avança vers Sehar pour la lui donner. Il hésita quelques instants, puis l’attrapa délicatement, sans que Nodia ne la lâche pour autant. 

— Qu’est-ce que tu sens ? demanda Zaza.

— Que… ce n’est pas à moi ?

— Heh. C’est un bon début.

Nodia cessa totalement de la tenir, et la lance perdit presque aussitôt sa netteté malgré les tentatives désespérées de Sehar de ne pas la lâcher. Del avait l’impression - sans pouvoir en être vraiment certain - que l’hybride n’y arrivait pas parce qu’il utilisait uniquement ses mains, sans faire appel à sa magie. Il avait bien dit, qu’il ne se pensait pas très bon en la matière… mais Del avait plutôt l’impression qu’il n’avait jamais eu de bons mentors, et que ça ne changerait pas aujourd’hui.

— Hum… Je n’ai pas le temps de te faire une leçon digne de ce nom, et je suis un professeur de merde, admit Zaza. Alors on va essayer autre chose… Penses à un objet, que tu connais dans les moindres détails et que tu serais capable de reconnaître les yeux fermés. Rien qu’à l’odeur, même. Tu en as un ?

Sehar acquiesça, et Nodia prit ses poignets, après un coup d’oeil vers Zaza qui l’encouragea d’un signe de tête. Elle tourna les paumes de Sehar en haut, et plaça ses propres mains dans la même position juste en dessous des siennes.

— Pense à cet objet, à rien d’autre, et laisse Nodia faire.

L’hybride ferma les yeux, et déglutit nerveusement. Del sentit Nodia guider sa magie vers celle de Sehar, et doucement, les ombres sortirent de ses paumes, jusqu’à former une silhouette étrangement familière. A quelques détails près, c’était le même petit animal mignon que Del avait aussi invoqué sous formé d’illusion, celui que Sehar voulait adopter et appeler Tsari, avant de donner le nom au cheval traître. Cela paraissait si loin, maintenant

— Qu’est-ce que c’est ? demanda Zaza.

— Une marionnette de Sussili… elle appartenait à mon père, et c’était mon jouet préféré et le sien aussi.

— Bien. Ce sera ta lance, pour le moment.

Lorsque Nodia relâche Sehar, cette fois-ci, même si le jouet se déstabilisa quelques instants, l’hybride réussit à le maintenir, ses yeux écarquillés de surprise. Le prince et la valeni avaient tous deux sortis de vrais lances d’ombres, et Zaza prit un air plus grave.

— Pour capturer un Cauchemar, nous allons devoir l’attirer, puis le museler. Sehar et moi, nous allons le guider vers Nodia avec nos lances. Nodia, tu vas te servir des ombres du Cauchemar pour le museler avec sa propre magie. Ça te parait faisable ?

Si elle avait peur, elle n’en montra rien. Elle contempla la question quelques instants, puis acquiesça, et fit signe qu’elle était prête. Del n’avait pas sa sérénité, loin de là. Depuis son siège d’herbes brunes, il était partagé entre la peur de ne pas être assez préparé pour quelque d’aussi dangereux, et l’envie de voir les trois valenis et affiliés dompter un Cauchemar.

Et surtout, il était impatient. Parce que ce qu’ils faisaient, cela aiderait à sauver Lo.

— Comment on l’attire ? demanda Del.

— C’est la partie facile, répondit Zaza avec un sourire légèrement espiègle. Il suffit de crier, vraiment fort.

Le prince prit une grande inspiration, et sans autre cérémonie, poussa le hurlement le plus débridé et le plus déchirant que Del ait jamais entendu après celui de Nodia. Il utilisait clairement sa magie pour l’amplifier, mais sa puissance restait néanmoins impressionnante et un brin inquiétante, surtout lorsque la valeni se joignit à lui avec une joie presque enfantine. 

Rien ne se brisa, pourtant. Lorsque leurs cris s’éteignirent, ils tournèrent le regard vers les lignes courbes de collines, au loin. 

Au creux de l’une d’elle, une nappe d’ombre approchait déjà.

— Préparez vos lances ! ordonna Zaza.

Nodia et lui brandirent la leur pointe en avant, et Sehar leva maladroitement sa marionnette d’ombre devant lui. Del se tapit dans l’herbe, les trois guerriers entre la chose et lui, et il observa, le coeur battant, alors que la distance qui les séparait diminuait de plus en plus.

Le Cauchemar galopait furieusement, et Zaza cria une seconde fois, moins fort et moins longtemps, pour l’appeler à eux. Même de là où il se tenait, Del distinguait nettement les volutes d’ombres, et pouvait percevoir toute l’horreur de la magie destructrice qui l’animait. 

Finalement, il n’était plus si certain qu’ils réussiraient à en faire quoi que ce soit, de cette chose.

Elle les recouvrerait et les engloutirait, et ils disparaîtraient tous en quelques secondes. 

Les oreilles frémissantes, Del dressa son bouclier…

Mais le Cauchemar ne dépassa jamais le cercle des lances. Il s’arrêta net, face à Nodia, qui elle ne tremblait pas. Entre ses mains, elle mania avec précision sa magie d’ombre pour la glisser jusqu’à la chose, qui ne pouvait pas reculer plus loin que la deuxième lance que Zaza avait invoquée, ni partir sur la droite où la première la bloquait. La magie du prince paraissait plus restreinte, presque confinée comme s’il devait forcer cette part de lui à coopérer. Quant à celle de Sehar, qui gardait la gauche avec sa petite marionnette d’ombre, elle semblait toute aussi maladroite et timide que son porteur, qui osait à peine montrer l’étendue de ses pouvoirs, qui ne savait pas, peut-être, que tapit au fond de lui, il y avait plus que ça.

En les voyant ainsi, tous les trois, Del eut un doute. Et s’il s’était trompé sur la magie, finalement ? Parce que celle-ci, elle lui était totalement étrangère, et il ne sentait aucun moyen pour lui de la contrôler, même au mieux de sa forme.

— Très bien, Nodia, approuva Zaza. Tu l’as juste comme…

Le Cauchemar se rebiffa brusquement, et échappa des mains de la valeni, qui perdit l’équilibre. Le chose rua d’abord vers Zaza, mais changea vite d’avis face aux lances et pivota vers Sehar. 

Les mains de Del furent plus rapides que son esprit. Une salve s’en échappa pour frapper la créature, mais ses couleurs la transpercèrent sans la toucher, illuminant brièvement deux rangées de mâchoires aux dents pointues et argentées. La salve termina sa route sur Zaza, qui eut tout juste le temps de dresser une protection pour absorber le choc.

— Boucliers seulement, Del ! cria-t-il.

Le Cauchemar l’avait repéré, cependant. Del tenta de rappeler son bouclier, mais à chacune de ses tentatives, sa magie chaotique prenait une autre décision pour lui. 

Au lieu de dresser un bouclier entre la chose et lui, il envoyait salve après salve sans ne serait-ce que ralentir les ténèbres. Elles allaient trop vite, trop pour qu’il essaie de se relever, trop pour que Sehar ou n’importe qui d’autre n’ait le temps de le soulever et de l’emmener au loin.

Elles allaient trop vite, et en battement de coeur, elles l’engloutirent.

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Nanouchka
Posté le 18/03/2022
Deeeeeeeeeeeeeeeeel !
(Del, Del, Del, Del, ça va ?)

D'accord. Donc, le chapitre est chouette. Je ne suis pas certaine de comment attraper un Cauchemar va nous permettre d'aider Lo, ni que ce soit la seule solution, donc ça ce serait peut-être à encore plus souligner en amont (je sais que c'est déjà mentionné), mais je fais entièrement confiance à Zaza, ce qui est une bonne nouvelle.

C'est une équipe intéressante, avec des forces et des faiblesses complémentaires, ils marchent bien ensemble.

Je trouve ça adorable que Del accompagne parce qu'il ne veut pas perdre Sehar.
AnatoleJ
Posté le 24/03/2022
RIP Del, il aurait mieux fait de rester faire la sieste avec Lo... Mais il ne pouvait décidément pas lâcher Sehar des yeux le pauvre ^^

Je me note de rajouter du lore sur les Cauchemars ! (c’est toujours bien du lore en plus)
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