Chapitre 3

Gabriel ne voulait pas entendre ce qu'il avait à dire. Ce dernier allait probablement reprendre les même arguments énoncés plus tôt par sa mère, et il voulait éviter de revivre ces pénibles minutes :

- Je sais ce que tu vas me dire et c'est non.

- C'est-à-dire que tu n'as pas le choix mon garçon. Tu es nourri et logé gratuitement dans cette maison, et ce, sans un coup de main ni un remerciement de ta part. Ce style de vie est fini à présent, Marcus annonça, la mine sévère. Tu iras à l'école que ça te plaise ou non.

Il ne plaisantait pas. Et le jeune homme n'avait plus son mot à dire. La décision avait été prise, son sort avait été scellé. Il leur en voulait, bien entendu. L'espace d'un instant, il avait espéré recevoir de la compassion de la part de ceux qui l'avaient élevé. La chaleur familiale dans laquelle il s'était réfugié quand il était au plus bas n'était plus là.

Il resta un instant immobile, le regard perdu dans son plat. Il avait envie de pleurer et de hurler sa colère. Mais il n'était plus un enfant. Il ne pouvait plus se permettre de manifester ses émotions à chaque fois que quelque chose n'allait pas dans son sens. Il avait bientôt 18 ans.

Dans ce silence oppressant, Gloria crut bon d'ajouter un dernier détail qui implosa directement dans la tête de son fils :

- Tu commences les cours demain.

Cinq petits mots qui déclenchèrent un véritable ouragan dans l'esprit du jeune homme. Ses doigts se refermèrent sur les couverts et il fusilla sa mère du regard.

- Qu'est-ce que tu veux dire ? Comment ? C'est possible... Parvint-il à prononcer malgré le désert ambiant qui régnait au fin fond de sa gorge.

- Nous t'avons inscrit début juillet.

Cette-fois, Gloria parut hésiter à livrer cette information. Pourtant, cela n'empêcha pas Gabriel de se rabrouer presque immédiatement. Il se sentait trahi par ses parents, exactement comme le jour de l'incident. Ce ressentiment, qui ne s'était jamais vraiment envolé, était de retour. Malgré tout, il se mordit la langue pour empêcher la moindre remarque acerbe d'atteindre sa mère. Il la savait fragile depuis ce jour et il ne voulait pas l'accabler davantage.

Sans un mot, il rejoignit sa chambre. Selon lui, c'était ce qu'il y avait de mieux à faire. Il ne pouvait cracher ce venin qui lui brûlait les lèvres sans risquer de causer des douleurs irréversibles pour ses parents.

Ces derniers, quant à eux, avaient perçu la menace dans le regard de leur fils. Gloria, effondrée par la douleur, se mit à sangloter silencieusement aux côtés de son mari. Elle avait perçu les accusations dans son regard, accentuant un peu plus ses remords. Elle se demandait si elle avait pris la bonne décision. Elle échangea visuellement avec Marcus et ce dernier lui répondit avec un sourire rassurant :

- Il s'en remettra. Il n'est plus le gamin d'autrefois et ça, il s'en rendra rapidement compte.

Le grand gaillard n'était pas totalement sûr de ce qu'il avançait mais en tout cas, il avait confiance en son fils. Il le savait courageux. Il parviendra à affronter ses peurs, il en était persuadé. 

- Je ne veux que son bonheur...

- Nous le voulons tous les deux, affirma le père en serrant la main de sa femme.

 

Gabriel était en train de virer fou dans sa chambre. Il se sentait comme un prisonnier dans cette pièce. Il n'avait plus la place de respirer, ou encore de réfléchir. Il avait l'impression d'attendre une peine comme un criminel condamné à la peine capitale.

Il cherchait une solution. Mais il ne parvenait pas à réfléchir correctement. Son regard ne cessait de dévier sur l'horloge. Les minutes qui passaient l'entraînaient un peu plus à ce moment fatidique. Il n'était pas prêt. Il le savait et pourtant, un infime espoir ne cessait de le tirailler. 

Et si cette fois-ci, les événements se déroulaient différemment ? Et s'il était finalement accepté par ses semblables ? Il n'aurait plus besoin de se terrer aux yeux du monde. Il pourrait enfin vivre sa vie telle qu'il l'entendait.

À l'extérieur de sa chambre, il entendit ses parents approcher. Pour éviter de briser l'illusion du garçon blessé et trahi par sa famille, il se rua dans son lit pour se rouler en boule. Gabriel était toujours en colère après tout. Et il devait leur faire comprendre que ce genre de cachotterie l'avait blessé.

- Gaby... Nous faisons ça pour toi, mon chéri.

Derrière lui, il sentit le matelas s'affaisser sous le poids de sa mère. Gloria posa sa main sur ses cheveux et les peigna avec une infinie tendresse. Elle aimait tant ce fils qu'elle avait porté sous son sein. Tout comme pour Raphaël, elle serait prête à faire n'importe quoi pour lui.

- Avec ton père, nous avons décidé de t'accorder un souhait pour cette rentrée.

Il était sur le point d'ajouter quelque chose concernant cette idée mais sa mère lui coupa l'herbe sous le pied.

- Si ce que tu veux concerne l'école, tu connais déjà la réponse Gaby.

Il s'y attendait un petit peu à vrai dire. Il se redressa et fixa le bout de ses pieds, en pleine réflexion. Il voulait trouver une requête qui gênerait beaucoup ses parents. Seulement, il faisait chou blanc à l’heure actuelle. Une seule et unique image ne cessait de le tourmenter, un souhait qui lui appartenait depuis qu'il était tout petit.

- Je peux adopter un chien alors ?

Sa génitrice n'avait jamais voulu qu'ils aient un animal à la maison. Elle avait une peur particulière pour l’espèce canine. L'un d'entre eux avait apparemment mordu sa main enfant, et depuis, elle ne pouvait plus les approcher sans en être contrainte. Il était certain qu'elle allait refuser.

- D'accord.

Gabriel s'attendait tellement à recevoir une réponse négative de sa part qu'il n'en croyait pas ses oreilles.Venait-elle vraiment d'accepter d'accueillir une petite bête poilue à la maison ?

- Vraiment ? Demanda son fils, toujours aussi sceptique devant le regard déterminé de sa mère.

- Oui, nous irons dans un refuge dès que tu seras sorti de l'école.

Il aurait voulu se réjouir de cette nouvelle, lui qui attendait depuis si longtemps de posséder un chien, mais le mot "école" déclencha de mauvaises sensations à travers son corps. Il avait oublié les raisons de cet accord. Il avait l'impression d'avoir reçu une véritable douche froide.

- Je peux même prendre un gros chien ?

Le jeune homme essayait de la provoquer. Si elle refusait alors plus rien ne l'obligerait à assister à cette rentrée.

- Dans la limite du raisonnable, mon chéri.

Ses parents lui souhaitent bonne nuit avant de se retirer dans leur chambre. Le gringalet fixa pensivement le plafond. Il ne pourrait éviter les événements de demain sauf si, pendant la nuit, il attrapait une pneumonie, ce qui était peu probable. Il était coincé.

 

***

 

Durant la nuit, Gabriel se réveilla plusieurs fois pour aller aux toilettes ou tout simplement pour angoisser. Il s'imaginait mille scénarios et il les redoutait chaque fois un peu plus. Quand il parvint enfin à s'endormir, Gloria lui hurla de se préparer et le stress l'envahit. Le jeune homme avait beaucoup de mal à avaler sa salive tant il en avait.

Il découvrit des nouveaux vêtements sur sa chaise de bureau. Sa mère lui avait préparé des habits neufs comme lorsqu'il était gosse. Il ignora la pile pour porter son attirail habituel qui attirerait bien moins l'attention. Et puis, il n'y avait rien de mieux qu'un sweat à capuche pour cacher les marques indélébiles sur son visage. Il ne voulait effrayer personne avec sa gueule cassée. Il se lave rapidement puis ajuste ses lunettes. Ce n'était qu'une mauvaise journée à passer.

Il descendit les escaliers en traînant des pieds. Gloria l'attendait dans la cuisine où le petit-déjeuner était servi. Sur la table était disposée un véritable festin. Et malheureusement pour la cuisinière, tous ses efforts furent en vain puisque Gabriel ne toucha pas une seule miette de son assiette. Il était bien trop angoissé et fatigué pour manger quoi que ce soit.

- Comment tu te sens ?

Sa mère n'avait décidément aucun tact quant à l'humeur massacrante de son fils. Il n'avait pas envie de parler. D'ailleurs, il l'ignora sans vergogne. A la place, il admira le jardin que sa génitrice entretenait avec ferveur.

Il allait bientôt quitter les murs de sa maison pour affronter un territoire inconnu et potentiellement dangereux pour sa santé. Il n'y avait absolument aucune inquiétude à avoir, pensa-t-il. Il essayait de se convaincre que tout irait bien. Seulement, le passé était bien trop difficile à effacer. Il savait qu'il n'en mènerait pas large au lycée. S'il tenait, ne serait-ce que 10 minutes dans cet endroit, alors il s'estimerait heureux.

- On y va ?

Gloria lui tendit son sac. Gabriel mit quelques secondes à prendre ce dernier, trop obnubilé par ses Converses. Il essayait d'ignorer les battements frénétiques de son cœur mais il en était incapable tellement celui-ci s'acharnait dans sa poitrine. Il crut manquer d'air. Des vertiges l'assaillirent et il fut contraint de se rasseoir. Ce genre de symptômes s'était manifesté quelques années plus tôt.

Le gringalet sentit une main se glisser dans ses cheveux. Il ferma les yeux. Il avait besoin de se calmer. Le pire était derrière lui, se dit-il. Il ne pouvait y avoir pire situation que celle qu'il avait affrontée. Il prit une profonde inspiration puis expira de tout son soûl avant de faire face à sa mère. La cinquantenaire ne cessait de lui lancer des regards remplis de chagrin.

Elle s'en voulait de faire souffrir ce fils qu'elle aimait tant mais quel choix avait-elle au fond ? Elle le faisait pour lui. Et même si elle devait passer à nouveau pour une mère indigne, si cela garantissait un avenir sûr pour son petit, alors il fallait qu'elle continue dans cette voie.

Quand elle vit des couleurs revenir sur ses joues, elle l'aida à se relever. Gloria lui donna son sac et ils s'engagèrent dans l'allée extérieure. Avant même qu'elle n'ait fermé la porte, Gabriel avait déjà revêtu son éternel capuche sombre. Elle voulait qu'il oublie cette fâcheuse habitude qu'il détenait depuis l'incident, mais elle ne voulait pas le brusquer plus que de raison aujourd'hui parce que son fils retournait à l'école. Après tout ce temps, il allait enfin vivre comme tout enfant de son âge et ce bonheur-là, personne ne pouvait lui enlever. 

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coeurfracassé
Posté le 05/11/2022
Superbe, comme toujours !
Néanmoins, il y a quelques petits défauts de grammaire :
- Juste avant "comment te sens-tu", tous ses efforts furent vains et non furent en vain.
- De manière générale, attention au système des temps
- Attention également à l'inversion sujet-verbe après que quelqu'un parle. Exemple : Ce style de vie est fini, annonça Marcus, et pas Ce style de vie est fini, Marcus annonça.
Sinon, merveilleux ! Hâte de lire la suite
Audrey.L
Posté le 05/11/2022
Merci beaucoup ! Et merci pour la correction, je vais corriger ça :)
Taranee
Posté le 06/03/2021
Ce qui est bien dans ton style c'est que tu fais ressortir les émotions du personnage. Cette journée de lycée promet d'être pleine de surprises ! Je me demande quelle sera la réaction de ses camarades de classe lorsqu'ils verront son visage, je me demande aussi s'il va revoir ses anciens camarades ou non... J'ai hâte que le prochain chapitre sorte ! ^^
Audrey.L
Posté le 06/03/2021
Merci pour tes commentaires ! J'espère que la suite de l'histoire te plaira tout autant ! ^^
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