Chapitre 3

Notes de l’auteur : Bonjour,
J'espère que ce chapitre vous plaira autant que les premiers. Bonne lecture,
Stéphanie.

MAJ : 19/07/23

Chalet familial de la famille comtale De Lacour

Dans la nuit du 26 au 27 août 2233

 

La première moitié de la nuit se déroula paisiblement au sein du domaine. Les animaux nocturnes vagabondaient ci-et-là. Ils s’étaient habitués à la présence des gardes qui circulaient sans cesse ; certains observaient du haut de leur arbre, ou bien tapis dans les fourrés. Des yeux brillaient, des brindilles craquaient sous le poids des bêtes, des chasses et des batailles animaient cette nuit étoilée. La loi du plus fort régissait les lieux. Et rien n’ébranlait les hommes armés. Ils n’avaient cure de l’agitation des hiboux et des petits mammifères qui erraient dans les parages. Leur mission était bien plus importante que la nature qui s’éveillait autour d’eux.

Dans le chalet, Charlotte effectuait les cent pas dans la cuisine. Son sommeil était aléatoire à l’approche de la naissance, sans compter cette histoire de séance extraordinaire du Conseil princier. Elle avait même questionné sa mère ; or elle était restée très vague sur le sujet, se contentant de conseiller à sa fille de se reposer et de ne pas s’inquiéter de la politique pour l’instant. Personne ne lui disait rien, comme si cela ne la concernait pas. Nom d’un chien ! Elle était l’héritière comtale. De quel droit ses parents la maintenaient-elle dans l’ignorance ?

Elle soupira et respira profondément, afin de se calmer. Gabriel avait malheureusement raison, elle ne pouvait rien faire à l’heure actuelle. Ses deux mains se posèrent avec tendresse sur son ventre et un fin sourire illumina son visage.

— Je vais t’initier aux belles choses de la vie, murmura-t-elle.

Et elle entama une douce chanson en allemand. En même temps, elle se prépara un sandwich avec une demi-baguette complète, du beurre végétal, de la salade, du maïs, des tomates, des concombres, des cornichons… beaucoup de cornichons. Charlotte fronça les sourcils un instant et retourna fouiller dans le frigo.

— Ah ! Je savais bien qu’il en restait.

Des petites galettes véganes fabriquées ce jour. La noble les cuisinait toujours moins grandes que prévues, afin de pouvoir les préparer avec tout et n’importe quoi. Elle en cala deux et tenta de refermer le pain, un peu complexe ; elle tassa comme elle le put. Par la suite, elle se dirigea vers le salon, s’installa sur le canapé et alluma la télévision. Quitte à ne pas parvenir à dormir, autant en profiter pour rattraper des séries. Et pourtant, elle finit par se laisser emporter dans de doux songes malgré la situation.

Dans leur chambre, Gabriel se réveilla après un mauvais rêve. Choqué, il ne réagit pas immédiatement. Ces images ne le quittèrent pas. Dès qu’il osait fermer les yeux, le film se déroulait à nouveau. Le reflet de sa peur, comme si elle n’était pas assez vivace en temps normal. Sa respiration était saccadée. La sueur coulait le long de sa nuque. Ses yeux, écarquillés, fixaient le plafond. « Tout va bien. Tout va bien », se répéta-t-il. Ce n’était qu’un rêve. Un simple rêve. Rien qu’un rêve. Et pourtant, il ne pouvait se détacher de cet homme dans l’ombre avec le regard orangé, du corps sans vie de Charlotte baignant dans son propre sang.

Le jeune noble sentit des larmes s’échapper et humidifier son visage. Non, non. Charlotte ne devait pas le voir ainsi. Il s’essuya avec ses mains, respira profondément et tourna sa tête sur le côté… vide. Il fronça les sourcils. La terreur le saisit et le paralysa un instant. Puis, il se leva vivement et hurla « Charlotte » à travers la pièce. Personne ne répondit. Personne dans la salle de bain privé. Personne dans le dressing — au cas où, même s’il avoua rapidement la stupidité de cette vérification.

Paniqué, il saisit son arme sous son oreiller et se précipita dans le couloir en caleçon et pieds nus. Il descendit l’escalier par quatre marches avec une telle hâte qu’il faillit en rater et chuter. Et, peu avant d’atteindre le rez-de-chaussée, il se stoppa brutalement sans oublier de glisser sur la dernière marche ; Charlotte dormait sur le canapé.

— Putain ! lâcha-t-il dans un murmure.

Le jeune homme se laissa tomber au sol, il s’assit dans le but de reprendre son souffle et d’apaiser son angoisse. Jamais il n’avait eu aussi peur de sa vie. L’idée de la savoir en danger le rendait malade. L’idée de la perdre le terrorisait. Il prit le temps de reprendre ses esprits, avant de retourner dans la chambre pour enfiler un pantalon et un t-shirt. Il était trop préoccupé pour se recoucher de toute façon.

De retour dans le salon, il couvrit la jeune femme d’une chaude couverture et éteignit la télévision. Il s’occupa l’esprit en vérifiant tous les accès : les portes, les fenêtres, les volets, aussi bien au rez-de-chaussée, à l’étage que dans la cave — dont l’un des accès était interne à la demeure. D’ailleurs, Gabriel décida de s’assurer que cette porte fût bien verrouillée, même si Élie avait fait le tour avant la tombée de la nuit.

L’escalier grinça sous les pas du noble. Il progressait avec précaution, surtout pour ne pas réveiller Charlotte et l’inquiéter ; il avait eu assez de mal à la calmer durant la soirée. Une faible ampoule éclaira le sous-sol. Cet endroit, poussiéreux, était rempli de vieux meubles et autres objets abandonnés ici avec le temps. Des draps en recouvraient certains et Gabriel se surprit à rire aux nombreux souvenirs ici, quand ils jouaient et se cachaient en ce lieu pour effrayer l’autre : des jeux de cache-cache, du chat et de la souris, ou de soirées à se narrer des histoires d’horreur, avant d’être rapatriés en haut par les parents.

Gabriel continua son avancée en s’aidant de la lampe torche de son téléphone portable. Il posa les pieds sur les quelques marches menant à la sortie extérieure : la porte était bien verrouillée. Et pourtant, il avait un terrible pressentiment. Ce genre de sensation illogique, mais sonnant telle une alarme. Le calme à l’extérieur était angoissant. Même si les hommes d’Élie étaient discrets sur le domaine, ils patrouillaient à pied, à moto, en voiture, avec des lampes torches ou usant de leur magie… là, rien. Le silence total. Pas de discussion, pas de bruit de pas ou de moteur. Un silence de mort.

Sans attendre, il effectua un demi-tour et regagna le salon.

— Gaby…, murmura Charlotte qui se réveilla en raison de la précipitation du jeune homme dans l’escalier.

— Reste loin des fenêtres et ne sors sous aucun prétexte, ordonna-t-il.

— Que… qu’est-ce qui se passe ? Gabriel ? paniqua-t-elle.

Elle se leva à la hâte, trop à la hâte, et elle faillit s’écrouler à cause d’un vertige soudain. Sa main tenta de se rattraper sur le dossier du fauteuil, en vain, et ce fut Gabriel qui la retint de justesse. Il la pria de se rasseoir. Une fois cela fait, il contrôla son arme chargée et prête à l’emploi.

— Écoute-moi bien : tous les accès sont verrouillés. Tu n’ouvres rien et tu restes ici, compris ? Tu refermes derrière moi.

— Non, fit-elle en secouant la tête, ne me laisse pas ici toute seule.

— Je fais seulement le tour du chal…

— Bordel ! Dis-moi ce qui se passe ? ragea-t-elle.

Comment lui révéler qu’il ne savait pas grand-chose en réalité ? Il n’était pas dans la confidence, même si ses craintes s’avéraient exactes. Lui mentir ou lui dire la vérité ? L’un comme l’autre, elle paniquerait.

— Je l’ignore, mais tu avais raison. Cette réunion du Conseil princier n’est pas un hasard. Élie est au courant des événements. Il ne m’a rien dit, mais son regard a confirmé qu’il se passait quelque chose.

Charlotte entoura soudainement son ventre de ses bras, pour le protéger du mal qui semblait les entourer, un mal invisible et imprévisible. Son regard brûlait d’angoisse. Son corps tremblait et elle peinait à articuler les mots. Le noble lui posa un plaid sur les épaules.

— Appelle Élie !

— Je ne vais pas le déranger à cette heure-ci. Il va s’inqui…

— Appelle-le ! C’est moi qui m’inquiète, là. Je veux m’assurer que tout va bien, insista-t-elle.

Dans un profond soupir, Gabriel valida le contact. Le chef de la sécurité décrocha rapidement et le jeune homme mit le haut-parleur. Sa voix semblait sereine, même si un brin teintée d’appréhension. En réalité, il était en pleine patrouille.

— Une alarme de mouvement s’est déclenchée au portail condamné. Les vidéos ne signalent rien.

— Dans ce coin de notre bois, nous savons que des animaux sauvages passent régulièrement, ajouta Charlotte. Mais un gros animal aurait été repéré par les caméras, non ?

— La sensibilité a été augmentée pour ne rien laisser filtrer. Restez où vous êtes et attendez mon retour, ordonna-t-il avant de raccrocher.

Rester où ils sont ? Gabriel ne l’entendait pas de cette oreille. L’alarme s’était déclenchée, il était donc hors de question de se tourner les pouces. Son regard déterminé confirma à Charlotte qu’il n’obéirait pas. Elle tenta de se relever alors qu’il s’apprêtait à quitter le chalet. Une main sur le ventre, l’autre sur le rebord du canapé, elle grimaça en forçant sur ses jambes. L’héritière n’avait cure de la douleur, elle ferait tout pour le retenir. Sa terreur se lisait dans ses yeux. Elle lui broyait l’estomac et étouffait son cœur. Comment pouvait-il la laisser seule ici ? Sans magie. Sans arme. Totalement vulnérable face à des ennemis. Comment pourrait-elle se défendre ? Enceinte de huit mois, que diable pourrait-elle faire si un intrus débarquait pour s’en prendre à elle ?

Gabriel saisit la tête de son amie entre ses mains. Il plongea son regard dans le sien, empli d’inquiétudes et de larmes prêtes à jaillir.

— Charlotte, je reviendrai. Je reviendrai toujours. C’est une promesse.

Front contre front, Gabriel prit le temps de l’apaiser. Il sentait son cœur battre la chamade, en union avec le sien.

— Je tiendrai cette promesse. Je la tiendrai toujours.

— Ensemble, pour toujours et à jamais ! Reviens-moi, Gabriel ! Reviens-nous !

Il l’embrassa sur le front.

— Referme bien derrière moi. Et, je t’en conjure, reste tranquille !

Cela signifiait donc patienter sur le canapé pour éviter de brusquer le bébé. Gabriel avait conscience que cette angoisse était néfaste et que le malaise de la future mère n’avait rien d’anodin. D’ailleurs, il contacterait le médecin après s’être assuré de la sécurité autour du domicile. Dans le cas contraire… il n’osait même pas y penser.

Charlotte verrouilla la porte sans attendre. Puis, elle se retrouva seule, dans le silence du vaste chalet. Son regard se tourna vers la cheminée qui avait été nettoyée la veille, en préparation à d’autres modestes flambées si les averses revenaient ; la douceur d’un feu était toujours appréciable en ce lieu si isolé dans la montagne. Et pourtant, les nuages commençaient à se disperser depuis quelques jours. Les pluies espacées annonçaient une belle fin d’été.

Frigorifiée et tremblante en raison de la crainte éprouvée, elle frictionna ses bras dans le but de se réchauffer : en vain. Son téléphone en main, elle hésita à appeler Elie et Gabriel. Tous les deux en patrouille de reconnaissance, c’était risqué de compromettre leur mission. Charlotte valida donc le numéro de l’unique personne qu’elle pouvait joindre décemment en cette heure tardive.

L’homme décrocha en moins de trois sonneries, sur le qui-vive.

— Que se passe-t-il ? Est-ce que tout va bien ? démarra-t-il au quart de tour.

— Oui, enfin… je ne sais pas. Elie a signalé qu’une alarme s’est déclenchée et Gabriel fait le tour du domaine.

Sa voix tremblait et ses pas effectuaient des allers-retours sans relâche dans le salon.

— Je…

Or elle se tut sur-le-champ. Elle tenta d’inspirer et d’expirer en douceur, mais elle grimaça de douleur.

— Charlotte ? J’appelle le médecin et les renforts. Reste enfermée dans le ch…

— Papa ? Papa, tu m’entends ? paniqua-t-elle en oubliant totalement les règles d’usage.

L’héritière fronça les sourcils et vérifia son téléphone : plus aucun réseau de disponible. Elle essaya malgré tout de contacter Gabriel et Elie bien vainement. Son cœur rata un battement. Ce n’était pas normal. Par instinct, elle saisit le téléphone fixe, tout aussi inutile.

Seule et immobile au milieu du salon, elle n’entendait que sa propre respiration et les battements de son cœur. Un silence absolu régnait.

— Gabriel, murmura-t-elle.

Sans réfléchir, elle se précipita vers la porte, la déverrouilla et sortit sur la terrasse.

— Gabriel, hurla-t-elle.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Vous lisez