Chapitre 3

Martine repartit du commissariat tard au soir, exténuée, désespérée. Jamais ce meurtre ne donnerait quelque chose. Elle avait essayé plusieurs moyens d’acquérir des informations, aujourd’hui : recherches sur le lieu du crime, interrogatoires… Rien n’avait donné une seule information utile. Rien n’avait donné une seule information tout court, d’ailleurs !

Elle avait loué une chambre dans l’unique hôtel de la ville, un endroit sobre mais propre et presque offert, huit fois moins cher que l’appartement dans lequel Martine vivait depuis désormais trois ans à Paris, et pourtant deux fois plus grand, en ne comptant que la chambre de la jeune femme dans l’hôtel.

Elle s’étala sur le lit majestueux de la pièce, et alluma la télévision. Là, elle lança The Grand Budapest Hotel, film produit par un réalisateur indépendant américain stylé qui faisait des films toujours plus travaillés les uns que les autres, notamment dans les plans de caméra.

Martine était une femme qui semblait encore jeune, mais seulement pour ce qui était de l’avis de ses amis. Les autres disaient « elle doit avoir au moins quarante ans, c’est la soixantaine de la femme ». Pourtant, elle avait de longues et fines jambes, un beau port de tête, un visage noble, élégant et lisse, quoique son teint ne soit pas lumineux. Elle se tenait toujours droite comme un piquet, levait haut la tête. Elle possédait un menton discret, une mâchoire carrée, un nez aquilin, des lèvres pleines mais peu rieuses. Polie et courtoise, elle était de ces gens sur lesquels personne n’a d’avis, s’il n’est neutre. Elle portait incessamment des pantalons d’homme sombres, des vêtements unis et neutres comme l’avis qu’on avait d’elle. Jeune, on l’appelait garçonne, aujourd’hui, on l’appelait commissaire.

L,’histoire de la vie de cette femme pouvait être facilement résumée. Le destin avait décidé qu’elle naîtrait dans une famille avec un père violent. Elle se passionna pour les échecs dès quatre ans, ce qui lui permit de fuir ses problèmes. Mais peu à peu, cela ne suffit plus : elle commença à fuguer et à suivre des cours dans des clubs d’échecs de Paris par la même occasion. Ce qu’elle aimait si ce n’était les échecs ? Ses sœurs, la tranquillité, et Sinéad. Sinéad… L’une devait la vie à l’autre, mais aucune des deux ne savait laquelle.

Martine avait toujours eu un problème avec l’autorité, qu’elle considérait comme un frein à la liberté. En devenant commissaire, elle avait compris : ce n’était pas un frein, mais l’une des conditions de la liberté, la seconde étant la morale. La blonde détestait les sanctions. C’était peut-être pour cela qu’aujourd’hui, elle était commissaire, d’ailleurs.

Elle était entrée dans un foyer à l’âge de seize ans le temps du procès de son père. Innocent. Et pourtant, il était coupable. Mais sur le papier, innocent.

Sa mère fut considérée comme inapte à gérer son enfant, et Martine se retrouva élevée par son père, dont les pulsions violentes revinrent bien vite. Alors, ayant seize ans, la jeune fille demanda son émancipation.

Elle fut hébergée par sa tante jusqu’à l’issue de ses études, puis elle retrouva la ville lumière des amours, et devint policière.

Jusqu’à ce qu’elle devienne elle-même leur hiérarchie, ses supérieurs lui répétaient avec fort peu de bienveillance : « Vous n’êtes pas suffisamment bienveillante, diplomate, à l’écoute… Vous n’êtes pas faite pour ce travail. »

Maintenant, étonnamment, on ne lui disait absolument rien.

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