Chapitre 3

Par Imane

Theia luttait pour ravaler ses larmes. La douleur était telle qu’elle se sentait sur le point de perdre connaissance. Elle regarda son poignet, rouge vif et encore fumant. Elle s’assit contre un arbre et étendit ses jambes devant elle. Depuis qu’ils avaient pénétré dans l’étude de l’Anax, ils n’avaient pas eu la moindre seconde de répit. Elle ferma les yeux et se remémora les événements de la nuit pour tenter d’oublier la douleur. Arété leur avait permis de s’enfuir. En assommant les trois Anciens, il leur avait fait gagner un temps précieux. Ainsi, ils avaient pu récupérer des provisions et du matériel avant de partir. Heureusement, personne ne l’avait vu entrer dans la Boulê. Il ne risquait de souffrir aucune conséquence. Après les adieux des deux frères ils s’étaient enfuis à toutes jambes jusqu’à atteindre l’orée d’une forêt.

Elle rouvrit les yeux pour inspecter son poignet. Keiôs avait pris avec lui de quoi masquer le symbole sur son avant-bras. À l’aide d’une tige de fer chauffée à blanc, il avait ajouté au thêta des cornes afin d’en faire un taureau. Ainsi, la lettre grecque était moins visible. Pour éviter tout soupçon, Keiôs s’était également marqué le poignet. Ils passeraient pour des nomades, éleveurs de bétail. La précaution semblait inutile compte tenu de la vacuité des terres alentours, mais ils préféraient ne pas prendre de risques. Ils avaient appris à l’académie qu’après la Grande Inondation et la Destruction, le monde avait été ravagé et l’humanité décimée et que les rares survivants s’étaient répartis aux quatre coins de la planète afin de former de nouvelles colonies. Dans chacune d’entre elles, des descendants de Deucalion et de Pyrrha, le clan des Thuseia, se devaient de réconcilier l’Homme et la Nature grâce à leur piété. Dès les premiers sacrifices, l’équilibre avait commencé à se renouveler. C’est pourquoi la tradition perdurait, pour devenir le nouvel ordre naturel. Keiôs et Theia nourrissaient l’espoir de trouver une de ces colonies afin d’obtenir des réponses à leurs questions. Ils sentaient qu’on ne leur avait pas tout dit. Beaucoup d’événements étaient couverts d’un voile d’ombre ; la disparition de la mère de Keiôs, la mort du père de Theia, la réaction de l’Anax face à leur intrusion, les noms inscrits sur le registre.

Theia était perdue dans ses pensées lorsque Keiôs vint s’asseoir près d’elle. Il avait l’air plus épuisé que son amie. En l’espace d’une journée, il avait dû dire au revoir à son frère et fuir loin du peu de famille qui lui restait. Fidèle à elle-même, Theia savait qu’elle n’aurait pas les mots pour lui remonter le moral et doutait qu’il ait envie de les entendre de toute manière. Elle se contenta donc de poser sa tête sur son épaule. Elle s’endormit peu après.

Lorsqu’elle se réveilla, Keiôs avait déjà le nez plongé dans un de ses livres. Il disait qu’ils renfermaient un message de sa mère. Elle n’avait pas le cœur à étouffer son espoir donc elle ne le contredit pas.

— J’ai quelque chose à te montrer, dit-il. J’ai trouvé cette inscription cachée à l’intérieur de deux pages collées entre elles. C’est l’écriture de ma mère.

Theia lut les vers, délicatement écrits :

 

Lorsque l’Homme cessera d’aller en retournant,

Le fléau de Minos brisera le serpent.

Il lèvera le voile sur le conte vain,

L’impossible union de deux mondes y mettra fin.

La pluie apportera force et diplomatie

Afin de servir les intérêts de l’esprit.

 

— Ces vers, tu crois que c’est … commença-t-elle

— Une prophétie ? acheva-t-il. C’est fort possible. Cela ressemble beaucoup aux paroles de l’Oracle. Je n’arrive pas à les comprendre. 

Theia essaya de trouver un sens à ces vers sans grand succès.

— Si ta mère a écrit cette prophétie dans le but que tu la trouves, c’est qu’elle te sait capable de la déchiffrer. Keiôs, je ne pense pas qu’elle soit partie comme on te l’a répété. Je pense qu’elle en savait trop sur les machinations de l’Anax.

— Je sais. En étudiant ses vieux livres, j’ai compris qu’elle avait besoin que je parte du village mais je n’arrivais pas à comprendre comment, ni pourquoi. Lorsqu’Arété est apparu cette nuit, il était devenu clair qu’il fallait que je suive ses traces. Je pense qu’elle a réellement quitté le village avant d’être rattrapée mais je ne sais pas où elle voulait aller. C’est là que nous devons … 

Ses mots se perdirent dans la nuit. Ils se levèrent d’un seul mouvement et tendirent l’oreille. Ils entendaient des voix lointaines et des bruits de feuilles froissées.

De leur cachette, Theia et Keiôs pouvaient entendre plus distinctement les nouveaux arrivants. Bientôt, ils les virent également. Les étrangers avaient leur âge. Les cheveux de jais de la fille enserraient un visage fermé. Son froncement de sourcils semblait être permanent. Elle portait une dague sanglée à la cuisse et une massue accrochée dans le dos. L’unique marque d’excentricité dans son apparence résidait dans la longue plume colorée qu’elle avait attachée dans ses cheveux. Le reste était d’une austérité guerrière des plus intimidantes. Le garçon quant à lui avait le visage plus doux. Ses traits étaient très fins et ses yeux bruns rappelaient la teinte chocolat de ses cheveux. Comme sa partenaire, il avait un physique athlétique et il tenait à la main une longue lance. Theia pensa qu’ils devaient savoir survivre sans trop de difficulté dans un univers hostile.

— Chaahk ! Combien de temps encore vas-tu nous faire déambuler dans cette forêt ? maugréa la fille. Je suis prête à parier que tu as mal compris les instructions de Xmucane. Je ne vois pas bien où peut se trouver le village.

— On va s’arrêter ici. Un peu de sommeil ne nous fera pas de mal, répondit Chaahk sur un ton bienveillant. On reprendra les recherches demain. 

 

 

 

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Zlaw
Posté le 04/01/2022
Bonjour Imane, c'est encore moi ! =)


Une assez grosse ellipse entre la fin du chapitre précédent et le début de celui-ci, alors qu'entre les deux premiers on avait plutôt eu une impression de continuité. À l'annonce des deux semaines entre le début et le sacrifice planifié de Théia, je m'attendais plutôt à une histoire linéaire qui suivrait le déroulement de son enquête petit à petit. Mais c'est aussi une bonne surprise que cette petite accélération ! Les scènes d'altercations peuvent après tout souvent être confuses, et le plus intéressant reste leurs conséquences, ce sur quoi tu nous amènes de suite.

Si je devais trouver une conseil à donner, c'est peut-être de rappeler qui est Arété à la fin du chapitre précédent ? Parce que je n'avais pas vraiment perçu cet individu dans l'ombre comme un allié potentiel pour nos deux jeunes enquêteurs. Je pense que son prénom a été mentionné dans le premier chapitre, mais il n'a pas été suffisamment répété pour que je m'en souvienne aisément le moment venu. Ce n'est pas vraiment un obstacle à la compréhension, ceci dit, puisqu'il est rappelé maintenant qui il est, le frère de Keiôs. Pas de gêne véritable, donc, tout dépend de ce que tu as souhaité faire juste avant. Est-ce que tu voulais que l'apparition soulage le lecteur ou bien au contraire faire monter le suspense ?

La fuite est rapide, et extrême. Alors que je prévoyais plutôt une enquête au sein de la cité/société, le duo quitte carrément la ville pour la rase campagne, à la recherche d'autres individus peut-être plus bavards que leurs anciens. Radical ! Mais encore une fois, une surprise plutôt agréable.

La transformation du Theta en taureau, afin de pouvoir passer pour des éleveurs de bétail nomades, est futée. Et aussi, la mention de Minos dans la supposée prophétie laissée par la mère de Keiôs n'est pas sans évoquer le Minotaure, justement mi-homme mi-taureau. Coïncidence ? Je m'abstiens de faire des recherches sur la mythologie grecque et essaye de me baser uniquement sur les quelques notions qui me restent du lycée, pour avoir la surprise. ^^

Quant à l'apparition des deux autres jeunes gens, elle me laisse dans l'expectative. Amis ou ennemis ? Elle n'a pas l'air commode. Lui un peu plus, mais ça ne signifie pas grand chose. Et ils cherchent un village ? Celui d'où se sont échappé Theia et Keiôs ? Mystère mystère...


À bientôt !
Imane
Posté le 11/01/2022
Bonjour Zlaw ! Merci pour tes commentaires qui me font toujours chaud au coeur ! J'adore le fait de voir comment progresse le lecteur et les interrogations que mon histoire peur soulever.
Bien joué pour la référence à Minos ;) C'est quelque chose que je vais essayer de bien développer et mettre en valeur dans le roman, n'ayant pas eu beaucoup de place dans la nouvelle !
Je note pour Arété. C'est vrai que je n'en parle qu'une fois !
Je suis très contente que leur fuite ait été une surprise pour toi !
Bonne rencontre avec ces deux jeunes gens fort sympathiques donc ;)
Merci encore et bonne lecture ^^
À bientôt.
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