Chapitre 28 - Erin

Notes de l’auteur : Bonjour :D Il fait beau, le soleil brille, et un nouveau chapitre déprimant de Nuit et Ecailles est en ligne ! Je vais en poster un deuxième qui finit un peu mieux dans la foulée, hein, on va pas rester sur ça quand même...

Avertissement de contenu : deuil de proche, mentions d'idées suicidaires

Erin avait appris qu’avant ce jour, elle n’avait jamais eu de mauvaises surprises.

Toutes celles à laquelle elle avait donné ce nom n’étaient que des contretemps. Une information qui dérangeait son plan quelques instants, avant qu’elle ne trouve une solution qui l’emmènerait plus loin que ce qu’elle avait initialement prévu. Une personne qui refusait de coopérer, avant qu’elle ne l’y force ou qu’elle ne trouve les bons arguments pour la convaincre. Ses propres émotions, qui parfois l’empêchaient d’agir au mieux, mais desquelles elle apprenait toujours quelque chose. Rien de tout cela n’était vraiment mauvais. 

Apprendre que sa mère était une traîtresse à la Toile ? Ça, c’était une mauvaise surprise.

Apprendre que le maître des temps était mort bien avant sa naissance ? Cela aussi, c’était une mauvaise surprise.

Apprendre que l’Oranimus qui avait partagé la vie de Fenara, et qu’Erin avait toujours cru être une bonne à rien sans ambition partie pour perdre son temps sur la terre ferme, avait su tout cela depuis le début et n’avait rien fait ? Cela, encore une fois, était une mauvaise surprise.

Et la pire de toute, celle qui faisait presque paraître les autres pour des contretemps, et les contretemps pour des farces sans effet, fut de voir son frère mourir par la main de leur mère. Elle ne pouvait rien en tirer, de cette surprise là. Elle ne voulait rien en tirer. 

Elle voulait juste que Barty soit là.

— Le maître des temps a demandé la mort de maman… ? murmura Jin. Il a changé d’avis ?

Suzette resta silencieuse, ses grands yeux noirs humides tournés vers la porte, d’où elles voyaient en partie les nuages du bout du monde.

— Non, répondit Erin. Fenara l’a tué, environ deux ans avant de nous adopter. J’ai raison ?

Le corbeau inspira, et acquiesça, sans quitter les nuages des yeux.

— Je pensais que si je partais, et qu’elle se retrouvait toute seule, elle arrêterait enfin ses horreurs. Pour que je revienne, pour que n’importe qui revienne. Mais c’était trop tard pour Fenie.

Sia sautilla jusqu’au vieil oiseau, et frotta sa tête contre les plumes de son cou.

— Tu pouvais pas tuer ta petite soeur, quand même.

Suzette ferma les yeux quelques instants, et profita du poids du petit corbeau pressé contre elle. Lorsque la vieille Oranimus rouvrit les paupières et croisa le regard de Sia, Erin y perçut quelque chose qui lui échappait totalement, mais qui lui serra doucement le coeur.

— Est-ce qu’elle a le mal ? demanda Jin.

— Non. Juste trop d’ambition.

Nodia attira leur attention d’un claquement de doigts répétés, et Erin se concentra sur ses signes. Elle bougeait plus vite que ce qu’elle avait l’habitude d’interpréter, ses gestes secs emprunts de colère.

Pourquoi est-ce qu’elle a ordonné notre mort ?

— Je ne suis pas sûre, répondit Erin. La version qu’elle a donné à la Toile, sous couvert de transmettre les prédictions du maître des temps, était que les familles Nahara, Naveri et Nidré causeraient la perte définitive de l’Abradja. 

— Sans doute pour m’éliminer moi.

Zakaria regardait au loin, les traits tirés en une moue pensive et presque boudeuse. Elle ne l’avait jamais vraiment rencontré, et maintenant qu’elle le voyait d’aussi près, elle ne comprenait pas comment personne n’avait pu repérer avant la ressemblance avec Fenara. Erin avait encore du mal à intégrer dans son grand puzzle le fait que sa mère ait eu un enfant avant de les adopter - un enfant qu’elle n’avait pas élevé, un enfant valeni, hybride qui plus est. Théoriquement, ce croisement était improbable. En pratique, c’était du jamais vu. Elle aurait aimé avoir du temps pour résoudre ce mystère, mais cette surprise là n’était qu’un contretemps sur l’échelle de tout ce qu’ils avaient à faire.

— Peut-être. Ton nom est apparu à plusieurs reprises, lorsque je cherchais des preuves dans les archives. Celui de Myria Nidré aussi.

Nodia pointa Sehar, une autre question au bout des doigts, et l’ado, toujours assis par terre avec le jeune maegis dans ses bras, écarquilla les yeux.

— Je ne sais pas non plus pourquoi elle aurait inclus un hybride qui n’aurait normalement eu aucune chance de se retrouver ici… » Erin soupira. La fatigue pesait sur son esprit, rendait chaque élément moins net, moins facile à assembler. « Je n’ai pas eu le temps de défaire toutes les archives modifiées que j’ai pu trouver. La réponse y est sure-

Sa phrase mourut dans sa gorge, lorsque ses mains ne trouvèrent pas la sacoche qu’elle cherchait. 

C’était Barty, qui l’avait portée.

Elle était sans doute tombée, en même temps que…

Erin serra les lèvres. Qu’est-ce qu’elle disait, déjà ? Elle avait du travail, si elle voulait résoudre ce mystère. Elle n’avait pas le temps de courir après la moindre de ses idées.

— Nodia a raison. » approuva Jin, et Erin redressa le regard. Elle n’avait pas vu la valeni signer, ni le regard de ses soeurs s’assombrir davantage. « On devrait sans doute dormir, au moins un peu…

— Au lit, les oisillons, confirma Suzette. Il est trop tard pour prendre de bonnes décisions.

Zaza ouvrit la bouche pour protester, mais un revers de bec dans les genoux l’en dissuada, et il s’installa ostensiblement le plus loin possible du reste de leur étrange troupe, dans le creux d’une ancienne fenêtre. Sehar souleva Del dans ses bras pour l’allonger à côté de Lo, et Nodia se plaça entre eux et les trois soeurs, son regard noir bien plus éloquent qu’aucun signe que ses mains auraient pu leur adresser. Jin avait déjà reculé contre le mur le plus proche de là où elles se tenaient, et s’installa le plus confortablement que la combinaison trop grande le lui permettait. 

— Je suis désolé, Erin, murmura-t-elle.

— Moi aussi. Essaie de dormir, nous en aurons besoin.

Jin acquiesça tristement, et passa un bras autour de Sia, qui s’était installée tout contre elle. D’un geste du bec, elle invita Erin à faire de même - mais elle secoua la tête. Elle s’était assez accrochée à elle, pendant le voyage. Elle devait apprendre à dormir seule, désormais. Erin ferma les yeux, et laissa l’épuisement l’assommer. 

Lorsqu’elle utilisait trop de magie, ses sortilèges venaient en rêve, comme pour la hanter. Toutes les pièces qu’elle avait utilisée pour avancer son objectif, présentée à elle sous une forme qu’elle pouvait encore contrôler.

Et elle avait beaucoup utilisé sa magie, aujourd’hui.

D’abord, pour tirer de Lo tout ce qu’iel savait, dans l’espoir d’en apprendre quelque chose qui l’aiderait à consolider leurs atouts pour une guerre, qui, peut-être n’avait même pas lieu d’être.

Ensuite, pour découvrir ce que sa mère cachait, et pourquoi, même si la réponse à ces deux questions l’éludait encore.

Puis il y avait eu les sortilèges de la bataille. Tout ceux qui n’avaient pas empêchés son frère de mourir.

Erin se réveilla les gants dans un duvet de plumes, et pendant quelques instants, ses rêves n’étaient qu’un mauvais souvenir. Ce n’était pas vrai, tout ce qu’elle avait vu. Ce n’était pas vrai, toute cette douleur.

Puis elle ouvrit les yeux, et croisa le regard encore assoupi de Sia, à qui elle s’était agrippée dans son sommeil. Sa soeur jumelle dormait toujours, et le seul autre oiseau noir qu’elle pouvait voir était Suzette, perchée au sommet des ruines pour surveiller les alentours dans la lumière du matin.

Aucune trace de Barty.

Elle se redressa, et ravala ses larmes. Jin papillonna des yeux, et marmonna à demi-voix :

— Erin… ?

— Ne bouge pas. Je vais chercher de quoi manger. 

Sa soeur acquiesça, et Sia referma les yeux. Erin se mit sur pied avant de changer d’avis, et avança à grands pas vers la porte de leur abri délabré. Presque aussitôt, Suzette décolla pour lui barrer la route, les plumes hérissées et le regard courroucé.

— Où tu vas comme ça de bon matin, dis-moi ?

Erin força ses yeux à rester sec, chassa les larmes d’un sortilège à défaut de pouvoir utiliser ses mains au travers du casque de verre, et lui répondit le même demi mensonge.

— Nous n’avons aucunes provisions. Je vais juste ramasser de quoi faire un premier repas.

Les plumes de Suzette se détendirent, et elle secoua ses ailes pour s’étirer un peu.

— Pars pas trop loin, tu veux ? Que je te puisse te garder à l’oeil.

Erin acquiesça - que Suzette veuille la voir pour la protéger en cas de danger ou pour l’empêcher de créer de nouveaux problèmes, cela n’avait aucune importance, pour Erin. Elle s’éloigna à grands pas, et le corbeau reprit sa position, tout en haut des ruines. Elle erra un peu, se pencha près des quelques rares buissons comestibles qui poussaient là, pour y cueillir de grosses baies vertes et des feuilles dentelées qu’elle glissa dans sa poche, ramassa des roches de sucre qu’il suffisait de réchauffer pour en extraire le doux liquide argenté.

Pas après pas, geste après geste, elle se rapprochait du bord. Lorsqu’elle y fut enfin, elle s’arrêta, quelques branches encore en main, et observa les nuages.

Elle savait, que certains Oranimus restaient là, après leur mort. Comment, et pourquoi, elle l’ignorait totalement.

Est-ce que Barty était ici, juste devant elle ? 

Elle tendit sa main libre, mais aucun nuage ne s’en approcha. Même si cela avait été le cas, elle aurait été incapable ni de l’entendre, ni de le toucher. 

Parce qu’il était mort, et pas elle.

Peut-être que si elle avait été une meilleure magicienne, elle aurait pu le ramener, trouver un bébé corbeau abandonné et redonner une enveloppe corporelle à son grand frère. Elle pourrait prendre soin de lui dans cette vie mieux que ce qu’elle avait fait dans celle-ci.

Mais elle n’était pas une assez bonne magicienne. Créer un oranimus, c’était le sortilège le plus difficile, le plus éprouvant de tous. Et elle n’en était pas encore capable. Elle n’avait pas toutes les pièces, et de toute façon, elle ne voulait plus résoudre aucun mystère, pas même celui de la vie et de la mort.

Là, tout de suite, elle voulait tomber.

Tomber, et disparaître avec la douleur. 

Disparaître, ce ne devait pas être si mal…

— Je sais pas ce que tu fiches, mais ça ressemble pas à de la cueillette.

Erin sursauta, et se retourna si vite qu’elle manqua de perdre l’équilibre - seul un caillou glissa, et ricocha contre la falaise avant de disparaître dans le néant. Suzette la regardait avec un oeil réprobateur, les ailes redressées comme si elle s’apprêtait à s’envoler au moindre signal.

— J’étais juste… j’ai terminé. 

Elle fit brusquement demi-tour, déterminée à retourner dans les ruines, à ne plus penser à ce qu’elle ne pourrait jamais changer, à mettre la douleur de côté pour pouvoir se concentrer sur ce qu’ils leur restaient encore à faire.

— Il n’est pas là, tu sais, murmura Suzette avant qu’elle ne soit partie trop loin pour l’entendre.

Erin s’arrêta net, et sentit de nouveau les larmes remonter sous ses paupières. Ces stupides larmes, qui ne serviraient à rien. 

— Pourquoi pas ?

— Parce qu’il n’y a que ceux comme moi qui restent. 

Elle se retourna vers le corbeau, qui regardait toujours les nuages. D’aussi loin qu’Erin se souvenait, Suzette leur avait toujours parlé - et jusqu’à ce jour, la maegis avait cru que ce n’était qu’une fantaisie. Qu’elle n’entendait rien, et que les morts ne lui répondaient jamais. Aujourd’hui, elle avait envie d’y croire - mais elle n’avait pas envie que l’Oranimus ait raison.

— Qu’est-ce que ça veut dire ?

— Barty est mort pour vous protéger, toi, Jin et Sia.

Suzette se retourna vers elle, un sourire triste dans le regard, et Erin trembla dans sa combinaison.

— Aucun Oranimus digne de ce nom n’aurait de regret à mourir comme ça, continua l’oiseau. C’est notre seule raison d’être, de faire en sorte que notre maegis survive et soit heureux. Alors si notre mort peut permettre à l’autre de continuer à vivre… c’est ce que nous faisons. S’il ne s’était pas mis sur le chemin de la salve, c’est Jin qui serait morte. Et il aurait regretté toute sa vie de ne pas avoir tout fait pour la défendre. Parce que sans elle, tu aurais été trop malheureuse. 

Erin le savait, mais elle aurait voulu ne pas l’entendre. Dans le bec d’une si vieille Oranimus, qui avait déjà tant vécu, c’était trop vrai, trop dur, trop inéluctable.

Et rien de ce que Suzette pouvait dire ne lui rendrait son frère.

— Pourquoi tu as quitté Fenara, alors, si protéger un maegis est votre seule raison d’être ? siffla-t-elle.

Le regard de l’oiseau s’assombrit, et pendant quelques instants, Erin crut qu’elle se contenterait de se retourner vers les nuages, et d’ignorer ses questions, comme elle l’avait toujours si bien fait lorsque les réponses ne lui plaisaient pas. 

Mais elle vint, cette réponse. A peine un murmure, qui pesa dans le silence.

— Pourquoi tu crois que les morts me parlent, l’oisillon ?

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Nanouchka
Posté le 12/03/2022
Suzette est un fantôme ?!

Le dialogue du début, comme d'habitude, tout ce que j'ai compris, c'est que personne ne comprend rien. J'en ai éprouvé une petite frustration, parce que c'est arrivé dans pas mal de chapitres que je n'arrive pas à suivre des échanges.

J'ai été décontenancée par le fait qu'Erin pense à Barty comme son "frère". Je me suis demandé si un frère humain était mort, et puis non, le chapitre confirme que c'était bien son Oranimus.

Il y a beaucoup de monde à suivre dans ce chapitre, et j'ai eu le sentiment qu'en voulant garder un oeil sur tout le monde, on perdait un peu le centre et la ligne rouge ici, qui pourrait n'être qu'Erin. Je pense que tu peux aller plus loin dans le deuil encore, dans cet état de transe de la perte, où on n'entend qu'à moitié, on ne voit qu'à moitié. Typiquement, les dialogues peuvent être quelque chose qu'elle entend un peu de loin mais auxquels elle ne participe pas, et on n'en entendrait que des morceaux.

Les questions que je me pose pour la suite sont :
Pourquoi il y a une tripotée d'enfants connectés ?
Que veut Fenara au fond ?
Que doivent faire nos héros maintenant ?
Sehar va-t-il retrouver son père ?
Va-t-on retrouver Lo ?
Sehar et Del vont-ils se mettre ensemble ?
AnatoleJ
Posté le 13/03/2022
Suzette est un fantôme très solide :D Au départ j’allais dire qu’elle n’en était pas un, mais plus j’y pense, et plus ça pourrait coller avec le lore des maegis/oranimus d’une certaine façon ? Ils n'ont pas vraiment la même définition de la mort, les sacripants... Peut-être que c’est le corbeau de Schrödinger, finalement.

Je vois ce que tu veux dire pour les dialogues encore difficiles à suivre ! C’est parfois difficile pour moi de gérer l’équilibre entre donner trop de pièces du puzzle trop vite ou trop peu quand on connaît trop bien l’univers et les personnages, un classique pour tous les auteurs malheureusement x)
Pour l’instant la solution que j’envisage à la réécriture serait d’intégrer les points de vue de Zakaria et des jumelles plus tôt pour avoir plus d’éléments sur la Toile dès le début, sauf que ça implique de revoir pleins de choses au niveau de la structure finale et qu’on casse l’effet découverte créé par le fait de d'abord suivre le point de vue d'une majorité de personnages qui viennent d’en dehors de l’Abradja... bref c’est compliqué mais j’y réfléchis ^^

J’aime bien aussi la piste que tu proposes pour ce chapitre précis de recentrer encore plus sur Erin, effectivement je pourrais déjà décaler les informations des dialogues dans le chapitre suivant, par exemple ! Je trouve ça intéressant finalement qu’une solution possible au flou c’est finalement de carrément supprimer des informations, pas de les expliquer davantage. C’est contre-intuitif mais ça fait sens !

Pour Barty, tu fais bien de me le signaler, en te lisant ça a fait pop dans ma tête : c’est vrai qu’en fantasy quand il y a un duo humanoïde/animoïde (je sais que ça existe pas comme mot, faisons comme si) on est plus habitué à un rapport maître/familier qu’à des égaux même lorsque l’animal parle (ce que j’ai toujours trouvé très étrange ? Probablement pour ça que j’ai fait autre chose haha). En fait ici ils ont un statut presque égal à celui des maegis, juste différent : le parent maegis considère (légalement) l’oranimus qu’il a choisi pour son enfant maegis comme un autre enfant, et ils ont un rôle symbolique de guide et de protecteur pour le maegis dont ils sont grand frère ou grande soeur. Et dans les faits, les parents maegis traitent souvent l’Oranimus comme un premier enfant (avec toute la diversité que ça peut engendrer, les relations parents/enfant c’est toujours compliqué) et le maegis comme un second. Il y a évidement toute la charge symbolique qui fait que les Oranimus se mettent la pression pour être les meilleurs protecteurs possibles + la charge magique du sortilège qui joue quand même un peu. Breeeef tout ça pour dire que je me note de mettre plus de détails sur les Oranimus pour que ça soit plus évident !

Toutes d’excellentes questions :D Certaines arriveront plus vite que d’autres (d’ailleurs tu en as eu une dès le chapitre suivant)
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