Chapitre 24

 Ilse papillonnait devant sa garde-robe, secondée par la vieille gouvernante qui ramassait les robes que sa jeune maîtresse jetait au sol.

« Que porte-on là-bas Ruth ? Je ne veux pas avoir l'air d'une rustre qui n'a jamais quitté ses montagnes ! Fait-il plus chaud là-bas ? Oh, ces velours épais, je n'ai que cela ! »

Elle ne tenait plus en place. L'excitation avait peint ses joues d'un cramoisi qu'on ne lui avait jamais vu. Ses mains s'agitaient et brassaient du vide, alertes. Elle n'aurait su dire la dernière fois qu'elle avait ressenti pareille émotion. Un voyage à Kaalun, enfin ! Elle avait tant rêvé de quitter les Cimes, de fouler des terres où l'herbe pointait parfois sous le gel. Et ce n'était pas faute de demander à son père, sans succès jusqu'à présent. La descente du Val était difficile, et Timoteus lui-même quittait peu le Fort. Mais cette fois, lui avait-il-dit, une affaire importante l'y attendait, et à seize ans, on pouvait envisager qu'elle voyagea en sa compagnie si elle se montrait prudente. Elle avait sauté au cou de son père, le gratifiant d'une bise chaleureuse, une vraie bise de petite fille heureuse. Il en avait eu les larmes aux yeux.

Elle rassemblait à présent une liasse de parchemins vierges et ses plus belles plumes. On disait que la tour des Écrits regorgeait de merveilles, peut-être aurait-elle le temps d'en faire quelques copies.

« Le voyage devrait durer trois jours si vous ne vous chargez pas trop, comme l'a demandé votre père, lui rappela Ruth, vous ne pourrez rester que quelques nuits à Kaalun, il faut rentrer avant que les Vents ne soient totalement installés. Quelques robes suffiront, Demoiselle, je vais vous les faire préparer.

– Et toi Ruth, ne voudrais-tu pas venir ? »

Ils partirent le lendemain, dés qu'il y eu suffisamment de lumière pour s'engager sur la Sente aux clous. Hormis les prémisses des Vents, qui faisaient claquer les capes, le temps leur était favorable. Le ciel était dégagé, offrant sur le massif des Millesources une vue imprenable. Il s'agissait des monts les plus anciens des Terres-Mêlées. Couverts de vert tendre, leur coquetterie s'arrêtait là. Les sillons profonds qui creusaient leurs côtes, gravés par des eaux abondantes, dénonçaient leur âge. Faisant face à la chaîne des Serpantes, aux pentes de glace lisses comme des miroirs, et surplombée du vertigineux pic d'Asko, les Millesources ressemblaient à un cénacle de vieilles dames, perdues dans la contemplation silencieuse de leurs rides profondes.

Ilse observait ces collines depuis toujours. Beaucoup moins élevées que leurs jeunes sœurs et par conséquent épargnées par les glaces, elles se couvraient pudiquement de fougères et de chênaies. Ilse les trouvait plus douces, plus accueillantes. Plus mystérieuses aussi, comme si leurs crevasses recelaient nombres de secrets. Elles étaient décrites, dans les vieux contes, comme des terres peuplées d'esprits de la nature, farceurs et bienveillants ; des terres où les arbres aux troncs creux accueillaient trésors et passages souterrains ; des terres presque inhabitées à présent, trop difficiles d'accès, trop humides, où les quelques autochtones ne vivaient pas différemment de leurs lointains ancêtres.

Descendre la Sente aux clous n'était pas moins pénible que la monter. Il fallait mettre pied à terre, et guider les bêtes. Deux hommes accompagnaient le groupe pour guider les chevaux de Ruth et de Ilse, avant de remonter vers la ville. Ilse avait le pied sûr, mais pas assez de patience pour rassurer et faire avancer une bête apeurée. Les mains libres, elle descendait prudemment, savourant le sentiment de liberté qui allant croissant en s'éloignant du Fort et de Judith.

Un cri fendit l'air. La vieille Ruth avait glissé de la sente. Son corps tétanisé par la peur pendait dans le vide, au dessus de la bien-nommée fosse de Gisecarne. Timoteus avait exigé qu'on lui passe un harnais, le temps de la périlleuse descente. On l'avait donc attachée par de solides cordes au Rocheu, homme de confiance de Timoteus, aussi large et solide que le pic d'Asko. Cela avait été la condition pour qu'elle soit du voyage. Timoteus aurait souhaité qu'il en fut de même pour Ilse, mais la fureur qui s'alluma dans les yeux de sa fille à cette idée l'y fit renoncer. On remonta la pauvre femme, l'arcade et le bras ensanglantés. Elle ouvrait des grands yeux, abasourdie d'être encore en vie, et se laissa soigner sans un mot. Autant Ilse n'avait sut feindre la déception lorsqu'elle apprit que sa mère resterait gérer les affaires du Fort, autant elle avait insisté pour que Ruth fut admise dans leur équipage. Arguant qu'elle avait besoin à tout prix de sa vieille gouvernante, elle avait en vérité ressenti le profond désir de Ruth de revoir le Val où elle avait grandi. Timoteus avait fini par lui accorder cette faveur. Après tout, originaire des montagnes, la vieille était solide.

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Jowie
Posté le 01/09/2019
Salut Olga ! Je poursuis ma lecture et j'apprécie toujours l'éventail de personnages, ainsi que la relation qui se développe entre Olga et le prince. Voir comment Olga s'y fait gentiment à la vie de château est également agréable !
Dans ce chapitre-ci, j'ai été perdue avec les nouveaux noms de lieux (Asko, Gisecarne, ROcheu, Fort de Judith). Je ne savais plus trop qui était Ruth, aussi.
Isapass
Posté le 17/01/2018
Je commence par le pinaillage. Je suis désolée de t'embêter avec ça, mais je préfère te faire part de mes remarques, parce que je suis assez peu sensible aux répétitions, mais là il y en a quelques unes qui ont perturbé ma lecture. Et j'aime tellement ton style que c'est dommage. Bien sûr tu en fais ce que tu veux ! 
" Ilse papillonnait devant sa garde-robe, secondée par la vieille gouvernante qui ramassait les robes que sa jeune maîtresse jetait au sol." : garde-robe et robes, répétion. Le second robe devrait aisément pouvoir être remplacé (toilettes, étoffes, tenues, vêtements...)
"« Que porte-on là-bas Ruth ? Je ne veux pas avoir l'air d'une rustre qui n'a jamais quitté ses montagnes ! Fait-il plus chaud là-bas ? " : deux fois "là-bas" 
"Et ce n'était pas faute de demander à son père, " : "et ce n'était pas faute d'avoir demandé à son père" ? Je trouve que ça situerait mieux dans le passé, puisque cette fois, il a accepté.
"Elle avait sauté au cou de son père, " il y a un autre "son père" juste avant. "Elle lui avait sauté au cou" ?
"Deux hommes accompagnaient le groupe pour guider les chevaux de Ruth et de Ilse, " : d'Isle, plutôt que de Isle, non ?
" Les mains libres, elle descendait prudemment, savourant le sentiment de liberté qui allant croissant en s'éloignant du Fort et de Judith." : libres et liberté sont redondants.
J'adore comment tu racontes l'épisode de la chute de Ruth en enchaînant sur autre chose ! Comme si c'était un petit incident de parcours ! C'en est un, en fait, sauf pour Ruth... 
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