Chapitre 22

Par Elka

Vous me manquez.Vous me manquez.Vous me manquez.Vous me manquez.Vous me manquez.Vous me manquez.Vous me manquez.Vous me manquez.Vous me manquez.Vous me manquez.Vous me manquez.Vous me manquez.Vous me manquez.Vous me manquez. Tu me manques.Tu me manques.Tu me manques.Tu me manques.Tu me manques.Tu me manques.Tu me manques.Tu me manques.Tu me manques.Tu me manques.Tu me manques.Tu me manques.Tu me manques.Tu me manques.Tu me manques.Tu me manques.Tu me manques.Tu me manques.Tu me manques.

Je veux vous revoir. Je dois vous revoir. Je dois te revoir.

 

22

Leur étreinte dura assez pour mettre Sofiane franchement mal à l’aise. Il s’en dégageait une familiarité qui acheva de le convaincre que tout ceci était bien vrai. Quand ils se lâchèrent, Fatou recula d’un petit pas et le regard de Nérée s’orienta sur Sofiane, mais la fillette l’en détourna en disant :

— Je te présente Leïla.

Il se releva et tendit une main formelle à la jeune femme, qui la serra énergiquement, le regard mi-féroce, mi-intrigué.

— Enchanté, dit-il. Vous êtes ?

— L’amie de Sofiane, répondit-elle.

— Leïla nous a aidé, précisa Fatou.

— Parce que vos gens voulaient les tuer.

Nérée parut offusqué.

— Certainement pas ! s’emporta-t-il. Ils auraient ramené Fèdre indemne et…

— Elle s’appelle Fatou, coupa Sofiane.

Il fit face aux deux prunelles sombres lourdement chargées d’émotions. Il y avait tant d’attente dans ces yeux, dans cette posture, dans les traits fins de ce petit visage.... Il noua les poings au fond de ses poches et tâcha de ne pas ciller. Comme avec son chat quand il était question d’une ration de croquettes en plus.

Cette pensée idiote l’allégea quelque peu.

— Je suis vraiment content de te revoir, dit Nérée.

— C’est la première fois qu’on se voit, répliqua Sofiane.

Dans le silence qui suivit, il regretta presque ses mots. Alors même que l’homme adoptait un visage impassible, il eut la vive sensation qu’il s’écroulait à l’intérieur. Nérée se détourna finalement, comme s’il cherchait quelque chose à quoi se raccrocher. Son attention glissa sur les plantes, le couloir, l’averse au-dehors. Leurs reflets délavés s’étaient imprimés sur les vitres ; Sofiane échangea un regard perdu avec le sien.

— Vous devez être éreintés et affamés, déclara alors Nérée. Venez avec moi, j’ai préparé des lits et de quoi manger.

Ils leur tint la porte ouverte mais Sofiane ne pouvait pas se décider à bouger. Leïla non plus. Ce fut Fatou qui fit le premier pas, après un silence gênant.

— C’est au dernier étage, précisa Nérée d’une voix éraillée.

 

Il habitait cet étage, à n’en pas douter. Il les invita à se déchausser et à le suivre dans un salon spacieux et élégant. De multiples lampes repoussaient la mauvaise météo loin d’eux, il lança même de la musique pour faire taire le déluge.

À moins que ce ne soit pour tromper le mutisme général.

Sofiane se sentit vulnérable en chaussettes dépareillées. Nérée parla pour combler le vide ; il indiqua la salle de bain et les toilettes, leur proposa des vêtements chauds puis s’assura qu’ils aimaient les poivrons parce qu’il avait préparé des fajitas, mais peut-être préféraient-ils autre chose, et il avait de la bière et des sodas au frais.

Leïla le fit taire en acceptant un verre de vin et s’engagea à ouvrir la bouteille, poussant à moitié Nérée dans sa propre cuisine. Sofiane se rapprocha de Fatou, mais c’est elle qui demanda :

— Ça va ?

— Et toi ? éluda-t-il.

La fillette regarda en direction des voix de Nérée et Leïla.

— Je ne sais pas trop.

— La même. Mais tu risques rien avec moi.

Elle répondit à son sourire, mais assura :

— On n’a rien à craindre, ici.

Leïla survint sur ces paroles, une bouteille de blanc dans une main et des verres dans l’autre. Nérée s’agitait dans le fond, on entendit la hotte s’allumer et quelque chose grésiller dans une poêle. Leïla posa son chargement sur la grande table déjà dressée, ornée en son centre d’un bouquet de fleurs fraîches.

Cette vision malaxa les entrailles de Sofiane. La façon dont ils avaient été attendues le dérangeait.

— T’es sûre que c’est une bonne idée de boire ? reprocha-t-il à son amie.

— Je veux le mettre à l’aise, répliqua-t-elle, mais j’ai pas prévu de me bourrer la gueule si c’est ce qui t’inquiète. Je suis pas si conne.

Il accusa sa remarque acide.

— Désolé, dit-il. Je suis un peu à cran.

— Y a de quoi, souffla-t-elle en observant Fatou pousser la porte de la cuisine pour rejoindre leur hôte. Cet homme a l’air sur le point de s’effondrer. Il est bien différent du Nérée que j’ai pu voir sur Youtube ou Insta, et pas seulement parce que je le découvre en vrai.

Elle croisa les bras, tandis que Sofiane leur servait un verre.

— Il fait preuve d’une vraie passion dans ses vidéos, poursuivit-elle après qu’ils eurent trinqué, mais aussi de beaucoup de gravité. J’ai l’impression de voir quelqu’un d’autre là, avec sa préparation de fajitas pour dix personnes et ses serviettes propres à disposition dans la salle de bain. Il est nerveux. Et la façon dont il a serré Fatou dans ses bras…

Elle se tourna vers lui, et il comprit la suite : son regard quand Sofiane lui avait dit qu’ils ne se connaissaient pas.

— Fatou dit qu’on n’a rien à craindre de lui, tint à préciser Sofiane.

— Alors je la crois. Franchement, il me fait surtout de la peine.

Sofiane essaya de faire passer le nœud dans sa gorge avec une gorgée de vin. Il se sentait coupable.

 

Durant le repas, Leïla s’occupa en grande partie de la conversation, qui ne s’engagea sur rien de très profond. Elle évoqua son travail, celui de sa mère chez qui on les avait retrouvé – sans pour autant mentionner son rôle dans la vie de Sofiane –, elle s’enquit de celui de Nérée qui répondit sans trop détailler. Il apparut néanmoins qu’il participait à nombres d’associations caritatives, qu’il était engagé sur plusieurs fronts écologiques et utilisait sa notoriété sur le web pour encourager les gens à l’imiter.

— Mais tu triches un peu, souligna Fatou avec un demi-sourire. Tu peux les influencer à loisir.

— Je ne suis pas tout-puissant, répondit Nérée avec un semblant d’amusement, le premier depuis le début.

Puis son regard passa sur Sofiane et s’assombrit aussitôt. Il se racla la gorge et reprit :

— C’est sûr que j’arrive à convaincre mieux que d’autres, mais pas autant que je l’aimerais.

Il se tourna vers Leïla.

— Vous dites avoir vu plusieurs de mes vidéos, êtes-vous devenue végétarienne pour autant ?

— Pas vraiment, admit Leïla avec un air d’excuses. Mais j’ai sérieusement diminué ma consommation de viande, et c’est sûrement grâce à vous.

— Tant mieux, alors.

— Je ne sais pas, intervint Sofiane pour la première fois depuis la première tortilla végétarienne. Priver les gens de leur libre-arbitre ne me paraît pas aussi formidable que vous voudriez le faire paraître.

— Même si c’est pour casser des habitudes auto-destructrices ?

— Ça en crée de nouvelles, rétorqua Sofiane. Je ne pense pas qu’il vous soit possible d’exercer un contrôle parfait sur plus de sept milliards d’êtres humains. Pour trois végétariens forcés, vous en avez dix qui continuent de manger un steak à chaque repas.

— Mais j’ai gagné trois végétariens, puis trois de plus, et encore trois…

— Si les premiers ont été forcés sans le décider, ils vont récidiver une fois votre prise relâchée. Agir sans le comprendre et le décider, ça tient pas sur la durée.

Il vida son eau d’une traite. Face à lui, Nérée afficha un sourire lumineux, alors même que ses yeux se voilaient d’émotions.

— Ça m’avait manqué nos joutes verbales, Sybèle.

Sofiane fut trop surpris pour réagir à ce nom. Surpris par la chaleur dans la voix de l’homme autant que par la familiarité que lui avait inspiré cette conversation. Sybèle, hein ? C’était donc son écho à elle qu’il pouvait sentir au fin fond de son esprit ? C’était elle qui l’effrayait tant ?

Il fixa les mains posées sur ses cuisses et enfonça les ongles dans ses paumes.

— Vous avez privé des gens de leur libre-arbitre, dit-il durement, et ces gens ont failli nous tuer.

Nérée blêmit.

— Ils ne vous auraient pas tué, objecta-t-il faiblement. Ils devaient vous ramener sains et saufs.

— Ils devaient me ramener saine et sauve, objecta Fatou d’une voix douce et désolée. C’est parce que Sofiane a survécu de façon anormale que tu as compris qui il était et que tu as changé tes ordres pour qu’il soit récupéré aussi.

— Et si on avait refusé de venir, vos gardes auraient tué Leïla et sa mère, conclut Sofiane avec froideur. D’ailleurs, des gardes, on en a peut-être tué avec Fatou. Mais ça, vous vous en foutez. Vous avez eu ce que vous voulez.

Nérée devint livide, alors même qu’une rougeur perçait ses pommettes et qu’une obscurité glaciale saisissait son regard.

— Tu ne sais rien de moi ! hurla-t-il en se levant. Tu ne sais pas ce que j’ai vécu ! Tu ne sais pas ce que ça fait ! Non, je ne m’en fous pas !

Il envoya balader son assiette, son verre et ses couverts avec un cri furieux et quitta la pièce. Ils entendirent une porte claquer violemment.

— J’y vais, déclara Fatou.

Sofiane la regard disparaître dans le couloir qui menait au reste de l’appartement, le cœur tout froid et le souffle coupé. Il observa les restes du repas sur la table et les bris de verre au sol. La main de Leïla sur son épaule le ramena à la réalité.

— Je reviens, murmura-t-il.

Elle acquiesça et il marcha dans les traces de Nérée et Fatou, sur des jambes alourdies par l’écho lointain dans son esprit. Elle pesait lourd, cette Sybèle, et pas que pour lui.

Il ralentit à l’approche des voix, jusqu’à s’arrêter tout à fait devant la porte entrebâillée d’une chambre. La voix de Nérée était rauque.

— … cru qu’on reviendrait à la même année, disait-il. Je ne pensais pas qu’il y aurait un tel écart d’âge.

— Sybèle et toi vous êtes suivis. Tu n’es pas beaucoup plus vieux.

— Elle ne veut pas de moi.

— Elle ne voulait pas nous suivre, Nérée, répondit Fatou d’une voix ferme.

Les yeux fermés on s’imaginait parfaitement une jeune femme, et non une petite fille. Sofiane s’appuya au mur, las de toute cette situation, énervé de ressentir de la culpabilité à l’égard de ce type. C’était comme si cette Sybèle le dépossédait de lui-même.

— Je pensais qu’elle changerait d’avis, ici, chuchota Nérée. Mais comme d’habitude, j’ai essayé de tout contrôler, et c’était une erreur.

Sofiane sourcilla.

— Elle n’est pas vraiment revenue, tu sais ? Il n’est pas Sybèle.

— C’est peut-être qu’une question de temps.

Les entrailles de Sofiane se glacèrent.

— Je ne crois pas, dit Fatou. Tout m’est revenu pendant la tempête, quand j’ai utilisé mes capacités à leur maximum. Sofiane a fait tellement depuis qu’il m’a libéré… si Sybèle avait dû revenir, ce serait le cas.

— Mais s’il a sa capacité de protection…

— Elle ne veut pas, Nérée.

Il y eut un petit silence, puis le rire désabusé de l’homme.

— Encore une fois, j’essaye de tout contrôler. Je ne suis vraiment qu’une pauvre merde… Tu peux entrer et me le dire en face, Sofiane.

Il ne capta pas tout de suite qu’on s’adressait vraiment à lui, il fallut que Fatou pousse le battant et se plante devant lui pour qu’il sente le rouge lui monter aux joues. Loin d’être fâchée, la fillette arborait une expression très adulte, entre la compassion et l’amusement.

Elle lui tapota le bras et s’en alla retrouver Leïla, laissant Sofiane se tourner vers la chambre où Nérée attendait. Il s’était levé, à en croire les creux sur le matelas, et croisait les bras dans le dos avec malaise.

— Je te dois des excuses, dit-il, même si j’imagine que ça ne rattrapera pas tout ce que tu as subi par ma faute.

— C’est à cause de vous que j’ai ce pouvoir, réalisa Sofiane.

Il regarda ses mains comme s’il les voyait pour la première fois. Cette résistance qui courrait dans ses veines, sous sa peau, et qui l’avait poussé aux pires conneries avant de devenir pompier, elle ne venait pas exactement de lui. Elle venait d’une femme qui ne naîtrait peut-être plus.

— C’était si terrible ?

— Une fille est morte par ma faute.

Les mots lui brûlèrent les lèvres. Ses angoisses se rassemblèrent en un nuage noir, collant, étouffant.

— Je sais, j’ai lu tout ce que je pouvais trouver sur toi. C’était pas beaucoup, tu as été prudent.

Il soupira sous le regard noir que lui lança Sofiane. Il ne savait même plus exactement ce qui alimentait sa colère, à ce stade.

— Tu as aussi aidé plein d’autres personnes, ne l’oublies pas.

Sofiane se détourna, observa sa chaussette qu’il frottait nerveusement contre le tapis. Nérée lui avait paru si désemparé et désespéré jusqu’ici qu’il s’était presque attendu à une chambre tristement épurée. Au contraire, c’était une pièce chaleureuse et joliment décorée. Des étagères murales étaient alourdies de plusieurs romans et ornées de cactus. L’ensemble des fournitures et de la tapisserie étaient de teintes claires, deux belles affiches encadrées représentaient un océan et un désert.

— Tu apprécies la décoration ? s’amusa Nérée en l’arrachant à son étude.

— Comment vous avez su que j’étais derrière la porte ?

Nouveau soupir, plutôt triste cette fois-ci. À cause du vouvoiement acharné ou de son ignorance au sujet de ses capacités ? Nérée se laissa retomber sur sa couette et expliqua :

— Je peux sentir la présence des gens dans un rayon de cent mètres, à peu près.

— Entre ça et l’hypnose, il est un peu cheaté votre pouvoir, laissa échapper Sofiane.

Nérée ouvrit de grands yeux avant d’éclater de rire si fort qu’il lui fallut une bonne minute pour s’en remettre. Il essuya une larme du plat de la main.

— C’est exactement ce que tu me disais, avant.

Sofiane tacha d’ignorer le malaise qui lui nouait les tripes.

— Mais ce n’est pas plus cheaté que le fait que tu ne tombes jamais malade, argua-t-il en le fixant de sous sa frange. Et Fèdre aura bientôt assez de force dans les jambes pour effectuer des sauts dont on ne sera jamais capables.

— Pourquoi nous ? Enfin… nos anciens nous.

La mâchoire de Nérée se crispa. Il se releva, d’autant plus raidement qu’il avait paru parfaitement à l’aise un instant plus tôt.

— En ce qui me concerne je suis le même, et Fèdre le sera sûrement bientôt aussi. Quant à ta question, je ne sais pas. Est-ce vraiment si important ?

Ce fut à cet instant que le ciel explosa.

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EryBlack
Posté le 20/01/2023
Oh là lààààà mon cœur se serre si fort. J'ai adoré ce chapitre ! Je me pose plein de questions sur le pouvoir de Nérée, est-ce que genre ça fonctionne moins bien en vidéo son hypnose ? est-ce qu'il a répugné à recourir à des méthodes plus amorales (genre se faire élire président) ? En même temps il n'a pas l'air du genre à lésiner sur les moyens, mais c'est peut-être dès que ça touche à Fèdre et Sybèle qu'il perd ses facultés de recul, ce serait cohérent. Cette figure d'antagoniste qui est en réalité engagé pour le bien, et qui par ailleurs gère archi mal ses émotions et fait des erreurs terribles, c'est super cool !
J'ai été particulièrement touchée par le "Elle ne veut pas de moi" qui sort spontanément et qu'on devine tellement chargé de leur histoire commune. C'est vraiment trop bien. Ça me coupe toute capacité à faire un commentaire plus intéressant que ça xD
Elka
Posté le 21/01/2023
Coucou vous ♥
Avec cette histoire, tu me pourries de compliments. J'imaginais pas en écrivant que j'en aurais autant ahaha Je suis très heureuse que ce chapitre te plaise ! (j'en avais parlé avec Nothe, mais je craignais que le personnage de Nérée n'ait pas assez de "temps d'écran" pour qu'on s'y attache. Mais j'ai l'impression d'avoir pu transmettre tout ce que je voulais de lui, et ça me fait bien plaisir !
Rachael
Posté le 18/12/2022
Elle est tendue, cette rencontre, mais aussi surprenante, car j'imaginais Nérée plus sur de lui. il est très tourmenté, et c'est une bonne surprise. Je trouve très intéressante aussi la dualité Sofiane/Sybèle, avec cette dernière enfouie quelque part mais pas totalement absente non plus.
Elka
Posté le 19/12/2022
Coucou Rach !
Ca me fait plaisir que Nérée te surprenne. J'en parlais avec Nothe et je lui expliquais que j'avais peur qu'il ne marque pas trop les esprits, puisqu'il a peu de chapitres pour lui. Mais si il prend par surprise, je trouve que c'est un bon point hehe !
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