Chapitre 21

Par Elka

Ils exigèrent cinq minutes pour se préparer, et la femme entra dans la maison comme si c’était normal. Leïla dut réfréner la verve de sa mère, et Sofiane lui adressa un regard reconnaissant. Son cœur avait déjà doublé de volume, un voile de sueur lui couvrait le dos ; il n’avait pas besoin de revoir ses proches braquées avec négligence.

Il s’habilla en cinq-sept, roula draps et couvertures et ils furent prêt à partir. Gros poussa un miaulement plaintif juste à ce moment-là, comprenant qu’ils étaient tous sur le départ. Fatou jeta un regard au chat, un regard qui faisait écho au chagrin de Sofiane. Il se tourna vers Karima, qui avait pâli jusqu’à ses cheveux, même si elle tachait de n’en rien montrer.

— Je peux vous laisser mon chat ? demanda-t-il la gorge nouée. On viendra le récupérer le plus vite possible.

Il espéra avoir infusé toute la conviction possible dans cette promesse. Ils allaient revenir, ici, Fatou, Leïla et lui.

— Tu as intérêt, gronda faussement Karima. Il va me coûter cher en croquettes, celui-là.

Elle s’approcha et le serra brièvement contre elle.

— Je prendrai soin de ta vache, ne t’inquiète pas.

— Merci, souffla-t-il. Merci pour tout.

Il se détacha pour laisser Fatou sauter dans les bras de la femme, et prit son chat dans les siens. Il plongea le nez dans sa fourrure en essayant d’y cacher ses larmes et son cœur battant à tout rompre.

Puis il serra les mâchoires et le passa à Fatou qui ne cachait pas sa tristesse. Les larmes roulaient sur ses joues. Leïla étreignit sa mère une longue minute, promit à son tour de revenir, et ils suivirent la femme de main hors de la maison.

Elle proposa le siège avant à Fatou, qui refusa en montant à l’arrière. Elle se cala entre Leïla et Sofiane, l’air dur sous ses pleurs séchés.

Sofiane tourna le visage une dernière fois vers Karima et Gros, les observant du seuil de la maison. Le soleil brillait fort, le ciel était bleu, et la voiture s’engagea sur le chemin de terre en direction de l’inconnu.

 

Le trajet parut interminable. Ils roulèrent sans musique et sans paroles ; la femme ne s’autorisa qu’un texto avant de lancer le moteur – certainement pour signaler leur « capture » – puis se montra d’une conduite et d’un mutisme exemplaires.

Sofiane se retournait parfois pour constater que l’autre voiture les suivait de plus ou moins près, puis s’en détournait pour observer la campagne, puis l’autoroute, qui filaient derrière la fenêtre. Les heures passèrent, sans autre occupation qu’un échange de regard avec Leïla ou une pression d’épaule de la part de Fatou. La chaleur du soleil lui mordait la couenne à travers la vitre et l’ennui remplaça petit à petit ses inquiétudes. Leur destination paraissait bien lointaine et irréelle vue d’ici, une somnolence partielle finit par le saisir.

Les seules fantaisies du trajet furent deux pauses pipi sous bonnes gardes, durant lesquelles la conductrice laissa place à un collègue, avant de reprendre le volant pour la dernière portion.

Le ciel aux couleurs d’ecchymoses se couvrit, et une pluie mitrailla bientôt leur véhicule. Gamin, une longue route et une averse suffisait à endormir Sofiane ; après la tempête sur l’aire d’autoroute il ne s’était au contraire jamais senti aussi éveillé. Tendu, il chercha les visages de ses compagnes ; Leïla se mordait la lèvre en fixant le paysage de phares et de voitures barbouillées de pluie, Fatou regardait droit devant elle, les yeux légèrement exorbités et les poings noués.

Sofiane pouvait presque entendre leur respiration à tous, lourde et profonde. Le calme de leur conductrice était étonnamment rassurant, le couinement des essuie-glaces et leur allure ralentie par les embouteillages aussi.

La nuit s’empara tout à fait de leur véhicule. La peau de Fatou parut s’y confondre complètement et un léger halo venu de l’extérieur dessinait le profil de Leïla.

— Nous arriverons dans quinze minutes, annonça la chauffeuse.

Une petite main parut se refermer sur ses poumons. Il envisagea de répondre, mais sa voix inutilisée depuis plusieurs heures ne lui obéit pas. Il chercha à se raccrocher à un détail extérieur, mais il ne connaissait pas la ville et c’était désormais un vrai déluge qui s’abattait sur les rues et les immeubles. Les lampadaires ne dégageaient qu’une lueur froide et brouillée.

La voiture descendit finalement dans un parking souterrain, faisant brusquement taire l’averse. Le silence bourdonna aux tympans de Sofiane, qui se détendit imperceptiblement. Il trouvait presque moins inquiétant d’être arrivé, en fin de compte, si ça les empêchait d’affronter les éléments.

Après la chaleur confinée, le froid les prit à la gorge. Sofiane réprima un violent frisson et sentit son nez fraîchir immédiatement. Il se dépêcha de refermer le gilet prêté par Karima et passa un bras autour des épaules de Fatou qui grelottait. Leïla lui rabattit la capuche du sweat sur ses cheveux ras, avec un sourire.

— Venez, dit la femme.

Ils lui emboîtèrent le pas, tandis que les autres personnes quittaient le second véhicule pour fermer la marche.

Un ascenseur les emmena au deuxième étage d’un bâtiment qui n’en comptait que quatre, et révéla un couloir moquetté de rouge, qu’ils remontèrent jusqu’à une apparente salle de réunion.

— Je vais chercher monsieur Huang, promit la femme en refermant la porte vitrée derrière elle.

Ils se retrouvèrent seuls dans un silence inconfortable. Leïla s’approcha de la baie vitrée pour regarder le paysage en contrebas, ce qui était du moins discernable à travers le rideau de pluie. Fatou s’installa sur l’une des dix chaises qui entouraient la longue table de verre fumé et fixa la porte avec une telle concentration que Sofiane préféra se détourner.

Il se demanda ce qui pouvait bien se décider, ici. Le monde des affaires et des réunions lui était complètement opaque, il n’en connaissait que les portions fictives des séries et des films. Il imagina des diagrammes colorés projeté sur l’écran blanc, hésita à prendre un marqueur pour gribouiller sur le tableau et finit par taquiner les feuilles de l’un des trois ficus de la pièce, quand un bruit de pas étouffé se fit entendre.

Sofiane revint vers Fatou qui quitta son siège, et Leïla lui serra la main en soutien. Leur conductrice avait disparu, un homme seul ouvrit la porte pour s’arrêter sur le seuil. Sofiane reconnu le fameux Nérée, dont il avait consulté la page Wikipédia chez Karima.

Il avait les traits ciselés et des cheveux noir de jais, une silhouette fine et athlétique. Il portait un costume anthracite très élégant, mais exprimait un malaise que Sofiane ne lui aurait jamais imaginé. Nérée contractait les poings, le long de ses jambes, et pinçait si fort ses lèvres fines qu’elles se confondirent presque dans sa peau laiteuse. Ses yeux noirs passèrent de Sofiane à Fatou sans savoir où se poser.

Ce fut la fillette qui rompit le silence, d’une voix bizarrement émue, elle dit :

— Bonjour, Nérée.

Dans un mouvement si rapide qu’il prit Sofiane de court, l’homme d’affaire s’approcha, tomba à genoux et serra Fatou dans ses bras.

— Tu m’as manqué, Fèdre.

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EryBlack
Posté le 17/01/2023
Ooooh mais avec quelle virtuosité tu as trouvé un abri pour le chat ! C'est vrai, en cavale, pas évident de garder avec soi un animal (d'où plein d'histoires ou l'animal meurt T.T mais c'était pas l'ambiance ici), alors que là ça coule de source qu'il reste chez Karima. J'aime bien la place de ce refuge qu'a représenté sa maison dans l'histoire, je trouve qu'il a très bien rempli tous les rôles qu'il pouvait avoir. J'aime bien aussi l'apparent calme de cette "capture", même si la violence n'est pas bien loin, j'aime que tu poses dans la narration une sensation de "en fait ce n'est plus nécessaire, et quand ce n'est pas nécessaire, personne n'a envie de recourir à la violence". Les chapitres d'action étaient super bien gérés et les chapitres plus calmes le sont tout autant. J'avoue, j'ai l'espoir qu'on reverra les capacités de Fatou et Sofiane être exploitées, et celles de Nérée aussi surtout ! Mais en attendant, franchement, ça continue de se dévorer cette histoire. J'ai l'impression d'être complètement passée à côté du moment où tu l'écrivais, c'est fou, du coup j'en sais très peu, je ne sais pas non plus par quoi tu es passée, ce qui a motivé tel ou tel élément, mais je sais que je sus intensément fan de cette fiction, comme j'ai été happée par tant d'autres de tes textes ! <3
Elka
Posté le 18/01/2023
Tu te rapproches lentement mais sûrement de la fin ! Avec tous tes compliments, j'espère qu'elle te plaira !
Eh oui, fallait lâcher le chachat à un moment ç_ç même s'il aura été un parfait compagnon de route.
J'ai écrit ça un peu en secret, j'avoue xD Il me semble pas en avoir trop parlé, je savais pas ce que ça allait donner, et en même temps j'y arrivais mais je voulais pas me jeter le mauvais oeil, je crois.
Rachael
Posté le 20/11/2022
Il ne se passe pas grand chose dans ce chapitre, mais j'ai bien aimé son ambiance et les description de la partie sur la route. On rencontre enfin le fameux nérée... Electricité dans l'air au prochain chapitre ?

détails :
en cinq-sept : en cinq sec
Il plongea le nez dans sa fourrure en essayant d’y cacher ses larmes et son cœur battant à tout rompre : une phrase un peu lourde, avec deux verbes au participe présent.
mais il ne connaissait pas la ville : on ne savait pas qu'on était arrivé en ville (laquelle ? il y a du y avoir des panneaux, et il a a dû les regarder pour savoir où ils étaient ?)
Elka
Posté le 20/11/2022
Oh merci pour les remarques ♥
Non, mes chapitres sont quand même très courts. A lire sur FPA ça doit être relou parfois... Tant mieux si tu as aimé son ambiance.
Merci d'avoir lu, à vite !
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