Chapitre 2 - Un pain perdu s'il vous plaît.

Attablé, les yeux dans les yeux, Darshan ne prête guère attention à son assiette, de l'attention il n'en n'a que pour elle. Il caresse la main de sa belle avec délicatesse. De ses doigts il en lit les traits et cultive le désir de partager un baiser à l'issue de ce repas.

Il se rappelle leur rencontre comme si elle se conjuguait au présent. Au premier regard qu'ils ont échangé, il savait qu'il était déjà épris d'elle. La chamade battait en lui sans qu'il n'ait rien à y ajouter. Partait-il à ce moment-là visiter un musée, ou une exposition, il ne le savait plus. La course vers sa destination se vit irrémédiablement détournée, il restait là, bras ballants, perdu, hébété par cet électrochoc si doux.

Elle, elle ne l'avait pas encore vu, concentrée qu'elle était à guetter dans la vitrine une veste ou un accessoire de saison. Elle appréciait l'agréable tiraillement du choix entre des guêtres et une robe volantée rendant à merveille sur le mannequin aux courbes élancées. Son cœur balançait tandis que celui de Darshan devenait fébrile.

Au diable les autres, il n'y a qu'elle. Toute la grâce du monde a été rendue à sa conception, ses dents d'ivoire et ses yeux d'Ocre invitent à la rêverie, à oublier le froid de la brise annonçant l'automne. Son nez fin porte le grain d'une beauté face à laquelle on ne peut feindre l'indifférence, pas plus qu'en observant ces lèvres pulpeuses d'où perlent les inavouables rêves du plus humble des hommes, Darshan l'amoureux à la bouche en fleur ! Son nom suffit à m'emporter, il rime avec « délit », il souffle en moi l’émoi, met ma gorge en tension et me laisse sans voix. Je ne dors pas quand je pense à toi...

 

- Tes projets se passent bien Darshan ? demande Julie entre deux coups de fourchette dans son saumon à la chair rosé.

- Quoi ?! répond-il presque réveillé en sursaut.

- Tes projets, tes clients. Je te parle de mes patients et toi tu es si réservé.

- Oui c'est vrai, tu m'en vois désolé. Oui j'ai des clients, je travaille beaucoup, je n'arrête pas ! assure-t-il en étalant exagérément une fausse confiance en ses propos.

- Tu ne travailles pas en ce moment, c'est ça ? Tu peux le dire, tu sais.

- Non, je travaille, c'est juste que je ne veux pas y penser quand je suis avec toi. Si tu veux je te montrerai mes plus belles œuvres la prochaine fois et peut-être qu'elles seront accompagnées d'une surprise va savoir.

- Tu es étrange par moments j'ai l'impression. Tu n'as pas de téléphone, on ne peut pas s'appeler ni s'envoyer de photos, et puis tu ne m'as encore jamais invitée chez toi. Côté excentricité artistique tu tapes fort.

- Il n'y a pas de meilleure façon de cultiver ton intérêt et mon impatience à te revoir, toi, l'Aurore de mes jours. Qu'y a-t-il de plus romantique que de se promettre demain ? De toute façon même avec le mauvais sort contre nous, ma personne gravite autour de la tienne, il serait plus compliqué que tu ne le penses de se perdre de vue.

- Plus compliqué que de finir son assiette visiblement.

Darshan se penche et retrouve son tartare à peine picoré puis reprend :

- Un tartare ne refroidit pas, il est inutile de se presser. Je m'en voudrais par contre de me rendre coupable de te retenir en ma compagnie plus longtemps que tu ne l'aurais voulu.

Après quelques bouchées et un geste de la main plus tard, un serveur vient débarrasser la table et prendre la commande du dessert. Ce sera un pain perdu, enfin une brioche perdue qui aura gardé le nom de son rustique ancêtre. Il sera servi dans une porcelaine qui aura tronqué son blanc cassé pour un motif fleuri sur un fond jaune tournesol. C'est beau, élégant même, même si ça manque peut-être de matière au niveau du plat en lui-même.

- C'est bon, mais tu ne crains pas d'avoir faim après ?

- Non, un bon repas c'est un repas où l'on a encore faim en quittant la table. souligne-t-elle avec flegme.

Si j'avais su, je n'aurais pas laissé filer aussi facilement mon saumon.

Le repas se conclut par une promenade digestive passant par le parc Montsouris et sa végétation luxuriante. Leurs pas sous l'ombrage des arbres les conduisent sur un pont qui semble être sorti de terre en l'état. Ses branchages se nouent et forment la barrière à laquelle s'accoudent les amoureux, le nez au vent, ils regardent le Merle noir qui fait son nid. Darshan et Julie eux passent à côté, les laissent à leurs flâneries et s'échangent des regards complices, mais encore peu implicites. Ils s'approchent de chez Julie ; une petite maison beige couverte de lierre aux charmantes petites fenêtres.

Sur le seuil de la demeure, leurs joues se frôlent et se voient adoubées d'un baiser. Les mots et les regards valsent. Il en a été décidé ainsi, dimanche prochain répondait aux convenances de Julie ; Darshan lui présenterait ses peintures ainsi que son appartement. Cette rencontre s’annonçait sous les meilleurs auspices.

Après d'enivrants sourires, Darshan et Julie s'éloignent l'un de l'autre. L'épaisse porte de sa belle se ferme sur son joli minois et Darshan lui vole. Sur son nuage il saute de rêves en projets pour leur avenir. Il flirte avec Julie qu'il visualise dans cet endroit qui deviendra le théâtre du début de leur relation à coup sûr. Mais un nuage vient porter ombrage à cette vision idyllique. Ce théâtre n'est pas, Darshan vit en vagabond et ne sait pas encore ou il va recevoir Julie.

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