Chapitre 2

Sa mère était morte. Devant lui, à l’hôpital, dans une odeur de javel et de maladie, sa mère était morte.

Et il était revenu chez lui, fatigué, à moitié mort, lui aussi. Et le lendemain, déjà, il devrait retourner aux bureaux de « Lamazone Incorporation France » pour recevoir de nouveaux appels de gens souhaitant être remboursés ou de grands-mères souhaitant poser une question sur l'installation d'une box SFR que Lamazone ne vendait même pas, et qu'il devrait rediriger vers le numéro le plus cher, car ils avaient un partenariat avec SFR Appels.

Quel monde injuste. Tandis que certains nageaient dans leur sauna toute la journée !

Mais pourtant, Bartemius n’était pas triste. Car il avait pris une décision. Il savait maintenant quel était son véritable rêve, comment l’accomplir.

Seulement, personne n’apprécierait sa décision. Même si en réalité, accomplir son rêve serait bénéfique pour le monde entier. Mais il ne devait en parler à personne.

Bartemius passa le reste de sa journée à faire des recherches sur son MakBoukère, offert l’an passé par sa mère aujourd’hui défunte. Comment allait-il mener à bien son idée, si motivé qu’il était, puisqu’il n’avait pas l’argent pour ?

La question fut réglée en fin de journée, grâce à un appel inopiné du notaire de sa mère : celle-ci lui laissait quelques vingt mille euros brut (un quart de l'héritage passait dans la vaste poche de l'Etat). Incroyable ! Tout cet argent, c’était une somme incroyable. Et il allait la mettre au profit de tous. Oh, non, il n’allait pas donner un sou à la veuve et à l’orphelin, non, il allait tout garder pour lui et pour son… « idée ». Mais les fruits de cette idée, oui, eux, seraient au profit de tous. 

Et ce ne serait pas rien ! Alors la veuve et l'orphelin, ils n'avaient qu'à attendre leur heure.

*

Le lendemain, Bartemius fut cependant contraint de retourner à son travail si apprécié. Son manager lui hurla dessus : prendre deux jours consécutifs de congés était inadmissible. Irrité, Walker s'exclama :

« Votre vie n’est que cris et considérations sur les jours de congés, mais vous interdiriez à quelqu’un qui travaille dans cette boîte depuis quatre ans de vous crier une fois dessus et de prendre deux jours de congés pour la première fois de sa vie ? »

Le manager ne sut que répondre. Bartemius partit avant que l’autre n’ait pu reprendre ses esprits, encore sonné.

Il déposa sa démission sur le bureau de Mr. Pandolfe, son président-directeur gérénal, devant ce dernier, alors qu’il était en train de fumer un énorme cigare et de lire des revues cochonnes en téléphonant à un numéro inconnu.

Très cher monsieur,

J’ai le bonheur de vous annoncer ma bienheureuse démission. Je tenais seulement à ce que vous sachiez que j’ai toujours trouvé que vous ressembliez à un clodo américain fan de Mac&Donald. Bref, soyons plus clair pour aider votre cerveau de rongeur primitif (qui a dû se fatiguer dès le premier mot de cette lettre - la lecture exclusive de magazines pornographiques forme rarement à la grande littérature, vous avez au moins cette excuse) : vous êtes un gros lard.

Veuillez agréer mes non-salutations non distinguées,

Bien à vous, cordialement et tout ce que vous voulez,

A.H.

C’était la première fois que les deux initiales « A. H. » apparaissaient sur un document. Et ce ne serait sûrement pas la dernière.

Cette lettre peu respectueuse, le PDG la lut en travers. Il ne comprit même pas que les initiales A. H. correspondaient à Bartemius Walker, et crut qu'il s'agissait d'un autre employé. Il se gratta le crâne, dubitatif, jusqu’à ce qu’un manager passe par là. Alors il demanda :

« Qu’est-ce qu’un rongeur primitif ? »

*

Bartemius Walker, de son côté, était déjà loin. À ce moment même, il se trouvait en train de marcher en forêt à la recherche d’une belle plante : l’aconit Napel.

L'Aconit n'est pas une plante à laisser à la portée des enfants et des animaux car c'est une plante toxique. Capuchon-de-moine, casque-de-Jupiter et coqueluchon sont ses surnoms, sans oublier Tue-Loup et bien d’autres. 

Bartemius ne comptait pas utiliser son suc dans l'immédiat, mais il préparait ses arrières. Son téléphone lui faisait goûter aux sonorités de « Marcel Studios: Shang-Sushi Trailer Music (HQ EPIC VERSION) », publié sur YouBuble par Sameul Kin Music, dans des écouteurs sans fils que lui avait acheté sa mère il y avait un an de cela.

Ah ! l’aconit était l’élément parfait pour notre roux préféré. Ce dernier se trouvait donc dans la forêt à chercher cette plante, quand il tomba sur un homme qu’il connaissait bien, un ami de longue date, du nom de Ayoub Monbocu. Un nom plein de magnificence et assurant à ce jeune homme de quarante ans le respect de tous. Sa description physique et vestimentaire pourrait être résumée en un mot : ridicule. Un mètre quatre-vingts, fort peu svelte. Des cheveux peu coiffés et autoproduisant des bouclettes à l’avant, coiffure telle qu’on la qualifiait souvent de « coupe de grand-mère », d'un blond châtain, et des yeux d'un bleu océan glacé. Pour ses vêtements, cela était vraiment indescriptible, inqualifiable. Quoique l’on s’imagine, c’était souvent pire. Un mélange de baroque et de gothique…

Bref, Ayoub Monbocu était un personnage très particulier, de part son nom, très particulier, son physique, très particulier, sans oublier son style vestimentaire, extrêmement particulier.

Quand il vit Bartemius, il lui lança :

« Salut, mon frère, mais comment tu vas ? Tu t’rappelles de moi, au moins ? Ayoub ?

- Monbocu, oui.

- Alors, toujours plongé dans l’écriture de tes… romans ?

- Non ; maintenant, j’ai lancé une nouvelle machine. Elle est en marche, et rien ne pourra l’arrêter. »

L’autre le regarda d’un air étonné. Apparemment, il n’avait pas l’habitude que Bartemius parle d’un air si important et pompeux. Il lui demanda donc des explications.

« Tu verras… Tu en sauras très vite davantage. En tout cas, si tu trouves une plante avec des fleurs violettes, mets des gants, cueilles-en la plus grande quantité possible, et apporte-moi le tout !

- Pourquoi tu cherches ça ? »

Bartemius soupira. Mais qu’est-ce qu’il était collant, cet idiot. Pour régler le problème, il répondit simplement  :

« Bon, tu veux venir manger chez moi la semaine prochaine ? Dimanche midi, ça te convient ? »

L’autre acquiesça et Walker l’abandonna rapidement après l'avoir salué. Car il avait à faire. Expériences, tests… Il voulait arriver le plus vite possible au résultat final.

Et ce résultat, il l’obtint plus vite qu’il ne pensait.

Après avoir ponctionné quelques plants, parmi ceux qu'il recherchait sur la berge du torrent, il cuisina la mixture qu’il souhaitait, et l’enferma dans une bouteille en métal. Puis il prit un grand sac dans lequel il enferma cette gourde métallique. Pour finir, il enferma tout ce beau ménage au fin fond de son armoire.

Ensuite, il se rendit sur ce genre de site où les chasseurs achetaient leurs armes sans même avoir besoin de montrer une photo de leur permis. « Merci à ces sites qui permettent à des tarés d’acheter des armes, vous allez enfin servir à l’Humanité ! », pensa Bartemius en souriant devant son Mak. Puis il acheta un « Fusil à pompe Taurus ST12 Tactical - Cal. 12/76 », livré sous vingt-quatre heures. Bartemius se lança alors dans une réflexion sur la façon de procéder, qui s'éternisa plusieurs heures.

Deux jours plus tard, vint l'heure, selon Bartemius, de se mettre à la tâche.

Et c'est à cinq heures du matin que Bartemius Walker quitta son domicile, fusil à pompe encore empaqueté en main, avec la ferme intention de tuer son voisin.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Vous lisez