Chapitre 17 : Cru

Par Kieren

Une idée me taraudait depuis déjà quelques temps. « Gamine. Que tu manges des serpents, c'est une chose, mais pourquoi les manges-tu crus ? »

Elle réfléchit quelques secondes et me répondit :

« Ça prend trop de temps à cuire. Manger cru c'est plus rapide. »

« Sans doute, mais c'est moins digeste et ce n'est pas aussi nutritif qu'un bon repas chaud. »

« Quelle importance ? » me dit-elle sur un ton dédaigneux.

« La différence Gamine, c'est que ton frère ne serait pas malade à crever si tu lui avais fait des repas convenables. Comment pouvais-tu croire qu'un gamin de trois ans... »

« Cinq ans. »

« ...Cinq ans ?... Comment pouvais- tu croire qu'un gamin de cinq ans allait survivre avec un régime alimentaire que même une chèvre ne digérerait pas ? Tu as cru que sa taille de crevette était là par hasard ? »

Elle finit par fixer le sol, honteuse, et sortit d'une petite voix : « J'ai bien réussi à survivre moi... »

« Tu avais une intoxication alimentaire quand je t'ai récupérée » lui fis-je remarquer.

« C'est normal. On ne connaît pas bien cette région, ni les baies qui poussent par ici. Il fallait bien que je trouve quelque chose ! »

Cela éveilla ma curiosité : « Vous n'êtes pas d'ici ? D'où venez-vous en fait ? »

 

Il y eut un blanc. La Gamine détourna le regard vers son frère.

« On vient d'autre part. Je ne me souviens plus dans quelle direction nous sommes partis mais on a dû le faire précipitamment. »

Elle fuyait mon regard, elle savait très bien d'où est ce qu'ils venaient. Mais je n'en aurais rien tiré de plus. Et je n'étais pas bien pressé, ni très intéressé. Parfois il y a de bonnes raisons pour fuir son passé. Elle ne me questionnait pas. Je ne la questionnais pas.

 

« Alors, Vieux Gamin, qu'est-ce que je devrais apprendre à faire ? À manger je veux dire. »

J'aime bien ce surnom.

« Tu pourrais apprendre à préparer les poissons, enfin, si tu arrives à les attraper. »

« Je les prends à la main quand ils sont coincés dans des flaques. »

« Il faudra que je t'apprenne à pêcher aussi. »

Ma chienne opina du museau.

« ...Quand mon frère ira mieux alors... »

« Quand ton frère ira mieux. Mais rien ne t’empêche d'apprendre à les cuisiner entre temps. » Je me levai de mon fauteuil, et me dirigeai vers la sortie. « Je pars en dégoter quelques-uns à la rivière. Que le feu soit prêt à mon retour. »

« ...Très bien. »

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Zoju
Posté le 13/06/2020
Salut ! J'aime toujours autant ce côté un peu décalé dans ton histoire. Gamine commence un peu à accepter la compagnie de Vieux gamin (Puisqu'il aime bien ce surnom). Ton histoire raconte des éléments assez sombre et pourtant les passages que tu écris sont souvent très drôle. Tu arrives à bien équilibrer les deux. En tout cas, je trouve que tes deux personnages se ressemblent pas mal dans leur manière d'être. Curieuse de connaitre la suite !
Kieren
Posté le 13/06/2020
Je travaille dans la médecine. Malheureusement je côtoie très souvent la mort, la maladie et le désespoir. Mais j'entends souvent des rires sortirent de la bouche de ceux qui nous font pitié, de ceux que l'on plaint. J'ai appris que cette tristesse que l'on ressent face à eux vient de notre peur face à ces événements, et face aux passés des âmes blessées.

Comment réagir face à cela ? Par le rejet ? L'indifférence ? Le reproche et la haine ?... La pitié ? Par cet espèce de réconfort inversé qui ressemble à celui que l'on a pour les SDF ? Je te donne de mon temps, cela te rend heureux ? C'est bien, comme ça je me glorifie moi même. Je suis une bonne personne.

Ce n'est pas simple de vivre en parfaite honnêteté avec les autres et avec soi. On se connaît très peu au final.

Mes deux personnages ont cela pour eux : ils savent ce qu'ils sont.
Zoju
Posté le 14/06/2020
C'est très juste ce que tu dis et ça fait réfléchir. Souvent, on se demande comment réagir.
Kieren
Posté le 14/06/2020
Notre société ne nous met pas très à l'aise face à cela, et on en parle peu ou pas. C'est un tabou et c'est désagréable, alors que c'est quelque chose qui existe. Les gens portent des œillères et appellent ça la décence. Ou alors c'est moi qui ait un seuil de résistance au delà de la moyenne... Au final je ne sais pas.

Mieux vaut en parler, avoir un nom sur l'inconnu ne le rend plus si effrayant que cela.
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