Chapitre 15 | Connor Wright

Par Loyt

Assommé par les histoires du professeur de chimie, je lutte pour ne pas fermer l'œil. La nuit a été courte, bien plus que je ne l'aurais imaginé. Chaque à-coup de stylo sur ma feuille élargit la tache d'encre sur mes quelques notes. Des chuchotements par-ci par-là du terrain de hockey. Plus de deux-cents pages de conversations privées auraient été accrochées. Distraitement, je lance un œil vers le bureau de Cheryl, vide depuis deux jours.

« Cela te dirait de te joindre à nous ? »

Le visage d'Olivia, marqué par le manque de sommeil, resurgit en plein milieu de mon esprit. Adan a fini par me céder son numéro de téléphone. Il est évident que cette blonde aux allures nonchalantes tire les ficelles du Vortex. C'est elle qui s'aventure en pleine nuit pour commettre les sévices du clan, les autres ne font qu'obéir. Quand j'ai eu vent de cette nuit, je me suis rendu sur le campus avec la ferme intention de la coincer, de la prendre en photo en flagrant délit de harcèlement et je l'aurais balancée sur le réseau.

En tournant légèrement ma nuque pour la craquer, je croise le regard de Adan, à l'affut de mes moindres faits et gestes. Au final, mon désir de me venger de ces foutues pom-pom girls m'ont empêché de mettre mon plan en exécution.

— Avant de clôturer cette leçon, j'aimerais, au nom de l'établissement, vous adresser quelques mots au sujet de votre camarade Kelly.

Le professeur s'est interrompu de longues secondes pour s'assurer qu'il captait toute notre attention. Rien que le fait d'aborder son nom a suffi à nous ramener sur terre.

— Nous ne tolérons pas l'acharnement envers les élèves et nous espérons que ceux qui se sont rendus coupables de cet acte de vandalisme se dénonceront au plus vite.

Je tique et élargis la tache d'encre. Je ne me souviens pas d'un tel discours lorsque le casier de Cheryl a été recouvert de tags accusateurs. Pourquoi Kelly ?

— Nous comptons sur vous pour vous comporter comme des adultes. Sommes-nous d'accord ?

Peu sont ceux qui répondent, je n'en fais pas partie. Mes yeux roulent vers le plafond, mais je doute que le professeur l'ait remarqué. La sonnerie coupe son discours, il ne m'en faut pas plus pour bourrer mon sac et de filer en coup de vent dans le couloir, talonné par Adan.

— Je peux t'aider ? lancé-je, un poil agacé.

Il manque de poser sa main sur mon épaule, mais se retire quand je secoue la tête.

— Viens, on sèche le prochain jour, je vais tout t'expliquer.

Rien de nouveau sous le soleil, c'est ce qu'il s'évertuait de faire en m'appelant sur mon téléphone portable la veille. Sûrement s'est-il retenu de m'envoyer son récit par message, de peur que je ne balance tout ?

Et il a raison, c'est ce que j'aurais fait.

— Je décline, mes notes sont en baisse pour le moment.

— Allez, je te filerai un coup de main.

— Le même que tu as filé à Cheryl ? rétorqué-je, mes ongles enfoncés dans la sangle de mon sac. Je passe mon tour.

Un attroupement se forme autour du casier de Kelly, à l'endroit même où Olivia prenait des photos la veille. Mon imagination redessine son spectre, satisfait, au beau milieu des étudiants occupés à commenter les tags.

— Il paraît que vous vous êtes bien amusés, ajoute Adan.

D'ici, nous pouvons aisément lire les inscriptions « Ciao salope », « Achète-toi une race » ou encore « Justice pour Cheryl ». Je descends mon regard vers mes propres mains, qui ont tracé ces derniers mots avec une joie non contenue.

— Disons que c'était moins frustrant que les punitions de Foaster.

Un surveillant surgit pour dissiper la foule, Adan profite de l'effervescence pour m'orienter vers le parking extérieur. Il pousse la porte, inondant le couloir de lumière blanche. Le froid me pique la peau, j'enfonce mes mains dans les poches de mon blouson pour me parer. Lorsqu'un claquement s'élève dans mon dos, je me demande pourquoi je me suis laissé entrainer ici.

— Écoute-moi, juste une fois.

La poigne d'Adan maintient toujours mon épaule, je me défais de son emprise et l'invite à poursuivre d'un signe de tête. Il lance des regards aux alentours pour s'assurer que personne ne nous épie.

— Je fais partie du Vortex.

Je roule des yeux vers le ciel, blanc à s'en déchirer la rétine.

— Sans blague, et moi j'étais attaquant pour l'équipe des Renards de Feu. Tu comptes me dire quelque chose que j'ignore ou on continue à se balancer des évidences ?

Mon agacement lui provoque un râle non dissimilé.

— Je te laisserai me poser toutes les questions que tu voudras. Il faut juste que tu saches que le Vortex n'est pas aussi mauvais que tu le penses.

Cheryl me revient immédiatement en mémoire, mes lèvres brûlent, mais les yeux perçants d'Adan m'en dissuadent. Du moins, pour le moment.

— Le but du groupe est de rendre justice à ceux qui n'y ont pas le droit et qui ne peuvent pas le faire eux-mêmes.

— En les vengeant à l'aide de conneries dans le genre ? craché-je en désignant une poubelle remplie des papiers accrochés dans la salle d'entrainement. Tu trouves que c'est leur rendre justice ?

— Il faut frapper fort.

— Vous créez plus de chaos qu'autre chose.

Comment a-t-il pu se persuader qu'une telle justice pouvait exister ? J'ai envie de rentrer. Avec un peu de chance, je peux encore rejoindre le cours d'histoire sans me prendre un blâme.

— Au moins, on ne reste pas les bras croisés.

Je me fige, son discours ressemble à celui de Olivia. Elle lui a retourné le cerveau.

— Tu as bien dit que je pouvais te poser des questions ?

Adan écarte les bras, les paumes pointées vers le ciel, innocent.

— Tout ce que tu veux. Tout ce qui te prouvera qu'on n'est pas les personnes cruelles que tu imagines.

C'est mal parti, mais je me réserve bien de le lui faire savoir.

— Combien êtes-vous ?

Il se pose et dévie son attention vers les voitures.

— Qu'est-ce que ça peut faire ?

Je lève un sourcil, il s'empresse de se corriger :

— J'ai déjà abordé plusieurs fois l'idée de recruter ceux que nous aidions.

Raison pour laquelle il m'a proposé de les rejoindre dès que j'ai appris pour son petit manège.

— Qui choisit les victimes ?

Ses bras se crispent quand j'emploie le terme de « victimes ». Brice, Eve, Cheryl, dans mon esprit et dans mon cœur, ils seront toujours les victimes de leur machination délirante. Tandis qu'un feu se déclare au creux de mon ventre, je regrette de ne pas enregistrer cette conversation.

— Nous tous. On se concerte avant de confectionner un plan de vengeance. Mais on préfère le terme « affaire ».

— Cheryl n'était donc qu'une affaire ?

Mon ton est plus cinglant que je ne l'imaginais. Ma rancœur s'échappe de mes cordes vocales sans que je puisse la contrôler. Puis, pourquoi la contenir après tout ce qu'elle a dû subir ?

— On n'a pas touché à Cheryl, affirme-t-il avec fermeté.

Mais il est déjà coupable à mes yeux, coupable de ne pas avoir protégé celle que je chéris le plus. J'aurais préféré être à sa place.

— Co », regarde-moi, je n'aurais jamais permis une chose pareille.

La facilité avec laquelle il aligne ses mensonges est déconcertante. L'espace d'une seconde, je suis prêt à le concevoir. Peut-être qu'il ne s'agit pas de lui, je vois parfaitement bien les deux filles trafiquer dans son dos.

— Et qui collecte les lettres ?

— Tous, chacun à notre tour pour éviter d'éveiller les soupçons. Si tu nous rejoins, je pourrai te montrer tout ce qu'on fait, dans les moindres détails.

J'en ai déjà eu un avant-goût cette nuit. D'ailleurs, je me sens brusquement plus réveillé.

— Connor, j'ai détruit les lettres qui ciblaient Cheryl, je n'aurai pas accepté qu'on s'en prenne à elle ni à toi.

Il répète inlassablement les mêmes promesses, mais le résultat est là : Cheryl a disparu.

— Je vais demander à Mei de faire des recherches sur elle, on peut t'aider à la retrouver.

— Si je me joins à vous, c'est ça ?

Adan écarquille les yeux, comme s'il n'y avait pas songé plus tôt.

— Je peux convaincre Olivia de ta bonne foi, mais cela pencherait la balance en ta faveur si tu acceptais de nous rejoindre.

Un rictus se dessine au coin de mes lèvres, je souffle du nez en comprenant que j'avais raison sur ce point : cette fille le mène à la baguette. Néanmoins, il me semble sincère. Je ne cautionne pas leur manière d'agir, mais seul, je ne parviendrai à rien. Si je dois devenir le meilleur ami de cette Olivia pour retrouver ma bien-aimée, alors je pourrai faire un effort.

— Dis à Olivia que j'accepte sa proposition et que ce sera un plaisir d'accrocher d'autres tracts infâmes à ses côtés.

 

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