Chapitre 13

Notes de l’auteur : Bonne année à tous ! Cela aura pris un peu plus longtemps que je l'avais prévu, mais les parutions bimensuelles de Symbiose reprennent aujourd'hui. Rendez-vous le 1er et le 15 de chaque mois !

Résumé des chapitres précédents :
Le peuple de l'hôte est divisé en 4 castes biologiques : prêtres, cultivateurs, fondamentaux et chasseurs. La vie d'Imes bascule lorsqu'il découvre que son père Sidon lui a menti toute sa vie. Imes n'est pas né fondamental, mais chasseur. Malgré le rejet de son village, il entend intégrer sa véritable caste. Il veut prendre sa place dans le grand vide, où il pourra protéger l'hôte et chasser les charognards qui le menacent. Dans sa quête, il peut compter sur l'aide de son chucret Pan, de sa meilleure amie Kriis, de sa mère Cléodine, et de Jebellan, un chasseur qui le fascine.

Le silence du grand vide était absolu. Imes n’entendait que les battements de son cœur dans sa poitrine et le chuintement de sa respiration.

Comme à chaque sortie, ses autres sens s’étaient faits plus aigus en compensation. Il percevait avec une intensité nouvelle la solidité de l’armure de cuir qui l’enserrait du cou jusqu’aux pieds et la douceur de la fourrure de Pan posé sur sa tête.

Leur chariot fendait le grand vide avec rapidité. Le grain de la peau de l’hôte défilait à quelques encablures sous leurs pieds. L’épiderme du géant commençait à se froncer en profonds replis, signe qu’ils approchaient de la zone ventrale.

Plus haut, tes yeux.

Imes se remit docilement à scruter les couleurs splendides du grand vide, à la recherche de l’éclat rouge d’un charognard. Jebellan était un professeur exigeant. Il ne tolérait pas les baisses de vigilance.

Non pas que Cléodine fût beaucoup plus permissive. Aussi affectueuse fût-elle dans leur vie quotidienne, elle n’avait aucune pitié sur le terrain. À la moindre erreur, elle faisait répéter à Imes l’exercice entier. Il avait si souvent repris ses séquences de mouvements ces deux dernières quinzaines qu’il aurait pu les exécuter dans son sommeil. Cela lui arrivait d’ailleurs parfois en rêve.

Quoi, tu en as marre ? le défia Jebellan.

Imes soupira contre la queue de Pan. Il n’avait rien dit.

Marre que tu essaies sans cesse de me faire sortir de mes gonds ? Assez, oui.

Cléodine lui manquait. C’était elle qui se chargeait de ses exercices de mobilité, d’ordinaire, mais la zone ventrale était trop éloignée du sas pour qu’un novice s’y rende avec une retraitée pour seule protection. Il en était réduit à partager le chariot avec Jebellan, leurs mains à peine séparées par quelques centimètres sur le garde-fou. Il avait bien demandé à ce que Jebellan lui apprenne à conduire l’engin, histoire de pouvoir penser à autre chose pendant le long trajet, mais Jebellan avait repoussé cela à plus tard. C’était donc à Imes de faire le guet. Au moins, la vue valait le détour. Dans cette direction, il y avait des nuages de gaz qu’il n’avait encore jamais vus.

Oh, on se rebelle ?

Imes fronça les sourcils et ne répondit rien.

Il commençait à se fatiguer de l’attitude constamment belliqueuse de Jebellan à son égard. Il l’avait assez souvent vu discuter avec les autres résidents du dortoir pour savoir qu’il était parfaitement capable de se montrer courtois, mais il s’en donnait peu la peine avec Imes. Il commençait à craindre que ce soit une conséquence de la rancune que Jebellan gardait envers Laomeht. Ce ne serait pas le seul domaine de sa vie où Imes continuerait à subir le contrecoup des décisions de son frère. Pour autant, le souvenir de cette soirée où Jebellan s’était interposé entre eux l’empêchait de complètement accepter cette hypothèse.

Cela pouvait venir d’autre chose, après tout. La position d’Imes parmi les chasseurs était bâtarde. En tant que novice, il aurait dû témoigner le plus grand respect à ses aînés, mais il était déjà adulte. Il avait passé l’âge des « oui professeur, merci professeur ». Cléodine n’était pas un problème ; il lui était naturel de s’en remettre à sa mère. Jebellan n’avait pas cet honneur, et Imes arrivait rarement à retenir une remarque acerbe lorsqu’il était fatigué et frustré par son énième échec à maîtriser un mouvement d’épée.

C’était sans doute leur faute à tous les deux. Ce qui ne rendait pas la proposition de partenariat de Jebellan particulièrement attrayante.

Imes n’avait pas encore pris sa décision, mais le jour approchait où il serait au pied du mur. L’impatience de Jebellan grandissait à vue d’œil. On n’avait pas encore trouvé de remplaçant à Viviabel, mais il était clair qu’il quitterait bientôt Port Ouest.

On arrive.

Le chariot ralentit et inclina sa course vers l’hôte. Où que le regard porte, il n’y avait plus que de profonds sillons séparés par des bandes de peau pâle larges de plusieurs kilomètres. Ils s’enfoncèrent lentement dans l’un des canyons. La luminosité ambiante du grand vide diminua, mais les yeux d’Imes s’habituèrent vite à l’obscurité.

Ils descendirent jusqu’à atteindre une grande marque sombre sur la paroi. Imes se détacha du chariot pour aller l’examiner de plus près. Avec révérence, il effleura la cicatrice de sa main gantée.

Les nécroses arrivaient fréquemment sur le ventre de l’hôte. Le sang peinait à irriguer chaque recoin des sillons correctement. Les charognards les plus futés venaient souvent par ici, à l’affût des premiers signes qui leur permettraient de se goinfrer de chair sans être brûlés par le sang corrosif. Les chasseurs devaient donc être capables de naviguer facilement sur ce terrain.

Tu as compris le principe, dit Jebellan. Je remonte et je t’ouvre le chemin avec le chariot. Tu me suis à cette profondeur. Quand tu me perds de vue, tu as perdu. Et autant te dire que je ne vais pas ralentir.

Bien compris.

Si je repère un charognard, tu te planques et tu me laisses m’en occuper. Cléodine a beau t’estimer prêt pour ton premier test de manœuvrabilité grandeur nature, à l’épée, c’est pas encore ça.

Imes hocha la tête, résigné. Il était conscient du problème. Jebellan activa les propulseurs du chariot et commença à s’élever.

Tau est ouvert aux communications passives, ajouta-t-il tardivement. Ne te plante pas trop vite, tes amis du hangar te regardent.

Une bouffée d’exaspération envahit Imes. Ç’aurait sans doute été trop demandé qu’il le prévienne plus tôt, ou mieux encore, qu’il s’abstienne.

Il ferma les yeux pour reprendre son calme. Objectivement, il comprenait la logique de Jebellan. Quelques-uns des chasseurs de Port Ouest étaient sans doute aussi connectés. Il fallait bien qu’ils le voient à l’œuvre si Imes voulait qu’ils aient un jour confiance en ses capacités.

Il ne pouvait pas se laisser aller au trac. Être observé pendant les chasses était leur lot. Autant qu’il s’y habitue dès à présent avec un petit groupe de spectateurs qu’il connaissait.

Pour se détendre, il fit quelques exercices rapides. Il roula des poignets et des chevilles, échauffant ses articulations et testant la sensibilité des mécanismes de ses propulseurs. Il tourna sur lui-même une fois, deux fois, fit un salto. Il se sentit tout de suite plus sûr de lui. Le grand vide n’avait rien à voir avec l’étang du croissant. Il ne s’était jamais senti plus libre et plus gracieux qu’ici. Son corps était fait pour l’absence de gravité.

Le chariot atteignit le sommet du sillon et prit encore de la hauteur, ouvrant le champ de vision de Jebellan.

On est partis.

L’engin s’élança, laissant dans son sillage une traînée de gaz presque invisible. Imes allongea sa silhouette et ouvrit tous ses propulseurs. L’accélération soudaine lui secoua les os. La paroi se mit à défiler à grande vitesse. Pan vibra de bonheur parmi ses cheveux.

Le sillon était un interminable ravin. En le remontant assez loin, on pouvait atteindre Port Chasse, le tout premier port du flanc ouest, et même l’œil de l’hôte. De loin, le passage semblait rectiligne, mais les impressions étaient trompeuses. À l’échelle d’une personne, il serpentait dans l’obscurité, chaque virage cachant le prochain. Le trajet n’avait rien de facile quand on ne connaissait pas le terrain, mais c’était là le but de l’exercice. Il était impossible de visiter l’hôte tout entier. Imes aurait souvent besoin d’intervenir dans des lieux inconnus.

Il roula sur le flanc, arqua le dos et écarta les mains de son corps pour négocier une courbe. Les propulseurs à ses pieds s’étaient tus. Il n’y avait presque aucune friction pour ralentir sa vitesse initiale dans le grand vide, et il fallait songer à ménager les réservoirs d’air comprimé. Leur contenu n’était pas infini. Une fois vides, un chasseur avait vite fait de se retrouver coincé au milieu du néant sans aucun moyen de se déplacer.

Il vérifia la position du chariot au-dessus de sa tête. Il commençait à prendre du retard. Il accéléra un peu tout en s’engageant dans le prochain virage.

Un mur se dressa soudain devant lui. Imes se contracta violemment, pointa paumes et pieds vers la paroi. Les propulseurs le projetèrent dans l’autre direction. Il tournoya follement, le souffle coupé.

Lorsqu’il reprit le contrôle de sa trajectoire et quitta le double virage, il ne voyait presque plus le chariot. Imes serra les dents. Un nouveau tournant approchait.

Accélérer ? Renoncer ?

Il accéléra.

Encore un virage en zigzag. Droit devant lui, le mur. Le cœur d’Imes donna un grand coup dans sa poitrine.

À nouveau, il plia son corps en deux. À nouveau, il partit en tire-bouchon. À nouveau, il perdit de la vitesse.

Imes secoua la tête pour chasser les étincelles devant ses yeux. Il haletait contre la queue de Pan. Le chucret ne bougeait plus, tout entier crispé sur sa tête. Il n’avait pas frémi, ni pendant la première ni pendant la seconde de ces quasi-collisions. Là-haut, le chariot n’était plus qu’un point à peine observable, seulement visible parce que le sillon venait de s’ouvrir sur une longue ligne droite.

Imes accéléra.

Oh, pas au-delà du raisonnable. Il fallait utiliser les propulseurs de manière souple si on voulait économiser leurs réserves. Alors il allongea sa silhouette et accéléra lentement, lentement, jusqu’à atteindre une vitesse plus grande qu’il ne l’avait osé jusque-là.

Il fila le long de la grande courbe suivante comme un poisson dans un torrent.

On arrête quand tu veux, lui rappela Jebellan.

Imes ne répondit pas. Nouveau virage. Il cessa son accélération. Arqua son dos, leva les mains vers la paroi. Frôla le mur extérieur, plongea dans la ligne droite suivante.

Il avait cessé de lever les yeux vers le chariot. Il était une rivière défilant dans son lit. Il était les courants et l’eau vive.

Et puis, une troisième fois : au détour d’un coude, un mur. Imes ramena à nouveau tous ses membres devant lui. Mais cette fois, il inclina bras et jambes en biais par rapport à la paroi. Il frôla la peau de l’hôte de si près qu’elle se rua vers son visage. Il tourna la tête pour ne pas blesser Pan, sentit son oreille râper contre la surface rugueuse.

Pas de perte de contrôle, cette fois, ni de perte de vitesse. Il en conçut une satisfaction lointaine, l’esprit déjà tendu vers les prochains obstacles.

Il y eut un juron dans sa tête.

D’accord, c’est bon.

Puis, comme il ne réagissait pas :

Imes ! Remonte, tête de loron !

Imes cilla. Il reprit conscience de son corps. L’adrénaline faisait battre sa chair comme un tambour. Son oreille le brûlait. Le chariot était juste au-dessus de lui.

Il courba le dos et incurva sa trajectoire vers les espaces infinis du grand vide. Il dut lever les mains au-dessus de sa tête pour décélérer, et il fut surpris du temps que cela lui prit.

Quoi ? demanda-t-il quand il eut rejoint le chariot immobile. Charognard ?

C’est toi, le charognard, s’énerva Jebellan.

C’était dit avec tant d’immaturité qu’Imes le fixa, peu impressionné. Jebellan tendit le bras. Imes amorça un mouvement de recul, mais Jebellan l’attrapa et le tira vers le véhicule. Imes saisit docilement le garde-fou.

Il eut la surprise de voir Jebellan déboucler et retirer son gant. Il toucha de sa main nue l’oreille d’Imes.

Aïe, protesta Imes en s’écartant.

Tu m’étonnes, « aïe » !

Jebellan brandit sa main sous son nez. Imes fut surpris de voir du sang sur ses doigts. Il tourna la tête. Des gouttes écarlates parfaitement sphériques s’éloignaient paresseusement de lui.

Jebellan tira un pansement du petit coffre harnaché à la base du chariot. Il s’appliqua à le poser d’une seule main, râlant tout du long. Imes le retint par la ceinture quand il commença à dériver. Tau cligna ses grands yeux placides dans sa direction.

Imes supporta ce traitement avec plus ou moins de patience. Jebellan en faisait trois fois trop. Certes, les blessures avaient du mal à coaguler dans le grand vide, et il valait mieux s’en occuper sans attendre de rentrer au sas. Mais ce n’était guère qu’une éraflure.

Pourquoi es-tu en colère, au juste ? s’informa-t-il poliment.

Jebellan se tut. Il termina sa tâche. Pan remua, ajustant sa position pour couvrir le pansement. Jebellan renfila son gant avec précaution, pour ne pas se brûler sur le sang d’hôte. Imes le laissa le disséquer du regard.

Pourquoi tu ne t’es pas arrêté ?

Quand ça ? demanda Imes.

Il ne se souvenait pas d’un moment où il avait pensé que continuer le mettrait en danger. Le pire qu’il avait risqué dans ces premiers virages difficiles avait été quelques entorses, peut-être un os brisé s’il jouait de malchance. La dernière manœuvre avait certes été dangereuse, mais il était sûr de pouvoir la maîtriser. On ne pouvait pas être chasseur si on avait peur de se blesser.

Jebellan grogna de dépit. Il prit appui des deux pieds sur la poitrine d’Imes. Imes lâcha sa ceinture et le laissa effectuer un lent saut périlleux.

Je suis la dernière personne qui puisse sermonner un jeune imbécile téméraire, se lamenta Jebellan. Ouvre tes communications à Cléodine.

Imes étrécit les yeux. Qu’y avait-il à sermonner ? Il pensait avoir agi correctement. Malgré tout, il manquait d’enthousiasme à l’idée de se soumettre à une critique en règle.

Je la verrai bien assez tôt, déclina-t-il.

Jebellan ricana, pas dupe.

Sérieusement, pourquoi avoir accéléré autant ?

Je ne pensais pas aller si vite, avoua-t-il. J’ai agi comme ça me semblait naturel.

Comme ça te semblait naturel.

Jebellan l’examinait à nouveau. Imes commençait à s’habituer à ce regard d’aigle.

On recommence en sens inverse ? s’enquit-il quand le silence s’éternisa.

C’était la procédure habituelle pour ce genre d’entraînement. Il n’y avait guère d’intérêt à faire tout ce trajet pour une seule session quand ils pouvaient juste faire une pause et réessayer sur un second sillon. Aussi fut-il surpris par la réponse de Jebellan.

Pfff, non. Pour quoi faire ? C’est le pire exercice pour un idiot de ta trempe. Tu as besoin d’apprendre tes limites, pas de chercher à les dépasser.

Imes cilla, pas certain de comprendre. Il avait tant exagéré que ça ?

Zeli doit être furieuse, ajouta Jebellan à brûle-pourpoint. Mille jours qu’elle s’entraîne et tu bouges mieux qu’elle au bout de deux quinzaines.

Une bouffée de plaisir embarrassé monta en Imes. Ce n’était pas souvent que Jebellan avait quelque chose de positif à dire sur ses capacités de chasseur.

Il aperçut quelque chose du coin de l’œil.

Charognards, dit-il.

Jebellan fit volte-face d’une brusque torsion des hanches. Ils observèrent dans un silence grave le groupe de petits points rouges incandescents dans le lointain. Ils vagabondaient le long des sillons, à la recherche d’une faiblesse qu’ils ne trouvaient pas. Viviabel aurait prévenu tous les chasseurs du port si une zone nécrosée s’était ouverte.

Pour autant, Jebellan se serait sans doute jeté sur eux s’il avait eu un équipier digne de ce nom. Lorsqu’il se détourna, Imes ressentit sa frustration comme si c’était la sienne.

Filons d’ici avant qu’ils nous repèrent. Amène-toi. Je vais t’apprendre à conduire.

L’humeur d’Imes s’éclaira quelque peu. Il fit pivoter sa prise sur le garde-fou pour décrire un arc gracieux vers l’intérieur du véhicule.

La structure d’un chariot était simple : un fond plat dont s’élevait un parapet en forme d’arc de cercle. À cette ossature étaient accrochés un grand propulseur pour la vitesse ainsi que plusieurs petits directionnels. Les chasseurs ne touchaient généralement que le garde-fou, leurs corps flottant horizontalement derrière eux. Ils auraient de toute façon été bien en peine de poser les pieds sur le plancher, tant il était encombré d’équipement divers : bonbonnes pour les propulseurs, trousse de premiers secours, rations d’urgence, seaux de sang d’hôte, épées et propulseurs de rechange.

Le trajet de retour donna raison à la théorie de début d’expédition d’Imes. Il était bien trop occupé à maîtriser les commandes capricieuses de l’engin pour prêter beaucoup d’attention à Jebellan, qui ne cessait de se retourner pour vérifier que les charognards ne les suivaient pas. Sauf lorsque Jebellan s’emparait d’autorité de la main d’Imes pour en modifier la position.

Là, j’ai dit.

Imes siffla contre la queue de Pan et se dégagea. Le nez du chariot dévia jusqu’à pointer vers l’Œil Écarlate.

Au moins, tu n’es pas un petit génie dans tous les domaines, se moqua Jebellan tandis qu’il se battait pour les ramener dans le droit chemin.

Imes ne se déplaçait pas dans le grand vide au génie, mais à l’instinct. Or il n’y avait rien d’instinctif à guider ce tas de ferraille, à plus forte raison quand Jebellan lui rappelait que seuls quelques centimètres séparaient leurs corps. Dire qu’il pensait avoir survécu au pire quand il avait dépassé le stade de son apprentissage où Jebellan devait sans cesse le toucher pour reprendre sa posture à l’épée…

Jebellan entrechoqua leurs épaules. Les pieds d’Imes dérivèrent mollement hors de l’alignement du chariot.

Rien à répondre ?

Imes raffermit sa prise sur le garde-fou et fit pivoter ses poignets jusqu’à lui rendre son coup. Il ignora l’éclair de chaleur qui le parcourut de la tête aux pieds lorsque leurs hanches entrèrent en contact.

Plus haut, tes yeux, dit-il.

Jebellan fut secoué par un grand rire silencieux. Du feu liquide se logea dans les entrailles d’Imes.

Le souvenir que tout le hangar les observait l’aida à reprendre le contrôle. Kriis aurait bien des choses à lui dire quand ils rentreraient, songea-t-il non sans une certaine fatalité.

Lorsqu’ils arrivèrent enfin en vue du sas, Imes se sentait relativement en confiance aux commandes. C’est donc bien sûr cet instant que Jebellan choisit pour bondir du chariot.

Imes immobilisa l’engin et pivota pour le suivre du regard. Jebellan avait dégainé son épée. Avait-il vu un charognard ?

Mais non. Le chasseur décrivit une gracieuse pirouette et fonça sur le chariot, lame brandie.

Le sang d’Imes ne fit qu’un tour dans ses veines. Par automatisme, il voulut poser les pieds sur le plancher du véhicule pour sauter. Il se rappela juste à temps que s’il l’utilisait comme point d’appui en gravité zéro, il ne ferait qu’éloigner le chariot de leur position. Il déclencha ses propulseurs et esquiva l’attaque d’un cheveu.

Mauvais réflexe, commenta Jebellan. Ça t’a pris une seconde de trop.

Imes voulut répliquer qu’il ne s’était pas attendu à se faire agresser de but en blanc, mais il se retint. C’était précisément l’objectif de l’exercice. Les charognards étaient rapides et ne se trouvaient pas toujours là où on les attendait.

Jebellan était impitoyable de lui imposer ça à la fin d’une journée déjà bien remplie, mais son attitude n’avait rien de nouveau. Imes se maudit de l’avoir ignoré pendant la majorité du trajet de retour. Peut-être lui aurait-il épargné l’épreuve s’il n’avait pas été assommé d’ennui.

Imes se contorsionna pour éviter un autre coup d’estoc. Il s’éloigna d’une poussée. Jebellan le suivit, le harcelant d’attaques. Imes détacha de sa ceinture le fourreau de son épée et utilisa la lame couverte pour dévier un autre coup.

Ordinairement, ils s’entraînaient avec des épées émoussées, mais il avait été équipé d’une arme ordinaire pour le voyage jusqu’à la zone ventrale. Il ignorait si Jebellan avait stocké une épée d’entraînement sur le chariot à son insu ou s’il l’attaquait avec une lame normale, et il n’était pas sûr de vouloir le savoir.

Profitant d’une ouverture, il projeta la pointe du fourreau vers la poitrine de Jebellan. Le chasseur l’évita avec grâce.

Pas mal, dit-il quand même.

Un charognard n’était pas aussi manœuvrable latéralement que Jebellan. L’entraînement contre une personne avait ses limites.

Tu visais quoi, là ? insista malgré tout Jebellan, sans interrompre sa tentative de découper le bras d’Imes.

La gueule.

Et sinon ?

La base du cou si on peut les surprendre par derrière. L’œil en dernier recours, récita-t-il.

Et toujours des coups d’estoc, car l’exosquelette d’un charognard était difficile à percer.

Sauf quand on s’appelait Jebellan et qu’on était capable de découper un charognard dans le sens de la longueur.

Jebellan ne répondit pas, ce qui valait approbation. Imes se déporta pour esquiver un nouvel assaut.

Avec un dernier soubresaut, le propulseur de sa cheville gauche s’éteignit soudain.

Horrifié, Imes pivota maladroitement. Il n’évita le fil de la lame que d’un cheveu. Il donna une poussée désespérée du pied droit pour gagner un peu d’espace. Comme il s’y était attendu, le second propulseur ne tarda pas à son tour à rendre l’âme.

Il avait épuisé ses bonbonnes d’air comprimé dans le sillon ventral.

Imes réfléchit à toute vitesse. Il lui restait les propulseurs des poignets, qu’il avait moins sollicités en s’en servant uniquement pour changer de direction. Mais il ne pouvait pas manœuvrer avec les mains tout en maniant l’épée. Or il n’avait pas le temps de rengainer. Jebellan lui fonçait déjà dessus.

Il bloqua sa respiration.

Pan !

Le chucret découvrit la bouche d’Imes et fouetta sa longue queue derrière eux. Il expulsa une bouffée d’air qui les propulsa en avant. Imes se roula en boule pour mitiger leur trajectoire instable.

Lorsqu’il déplia son corps, la queue de Pan à nouveau plaquée sur son visage, il eut la surprise de trouver Jebellan immobile. Le chasseur dérivait, en proie à un fou rire silencieux.

Quoi ? s’enquit Imes, piqué au vif.

Ce n’est pas moi qui t’ai appris à faire ça ! Et Cléodine non plus. Tu as vu un autre chasseur faire ?

Non.

Il n’allait pas avouer que Laomeht et Jebellan étaient les deux seuls chasseurs dont il avait jamais suivi les sorties. Jebellan se calma, mais il n’essaya pas de reprendre l’assaut.

Tu as compris ton erreur, non ?

Il y a un souci avec cette tactique ? dit Imes, qui commençait à s’agiter.

Il aurait bien aimé savoir ce qu’il y avait de si drôle.

Non, pas ça, dit Jebellan.

Ah.

J’aurais dû remplacer mes bonbonnes après l’exercice de mobilité.

Jebellan pointa un doigt approbateur vers lui. Imes étrécit les yeux.

Tu savais que je venais d’arriver à sec, comprit-il.

Jebellan haussa les épaules.

Pourquoi avoir continué l’exercice, alors ? dit Imes. Qu’est-ce que tu t’attendais à ce que je fasse ?

Ce que n’importe quel débutant fait à ce stade : lâcher ton épée pour esquiver.

Tu m’aurais réprimandé si j’avais lâché mon arme en plein assaut.

Évidemment. Et alors, tu as si peur que je t’engueule que tu préfères risquer l’asphyxie ?

Il n’y avait aucun risque ! Pan sait ce qu’il fait, s’offensa-t-il, appréciant peu qu’on insulte son petit compagnon de la sorte.

Jebellan brandit à nouveau l’index vers lui, avec plus de vigueur cette fois.

Ça, dit-il. C’est ça, le truc.

Quoi ?

Tu l’as depuis longtemps, ton Pan ?

Bien sûr.

Malgré le scepticisme de Sidon, il avait obtenu son chucret comme tout le monde, au début de l’adolescence.

C’est ça, la différence.

Imes cilla. Le début de l’adolescence, c’était aussi l’époque à laquelle on commençait généralement la formation d’un chasseur.

Les débutants ne font pas confiance à leur chucret ?

C’est comme tout, ça s’apprend. Bon, au moins, ça c’est fait. T’es toujours une cloche à l’épée, mais je te proclame expert de la fuite. C’est déjà ça.

Il pouvait déverser tout le sarcasme qu’il voulait, Imes prenait volontiers le compliment. On ne pouvait pas être regardant quand on luttait pour rattraper le retard d’une vie.

Cette fois, on rentre vraiment, dit Jebellan. Je te remorque comme quand tu étais encore un petit bébé chasseur, ou… ?

Imes ignora la moquerie. Il raccrocha son fourreau à sa ceinture et regagna le chariot à la force des poignets.

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MrOriendo
Posté le 03/01/2023
Hello !

Je reprends avec plaisir la lecture de Symbiose, que j'avais un peu laissé de côté pendant les fêtes. Vraiment très sympathique ce chapitre d'entraînement, ça se lit encore une fois comme une friandise et ta plume est toujours aussi visuelle.
Le caractère de Jebellan et les provocations entre Imès est lui, c'est de l'or en barre !
Dragonwing
Posté le 05/02/2023
Ravie de te revoir par ici ! Je suis contente que ça se lise aussi bien, merci ^^
Raza
Posté le 05/11/2022
Mais qu'est ce que Jebellan peut être ###... Cela dit c'est cool d'avoir cette partie entraînement, avec l'attendue mais néanmoins satisfaisante arrivée inopinée des ennemis :)
J'ai repéré une petite répétition d'images, éloignée mais comme c'est un tout on s'en rappelle : 2 occurrences du cœur qui bat dans la poitrine.
Dragonwing
Posté le 10/12/2022
Tes réactions à Jebellan me font rire. C'est sûr qu'avec un caractère pareil, il ne peut pas être du goût de tout le monde ! Merci pour la remarque.
Dodonosaure
Posté le 18/09/2022
C'est comme s'il lui cherchait des poux pour l'obliger à réagir. Je crois que Jebellan est aussi impatient de voir Imes se lâche que je le suis moi-même... Ce serait bien qu'il s'exprime un peu plus le bougre ;D

Et c'est un plaisir de te lire à nouveau ! <3
Dragonwing
Posté le 01/10/2022
Mais c'est que tu m'as gâtée ! Tous ces commentaires ! Merci d'être revenue par ici ♥
Et oui, c'est presque comme si Jebellan était du genre provocateur XD
Sunny
Posté le 09/01/2022
Très intéressante nouvelle sortie d'Imes. Je parie qu'il va se tailler son petit succès lui aussi ! Il semble déjà avoir partiellement convaincu Jebellan. En tout cas, si Jebellan devient la partie (plus ou moins) raisonnable de ce partenariat, ça va faire tout drôle à tout le monde.
Sinon il y a du remontage de bretelles dans l'air ^^
Dragonwing
Posté le 15/01/2022
Haha, oui, avec Imes il faut se méfier de l'eau qui dort. ^^
Silvershodan
Posté le 03/01/2022
Bonne Année! ça fait plaisir de retrouver un Imes visiblement dans son élément. Pour les cours d'escrime, il aurait bien besoin de l'aide d'un autre chasseur, Uvara peut-être? Histoire de se concentrer sur les mouvements plutôt que sur le professeur. J'imagine très bien Cléodine les attendant de pied ferme à l'entrée du sas.
Dragonwing
Posté le 09/01/2022
Bonne année ! Contente de te revoir. ^^ C'est sûr que Jebellan n'est pas forcément le meilleur professeur pour Imes xD
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