Chapitre 12 : proie des flammes

Par Drak

Rapport de mission d’observation :

Scoliaste retrouvé amnésique. Suspectons fortement un Porteur de l’A-Od.

Enquête en cours.

Archives de l’Apsû, branche Etats-Unienne, 1808

 

Je tombe en arrière sur les fesses, secouée de tremblements.

C’est la première fois que je revois une flamme en vrai depuis l’incendie de ma maison… Et je ne peux réprimer la peur primale qui m’agite à présent.

Shit, shit, shit…

Je me précipite à quatre pattes vers le mur, dans lequel j’enfonce mes doigts, que je referme sur le manche de mon épée.

Une fois l’arme dans ma main, je m’apaise enfin, l’esprit plus clair.

D’accord… je suis traumatisée des flammes, apparemment… Voilà qui ne m’arrange absolument pas !

Bon, qu’est-ce que je fais maintenant ?

Le son du feu qui crépite férocement plus bas continu à me titiller les sens, m’avertissant que malgré l’épée, je ne serais probablement pas en capacité de tenter de faire face au pyromane…

Damn it ! Aussi frustrant que ça soit, je n’ai pas le choix : je dois fuir encore une fois face à ce salop !

Je me redresse, m’appuyant sur mon arme, qui a la gentillesse de ne pas s’enfoncer dans le parquet, et titube jusqu’à la porte.

Au fur et à mesure que j’avance, je reprends lentement du poil de la bête.

Il faut que je parte d’ici… mais comment ? L’assassin de mon père est quelque part dans le coin et il ne faut pas que je le croise.

« Diane ! »

Mon oncle déboule dans le salon, dans un pyjama à rayures mauve, une extravagante flopée de papier entre les bras !

« Diane ! »

Il s’arrête quand il m’aperçoit, ses yeux exorbités par la panique et le choc.

« Vite, on doit sortir, il y a le feu ! Je… »

Les mots restent coincés dans sa gorge, alors que son regard tombe sur ma main… et sur l’épée.

« Tu… tu l’avais… ? Tu… »

Il n’a pas l’occasion de poursuivre, les flammes font leurs apparitions, avançant à une vitesse qui me semble surnaturelle !

Hector se reprend et me fait signe de la tête que je dois le suivre.

« On en reparlera plus tard. Viens ! »

Nous nous dirigeons en courantdu côté opposé aux flammes, mon oncle semant des papiers dans sa précipitation !

La maison n’a pas de porte de derrière, mais elle est bien pourvue de fenêtres, dont une qu’Hector ouvre d’un bras, sans lâcher ses documents.

« Passe la première ! »

J’enfonce mon arme dans le sol pour avoir les mains libres, m’attirant une œillade d’intérêt au passage, et me faufile le plus vite possible à l’extérieur.

De la fumée s’élève dans le ciel, alors que les premières rumeurs de sirènes de pompier commencent à résonner au loin.

« Aide-moi, s’il te plaît ! »

Mon oncle peine à traverser, encombré par ses papiers.

« Pose ça ! »

« Non ! C’est l’essentiel de mes travaux ! …Prends-en ! »

Je réprime mon énervement, mais accepte de le délaisser d’un maximum de documents.

Le problème, c’est qu’ainsi j’ai les mains prises et ne peux donc l’aider à faire traverser sa haute stature…

Font alors leur apparition deux hommes en pardessus gris, qui me dépasse pour secourir Hector !

« Ah, merci les gars… »

L’Apsû.

Je n’ai aucune preuve tangible, mais j’ai la conviction que ces gens en font partie.

Je recule d’un pas, puis d’un deuxième. Ils ne font pas attention à moi…

Je lâche les papiers qui s'envolent et me mets à courir de toutes mes forces.

J’entends vaguement la voix de mon oncle à un moment, qui cri mon nom, mais je suis déjà trop loin pour en être réellement certaines.

…Sacha. Je dois aller me mettre à l’abri chez Sacha. Aussi énervant soit-iel, c’est ma seule option…

Je m’enfonce dans les rues pratiquement désertes à cette heure tardive, en m’efforçant de rester le plus possible dans les ombres.

Ce serait ballot de me faire repérer maintenant…

Une main se referme sur mon poignet et me tire brusquement en arrière dans un passage étroit !

« Chut… »

Cette voix éteint dans ma gorge le cri que je m’apprêtais à faire.

« Ma… madame Wodan ?! »

Ma professeure de SVT est là, une cigarette à la main et un sourire complice de Joconde aux lèvres.

« Mais… qu’est-ce que vous faites ici ? Je… »

« Les questions attendront. Pour le moment : silence. »

J’obtempère, malgré l’incongruité de la situation.

Une dizaine de secondes plus tard, passe au pas de course un trio de personnes en vêtements gris !

Ma professeure se retourne vers moi seulement une fois que le son de leurs pas s’est perdu au loin.

« C’est bon. On peut parler. »

Je bats des paupières, trop choquée.

Face à mon mutisme, Wodan reprend, un brin désinvolte : « Je suis là, car, grâce à mes propres sources, j’ai appris que la maison d’Hector a pris feu… Je me suis dit que tu voudrais aller te réfugier chez la seule personne que tu connais, c'est à dire Sacha, et que tu aurais peut-être besoin d’un coup de main ! »

Nouvelles séries de battements de paupières de ma part.

Comment une professeure de SVT peut-elle raisonner ainsi ?

De quelle source parle-t-elle ?

Comment compte-t-elle m’aider ?

Et comment savait-elle pour mes poursuivants ?

« Je vais t’accompagner un moment. Ils cherchent une fille seule et pressée, pas une fille accompagnée et qui marche tranquillement ! Viens. »

Elle écrase sa cigarette sous son talon, puis passe naturellement son bras sous le mien, m’entraînant dans ses pas !

Je suis trop ébahie pour réagir ou la questionner.

Nous progressons doucement, tandis que mon cœur calme petit à petit ses battements erratiques. Ma chevalière glissée à mon doigt et la présence particulière de Wodan m’apaisent lentement…

Après plusieurs longues minutes où nous sommes plongées dans le silence, mon accompagnatrice se décide soudain à me demander à voix basse : « Diane… Te souviens-tu que lors de notre première rencontre, je t’ai dit avoir été amie avec ton père ? »

« Quoi ? Ah, oui, je m’en souviens… »                                 

« C’est au nom de cette amitié que je voudrais te donner un conseil. »

Elle me lâche, alors que je m’aperçois que nous sommes arrivés à un croisement qui m’est familier, puisque je l’ai vu lors de mon trajet dans la voiture d’Hector, lorsqu’il m’avait amené chez Sacha.

« Diane : méfie-toi de tous ceux qui pourront te proposer de t’aider gratuitement. Le monde n’est pas aussi pavé de bonnes intentions qu’on le dit. Loin de là. »

Je la considère un moment, pensive, puis rétorque plus durement que je ne l’aurais voulu : « …Dans ce cas, ne devrais-je pas me méfier de vous aussi ? »

Son sourire s’étire un peu plus alors qu’une lueur approbatrice s’allume dans ses yeux.

« Heureuse de voir que tu comprends vite. »

Elle réajuste ses lunettes sur son nez, ce qui ne manque pas d’accrocher un rayon de lumière d’un lampadaire sur la bague qu’elle porte au majeur.

« Tu devrais même surtout te méfier des gens comme moi. »

Sur ces paroles, elle me fait un signe de la main et s’éloigne dans la nuit.

Il me faut un bon moment pour reprendre mes esprits.

Je finis par m’ébrouer, puis tourne les talons et pars rapidement en direction de chez Sacha.                                                                                                                                                                                                                                      

 

*

Les deux hommes se massent le poignet, jetant une œillade furibonde à la femme qui leur fait face.

« Eh bien ? Vous n’arrivez pas à vous occuper d’une inoffensive professeure ? L’Apsû est tombé bien bas ! » minaude-t-elle, ironique, alors qu’elle pose négligemment sa lance de guerre sur son épaule, comme si elle ne pesait rien… Ce que détrompent catégoriquement les fissures dans le béton de la ruelle.

« …Tu n’es pas notre cible. Laisse-nous passer ! »

La femme esquisse une moue pensive, alors qu’elle fait tourner autour de son indexe le gros pistolet qu’elle a confisqué à l’un de ses adversaires.

« C’est gentiment proposé… mais c’est un non. »

« Pardon de vous déranger, mais puis-je intervenir ? Vous bloquez la route. »

Le trio pivote vers le nouvel arrivant.

« Oh… Bonsoir Ambroise. Je me doutais que je finirais par te croiser. »

L’homme s’avance, une main négligemment enfoncée dans une poche de son gilet, alors que l’autre se tend vers Bertille Wodan, comme une proposition de poignée de main.

« Salut Bertille. »

Mais l’intéressée refuse cependant le geste.

« Range tes sales pattes pleines de cendre. »

« …Eh bien, quel accueil glacial ! Après tout ce temps… » ricane l’homme, retirant cependant sa main, qu’il passe dans ses épis rebelles de cheveux bruns. 

La femme assène vivement l’extrémité du manche de sa lance sur les fronts des agents de l’Apsû, les assommant proprement.

« Toujours aussi vive, à ce que je vois ! » glousse en retour le dénommé Ambroise, émettant un sifflement appréciateur.

« Comment va le gros ? » lui rétorque Bertille, sans se préoccuper du compliment.

L’homme sourit face à ce changement de sujet, mais il ne commente pas.

« C’est à croire que son poids veut rattraper son ego. »

« Il y a des choses qui ne changent pas. »

« Oui. »

Les deux se lorgnent longuement, un sourire aux lèvres, aussi conscient l’un que l’autre qu’il suffirait d’un rien pour qu’il se saute mutuellement à la gorge.

« Cessons un peu les piques, Bertille, tu veux bien ? »

« Si tu veux. De quoi désires-tu parler ? Du bon vieux temps ? »

« Si tu reviens à l’Erra, ce sera avec plaisir ! …Mais tu sais que ce n’est pas pour ça que je suis là. »

« Pourquoi alors ? »

L’homme soupir, amusé.

« Arrête de faire l’idiote, ça ne te va pas ! Je sais très bien que tu cherches juste à me faire perdre du temps, pendant que la gamine Pangredon s'enfuit. »

« Si tu l’as compris, alors pourquoi es-tu encore là ? D’autant que je doute que tu saches où elle se rend. »

« Car tant que ton arme sera sortie, je ne me risquerais pas te tourner le dos… Arrête de faire l’idiote, je t’ai dit. »

La face de la, pas si inoffensive, professeure se fend d’un sourire fier.

« J’avais presque oublié ce que ça faisait de me retrouver face à quelqu’un qui me connaît… »

« Menteuse… Tu n’oublies jamais rien. »

La lance fuse.

Mortelle.

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