Chapitre 12, Le Corps

Par Melau
Notes de l’auteur : Joyeuses fêtes de fin d'année à vous tous !

Richard n’aimait pas Harold.

Le jeune professeur était trop prétentieux, trop sûr de lui, trop intelligent aussi. Il faisait la conversation à chaque personne qu’il croisait sans aucun problème. Se souvenait des prénoms de tous ceux qui pouvaient lui être utiles. Il souriait beaucoup aussi. En bref, Harold rappelait à Richard qui il était au même âge. L’architecte détestait ça.

Lui aussi, avait dû cirer des bottes et lécher des semelles couvertes de merde pour obtenir une poignée de main. Lui aussi, avait dû se pencher jusqu’à toucher le sol pour obtenir la confiance et le respect d’un individu aux poches remplies d’argent sale. Lui aussi, s’était allié à des personnes plus fortes, plus dangereuses, plus riches aussi. Richard détestait Harold parce qu’il avait été exactement comme lui. Et qu’il savait parfaitement que si le jeune homme lui faisait la conversation depuis la fin de l’après-midi, c’était uniquement pour lui faire plaisir. Harold n’en avait rien à faire.

MacHolland s’était rendu compte de ses sentiments à l’égard du professeur une fois qu’ils se furent assis à table, un triple whisky – glaçons à la main. Il venait de retrouver ses mauvaises habitudes d’homme d’affaires. Dire qu’il avait tout oublié en l’espace de quelques semaines… Là, assis en costume un verre à moitié vide en quatre ou cinq minutes, il s’était de nouveau senti à l’aide. Etrangement à l’aise. Les mécanismes se dérouillaient peu à peu : sourire, rire, discuter de tout et de rien, boire, et recommencer. Encore et encore. Même entourés, les deux hommes continuaient leur petit jeu. La seule chose qui fit sortir l’architecte de son rôle, ce fut l’entrée de Magalie et sa sublime robe dans laquelle il n’aurait jamais cru la voir.

 

Magalie détestait Prudence.

Elle l’avait compris à l’instant même où elle était entrée dans la chambre suite au départ d’Opalina Grassier. D’ailleurs, elle aussi, elle ne l’aimait pas. Au moins, elle pouvait dire à la servante de bien aller se faire voir. Elle pouvait, mais elle ne l’avait jamais fait. Jusqu’à ce que Prudence lui tendit la robe choisie par MacHolland. Rouge. Moulante. Très moulante. Echancrée à tel point que le nombril était visible.

« Oh et puis, allez vous faire foutre ! »

Les mots étaient sortis sans permission. Magalie ne les regretta pas. Prudence resta imperturbable. Elle fit signe au lieutenant de se déshabiller. La servante resta en plan, là, à la regarder se dévêtir. Pierce ôta son pantalon. Désormais, elle se trouvait en sous-vêtement dans une pièce gelée. Ses tétons pointaient à travers la maigre tulle du soutien-gorge. Elle croisa les bras par-dessus sa poitrine, honteuse des réactions naturelles de son propre corps. La servante soupira.

« Les sous-vêtements aussi. »

Magalie n’avait pas seulement les joues rouges, non, elle avait le visage comme couvert de lave en fusion. Pour autant, elle obéit. Si c’était ce que Richard voulait, alors il l’aurait. Et puis, Opalina Grassier ne s’attendait certainement pas à la voir relever le défi. Alors, juste pour le plaisir de les déstabiliser tous les deux, Magalie retira les deux derniers bouts de tissu. Nue devant Prudence, elle ne se protégea pas avec ses mains et ses bras. Elle se tint au contraire fièrement, bien droite. La servante s’en fichait totalement.

Aidée par la jeune fille, Magalie enfila ce qui osait porter le nom de « robe ». Prudence lui refit une petite beauté. Elle attacha ses cheveux en une couronne de tresses dont seules quelques mèches rebelles s’échappaient. Son visage une fois maquillé de rouge aux lèvres et d’or aux yeux, Magalie Pierce était prête. Lorsqu’elle se regarda dans le miroir, elle ne se fit qu’une seule réflexion : on dirait un camion de pompiers – ou alors, il faudrait qu’il y ait un camion pas loin pour pouvoir éteindre tous les incendies qu’elle provoquerait.

Elle rejoignit ensuite la salle à manger. Les escarpins noirs à ses pieds faisaient résonner chacun de ses pas sur le marbre. La jeune servante qui lui collait aux baskets tout au long de la journée ne l’accompagnait pas, Magalie se sentait libre. Les couloirs étaient déserts. Il ne semblait y avoir personne dans le palais, tous les serviteurs s’affairaient ailleurs. Le sol était d’une propreté impeccable : si elle l’avait voulu, le lieutenant aurait pu vérifier son maquillage en utilisant le marbre poli comme un miroir. Il était tout aussi brillant. Plusieurs fois, Maggie s’arrêta. Elle jeta un œil dans toutes les directions, vérifia qu’elle fût seule, et réajustait sa robe. Le décolleté plongeant lui écrasait la poitrine. C’était beau, mais désagréable. Une fois tout remis à sa place, elle reprenait son chemin. En talon aiguille, aller de l’autre côté du palais lui semblait aussi long que la distance Mars – Terre. Une véritable plaie. Merci Richard.

Lorsqu’elle parvint enfin à atteindre son objectif, tout le monde l’attendait. Une vingtaine de paires d’yeux se tournèrent vers elle d’un coup. Elle sentit des frissons la parcourir de part en part, de la pointe des pieds aux racines des cheveux. Magalie redressa la tête, fit une minuscule révérence à l’attention du couple royal, puis rejoignit sa place – du moins ce qu’elle déduisit être sa place, puisqu’il ne restait qu’une chaise de libre, juste en face de son architecte.

« Vous êtes magnifique, lieutenant.

- Merci Richard. Vous voir en costume n’est pas désagréable non plus, ça change bien du t-shirt sale que vous vous traînez depuis des jours.          

- Je vais prendre cela comme un compliment. »

Magalie hocha la tête, distraite. Au lieu d’écouter Richard qui visiblement avait envie de lui parler maintenant qu’elle avait une robe sur le dos et non plus son uniforme strict, le lieutenant cherchait ses deux autres amis du regard. Elle se dit que trouver Léopold reviendrait à débusquer Grégoire. Et puis, le brigadier était plus facile à repérer dans toute cette masse d’individus : il était le plus petit, le plus large et le plus transparent d’entre tous. Un vrai jeu d’enfant – sauf qu’au lieu du traditionnel Où est Charlie ?, elle jouait à une variante moins rigolote, et surtout sans pull à rayures rouges. Mais la masse était trop dense, et Maggie ne réussit pas à trouver ses deux collègues et amis. Elle soupira.

« Vous ne m’écoutiez pas, n’est-ce pas ? »

Le lieutenant secoua la tête.

« Vous vous inquiétez pour Greg et Léo ? »

Hochement de tête.

« Si ça peut vous rassurer, je les ai vu plus tôt dans la journée, ils vont bien. Ils doivent être planqués quelque part en train de manger. Enfin, Léopold doit manger pendant que Grégoire regarde son assiette, ce serait plus juste. »

Sourire. Minuscule, mais bien existant.

« Merci Richard.

- Ah, mais c’est que vous savez parler !

- C’était trop beau pour être vrai, remarqua le lieutenant. Cette gentillesse de votre part, votre attention.

- Vous ne parviendrez pas à me changer, chère lieutenant. Personne ne le peut.

- Je prends cela comme un défi, MacHolland. »

Maggie tendit sa main à l’intéressé comme pour sceller un accord qui seuls les concernait. L’autre lui serra les doigts fermement. Cela les ramena en arrière, directement au jour de leur rencontre, lorsqu’ils s’étaient serrés la main pour la première fois. Quelle sensation ç’avait été… Magalie, soudain gênée, retira sa main de la poigne de Richard. L’homme la regarda un instant sans comprendre, puis, voyant les joues de la jeune femme rougir, il préféra détourner les yeux. Peut-être avait-il mentit ? Peut-être qu’elle, elle pourrait le changer si elle y tenait vraiment ? Après tout, c’était déjà un peu le cas.

Comme pour leur éviter une quelconque explication, le roi se leva. Aussitôt, l’assemblée se calma. Toutes les conversations cessèrent, et tous les couverts furent reposés le long des assiettes en porcelaine antédiluvienne. Tous, sauf une paire : celle tenue par Léopold, de l’autre côté de la salle. Magalie se dévissa le cou pour jeter un œil vers le bruit : elle ne put s’empêcher de faire un petit signe à Grégoire qui regardait dans sa direction. Ce dernier leva la main un quart de seconde avant de la replonger sous la table.

Bruit de gorge.

« Mesdames, messieurs, chers convives, merci à vous tous pour votre présence ici ce soir ! amorça le roi, grandiloquent. Vous le savez tous et toutes désormais, notre chère fille, Sindy, nous a quitté. Nous avons fait notre travail deuil ainsi que le demandent nos coutumes, et nous tenons, mon épouse et moi-même, à vous remercier pour votre compréhension durant tout ce temps ainsi que pour votre soutien. Aujourd’hui, enchaina-t-il sur un tout autre ton, nous sommes réunis autour de ce délicieux repas comme chaque année. Espérons que nous serons à nouveau ensemble dans un an, dans dix peut-être si nous avons de la chance. Ce repas marque le début de l’avent. Les fêtes approchent, et même si ma petite fille n’est plus parmi nous pour profiter de ces instants, je tiens à ce que ces fêtes de fin d’année soient encore plus exceptionnelles que d’habitude. Ce soir, nous fêtons également le quarante-sixième anniversaire de ma tendre épouse. Applaudissez-là comme il se doit, encouragea-t-il l’assistance. »

Dans la salle de réception, tout le monde se leva. Maggie se rendit compte alors qu’ils étaient bien plus nombreux qu’elle ne l’avait cru en entrant. Il n’y avait pas une mais deux immenses tables en bois massif qui se partageaient la place dans la pénombre. En tout, ils devaient être une bonne cinquantaine. Pas seulement vingt. Les invités des Grassier n’étaient autres que leurs plus proches amis-ennemis – la distinction étant quasi-impossible sur Mars – ainsi que leurs alliés – encore une fois, la frontière entre allié et ami-ennemi était difficile à définir, les Grassier ne cessaient de mélanger professionnel et personnel à chaque instant de leur vie, tels des araignées qui emprisonnent leur proie dans une toile savamment tissée. Maggie comprit alors qu’elle était une mouche prise dans la toile, et que malgré tous ses efforts, ses petites pattes restaient collées aux fils soyeux.

Opalina fit taire les applaudissements qui lui étaient destinés. Son mari de nouveau assis, elle prit sa suite en se levant. Lorsqu’elle ouvrit la bouche, Magalie sentit aussitôt le poids des mots venir lui peser sur les épaules, sur son corps entier, sur son âme-même.

« Ainsi que mon cher mari l’a évoqué, notre fille nous a quitté. Pour autant, malgré notre travail de deuil, nous ne savons pas à ce jour où se trouve notre enfant. C’est pourquoi j’aimerais que ce soir nous levions tous nos verres à l’espoir. L’espoir que Sindy soit parmi nous l’année prochaine, à l’occasion de mes 47 ans. L’espoir, également, que nos invités spéciaux, le lieutenant Pierce et son équipage, puissent retrouver la chair de ma chair en vie, en bonne santé. »

Magalie blanchit. Lorsque la reine se rassit après une nouvelle salve d’applaudissement et des verres entrechoqués dans toute la salle, les conversations reprirent de plus belle. Richard se pencha vers la jeune femme face à lui.

« Tout va bien ? Vous êtes toute blanche d’un seul coup, ce n’est pas ce que vous vouliez, que les Grassier vous fassent enfin confiance ?

- Je… Si, si, bien sûr… Mais…

- Ils ne nous laissent plus le choix de la retrouver désormais, devina Richard traversé par un éclair de génie. »

Hochement de tête.

« Mais, vous avez une idée de comment la retrouver, non ? D’où elle peut être ? Si elle est bien en vie, évidemment.

- Elle est en vie. On n’a pas le choix. Et je ne sais pas où elle est. Il faut… Il faut que… Qu’on trouve un moyen.

- Un moyen ? Pour quoi ?

- J’en sais rien… Un moyen de la retrouver. Un moyen de comprendre ce qui lui est arrivé. Un moyen de partir d’ici, tout de suite, surtout. »

La jeune femme était désespérée. A cause d’elle, si Sindy était morte, alors le plus grand incident diplomatique du siècle serait déclenché. Là, Francis aurait une bonne raison de la virer.

« Ecoutez lieutenant, je vais aller vous chercher quelque chose à boire, d’accord ? On passe la soirée tranquillement, sans faire de vague, et on cherchera une solution dès ce soir, proposa MacHolland. »

Hochement de tête.

Richard se leva, laissant Maggie seule à table, entourée d’inconnus ou presque, si on comptait Harold comme connaissance. Ce dernier ne se préoccupait pas de ses voisins de table. Il ne réagit même pas lorsque l’architecte se leva et bouscula sa chaise, s’excusa et partit. Le jeune professeur avait les yeux dans le vague. Personne ne lui faisait la discussion, et il ne faisait la discussion à personne. Maggie se dit que c’était le bon moment, qu’elle devait tenter sa chance, c’était maintenant ou jamais.

« Harold, c’est bien cela ? lança-t-elle en regardant l’intéressé droit dans les yeux. »

L’homme, d’un geste de la main, l’index levé, lui fit signe d’attendre un instant. Sans lui donner d’explication ni d’excuses, il se leva à son tour et s’écarta du groupe de convives, téléphone en main. Maggie était toute seule à table. Elle attrapa une fourchette. Quitte à ne rien faire de productif, autant manger.

De son côté, Richard patientait derrière un martien et sa femme vénusienne. Ces deux-là ne savaient pas quoi choisir : champagne ? bien sûr, vin blanc ou rouge ? une voix pour chaque, un digestif ? pourquoi pas. Richard serra les dents. Quel manque de goût… Harold passa à côté de lui à toute vitesse, son téléphone dans la main droite. Il le regarda faire. Le professeur s’était arrêté à quelques pas de lui. Dans ce coin de la salle, il n’y avait presque aucun bruit. Richard pouvait parfaitement entendre et comprendre ce que disait l’autre. Il se concentra là-dessus – c’était toujours plus intéressant que les deux amourachés devant lui.

« Di.. Didine, laisse-moi parler. Oui […] Non, non, mais […] Bon, attends, laisse-moi parler je te dis… […] je … […] Tout est prêt mon amour. Il n’y a plus qu’à attendre, ça ne devrait pas tarder. Je te rejoins juste après, j’ai obtenu des congés […] Deux semaines complètes. […] Rien qu’avec toi ma didi… didine. »

« Monsieur ? Monsieur ? Tout le monde attend après vous, commandez ou partez. »

Richard redescendit sur terre, un peu déçu de ne pas en entendre plus – ça devenait croustillant, et puis les blancs pouvaient suggérer bien des choses…

« Je suis un invité spécial du roi et de la reine, ne les avez-vous pas entendu parler de l’équipage du lieutenant Pierce ? Je suis moi-même consultant sur cette affaire.

- Pardonnez-moi, monsieur, c’est juste que…

- Que vous allez me donner deux coupes du même champagne qui est servi aux Grassier ?

- …

- C’est ce que vous alliez dire, n’est-ce pas ?

- Bien… Bien sûr, monsieur. »

Le serveur aux cheveux poivre et sel lui tendit alors deux coupes de champagne remplies à ras bord tout en se confondant encore une fois en excuses toutes plus minables les unes que les autres. Sans même prendre la peine de le remercier, Richard embarqua les deux coupes. De nouveau assis, il tendit son verre à Maggie. Harold n’était toujours pas revenu, il aurait pourtant voulu lui demander à qui il parlait si gentiment au téléphone… Ce serait pour plus tard.

« Trinquons. A l’espoir. »

Les deux flûtes s’entrechoquèrent. Le bruit cristallin résonna dans la pièce, par-dessus les conversations animées.

Harold vint se rasseoir, sans un mot, le téléphone dans sa poche, un verre de whisky dans la main.

Le téléphone de Richard sonna. Il fronça les sourcils. Il ne reconnaissait pas le numéro. Il décrocha. Ne défronça pas les sourcils. Tendit l’appareil à Maggie. Sans un mot.

Le lieutenant fronça également les sourcils. Elle jeta un coup d’œil interrogateur à Richard qui ne fit qu’hausser les épaules.

« Allô ? »

 

Parfois, le temps semblait se suspendre. Une seconde en paraissait trois. Une minute, dix. Et tout s’accélérait alors. D’un coup, d’un seul.

 

« Lieutenant Pierce. »

La voix à l’autre bout du fil était la plus redoutée par Maggie en cet instant : Gaston Francis lui téléphonait en personne en plein milieu de l’enquête – qui était plus qu’au point mort, il fallait bien l’admettre. Ca ne sentait pas bon du tout.

« Oui ?

- Vous faites du grand n’importe quoi.

- Je…

- Mais nous en parlerons une autre fois, la coupa-t-il. Pour le moment, vous devriez faire votre travail.

- Chef Francis, écoutez, je…

- Un corps correspondant à la description de la princesse Sindy Grassier a été retrouvé sur Mercure, vous devez vous y rendre tout de suite.

- Là ? Mais je… Bien sûr, oui, se rattrapa Maggie de justesse. Envoyez-moi l’adresse, nous partons dans cinq minutes.

- Tout de suite ! Oh et par pitié, résolvez cette affaire, nom de Dieu ! »

Gaston Francis raccrocha le combiné, laissant Magalie bouche bée. Que venait-il de se passer, au juste ?

« Vous allez bien lieutenant ? Vous aviez retrouvé des couleurs et là… comment dire ? Vous êtes aussi blanche que le cul de Grégoire.

- Richard… soupira la jeune femme. Bon… Nous devons partir. Allez chercher Léopold et Grégoire. Tout le monde doit être dans le vaisseau dans trois minutes, top chrono.

- Pourquoi ? Nous allons quelque part ?

- Deux minutes et trente secondes, MacHolland, on s’active allez. »

L’architecte comprit qu’il n’était plus temps de discuter. Tandis qu’il partait faire ce qu’elle lui avait demandé, Magalie prit sur elle de présenter ses excuses aux Grassier. Elle devait quitter la fête dont elle était l’invitée d’honneur, comment allaient-ils le prendre ? Au moins, elle avait une bonne excuse pour quitter cet endroit.

La jeune femme se leva. Elle faillit se rompre une cheville en voulant marcher trop vite. Elle sentit les regards d’hommes et de femmes se poser sur elle.  Lorsque Maggie parvint au niveau du roi et de la reine, les deux fixaient un point, dans le vague, sans rien dire. La reine – autant de la planète que de la soirée – ne souriait même pas. Elle ne faisait pas semblant. Elle n’en avait rien à faire. Alors, lorsque Maggie s’approcha d’eux, ni l’un ni l’autre ne releva la tête. Opalina Grassier fit un mouvement de la main dédaigneux, « Déguerpissez », ce qui arrangea bien Magalie qui en profita pour prendre la poudre d’escampette. Hop hop ! Elle ne fit même pas un détour par ses appartements pour récupérer ses affaires, elle se dirigea vers le vaisseau. Qu’est-ce qu’elle pouvait être contente de retourner dans l’espace ! Elle avait l’impression que des semaines entières étaient passées depuis la dernière fois qu’elle avait vu les étoiles.

 

« Où va-t-on lieutenant Pierce ? »

Grégoire était installé aux commandes. Magalie venait à peine d’apparaître sur la passerelle du vaisseau qu’elle était déjà assaillie de questions.

«  Qu’allons-nous faire ? demanda en même temps le brigadier.

- Qui c’était au téléphone ? ajouta Richard.

- Lieutenant, j’ai besoin des coordonnées exactes. Nous pourrons décoller aussitôt après. »

Maggie prit le temps de s’asseoir dans son fauteuil – ça aussi, ça lui avait bien manqué. Malgré les trois regards masculins qui se posaient sur elle, elle réajusta sa robe. Là. Elle était à peu près présentable et respectable maintenant.

« Mercure.

- Où exactement ?

- Kudos. »

Grégoire se retourna à la vitesse de l’éclair. Magalie resta impassible.

« Vous pouvez répéter, lieutenant ?

- Vous avez très bien entendu, j’en suis certaine.

- Vous êtes sûre ?

- Oui. Nous allons à Kudos, le plus vite possible.

- Bien… Souffla le pilote en entrant les coordonnées correspondantes. Nous y serons dans quarante-cinq minutes, vingt-deux si je pousse le vaisseau mais… Il n’a pas volé depuis plusieurs jours, je ne suis pas sûr qu’il tienne le coup.

- Faites au plus vite et sans avoir d’accident. »

La voix du lieutenant était pleine d’ironie. La suite. Quelle était la deuxième question déjà ? Ah oui. Ce qu’ils partaient faire.

« Notre travail Léopold. Nous allons faire notre travail. Ce pour quoi on est payés.

- Je… Mais… »

Léopold perdait ses mots. Il venait à peine de reprendre son souffle – alors qu’il n’avait fait que marcher pendant que les deux autres couraient, et qu’il avait même dû s’arrêter en route… Heureusement que le lieutenant était arrivé après lui. Il respira un grand coup, et, sans quitter Maggie Pierce des yeux, pénétra dans son esprit. Il n’aimait pas plus faire ça que la personne n’appréciait l’intrusion, mais il n’avait pas trop le choix : les mots ne pouvaient pas sortir en même temps que l’air rentrait, c’était impossible.

« Je ne voulais pas vous offenser, lieutenant. Je voulais savoir exactement quelle était notre mission. J’aurais également voulu comprendre pourquoi nous continuions à emmener cet empoté. »

Pour accompagner ses paroles, le brigadier jeta un regard au pseudo-consultant qui avait autant d’utilité qu’un balai à chiottes. Non. Moins que ça, parce que même un balai à chiottes servait à quelque chose de temps en temps. MacHolland n’était rien d’autre qu’une potiche.

« Un corps a été retrouvé, correspondant à la signalisation de Sindy. »

Magalie ne prit pas la peine de répondre à la deuxième question. A quoi bon, de toute manière ? Elle n’admettrait jamais devant son équipe qu’elle avait fait une erreur, et qu’elle avait juste voulu engager MacHolland pour « faire bien »…

« Vous savez que je peux lire dans vos pensées, n’est-ce pas lieutenant ?

- Sortez immédiatement de ma tête et allez faire cinquante pompes, que je sois un peu tranquille. Maintenant, ajouta-t-elle en voyant que le brigadier restait planté là. Richard, elle enchaina, la personne au téléphone n’était autre que mon patron. Vous avez encore d’autres questions du même genre ou c’est bon ? Et, fit-elle en le voyant ouvrir la bouche, quand je parle de « questions du même genre », je parle de toutes ces choses sans importance que vous débitez à longueur de temps. Donc réfléchissez. Avez-vous quelque chose d’une quelconque utilité à me dire ?

- Non, lieutenant. »

Richard s’assit dans son coin. Il attrapa même pour la première fois sa copie du dossier pour la feuilleter. Magalie croisa les jambes autant que sa robe le lui permettait. Elle commença également à regretter de ne pas avoir pris ses affaires. Non seulement elle allait se pointer sur une scène de crime en robe de soirée indécente, mais en plus de cela, elle allait se les geler – et c’était loin d’un détail si on repensait au fait qu’elle n’avait pas de sous-vêtements. A cette époque de l’année, sur Mercure, il allait faire terriblement froid. Elle espérait que l’équipe qui avait découvert le corps serait encore présente sur place avec de gros manteaux. Elle avait bien en tête l’idée d’en récupérer un. Que de plans sur la comète… Enfin, sur Mercure, plutôt.

« Est-ce que vous pourriez m’être utile ?

- Quoi ? demandèrent les deux hommes encore présents sur la passerelle, l’un aux commandes du vaisseau, l’autre à moitié concentré sur des mots qu’il comprenait à peine.

- Pas vous, rejeta-t-elle en regardant le pilote, Vous, précisa-t-elle en désignant MacHolland.

- Vous ne vous posez la question que maintenant, comme ça ?

- Mieux vaut tard que jamais. »

Et non « vieux motard que jamais », pensa Richard, ce qui fit naître un sourire ironique sur ses joues mal rasées.

« Nous arrivons, lieutenant Pierce, déclara Grégoire, coupant ainsi court à toute discussion. »

 

Kudos.

Aussi surnommée la « Rio de Janero de Mercure ». La seule ville de Mercure autant connue pour ses célébrités que pour ses meurtres à répétition. La pauvreté qui cotoie la richesse. La beauté qui vit aux côtés du plus grand malheur.

Voilà où Sindy Grassier avait visiblement passé ses derniers jours. Voilà où elle avait décidé de partir, fuyant ses études et sa famille, tout à la fois, toute sa vie.

Voilà où Magalie Pierce débarquait, en robe de soirée d’un rouge flamboyant, accompagnée de trois hommes tout aussi bien habillés les uns que les autres. Ils représentaient la police interstellaire – version James Bond, 007… bon, 000, vu leur niveau.

Voilà où le corps d’une jeune femme aux cheveux violets venait d’être retrouvée.

 

Le corps d’une jeune femme aux cheveux violets, oui.

Celui de Sindy, non.

 

Magalie le comprit dès qu’elle posa un pied sur la planète gelée.

Même Richard qui ne comprenait rien à rien s’en rendit compte.

 

Le temps se mit sur pause.

 

Il y avait encore de l’espoir.

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haroldthelord
Posté le 04/01/2021
Salut les agents 000.,Encore un chapitre sans grande progression dans l’enquête mais la narration est agréable. Je pense aussi que Magalie n’as pas de responsabilités a endorser sur ce qui a pu arriver à la princesse.
A plus.
Melau
Posté le 02/02/2021
Salut ! Merci beaucoup pour ton commentaire - même si j'y réponds un mois après.
Pour ce qui est des responsabilités, il faut bien que "ce soit la faute de quelqu'un" et qui de mieux placé pour être accusé que la personne à la tête de "l'enquête" (si tant est qu'on puisse l'appeler ainsi) ?
Le Saltimbanque
Posté le 29/12/2020
Et bien voilà un chouette chapitre. (le premier qui ne dépasse pas les 4000 mots !!!! Youhouuuu !!! Je ne sais pas pourquoi je fête ça !!!)

Malgré ses 3 900 mots, ce texte se lit suuuuper vite. Je pense que cela est du à ton écriture, très fluide, avec très peu de répétitions je trouve, et surtout pas mal de rebondissements. On passe du bal au vaisseau pour finir sur Mercure sans qu'il n'y ait une impression de précipitation : on a là le chapitre le plus "aventureux" de toute l'histoire, c'est très agréable.

J'aime beaucoup la narration différente à la fin. Plus concise, plus directe, on ressent bien l'effet "je retiens mon souffle parce que là on est passé pas loin de la catastrophe" ressentit par les personnages.

Magalie est... supportable. Elle se sort un peu les doigts du *** et va directement sur Mercure sans se plaindre, je lui reconnais ça. Je ne comprends pas pourquoi elle met cette "robe très moulante", ça ne lui ressemble pas du tout. Je suis pas un expert, mais si elle veut défier les Grassiers et Richard, ne serait-il pas plus logique de ne pas mettre la robe qu'ils lui imposent justement ???

Richard. Rien à dire. Il est l'égal de lui-même. Toujours agréable à suivre, même si je ne comprends TOUJOURS PAS pourquoi il est encore dans l'aventure. Il a intérêt à rapidement prouver sa valeur !

Léopold. Alors... IL PEUT LIRE DANS LES PENSÉES ??? What ? J'ai relu un peu les autres chapitres mais je n'ai pas trouvé où ce pouvoir était mentionné : je l'ai raté ??? Mais s'il peut lire dans les pensées... ça pose TELLEMENT de questions fondamentales et remet en cause toute l'histoire !

Un élément très comique est toujours la "Didine" d'Harold. Je trouve marrant que Richard s'intéresse à la discussion téléphonique, alors que, toujours comme dans le chapitre précédent, il n'y a RIEN de suspect ou de spécial à ce qu'il dit ! Instinct ou pas, Richard n'a pas l'air d'un enquêteur qui a du flair, mais plus un paparazzi qui sent un bon scoop people...

Tiens, tant qu'on est sur Harold : je l'aime beaucoup. Son côté mystérieux et classe m'intrigue. Hâte de le voir à nouveau.

Et pour finir, le passage qui m'a le plus dérangé : Magalie dit "A cause d’elle, si Sindy était morte, alors le plus grand incident diplomatique du siècle serait déclenché." Pardon ? En quoi ce serait SA faute si Sindy serait retrouvée morte ? Les Grassiers n'ont cessé de dire que leur fille est morte sans raison avant que Magalie n'ait pu faire quoi que ce soit... Serait-ce à cause de son incompétence ? Je me rappelle bien que c'est aussi à cause des Grassiers que son enquête a pris du retard : en quoi peuvent-ils la menacer ? En un tour de main hop elle peut les arrêter pour obstruction à l'enquête, destruction de preuves et j'en passe !

Voili voilou... Bonnes fêtes !
Melau
Posté le 30/12/2020
Hii !

On fête ce qu’on peut écoutes, pourquoi pas !

J’essaie d’appliquer au mieux les conseils qu’on m’a donné autant toi que d’autres lecteurs afin d’améliorer tout de suite mon écriture, si ça fonctionne j’en suis contente !

Pour l’histoire de la robe de Maggie, c’est pas impossible que je me sois emmêlée les pinceaux, mais la robe rouge moulante et tout le tintouin c’est justement LA robe que Richard lui a choisie.
Pour le « Didine » et Harold, ça viendra, ça viendra, tu comprendras très vite ;)

En tous cas, merci beaucoup pour ton commentaire, comme d’habitude !
Bonnes fêtes de fin d’année à toi aussi !
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