Chapitre 11

Par Bow

Pauline se sentit touchée après avoir entendu ces mots. 

— Je suis désolée. Je ne pensais pas que tu avais entendu ça, tu ne me l’as jamais dit.

Nicolas haussa les épaules.

— J’avais trop honte je crois. 

Elle le dévisagea longuement, comme s’il était soudainement devenu un inconnu. 

— Tu n’avais pas à avoir honte avec moi. Je sais ce que tu vaux quand même. 

 

Lorsque le soir tomba, Pauline fût prise d’une envie de se lever du lit. Nicolas l’aida à marcher jusqu’au salon. Elle regarda en direction de la baie vitrée, mais elle n’y vit que son reflet. Alors elle fit coulisser la porte-fenêtre, elle voulait regarder le jardin, comme s’il s’agissait de sa dernière occasion de le faire. L’air n’était pas froid dehors. Elle fit quelques pas et se retrouva sur la terrasse. Le contact de la pierre avec ses pieds nus lui rappela l’été. Elle se sentait bien. Elle resta un moment debout, sans rien dire, sans rien faire. Nicolas vint la rejoindre et passa ses mains dans son dos.

— Tu n’as pas froid ?

— Non, dit-elle en secouant la tête. Je suis bien là.

Nicolas ne pouvait se résoudre à la laisser debout, il la voyait si fragile, il avait l’impression qu’à n’importe quel moment elle pouvait tomber et se casser en mille morceaux. Il s’éloigna pour attraper une chaise longue et l’amena auprès de sa femme pour qu’elle puisse s’y asseoir. Puis il en ramena une deuxième et s’installa juste à côté d’elle. 

A mesure que le ciel s’assombrissait, les petits points lumineux qui décoraient la grande toile noire apparaissaient. Petit à petit, deux casseroles se dessinèrent dans le ciel. Elles n’impressionnaient plus Pauline, elle les avait vues tant de fois. C’était toujours les mêmes depuis sa naissance. Certaines choses ne bougent jamais. Cependant, la vision globale de toutes ces étoiles perdues dans cette immensité noire continuait de lui donner des frissons. Elle n’avait jamais été à l’aise avec l’Univers. 

— Nous sommes si petits, murmura-t-elle à son mari.

— Tu trouves ? répondit-il. Moi je me sens grand quand je regarde les étoiles. Se dire qu’elles sont de gigantesques boules de feu, et quand on les voit comme ça, ce ne sont que de minuscules petits points. Et nous pouvons en voir tellement à la fois.

Pauline fût surprise de constater que cet angle de vue était totalement l’opposé du sien, mais que les deux tenaient la route. Ça avait toujours été comme ça entre eux, ils ne voyaient jamais les choses de la même manière, mais finalement aucun n’avait plus raison que l’autre. 

Lorsque ce moment de réflexion arriva à son terme, son sentiment qu’elle n’était rien reprit le dessus. Comme Nicolas ne disait plus rien, elle décida de le partager avec lui. 

— A chaque fois que je regarde l’Univers, je me demande comment c’est possible que nous en soyons arrivés là. Nous ne sommes que de minuscules petites choses, quasiment invisibles à l’échelle de l’Univers. Et nous avons été mis sur une planète, une minuscule chose elle aussi, parmi les milliards d’autres planètes. Et chacun de ces huit milliards de petites choses dispose de quelques dizaines d’années, ce qui là aussi est négligeable comparé au temps depuis lequel l’Univers est là. Mais tout ça pour quoi ? Quel est le but de tout ça ? L’Univers n’a pas besoin de nous pour être ce qu’il est. Alors pourquoi nous donne-t-il cette opportunité ? Avons-nous une mission ? Devons-nous profiter de ces années de vie pour accomplir de grandes choses ? Et si nous ne le faisons pas, est-ce que c’est réellement fini ? Est-ce que la mort nous enlève notre seule occasion sur des milliards de siècles de laisser notre trace ? 

— Non, répondit Nicolas. Nous ne sommes pas censés laisser de trace. Tu as raison, l’humain n’est rien comparé à la grandeur de ce qui nous entoure. Nous sommes seulement une variable de l’Univers, quelque chose qui est apparu là par hasard. Peut-être par erreur, qui sait. 

— Mais si nous ne sommes rien, pourquoi nous prenons-nous tellement la tête ? Pourquoi avons-nous tant de problèmes, alors que ceux-ci sont si infiniment petits dans l’espace. Pourquoi avons-nous tant de mal avec cette vie, cette si petite vie qui nous est offerte. Nous nous efforçons de nous donner du mal, d’occuper ces courts fragments de temps que sont nos années sur Terre à travailler, à suivre cette routine tous les jours presque sans exception. Mais pourquoi, pour qui ? A qui avons-nous tout cela à rendre ? 

— A nous, répondit-il tout simplement. Nous devons nous auto-suffire, on doit considérer qu’on est tout seuls ici. Livrés à nous-mêmes. La vie est un cadeau, comme tu dis, mais elle est loin d’être simple. Notre planète est pleine de ressources mais nous devons nous les partager. Et toutes nos difficultés viennent de là, finalement. Du fait que nous ne soyons pas seuls. Huit milliards d’humains, c’est peu pour l’Univers. Mais c’est beaucoup pour la Terre. 

Une légère brise souffla et fit frissonner Pauline. Ou bien était-ce ce sentiment d’humanité qui venait de la traverser pour la pousser à répondre aux mots de Nicolas.

— Les autres nous apportent les problèmes, oui, mais ils nous apportent aussi tellement de bonnes choses. Tu imagines un peu être seul dans l’espace, sans personne avec toi ? Je ne tiendrais pas une heure. 

Nicolas se mit à rire, les yeux toujours fixés vers le ciel.

— Moi non plus, je te rassure.

Pauline resserra son gilet sur elle-même et croisa les bras pour se réchauffer.

— N’empêche qu’à chaque fois que je regarde les étoiles, ça me fait relativiser sur mes petits problèmes.

— Dommage que ce ne soit que possible la nuit, remarqua Nicolas, alors que la grande majorité des problèmes c’est pendant la journée qu’on doit y faire face.

— C’est vrai, répondit-elle en souriant. Pendant tous ces moments où nous ne regardons pas les étoiles, notre vie a du sens. Nous sommes occupés à la vivre, et elle est tellement diversifiée, tellement vaste… Regarde la quantité d’émotions que nous ressentons, rien qu’en une journée. Regarde la puissance de l’amour, la solidité de la famille, la force de l’amitié, le bonheur comme les peines, l’espérance, la souffrance, les rires… Tout ce que nous vivons est si grand, si varié, si incroyable. Notre vie est peut-être infiniment petite à l’échelle de l’Univers, mais c’est notre vie, notre tout. Elle est infiniment grande à notre échelle à nous. 

— C’est l’infiniment grand au cœur de l’infiniment petit, conclut Nicolas. 

Elle sourit face à ce résumé du paradoxe. Il n’y avait plus rien à ajouter.

Après plusieurs dizaines de minutes de silence, Nicolas pensait que Pauline s’était endormie. Il allait se lever pour aller lui chercher une couverture, lorsqu’il entendit la voix de celle qu’il aimait percer la nuit et le silence.

— En fait, quand on y pense, la Terre fait chaque année une rotation autour du Soleil. Ça veut dire qu’il y a une place dans l’Univers pour chaque jour de l’année. Il y a un endroit dans l’Univers où la Terre se trouvait lorsque je suis née. Et c’est à cet endroit précis que j’ai fêté mon anniversaire chaque année. Et toi, tu avais ton endroit aussi, mais c’est un autre endroit. Il y a un endroit en novembre, où la Terre s’est trouvée la première fois qu’on s’est embrassés. C’est notre endroit à nous. Chaque jour correspond à un lieu, et chaque année nous retournons sur chaque lieu qui lui est propre. C’est tellement bizarre de se dire ça.

Elle avait peur que ses mots soient trop flous pour Nicolas, elle espérait qu’il comprendrait le sentiment exact qui la traversait. Mais elle ne s’était absolument pas attendue à la réponse qu’il lui donna.

— En fait, je ne voudrais pas casser ton rêve, mais l’Univers est en constante expansion, et le trajet de la Terre autour du Soleil se décale d’une année à l’autre. Alors désolé, mais ce que tu dis ne marche pas.
Elle ne lui montra pas qu’elle était déçue, et réfléchit à ce nouveau concept en gardant les yeux rivés sur l’espace. 

— Alors ça veut dire qu’on ne retourne jamais deux fois au même endroit. Chaque parcelle de l’Univers qui a vu la Terre et ses humains passer ne les reverra plus jamais. C’est encore plus bizarre finalement.

Quand le froid commença à se faire sentir pour de bon, ils rentrèrent se coucher. Pauline se blottit contre son oreiller, prête à laisser son esprit entrer dans le monde des rêves. Mais juste avant de le laisser filer, elle se dit qu’elle espérait ne pas mourir cette nuit. Elle avait trop envie d’entendre Nicolas lui raconter la suite de leur histoire.

Elle reprit conscience avec un sentiment d’irréel, surprise de constater que le soleil était à nouveau là, qu’elle avait passé la nuit. Elle avait eu si peur de ne jamais se réveiller, de ne plus jamais revoir celui qu’elle aimait. Elle attendit avec impatience qu’il se réveille à son tour, le temps lui paraissait long. Elle se tournait et se retournait dans son lit, essayant par la même occasion de faire un peu de bruit. Elle savait qu’il ne leur restait plus beaucoup de temps ensemble, c’était trop bête que Nicolas le passe à dormir. Quand il ouvrit enfin les yeux, il s’aperçut qu’elle le fixait.

— Bonjour, murmura-t-il en souriant.

— Vite Nicolas, le temps presse. Je sens que je vais bientôt partir, il faut que tu me racontes une nouvelle histoire.

Sans plus attendre, il usa ses premières forces de la journée pour attraper la boîte sur sa table de chevet. Il en sortit une spatule en métal, fine et longue. Pauline regarda l’instrument avec des yeux ébahis pendant que de nombreux souvenirs lui revenaient en mémoire. Les travaux pratiques de physique, les interminables moments à prélever de la poudre avec ces spatules pour la poser sur la balance et attendre que celle-ci affiche la bonne valeur. 

— Cette boite est remplie de madeleines de Proust, remarqua-t-elle.

Nicolas se mit à sourire.

— C’était l’effet recherché. 

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