Chapitre 10 - S'extraire

Jewel voulut commencer. Elle chercha à s’approcher de la porte. Sur le moment, ils la virent s’éloigner d’une dizaine de mètres dans l’obscurité puis étonnement, alors qu’elle semblait toujours avancer, il était évident qu’elle faisait du sur place. Lorsqu’elle s’arrêta, et se retourna, elle n’eut besoin que de deux pas pour les rejoindre comme si les lois de la physique n’était pas les même ici. L’obscurité leur jouait d’étrange tour. Léna essaya à son tour, dans une bravade à Xavier. Elle explora du regard les lieux, fureta à droite à gauche, fixa longuement la fine ligne lumineuse, tenta quelques pas. Mais tout comme Jewel, elle revint bredouille. Sinead tenta de la rassurer. Ils n’allaient certainement pas y arriver du premier coup.

- La porte ne restera pas indéfiniment entrouverte, corrigea Xavier.

Sinead lui lança un regard noir. Ce n’était pas le moment. Elle se tourna vers son frère qui lui fit signe de tenter sa chance. Sinead n’attendait pas grand chose. Les indications de Xavier étaient plus que nébuleuses. Elle commença par marcher sans réfléchir vers la porte. Maintenant qu’elle savait qu’elle ferait du surplace, elle voulait essayer de le percevoir. Quelques pas plus tard, elle jeta un rapide coup d’œil en arrière et constata, comme prévu, qu’elle ne devait être qu’à dix pas alors qu’elle en avait bien fait une cinquantaine. Elle retourna son attention vers le rayon, reprenant son chemin tranquillement. Il avait parlé de flux. Elle ferma les yeux.

La lumière collait à ses rétines, pulsant sous ses paupières. Cela l’amusa. Cette marche lui apportait un sentiment d’apaisement inattendu. Elle marchait. Calmement. Comme si plus rien ne comptait. Comme s’il n’y avait plus qu’elle. Et tout les tensions et les peurs s’envolaient. Elle se laissa envelopper par l’obscurité, cherchant à ne faire qu’un. Elle se sentait si légère. Elle rouvrit les yeux. La porte toujours loin devant. Cela la fit sourire. Sans raison. Elle tendit les mains, se rappelant un vieux jeu. Lorsqu’en plein été, le ciel était d’un bleu dur. Lorsqu’elle était allongée dans l’herbe, le regard perdu dans l’immensité. Elle tendait la main vers le ciel, réduisait son champ de vision pour ne voir plus que du bleu et d’un seul coup, elle touchait le ciel. Elle exultait, s’imaginant sa main jouant dans le bleu comme on joue dans l’eau. Elle amadouait l’espace, avalait la distance, prenait possession du ciel. Pendant une fraction de seconde. Alors, là, dans l’obscurité, Sinead tendit la main comme si elle pouvait effleurer ce bâton de lumière, comme les défis qu’on se lance entre enfant. Elle voulait juste l’effleurer, montrer qu’elle en était capable. Pas l’attraper. On n’attrape pas la lumière comme on ne peut attraper le ciel. On ne peut que l’effleurer. Jouer avec. Le rêver. Et pendant un instant, Sinead se laissa intégralement engloutir par son jeu solitaire, dans l’obscurité, dans l’espace.

 

- Elle est en train d’y arriver, s’exclama beusquement Léonard.

Il avait fait sursauter les autres. Il ne savait pas d’où il sortait cette affirmation mais il le sentait. Il sentait au plus profond de ses tripes que sa sœur s’éloignait. Instinctivement, il s’élança derrière elle. Il perçut un léger courant d’air froid lui léger les chevilles. Il se mit à courir. L’air se densifia et bientôt ce fut un véritable zéphire qui lui fouettait la peau. L’euphorie le gagna. Cela faisait si longtemps qu’il n’avait pas ressentit le vent. Léonard se rendit compte à quel point cela lui avait manqué. Mais il n’avait pas le temps. Sinead avançait toujours, concentrée sur le chemin, le flux comme avait dit Xavier. Il accéléra, comprenant parfaitement ce que l’inconnu avait voulu dire en parlant de traîne. Il perçut une vibration dans son dos. Instinctivement, il sut que c’était Jewel, filant dans sa propre traîne, légère et discrète. Il n’arrivait pas à percevoir Léna et Xavier. Il espérait qu’ils étaient simplement derrière. Alors, sans plus chercher à comprendre, il s’en remit à sa sœur. Il se tendit et concentra tout son corps dans un seul et unique but : s’extraire.

 

Alors que ma main dansait dans l’obscurité, cherchant à attraper ce bâton de lumière, elle percuta une surface rugueuse. Je clignais des yeux et réalisais que la porte était devant moi. Un courant d’air s’en échappait, caressant ma peau, brouillant mes pensées. Je ne savais pas quoi penser. J’avais l’impression d’avoir était extraite brusquement de l’eau. Une bulle qui éclate. Perturbée. Je caressais la porte. Je m’éblouissais de la lumière sans voir ce qu’il y avait derrière. Je respirais le vent. Pulsation. Sortir. Ca me revenait. J’eus un pincement au cœur. L’obscurité me manquait. Pendant un instant, j’hésitais à faire demi-tour. Je voulais retrouver le calme. Mais alors que je me détournais, j’aperçus Léonard qui accourait vers moi. Il lui manquait tout juste quelques mètres pour me rejoindre mais c’était comme s’il y avait eu des kilomètres. Je le sentais. Je tendis la main. Il l’attrapa. Je tirais. La seconde d’après, il se fondait dans la lumière et disparaissait. Jewel surgit juste après. Je l’aidais elle aussi sans vraiment savoir ni comprendre ce que je faisais. J’agissais. Pure instantané. Elle fondit. Cela faisait deux. Deux. Je fronçais les sourcils. Quelque chose manquait, me retenait encore. Je ne pouvais pas encore passer. Je scrutais les ténèbres. Léna. Elle apparut soudainement devant moi. Immobile. Le regard incertain.

- Tu as trouvé ? me demanda-t-elle.

Je tendis la main. Je n’étais pas sur de comprendre ce qu’elle me disait. Je n’étais pas vraiment moi-même. J’étais le flux. J’étais le passage. Elle regarda ma main comme si elle ne comprenait pas bien et la prit. J’aurais dû comprendre mais je n’étais plus capable de penser. Je savais ce qui allait suivre sans pour autant être en mesurer de le réaliser. Je n’étais ni passé, ni présent, ni futur. J’étais l’instant. Rien n’avait d’importance. J’avais même oublié Xavier. J’étais une direction. J’étais un objectif. Je n’aurais rien pu faire. Même avec toute la volonté du monde. Rien.

Je me tournais pour me fondre à mon tour dans la lumière, la tirant dans mon sillage. Léonard et Jewel était juste devant, en suspens dans le passage, prit dans un instant qui attendait que je lui influe une direction. Je fondis avec eux.

 

Une douleur fulgurante broya alors le poignet de Léna. Elle fut obligée de lâcher la main de Sinead avant de s’écrouler au sol, emportée par l’élan. Que se passait-il ? Où était les autres. Tout était allé trop vite. Léonard et Jewel étaient partis devant. Elle n’avait pas compris pourquoi. La porte était inaccessible. C’était impossible. Et puis soudain, Sinead était là, devant elle. Mais ce n’était pas elle. Son regard était transparent. Absent. Et pourtant... Sinead lui tendit la main. Une main qui devait la sortir d’ici. Mais c’était impossible. Elle lui donna quand même. Mais quand Sinead voulut la tirer, cette étrange douleur l’avait fait lâcher.

En se relevant, elle perçut un léger voile entre Sinead et elle. Son amie semblait de nouveau elle-même. Léna posa ses mains délicatement sur le voile. C’était une barrière infranchissable. Invisible, fluide, presque aussi fragile que du cristal… Mais pourtant infranchissable. Elle le savait. Elle capta alors le regard affolé de son amie. Ses yeux étaient redevenus normaux, noisette avec une pointe de vert, parés d’inquiétude.

- Qu’est-ce qu’il se passe ?

- Je ne peux pas passer, murmura Léna avec un aplomb qui l’a surpris elle-même.

D’où lui venait cette certitude ? La peur de Sinead finit par l’atteindre et la réalité la rattrapa enfin.

- Non, non, non, s’affola Léna, prenant enfin conscience de ce qui était en train de se produire.

Sinead essaya de prendre les mains de son amie. Elles se touchaient. Elle n’était même plus sur qu’il y ait vraiment quelque chose qui les sépare. Pourtant elle ne sentait pas la peau de son amie et elle était définitivement incapable de traverser.

- Non, souffla Sinead.

Et en moins d’un battement de cils, le noir redevint complet.

Un battement de cils plus tard, Sinead se tenait face à un mur blanc. Elle regarda autour d’elle, sous le choc, découvrant avec aberration, un salon inconnu. Son regard tomba sur le corps de Léonard écroulé au sol à ses pieds. Elle allait se pencher pour l’aider, se demandant où était Jewel quand des paillettes noires dansèrent devant ses yeux et que des vertiges l’emportèrent. Retour aux ténèbres.

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