Chapitre 10 - Lo

Notes de l’auteur : Bonjour :D Après une petite pause, la publication hebdomadaire reprend ! Bonne lecture :)

Nodia cueillait sur la route plusieurs fruits et quelques branches, qu’elle glissait silencieusement dans ses poches ou dans ses sacoches. Malgré toutes les tentatives de Lo et Del de lui extorquer une explication signée, elle ne leur donna pas plus davantage d’informations, ni sur leur destination, ni sur pourquoi ils ne pouvaient revenir au village. Ils quittèrent la forêt, remontèrent une colline, redescendirent dans une vallée, puis grimpèrent de nouveau, jusqu’à ce que Del ne réclame une pause au sommet. 

Le pauvre maegis était exténué, et cela faisait longtemps que Lo ne l’avait pas vu dans un état pareil. Le générateur à nimbus pesait sur ses épaules, et il se retenait de tirer toutes les deux minutes sur le masque qui couvrait une partie de son visage pour se gratter au-dessous. Sa magie était particulièrement instable - il n’y avait pas besoin de bien connaître Del pour s’en rendre compte. La cicatrice qui le divisait en deux ne cessait de changer de couleur, incapable de se décider sur la nature de l’énergie dont il avait besoin pour survivre.

Et pourtant, il souriait encore avec son habituel regard rieur, et ses pupilles blanches s’illuminèrent lorsqu’il s’arrêta à côté d’iel pour examiner le paysage.

Il n’y avait que du vert à perte de vue. Sur les collines herbeuses, dans les valons qui les entouraient, et au-dessus des quelques petites forêts isolées sur les pentes ou dans les creux. Aucune touche de rouge, violet, jaune, bleu ou orange ne venait briser la monotonie de la palette. Ce n’était pas si différent du désert, pour Lo ; même si, au moins, l’herbe n’essayait pas d’avaler ses sabots à chaque pas, et qu’aucun grain de sable ne se glissaient entre les coutures de ses vêtements à la moindre levée de vent pour lui gratter l’entre-cuisse. 

Del s’écroula finalement au sol, et gémit de soulagement après avoir allongé les bretelles de son générateur à nimbus. La fissure de son visage s’était stabilisée sur un gris morne, reflété dans les teintes des nuages accrochés dans son dos. Lo aussi était fatigué, et même leur étrange guide semblait avoir davantage besoin de la pause qu’elle ne voulait le montrer.

Le seul à ne pas sembler affecté était Sehar. L’hybride eut l’air presque surpris qu’ils s’arrêtent, et resta debout un brin mal à l’aise à côté du cheval. Ce dernier baissa sans hésiter l’encolure pour brouter, parfaitement capable de discerner une bonne opportunité de se remplir la panse quand elle se présentait.

— Je suis mooooooort, gémit Del. Et j’ai trop faim… La soupe de Maro me manque déjà, c’est un crime d’être parti sans dire en revoir !

— Je suis d’accord, soupira Lo. J’ai quelques biscottes, mais on ne va pas aller loin avec ça, surtout à quatre…

Alors qu’iel les sortait de sa sacoche, Nodia l’arrêta d’une main sur le bras, avant de s’asseoir dans l’herbe. Elle rassembla devant elle les petites branches qu’elle avait ramassées sur la route, puis sortit un couteau avec lequel elle creusa des trous au milieu de chacune d’entre elles. Au fur et à mesure, elle y glissait les baies qu’elle avait cueillies, et Lo la regarda faire deux fois avant de s’accroupir à ses côtés.

— Qu’est-ce que tu fais ? demanda-t-iel.

Elle lea chassa avec un air courroucé, ses sourcils froncés et une pointe de meurtre dans les yeux, qui n’eut absolument aucun effet sur lea faune. Ce n’était pas quelque regards noirs qui pourraient le dissuader de faire quoi que ce soit, où iel ne serait même pas vivant aujourd’hui.

— Si on doit aller loin, il vaut mieux que tu ne sois pas la seule à savoir ramasser et préparer de quoi manger, non ? insista Lo.

— Elle fait à manger, là ? murmura Del, peu convaincu.

Nodia s’interrompit, et, après un bref regard assassin vers le maegis, fit signe à Lo de s’asseoir à côté d’elle, ce qu’iel fit sans attendre. Elle lui donna une branche, et recommença son opération assez lentement pour qu’iel puisse imiter ses gestes. Ensembles, ils préparèrent la vingtaine de branches, et Nodia en attrapa une, sur laquelle elle écrasa la baie insérée. Aussitôt que le jus coula, le bois s’embrasa, et le reste de la pile suivit. En quelques secondes, les flammes vertes avaient traversées l’ensemble de la cueillette, sans se répandre au-dehors ni brûler leurs mains, et la jeune fille reprit aussitôt un bâton qu’elle mâchonna du bout des dents.

— C’est pas toxique pour les maegis, hein ? demanda Del avec appréhension.

Nodia attrapa une des branches de la petite pile devant elle, et la lui lança au visage. Lo retint à peine un léger rire alors que son apprenti peinait à récupérer le projectile dans ses mains, et Sehar regarda le reste des branchages brûlés sans oser s’y servir. 

Lea faune goûta, pour les rassurer un peu : le bois était mou, et fondait sur la langue. Iel sentit d’abord une note sucrée, suivi d’une légère amertume qui lui pinça les narines, comme certaines des graines caramélisées qu’iel préparait avec son père les soirs de grande chaleur. 

— Je pense que ça devrait t’aller, constata Lo après une première bouchée. Mange aussi, Sehar.

Lea faune tendit à l’hybride deux branches, qu’il attrapa timidement, avant de mordre dedans, les yeux rivés dans l’herbe à ses pieds. 

— Alors, comment tu t’appelles, poney ? demanda Del, visiblement satisfait des premières bouchées qu’il avait avalées. Tu n’as pas dit un mot non plus depuis tout à l’heure !

Le cheval pie ne releva même pas la tête, et continua de brouter l’herbe avec entrain, ses oreilles dressées en avant.

— Je… crois que c’est un cheval ? supposa Sehar. Il est trop grand pour un poney…

— Oh, c’est pour ça qu’il ne parle pas, alors ?

— Les poneys ne sont pas censés parler non plus, normalement, rigola Lo.

— Vraiment ? Et ben, on en apprend tous les jours…

Une fois les branches terminées, ils reprirent la route. Toujours avec appréhension, mais les sabots moins lourds, dans le cas de Lo. Tant qu’ils trouvaient de l’aide au bout du chemin …

Le cheval hennit avec inquiétude, et à ses côtés, Sehar s’arrêta, les yeux écarquillés.

— Hey, c’est quoi ce truc ? pesta Del.

Nodia n’eut pas l’air aussi inquiète que les deux adolescents, cependant. Alors Lo essaya de ne pas l’être aussi, lorsqu’iel suivit leurs regards vers une vallée, sur leur gauche.

Mais son coeur fit un bond dans sa poitrine, et iel déglutit.

Une nappe noire recouvrait l’herbe verte, et devant elle, iel pouvait distinctement voir plusieurs animaux petits ou moyens fuir, alors qu’ils s’étaient fait discrets pendant tout leur voyage. Si partir était plus sûr pour eux que de se cacher, alors la chose était vraiment dangereuse… Et Lo n’avait aucun mal à le croire.

Dès qu’iel avait posé son regard dessus, Lo avait reconnut son aura malaisante et ses remous funestes.

— Un Cauchemar, répondit-iel. Tu les appelles comme ça aussi ? 

Nodia acquiesça, sans détourner son regard de la chose, comme si elle surveillait qu’elle ne changeait pas de trajectoire pour les engloutir eux.

— Qu’est-ce que ça fait ? demanda Sehar.

Lo déglutit. Iel n’en avait pas croisé depuis longtemps, mais les Cauchemars de son enfance, manufacturés par des maegis peu scrupuleux, n’étaient jamais de bon augure. 

— Ils prennent toute la magie des êtres qu’ils touchent. Ils peuvent détruire des forêts aussi bien que des personnes. C’est pire que la mort.

— L’herbe devrait pas mourir, alors ? demanda Del.

Nodia secoua la tête. Elle se pointa elle, puis eux tous, le cheval compris.

— Seulement… ce qui bouge ? essaya Del.

Elle secoua de nouveau la tête, puis plaça la paume de sa main au-dessus de sa poitrine.

— Tout ce qui a un coeur, corrigea Lo.

Nodia ramena son regard vers le Cauchemar, qui s’éloignait lentement, jusqu’à disparaître dans la vallée suivante. Lo l’observa aussi, le visage fermé et les yeux plissés. Pour iel, les forêts et leurs arbres avaient toujours eu un coeur… mais pas ici. Est-ce que c’était pour cela qu’iel n’avait pas ressenti de lien avec la forêt, à leur arrivée ?

Pas parce qu’ils étaient trop loin de la sienne, mais parce que ces arbres et ces plantes-ci n’avaient pas de coeur, pas de reine ?

Comment pouvaient-ils seulement survivre sans ?

Lo n’eut pas le temps d’y penser davantage, cependant. Nodia reprit la route, et ils lui emboîtèrent le pas, dans la vallée suivante et vers la prochaine colline.

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Nanouchka
Posté le 28/12/2021
Ohlala, je les aime tant.

Mon passage préféré du chapitre :
"Nodia secoua la tête. Elle se pointa elle, puis eux tous, le cheval compris.
— Seulement… ce qui bouge ? essaya Del.
Elle secoua de nouveau la tête, puis plaça la paume de sa main au-dessus de sa poitrine.
— Tout ce qui a un coeur, corrigea Lo."
AnatoleJ
Posté le 02/01/2022
Bonjour et bonne année :D

Merci pour ton commentaire, ça me fait toujours plaisir de voir quels passages te marquent le plus ^^
Le Saltimbanque
Posté le 18/07/2021
Un monstre qui contamine tous les êtres vivants qu'il touche et qui se déplace dans la forêt m'a fortement fait penser aux démons dans Princesse Mononoké. Donc j'ai kiffé, encore une fois.

Petit chapitre de transition. Ça avance vite et bien, l'écriture est juste, et j'ai particulièrement aimé les dialogues entre les personnages. Notamment lorsqu'ils campent et mangent, j'ai vraiment senti la naissance d'un groupe (à peu près) soudé. Mention spéciale à Sehar qui apprend que les chevaux ne parlent pas, et à la nourriture aussi imaginative qu'appétissante.

J'adore le fait que le Cauchemar arrive et reparte, comme une espèce d'apparition hantée et terrifiante. On dirait que quelque chose de sombre dépasse les personnages et leurs luttes. Aussi, un autre combat maintenant aurait été un peu fatiguant, puisque les deux chapitres précédents étaient assez intenses.

Sinon, je ne peux que chipoter. Je trouve VRAIMENT irresponsable de suivre Nodia dans la forêt comme ça, sans raison, sans vivres et direction précise. Je veux bien qu'il faut bouger à cause des chasseurs de prime, mais se laisser guider par une Nodia assez hostile dans la pampa me parait être une alternative assez risquée aussi.
En plus de la part de Lo, qui est un peu lea plus mature du groupe : iel ne pouvait pas forcer Nodia à parler ?

Voili voilou
AnatoleJ
Posté le 21/07/2021
Je trouve ça toujours rigolo quand quelqu’un fait un parallèle entre mes histoires et un film d’animation japonais, parce qu’on me le dit très souvent, mais ma culture sur la question est proche de zéro et je me demande toujours quelle est l’inspiration commune qui m’a amené à écrire des bestioles/ambiances similaires x)

« Sinon, je ne peux que chipoter. Je trouve VRAIMENT irresponsable de suivre Nodia dans la forêt comme ça, sans raison, sans vivres et direction précise. »
Je suis totalement d’accord avec toi, ce n’est pas du tout responsable de leur part (je ne l’aurais pas fait), mais ça correspond à 100% au caractère de Lo. Tu as aussi raison de lea pointer comme force de décision, parce qu’il aurait effectivement suffit qu’iel hésite pour que tout le monde fasse demi-tour sans Nodia. Et la raison pour laquelle iel n’hésite pas à été brièvement mentionnée plus tôt : Lo se pense excellent juge de caractère. Et là tout de suite, iel n’a aucune raison personnelle de ne pas faire confiance à Nodia.

Merci d’avoir noté toutes les petites choses que tu as bien aimé, c’est très apprécié :D
Mathilde Blue
Posté le 07/06/2021
Pourquoi s’arrêter en si bon chemin après tout ? Oh moins j’aurais rattrapé mon retard ^^ N’empêche, j’ai une réclamation à faire : pourquoi les chapitres ne sont jamais du point de vue de Del ? Parce qu’il est trop chou quand même.

C’est un chapitre plus calme, c’est agréable, ça permet une pause émotionnelle et de davantage prendre son temps pour connaître les personnages ! Nodia me fait rire, elle a quand même l’air profondément associable et pas avenante pour un sous, mais elle leur prépare quand même à manger, c’est trop chou. Lo c’est plus la figure parentale (ou alors fraternelle/sororale), la force calme ^^ Et puis Sehar est tout timide, c’est trop mignon, quand Del semble un peu être un éternel optimiste ! J’aime beaucoup l’association entre tous les personnages !

Bon, cette histoire de Cauchemar et de forêt sans cœur est pas très rassurante par contre ^^

Mes notes :

« il se retenait de tirer toutes les deux minutes sur le masque qui couvrait une partie de son visage »
J’avais oublié qu’il devait porter ça, le pauvre, ça me rappelle tristement notre condition actuelle xD

« La cicatrice qui le divisait en deux ne cessait de changer de couleur, incapable de se décider sur la nature de l’énergie dont il avait besoin pour survivre. »
J’ai toujours un peu de mal à visualiser cette histoire de cicatrice je crois ^^’

« parfaitement capable de discerner une bonne opportunité de se remplir la panse quand elle se présentait »
Forcément, j’en connais d’autres comme ça XD

« Ce n’était pas quelque regards noirs qui pourraient le dissuader de faire quoi que ce soit, où iel ne serait même pas vivant aujourd’hui. »
Alors, je ne suis pas une grande spécialiste de cette écriture, mais je crois que c’est plutôt « qui pourraient leA dissuader », non ? Sinon, pauvre Lo, il mérite pas tant de haine T_T

« — Les poneys ne sont pas censés parler non plus, normalement, rigola Lo. »
Si tu m’apprends qu’ils ont croisé Gulliver, je vais mourir de rire xD

Voilà :D J’ai enfin rattrapé mon retard !! À bientôt pour la suite ! :D
AnatoleJ
Posté le 09/06/2021
Tu as bien cerné la petite bande :D
« pourquoi les chapitres ne sont jamais du point de vue de Del ? Parce qu’il est trop chou quand même. »
J’ai dû me poser exactement la même question à ce stade de l’écriture parce que le prochain chapitre est de son point de vue, justement xD (et effectivement il est trop chou, j’ai l’impression d’écrire du point de vue d’un tournesol quand c’est son tour)

« J’avais oublié qu’il devait porter ça, le pauvre, ça me rappelle tristement notre condition actuelle xD »
Le pire c’est qu’au tout début, j’ai failli retirer Del de mes idées parce qu’amener un maegis étranger en Abradja voudrait forcément dire lui faire porter un masque et je savais pas si j’avais envie d’écrire ça, mais finalement, mon envie d’écrire Del a été plus forte, et heureusement !

« Alors, je ne suis pas une grande spécialiste de cette écriture, mais je crois que c’est plutôt « qui pourraient leA dissuader », non ? »
Effectivement, c’est une typo ! En fait, il n’y a pas de règles officielles, et chaque personne non-binaire utilise les règles qui collent le plus à son ressenti : pour Lo, c’est iel/lea + accords masculins

« Si tu m’apprends qu’ils ont croisé Gulliver, je vais mourir de rire xD »
Je ne peux ni confirmer ni réfuter cette supposition pour le moment héhé ^^ (cela dit, ce n’est pas la première allusion possible à ce très cher quadrupède, mais comme il fallait avoir retenu un nom qui apparait une fois dans les chapitres 5 et 25 du Dernier Chant, je suis parti du principe que personne la trouverait xD)(oui c’est très précis, c’est du micro-détail, j’aime bien les easter eggs et connecter mes histoires, chuuut)

Merci pour toutes tes notes, c’était très chouette de te lire et ça m’a donné pleins d’idées pour amélirer ces premiers chapitres ! Merci encore et à bientôt :D
Mathilde Blue
Posté le 09/06/2021
J’ai hâte de lire le prochain chapitre T_T (Quand j’étais petite le tournesol était une de mes fleurs préférés !)

« mais finalement, mon envie d’écrire Del a été plus forte, et heureusement ! »
Je confirme, surtout qu’en vrai le masque de Del s’oublie facilement ^^ (Et puis bon, je vais rien dire j’ai mis un couvre-feu dans Le Prince déchu xD)

« En fait, il n’y a pas de règles officielles, et chaque personne non-binaire utilise les règles qui collent le plus à son ressenti »
D’accord je vois !

« mais comme il fallait avoir retenu un nom qui apparait une fois dans les chapitres 5 et 25 du Dernier Chant »
Je suis allée voir mais j’ai rien trouvé, je suis une très mauvaise enquêtrice x)

Avec plaisir ! J’attends la suite avec impatience ! À bientôt :D
AnatoleJ
Posté le 11/06/2021
Je suis toujours fans des tournesols, j'en ai un miniature sur mon balcon qui n'a pas encore de fleur mais il danse déjà avec le soleil :D

Si tu veux connaître l'easter egg sans avoir à le chercher, je peux te le donner, ce n'est pas un spoiler du tout ^^
Mathilde Blue
Posté le 11/06/2021
Oh trop mignon T_T

Ouiiiiiii, je veux savoir !!
AnatoleJ
Posté le 12/06/2021
Gulliver mentionne l'un de ses frères, Edgard Dune (le lapin qui monte parfois sur son dos et n'est donc définitivement pas un autre poney), et c'est lui le médecin du prologue :D J'aime trop Edgard, j'ai pas pu résister à la possibilité de lui donner un petit rôle x)
Mathilde Blue
Posté le 12/06/2021
Ooooooh, j’aurais jamais fait le lien toute seule j’avoue xD
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