Chapitre 10 : les Anneaux

Par Drak

Rapport d’incident :

Le Porteur de l’A-Ph et celui de l’A-E se sont affronté dans une bataille ravageuse. Porteur de l’A-Ph vainqueur, Porteur de l’A-E en fuite avec un bras cassé.

Nous poursuivons ce dernier, dans l’espoir d’une récupération.

 Archives de l’Apsû, branche Polynésienne, DATE PERDUE

 

Je fronce les sourcils alors que je dévisage le duo.

« L’Anneau d’Excalibur ? C’est comme ça que ma chevalière s’appelle ? …Attends : comment tu le connais ? »

« Elle ne sait rien, vieux. Évite le jargon technique sans l’expliquer. »

Oh, seigneur, j’avais presque oublié à quel point Sacha me tapait sur les nerfs…

Mais mon horripilante camarade est sauvée d’une nouvelle dispute avec moi, par l’intervention de Mathieu qui se racle la gorge pour quémander notre attention.

« Alors, allons-y étape par étape : que sais-tu déjà ? »

« Elle ne sait rien, je te dis… »

D’accord, là je vais lui donner une leçon !

« Eh bien, pour commencer : je sais faire ça. »

Je plonge vivement la main dans le mur, dont je ressors mon épée, que je pointe vers la gender-fluid.

Celle-ci recule, surprise ! 

Puis elle découvre les dents, qui commencent à devenir pointus, alors que de la fourrure pousse partout sur sa peau… en une poignée de secondes, je me retrouve à menacer un gros loup brun, avec une mèche blanche !

L’animal gronde agressivement, alors que c’est mon tour de faire un pas en arrière.

« Ça suffit vous deux ! »

Mathieu s’interpose entre nous, en dépit de son état encore exténué.

Sacha se retransforme, bien que ses yeux m’expriment toujours milles menaces.

Diplomate, je range mon épée dans le sol.

« D’accord, tu sais invoquer ton arme, c’est très bien ! Quoi d’autre ? »

« …Mon oncle est certainement au courant pour ma chevalière. Je l’ai entendu au téléphone qui disait qu’il la cherchait, pour la donner à quelqu’un d’autre… »

« C’est un pote à l’Apsû. Je les ai déjà vus avec l’un de leurs agents. » Me coupe Sacha, ce qui ne manque pas de me faire dresser un sourcil perplexe.

« La… quoi ? »

« L’Apsû. "L", apostrophe, plus loin : "Apsû". » M’explique patiemment Mathieu, « Il s’agit d’une organisation cherchant à rassembler tous les Anneaux, considérant qu’il est trop dangereux de les laisser à n’importe qui. »

« Des crétins arrogants. » Glisse Sacha, triturant sa bague, qu’elle ne cache plus.

« D’où le fait que tu ne voulais pas le rencontrer ? »

Elle acquiesce.

Plus si étonnée après tout ce que j’ai déjà vu et apprise, je continue sur ma lancée : « Donc, si je suis bien, ma chevalière et ta bague appartiennent à un ensemble nommé "Anneaux" dont, je suppose, chacun a une capacité qui lui est propre ? Toi, il te permet de te transformer. »

Nouveau hochement de tête.

« Ma famille entière est le Porteur de l’Anneau de Loki, qui donne la capacité de métamorphose. »

Je lève mon poing, où j’ai enfilé mon propre bijou.

« Et le mien, vous avez dit que c’est l’Anneau d’Excalibur… et il permet juste de sortir une épée de la pierre ? Ce n’est pas très équitable ! »

Mathieu reprend la parole, visiblement embarrassé.

« C’est vrai que tous les Anneaux peuvent être vus comme pas toujours égaux en termes de capacité… Mais d’après ce que l’on m’a dit… ici, c’est le tien le plus puissant. C’est un Anneau élémental, celui de la terre… On m’a raconté des histoires de Porteurs ayant provoqué des tremblements de terre, avec son pouvoir. »

Je reste figée un instant, trop sonnée pour réagir.

Je… quoi ? Je pourrais faire… sérieusement ?

C’est presque comme en transe que je porte ma main à hauteur d’œil, d’un coup, bien moins rassurée par la chevalière qui brille innocemment à mon doigt.

« Je suppose que je vais être moins tentée de m’en servir… »

« La plupart des Porteurs, comme Sacha et moi, nous nous efforçons de faire profil bas, autant pour que l’Apsû nous laisse tranquilles, que pour éviter de faire de quelconques dégâts par inadvertance ou causer du tort à notre entourage. »

Je dévisage mon camarade plus enrobé.

« Tu en es donc un également ? »

La grimace inquiète qui déforme immédiatement ses traits m’informe que je viens de mettre le doigt sur un sujet délicat.

« À l’origine, oui… comme la famille de Sacha, la mienne se partageait un Anneau… celui des Yōkai. »

« Oh ! ...Et quel était son pouvoir ? »

« C’est l’Anneau de la vie. Il permet de donner la vie à des objets inanimés… ou de modifier des êtres vivants, mais c’est un tabou dans ma famille. »

Je sens mes poils se dresser sur ma peau. Pourquoi cela me rappelle quelque chose ?

« …Pourquoi en parles-tu au passé ? »

« Eh bien, il y a un mois… notre maison a été cambriolée et ils sont tous morts ou portés disparus. »

« À peu près en même temps que les membres de ma famille se sont mis à ne plus donner de nouvelles, les uns après les autres. Mathieu a emménagé chez moi depuis deux semaines, pendant que mes parents sont partis enquêter… mais eux non plus ne répondent plus au téléphone depuis quelques jours… » complète son amie, alors que je reste bouche bée, trop horrifiée pour articuler quoi que ce soit.

Mais dans quoi est-ce que j’ai mis les pieds ?

 

*

Dans son appartement en désordre, un homme fixe le plafond avec humeur.

Il faut qu’il accélère le mouvement. Il faut qu’il se dépêche de s’occuper de la gamine Pangredon. Le temps commence à lui faire défaut. Le gros s’impatiente et il n’est pas bon de trop le faire attendre non plus.

« Connard… »

D’un bond, il se redresse de son canapé, sortant de chez lui telle une comète.

Il y pense depuis déjà un moment, mais si l’Apsû ne lâche pas l’affaire, c’est certainement car ils ont de fortes raisons de suspecter la petite d’avoir l’Anneau de son père.

Plus il attend, plus les risques qu’ils trouvent l’A-E augmente.

Il ne voulait pas en arriver là, mais il semblerait qu’il n’ait plus le choix.

Il va la mettre au pied du mur, pour l’obliger à se dévoiler… et si elle échoue, l’Anneau sera perdu, mais ça fera une épée de Domoclès en moins.

Le gros ne va pas être content, mais ce n’est pas très important.

Une demi-vengeance est toujours mieux que pas de vengeance du tout.

Il va mettre fin à cette ennuyeuse chasse.

 

Dans la rue, en vue de la maison de sa cible, il s’interrompt.

La voiture du frère d’Arthur est entrain de s’éloigner, avec uniquement ce dernier à son bord.

L’homme réfléchit, passant les possibilités en revue.

Option un : il sort pour une quelconque raison et la fille est toute seule au domicile. Quelque chose qui n’était pas arrivé depuis son emménagement…

Option deux : elle est sortie quelque part et son oncle s’en va la récupérer.

Les deux options témoignent que l’Apsû commence à relâcher sa surveillance… mais c’est encore bien trop insuffisant.

Non, il veut mieux qu’il maintienne son plan.

Il tourne les talons, pour aller s’installer à la terrasse d’un bar pas trop éloigné.

Il n’a qu’à attendre que l’oncle revienne.

Si la fille est seule à l’intérieur, il y a certainement des agents qui surveillent la maison à l’extérieur. Il serait trop dangereux de rentrer.

Il a déjà couru une fois le risque de s’y introduire pendant que l’oncle amenait sa nièce au lycée. Mais sans rien trouver d’intéressant.

Il ne faut pas trop attirer l’attention…

Son téléphone vibre.

Il pense d’abord au gros, mais c’est un autre nom qui s’affiche à l’écran.

« Ouais, allo… Non, hélas, je ne vais pas pouvoir passer la nuit avec toi. Ahah… oui je réchaufferais ton corps de glace une autre fois, ne t’inquiète donc pas ! …Mais j’ai autre chose à brûler ce soir. Une maison, oui. »

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