Chapitre 1 : le lutin

Par LiaLL

  Un froissement de jupes résonnait dans les couloirs du palais de pierre blanche, phare de la plaine, qui était un lieu de recueillement pour les citoyens épris de leur roi. Édifice étant réputé pour ses valeurs de paix et de repos, nombreux étaient les croyants qui défilaient chaque année dans un long cortège nivéen jusqu’aux portes d’acier, se prosternant de reconnaissance devant celui qu’ils vénéraient comme leur guide et leur seul espoir, leur roi. Mais la jeune femme qui tenait entre ses fines mains un bouquet de violettes n’était pas de ces Hommes là. La seule personne vers qui convergeaient ses pensées les plus sincères de gratitude étaient pour sa mentor, la soigneuse en titre du palais ; loin d’elle l’idée d’être redevable à qui que ce soit d’autre. Et c’est l’esprit orienté vers cette femme de caractère qu’elle frôlait de ses bras fin les murs couverts de tapisseries épaisses aux couleurs décrépies et rendues rugueuses par le temps.

Les angles des murs étaient poussiéreux dans cette aile du palais, preuve qu’elle n’attirait plus l’attention sur elle depuis longtemps, abandonnant les bals et les cérémonies conviant convives aux salles les plus prestigieuses de la bâtisse. L’endroit était un refuge pour cette femme et celle qui la logeait, leur lieu de plénitude, assez éloigné des appartements du roi et de sa suite pour qu’elles ne soient jamais dérangées dans leur vie quotidienne. Bien sûr cela excluait les nombreuses fois où l’on avait requit leurs services en tant que guérisseuses, mais cela de côté leur vie n’était que silence et écoute de l’autre, parallèlement à un lien profond entretenu avec la nature alentours. Elle connaissait tout les bois adjacents au domaine d’habitation et s’était aventurée à de nombreuses reprises dans les champs et les plaines, les fermiers ne la gênaient pas puisque qu’ils ne la voyaient pas, elle était toujours discrète lorsqu’elle cueillait. Et quand bien même on aurait aperçu sa silhouette blanche se découper sur le flanc d’une colline parsemée de fleurs, on n’aurait prononcé un mot tant le spectacle laissait songeur de béatitude.

Que pouvait-elle bien imaginer, assise ainsi sur l’herbe, sans un mot, les mains recouvertes de pollen ? à quoi pensait-elle, allongée au gré du vent et des plis de ses vêtements ? qu’elle était donc son vœux le plus cher, celui qui l’avait convertie à une vie noyant solitude et parfums botaniques ? Autant de questions qui ne se prononcèrent jamais que dans l’âme des chanceuses personnes l’ayant observée.

Elle accéléra le pas le long du couloir, là où le sol n’est plus droit et se déforme, obligeant quiconque l’emprunte à lever les pieds plus prudemment sous peine de trébucher. Des meubles étaient recouverts d’un drap blancs, ils patientaient depuis des siècles, persistants qu’un jour on se souvienne de leur existence et leur attribue une utilité. Le plafond mêlait blancheur passée et peinture plus délavée, d’un gris nuageux et rêveur. Tout ceci ne paraissait pas grandiose aux yeux des servantes, des cuisiniers et du personnel qu’elle avait croisé depuis son arrivée, mais au travers de son regard patient c’était un gîte inattendu, abandonné et gisant de son inutilité. Elle y redonnait vie à force de passage, balayant de ses allées et venues les moutons de poussière, les toiles d’araignée et les insectes parasites. Ce confortable sanctuaire parut dans toute sa splendeur lorsqu’elle déboucha sur une porte en bois creusée et taillée, accompagnée d’une tierce identique, qu’elle ouvrit en abaissant par habitude la poignée de métal aux courbes lisses et entortillées sur elles-mêmes. La lumière s’abattit à flots sur le sols inégal et l’attira à l’extérieur, dans le jardin secret du palais, leur maison bien-aimée.

 

 

- Victoria, mon ange, il te faut arrêter de craindre tes responsabilités ! Quand ton père ne sera plus de ce monde, elle se tord nerveusement le poignet et se bénit pour les paroles qu’elle va prononcer, tu seras la nouvelle reine. Et alors tu devras bien accepter que tu es la seule à même de prendre ce rôle, car tu es sa fille !

- Je vous le répète sans cesse Didiane, ce titre ne sera pas mien car je le rejetterai, et avant que vous ne rajoutiez quoi que ce soit, s’empresse-t-elle de préciser devant la bonne femme prête à riposter, mon père le sait pertinemment et à très certainement prévu une autre descendance devant la certitude de mon futur refus.

La servante plus qu’indignée la poursuit à travers les appartements soignés et propres dans un spectacle de froufrou bruyants :

- Et de quel autre descendance parles-tu ? Il n’y a que toi ! Tu n’y échapperas pas Victoria, fais-toi donc une raison !

- Didiane, je vous aime bien aussi je n’insisterai pas plus, mais je vous en conjure, acceptez mes choix tels qu’ils sont. Qu’ils vous plaisent ou vous dégoûtent.

- En voilà une manière de s’adresser aux autres ! Que dis-tu, dégoûtant ? Mais ma belle ce n’est pas là un vocabulaire digne d’être enseigné.

La jeune femme souffla d’exaspération. Elle en avait connu d’autres mais cette discussion s’éternisait toujours et n’avait jamais trouvé de fin. Elle devrait se comporter en futur reine ? Non, c’était impossible, pas pour elle. Elle finit par semer sa poursuivante qui, épuisée, capitulait en reprenant son souffle adossée à une élégante colonne. Telle était la vie de Victoria, prochaine prétendante au trône, fille du roi. Discussion ennuyeuses, leçons d’alchimie, de mathématiques, de langue, d’histoire, de botanique, un emplois du temps divisé entre ses apprentissages et la tenue intérieure. Le laisser-paraître, l’étiquette, les codes sociaux… elle n’était pas capricieuse, loin de là, seulement réaliste. Sa vie était-elle vraiment destinée à rester cloisonnée entre des murs de pierre, à décider pour un monde qu’elle ne connaissait pas ? Elle n’était jamais sortie de la propriété royale, son père le lui interdisait et elle n’était pas parvenue à échapper aux mailles du filet. De plus le trône était une place bien trop importante pour être gâchée par une femme qui n’en avait pas envie, elle savait évidemment que bien d’autres personnes rêvaient d’y accéder et avec plus de mérite qu’elle n’en avait. Car eux possédaient la foi en ce poste, et la maîtrise d’un royaume dont elle n’était pas en contact. En devenant reine elle se restreindrait aux déplacements diplomatiques et encore, quitter le palais serait mal perçu, tel un sombre présage. Tandis que ces gens, plus déterminés, sauraient devenir des meneurs idéals pour le bien-être du royaume. Non, elle n’avait pas sa place ici, le monde serait plus en sûreté si elle n’héritait pas du titre, mais pour cela que devait-elle décider ?

Assise contre un appui de fenêtre, les jambes dans le vide, la vue d’une forêt interminable sous les yeux, elle ne souhaitait plus hésiter. Rester signifiait donner espoir aux autres, hors elle n’en avait pas à offrir. Sa liberté avait un prix, celui de sacrifier son nom à l’anonymat et de se fondre dans le monde qu’elle sentait être le sien, sa destiné. Loin d’un château suscitant la foi et la paix, elle irait fouler les routes et les champs, elle était plus débrouillarde qu’elle n’en avait seulement l’air. A quatre ans on l’avait surprise dans la buanderie, tapant les draps et tirant les bassines d’eau, tremblante comme une feuille sous le poids. Elle n’était pas allée bien loin et n’avait pas accomplit grand-chose, néanmoins sa volonté d’apprendre par elle-même était déjà ressentie par son entourage. Et quand à dix ans elle affirma avoir séjourné la journée dans les cuisines du palais, encouragée par les rires des marmitons, la chose se vérifia rapidement. Victoria grandit ainsi, se projetant de tâche en tâche, observant les autres, apprenant le soir seule à reproduire les même gestes. Elle savait cuisiner, en revanche cultiver la terre lui était encore inconnu mais elle avait des connaissances pratiques dont elle serait fière de pouvoir se servir. Elle n’obtiendrait jamais la bénédiction de sa famille pour ce choix, mais ce dernier brillait de la détermination d’une jeune femme passionnée, et d’un avis tranché, il était inaccessible pour les autres et attractif pour elle. Elle ne pouvait faire abstraction et oublier le plaisir que lui procurait la vue d’un monde inconnu et plein de promesses. Liberté, telle était le mot qui lui dictait sa conduite, elle n’en aurait pas d’autres. Elle devait croire en ses choix, ses rêves, en elle. Demain le roi accueillerait une foule d’Hommes pieux et reconnaissants, afin de rendre compte de la tradition annuelle qui imposait un échange pacifique et rassérénant pour les fidèles à leur roi. Tout le monde serait occupé et distrait, demain elle quitterait tout, pour toujours.

 

- Et bien, te voilà enfin rentrée. La nuit tombe sans prévenir en cette saison, ne tarde plus ; on peut avoir besoin de toi à tout moment ici. L’apostropha une voix lorsqu’elle ouvrit la porte de leur chaumière isolée.

- Pardonnez-moi Iris, les plans de violettes sauvages n’ont pas encore repoussés aux même lieux que les années passées, j’ai du m’aventurer plus loin et plus longuement que je ne l’aurais souhaité.

- A partir de demain tu devras te montrer plus prudente et surtout, plus présente.

La jeune femme n’apercevait pas encore sa mentor de là où elle se tenait, elle s’empressa donc de pendre son manteaux, son chapeau et son écharpe, se débarrassa de ses chaussures et prit son sac de récoltes entre ses mains. Ceci fait elle s’avança dans la pièce chauffée par une grande cheminée en terre cuite, leur habitation était ronde comme un chapeau de champignon. Aussi elle vit tout de suite son interlocutrice debout, dans un accoutrement étranger, ce qui eut pour effet de la faire paniquer.

- Où… vous rendez-vous donc… Sa voix était suffoquée par un stress exagéré

- Laya, viens donc près de moi, assieds-toi. Et pour l’amour du ciel, tutoie-moi pour une fois dans ta vie !

- Si vous...tu insistes.

Laya ne se fit pas prier pour s’avancer promptement, et tira à elle une malheureuse chaise qui dû supporter un corps affalé d’appréhension.

Toutes deux s’observèrent, guettant une réaction, une parole. Mais la jeune femme ne prenait pas la parole, elle attendait une explication digne de sens de la part de celle qui l’avait élevée.

- Bien, je suppose que je dois commencer par expliquer… ceci. Amorça la plus âgée en désignant d’un geste vague ses habits et les sacs entrouverts, d’où dépassait des vivres et des couvertures. Ce que je m’apprête à te conter n’est autre qu’un évènement qui devait arriver, un jour ou l’autre. Tu dois donc m’écouter attentivement, n’est-il pas ?

Elle attendit que la plus jeune hoche la tête pour reprendre.

- C’était il y a des années, mais je me suis assurée que le jour venu tu t’en souviendrais. Je t’ai faire raconter et re-raconter cette histoire après te l’avoir enseignée, celle d’une sorcière établie dans un château prestigieux, qui a la chance de posséder à ses côtés un jeune femme malicieuse qui la remplacera un jour dans ce rôle de soigneuse au palais royal. Comment la femme a-t-elle su que le moment était venu de laisser sa place ? te rappelles-tu ?

Un larme coulait sur la joue de Laya mais elle murmura :

- Elle a soudainement une vision, telle qu’il est rare d’en avoir, qui lui indique que son tours est venu de partir. Cette vision elle ne la contera jamais à son élève, mais un jour celle-ci l’aura aussi et elle fera comme sa mentor à ce moment-là, elle partira dans un lieux tenu secret pour sa descendance.

- Exactement. Souffla la sorcière dans un excès de tristesse, mais cela n’est pas un mauvais signe, au contraire ! Il indique que ton heure est venue de briller ici, dans cette maison, et de prendre à ton tour une élève digne de confiance qui te succédera un jour.

- Mais… s’il le faut je l’accepte, mais dois-tu vraiment quitter cet endroit, sans me dire où tu t’en vas ?

- Voyons, ne fais pas dans la mélancolie, veux-tu bien ?

- Je n’ai donc aucune possibilité de t’écrire, ou de te revoir ?

Elle n’y tenait plus, ses larmes se faisaient plus fréquentes et plus denses. Celle qui fût sa mentor dès son plus jeune âge la prit dans ses bras, dans une étreinte rassurante et pleine de tendresse.

- Tu as toujours sus que cela arriverait, rien ne doit te détourner de la vie que tu as choisis, ici.

Un silence protecteur se propagea, elles se connaissaient mieux que quiconque et entretenaient un lien spécial, bien que la perspective de devoir laisser partir Iris n’enchantait guère Laya, elle acceptait ce fait inchangeable comme un bienfait et la venue d’une ère qui était sienne.

- Tu comptes partir… tout de suite ? Interrogea-t-elle prudemment.

- Je n’ai pas de raison qui me retiennes ici, mes sacs sont faits ainsi que mes adieux. Ne t’inquiètes pas pour le roi, bien qu’il ne soit pas directement informé de ce changement cela ne lui posera pas de problèmes. Cela fait partie de la tradition des sorcières royales, il sera bientôt conscient de cet échange de titre et t’accordera le temps que tu quémandera pour choisir ton élève. Je t’ai bien préparée et je t’ai enseigné tout ce que je pouvais, tu n’as rien à craindre.

Elle lui caressa affectueusement la joue, évanouissant ses craintes.

- En revanche, reprit-t-elle, gare à toi si tu oublies la récolte de demain !

Sa protégée se fendit d’un rire sincère et mélancolique.

- Ne t’en fais pas, je serais à ta hauteur, c’est une promesse.

Sa professeure lui apposa un tendre baiser sur le front.

- Je te fais confiance.

Iris se releva sans précipitation, laissant à sa pupille le temps de digérer le déroulement rapide de l’annonce. Elle esquissa un sourire plein d’entrain, attrapa ses sacs, se couvrit un peu plus chaudement et finalement, elle réalisa qu’elle n’avait que peu d’affaires à emporter, elle abandonnait tout le reste à sa relève.

- Je m’en vais maintenant ou je n’en aurais plus la force. Elle releva son visage et échangea avec l’autre femme un signe d’encouragement, adieu.

- Adieu.

Elle se tourna définitivement vers la porte de leur maisonnette, l’ouvrit précipitamment et se jeta dans le froid mordant avant d’éprouver quelques regrets.

 

Laya se sentait mal. Quelques secondes plus tôt elle se faisait à l’idée qu’elle serait seule désormais, sans personne pour la guider, et tout à coup elle ne se sentait plus bien. Mais ce n’était pas la peur, ni la tristesse ou les doutes, c’était bien pire. L’émotion qui s’emparait de son corps ne lui laissait plus le temps de respirer ni de réfléchir, elle était effrayée, terrifiée même. La pièce tournait floue autours de ses bras et de sa tête, elle tomba au sol sans même s’en apercevoir. Ce fût assez rapidement le noir complet dans son esprit, rien d’autre que le néant confus. Puis elle la vit, cette femme aux longs cheveux noirs corbeaux, si similaire à ceux de sa mentor. Elle tourna sur elle-même, elle se trouvait dans une forêt différente de celles qu’elle traversait dans les alentours, la végétation divergeait de ses habitudes. A travers les arbres elle observait cette femme d’apparence sûre d’elle qui tendit soudainement un bras affolé devant elle, indiquant ce qu’il se passait en contrebas de la colline. De là où elle se tenait, Laya ne voyait rien mais s’affola intérieurement, quelque chose de mauvais allait se dérouler très prochainement, mais quoi donc ? Puis l’illusion se troubla jusqu’à disparaître. Le voile de ses pensées anéanti elle vit enfin se qui se trouvait à ses côtés : une chaise renversée, un plafond familier, un sol en tomettes et un air ambiant agréable. Elle se releva péniblement, affrontant du regard les hématomes sur ses coudes et ses cuisses. Rien d’alarmant, elle alla instinctivement préparer de quoi se soigner efficacement. Tandis qu’elle réfléchissait elle prenait conscience de ce qu’il venait de lui arriver, elle avait eue une vision, sa toute première vision. Et qu’y voyait-elle ? sa mentor à coup sûr, oui, bien que le corps de la femme qu’elle avait aperçue de dos était dissimulé par une cape ce sont bien ses cheveux qu’elle avait reconnus.

- Mais que suis-je censée en penser ? se murmura-t-elle pour elle-même.

Le pot qu’elle tenait entre ses doigts roula hors de ses mains et glissa sur la table, se stabilisant dangereusement sur un bord.

- Mais bien sûr ! Il va lui arriver malheur ! Cette vision a pour but de me mettre en garde contre son voyage. Je dois la rattraper, l’obliger à revenir, quoi qu’elle en dise.

Laya se précipita sans réfléchir plus longuement hors de la maisonnée mais c’est un courant d’air glacial et périlleux qui lui tendit les bras, la forçant à retourner sur ses pas.

«Je ne peux décemment pas m’en aller ainsi, on remarquera mon absence, j’aurais des ennuis pour trahison en quittant ma place auprès du roi. Je dois attendre le moment propice sans trop tarder, ou je la retrouverais trop tard.»

Prendre une décision ne lui prit pas trop de temps, une trentaine de minutes plus tard elle pliait bagage, prête à s’éclipser dès le lendemain.

 

La nuit était tombée depuis bien des heures, noyant l’esprit de la jeune femme dans un sommeil léger, il ne fallut donc pas plus qu’une entrée fracassante dans sa masure pour la faire se lever d’un bond. La cheminée était rougeâtre de braises, et l’air glacial qui s’introduisait par la porte entrouverte se faisait ressentir. La chair de poule s’empara de ses bras et ses jambes, la laissant au dépourvu, en tenue nocturne. Elle s’approcha consciencieusement, effleurant le sol de ses chaussons, de la créature ayant fait irruption. Lorsqu’elle celle-ci releva la tête, elle poussa un cri de stupeur : cette bête poilue et gémissante était un lutin des montagnes.

Ne vous rassurez pas en songeant au terme hypocrite de lutin, ces personnages vivent en exil du monde, solitaires et grisants, ne répondant qu’à un appel : celui des manigances. Proposez-leur un marché avantageux et vous aurez un allié fort utile, ils n’ont qu’une parole. Mais trompez l’accord et avant même d’avoir tiré profit c’est votre nom qui aura été effacé de la surface du monde. (au sens figuré bien entendu). Ces créatures n’ont en somme qu’une motivation, celle de survivre dans ce pays qui leur a été refusé et dont ils ont été exclus, ils n’auront de cesse de cacher nombre de complots à leur avantage et de passés embarrassants. Et quand bien même les lutins sont d’une fidélité sans bornes envers celui ou celle qui a passé commande, ils vous planteront une dague dans le dos sans hésiter s’ils se découvrent trahis.

Ceci expliquait grandement la réaction de Laya à cet instant et, son instinct prenant le dessus, elle s’empara de son couteau posé sur la grande table. Enfin un avantage à vivre dans une pièce unique, tout était à portée de main.

- Que...qui êtes-vous ? et que faites-vous donc au palais ? Exigeât-t-elle de savoir, l’arme au poing.

La bête se grandit, courbant son dos en arrière puis, poussa un rire grave d’amusement et planta ses yeux fins dans les siens.

- Tu n’es pas crédible dans cette tenue, attends un peu, et si tu me voyais disposé à me battre tu poserais ton arme aussitôt et prierai un sauveur.

- Un sauveur ? Je ne crois pas. Elle eu un mimique désapprobatrice, ce ne sont pas toujours les hommes qui viennent en aide aux femmes, en coopérant entre nous, nous nous en sortons très bien.

- Ton ton est amer, aurais-je touché un point sensible ?

- Puis-je savoir en quoi cela vous intéresse ? Répondez-moi plutôt, ou partez.

Elle s’agaçait, plus le lutin persistait à rester ici, plus elle s’attirait des ennuis.

- Je ne partirai qu’après avoir répondu à ta seconde question, la première ne te servant à rien comme tu ne comptes pas… acheter mes services.

Elle rit sarcastiquement :

- Venez-en au fait.

Il prit ses aises, tirant une chaise jusqu’à lui et s’y asseyant, la faisant craquer de mécontentement sous le poids.

- Vois-tu… j’ai ici dans ce sac un objet d’une grande valeur. Mon employeur m’a expressément recommandé de la lui livrer au plus vite. Ceci tu le comprends, quand on paye pour un boulot on s’attend à ce qu’il soit rapidement exécuté.

Il se perdit dans ses pensées, ses yeux s’attardant sur son visage ensommeillé. Et bien qu’intimidée, elle n’allait pas prétendre le contraire, Laya reprit son sang-froid et releva l’arme de quelques centimètre, visant l’intrus.

- Vous ne souhaitez visiblement pas me conter une vérité toute simple. Qu’avez-vous volé ! Lui cria-t-elle d’où elle se tenait, malade d’inquiétude.

- Tu t’agaces, mais cela ne sers qu’à te rendre plus mal. Je comptais tout te dire.

- C’est étrange, une créature nocturne et affreuse s’introduit chez moi en pleine nuit et je n’ai qu’une envie, la faire sortir au plus vite. Vous comprendrez mon point de vue, n’est-ce-pas?

Un rictus moqueur s’abattit sur son interlocuteur, qui reprit néanmoins prestement la conversation :

- Cet objet… quel qu’il soit… ne doit pas être retrouvé, si on m’a payé pour le voler c’est qu’il a son importance ailleurs et qu’ici il ne servait à rien. Croupissant comme une vulgaire relique sans valeur, alors que son pouvoir pourrait soulager des vies !

La dernière phrase attira l’attention de la femme qui fit un pas en avant.

- Je n’ai jamais entendu parler d’une telle chose, qui de plus serait conservé à l’abri au palais royal.

- N’es-tu pas sotte ? Si elle était dissimulée de tous jusqu’à présent, c’est bien parce que le roi ne souhaitais pas que cela se sache. Imagines-tu le potentiel que cela représente pour mon patron ? Un objet dont l’existence a été contestée, révélé au grand jour et ce, grâce à l’intelligence et l’agilité d’un lutin ! Je serai grand, les gens m’honoreront, mon peuple sera fier !

Elle recula par petits pas, frissonnante.

- Vous êtes pire que ce que l’on dit, avides de tout, de richesses, de pouvoir, de grandeur. Vous ne méritez rien dans l’immédiat. Et je suis certaine que cette relique doit être remise à sa place, maintenant. Son regard se fît dur et méfiant, elle devait être prudente.

- Tu me déçois jeune femme, j’aurais crus l’apprentie d’Iris bien plus maligne, sachant reconnaître une bonne occasion pour le peuple de briller.

- J’ignore encore ce que vous avez volé mais…. Elle se raidit, furieuse et tremblante. Qu’avez-vous osé prononcer ! Le nom de ma mentor ! Retirez-le, son nom ne sera pas salit par votre bouche compromise et enchaînée par les malfrats.

Un silence s’étira durant lequel Laya crut avoir fait l’erreur qui allait sacrifier sa vie dans la mort, mais rien ne se fit. Il demeurait muet comme une tombe.

- Tu as bien du toupet. Murmura-t-il enfin, je retire mes paroles, tu es bien celle qu’a élevé Iris.

Un hoquet de rage se glissa hors de la femme, rugissante de colère. Il y répondit en riant, d’un rire sonore et enroué.

- Mais assez joué, où est-elle ? Reprit-il, un sérieux déstabilisant sur son visage.

- Vous ne devriez même pas connaître son nom et vous m’en demandez des nouvelles ?

- Est-elle ici ?

L’expression de Laya dû la trahir, car sitôt qu’elle se rembrunit le lutin explosa de soulagement, hurlant sa satisfaction face à une sorcière à qui la situation échappait.

- Elle est partie, n’est-ce pas ? Oh, elle t’aurait donc passé la relève si vite, tient cela m’étonne…

Il se leva et avança dans sa direction, déterminé.

- Que faites-vous ? Je tiens cette maison désormais, et le rôle de guérisseuse royale. Je vous exhorte de reculer !

Elle était paniquée, l’autre le sentit et stoppa sa marche.

- Iris n’est plus ici, c’est moi désormais, et je vous ordonne de sortir.

- Sorcière, persifla-t-il, recule et je ne t’encombrerai plus.

- Je ne bougerai pas d’un pouce tant que vous ne m’aurez pas donné au moins le nom de cet objet.

Dans sa tête la situation avançait bien trop vite, si au moins elle savait ce qui avait été dérobé elle serait en mesure de faire quelque chose.

- Je n’ai pas le temps de discuter, recule ou… Oh ! S’exclama-t-il, stupéfait.

Laya ne comprenait pas ce qui intriguait tout à coup tant la créature, elle s’était penchée sur son sac et le fixait, les yeux mi-clos. De toute évidence ce qu’elle avait volé était en train de dégager son aura, enfin libérée de ses chaînes, et tout ceci était de très mauvais augure.

- Vous voyez, ce n’est pas un bon signe. S’obligea-t-elle à articuler, cette onde magique que vous ressentez n’est que malchance et horreur. Que que soit l’objet dont émane cette puissance il faut la stopper au plus vite.

Son ton se faisait grave, elle prenait peu à peu conscience de la gravité de la situation, et c’était bien pire qu’elle ne le pensait.

- Il n’y a rien de mal dans ce que j’ai pillé, mon commanditaire me l’aurait fait savoir !

Le lutin perdait peu à peu son assurance, à croire que non, il ne savait rien de ce qu’il tenait à l’abri dans ce sac.

- Vous rendez-vous compte que, ce halo perfide qui embaume à présent la pièce, est le résultat d’une magie noire ?

Ce que n’avait malencontreusement pas compris Laya, c’est que l’air perdu du lutin qui lui avait fait oublier sa prudence n’était ni plus ni moins qu’un piège. Qui se referma à l’instant sur elle. La bête bondit en avant échappant de justesse au couteau de la femme qui, prise au dépourvus, n’avait pas eu le temps de réagir. Laya tenta de la retenir mais il était trop tard, la vicieuse créature avait déjà trouvé ce qu’elle était venue chercher dans cette maisonnette, et elle tendit son butin devant les yeux paniqués de l’ancienne apprentie.

- Tu croyais pouvoir me retenir encore combien de temps, je ne suis pas venu pour la causette mais pour ceci, et maintenant, je te souhaite bonne nuit.

Laya, dans un élan désespéré de rage, se jeta sur le lutin. Il voulu se couler sur sa gauche mais se prit les pattes dans une tomette fêlée et s’abattit lourdement au sol. Elle profita de ce cours répit pour sauter sur lui et lui planter son arme dans le dos. Il hurla de douleur et de fureur, ondula son dos et griffa le sol, frappant de ses pattes dangereuses tout ce qui était à sa portée. Elle ne recula pas pour autant et enfonça son arme dans la jambe gauche du meurtris jusqu’au manche, puis ressortit son couteau : la lame était sanglante d’un rouge sombre et brillant.

- Tu peux… me blesser autant que tu veux… seules les cicatrices restent, nous sommes increvables nous autres lutins… Articula-t-il avec peine.

En guise de réponse elle le frappa sur la droite, le forçant à contracter son corps à cet endroit, et en tira partit afin de lui prendre son sac.

- NON ! Hurla-t-il.

C’est alors que Laya perdit tout contrôle, la bête était munie d’un instinct naturel bien plus agressif et incontrôlable que le sien, en s’en servant elle était bien plus forte et risquait de lui arracher les mains en récupérant son butin.

- Prenez… ce que vous êtes venu chercher ici… et allez-vous en. Murmura-t-elle.

Elle était soudainement gelée, l’élan de chaleur lors de son attaque avait disparu et à présent elle ne ressentait que le froid des tomettes sur son dos. Le lutin la dominait, il reprit sa besace et se releva de toute sa hauteur, lui jeta un regard acide, puis s’enfuit.

Elle pu reprendre sa respiration par à coup, resta allongée quelques minutes puis souleva son corps et ramassa les fioles intactes mais renversées. Elle examina les étiquettes, quelle potion la créature lui avait-elle dérobée ?

Un tumulte croissant s’élevait du dehors, prudente elle se positionna devant une des petites fenêtres rondes et observa, la garde arrivait. Si elle avait eu la tête reposée et les émotions stables elle n’aurait rien dit, mais elle ne pu s’empêcher de jurer à voix basse. Les soldats furent devant sa porte en un rien de temps et toquèrent nerveusement.

- Ouvrez ! Et couvrez-vous !

Elle enfila rapidement un gilet et alla ouvrir sans plus attendre. Inutile de faire patienter une foule d’Homme armés et remontés à bloc.

- Qu’il y a-t-il ? S’empressa-t-elle de questionner les gardes.

- Mademoiselle, nous désirons voir la guérisseuse.

- Elle n’est plus là, je suis la guérisseuse royale désormais. Quelqu’un a-t-il été blessé ?

Les Hommes lui faisant face froncèrent les sourcils, la nouvelle ne semblait pas leur plaire.

- Comment se fait-il qu’elle n’habite plus ici, vous aurait-t-elle passé la relève ? Leur ton devenait agressif, il n’en fallut pas plus pour la mettre sur ses gardes.

- C’est exact, il y a quelques heures à peine.

Devait-elle leur dire pour le lutin ? Après tout ce scélérat avait volé non seulement le roi mais une de ses potions ! Aurait-elle des ennuis, ou serait-elle aidée ? Le chef de la garde la scruta et lui invectiva sans précédent :

- Suivez-nous, et promptement.

Laya n’eut guère le temps de réfléchir, elle se fit tirer par les avants-bras et suivit le mouvement, englobée par ces Hommes qui servaient leur roi tout comme elle le faisait. De toute évidence, se rendit-elle enfin compte, ils avaient du en venir à la conclusion que la voleuse de l’objet était Iris, et ils la prenaient pour complice. Quelle malchance, Iris disparaissait au moment du vol ! Si elle ne pouvait prouver la venue du lutin alors elle serait inculpée, c’était désormais une question de vie ou de mort.

 

La salle du trône était plus imposante qu’elle ne se l’était imaginée, faisant office de salle de bal son sol était pavé de marbre et ses arcades blanches agrandissaient la perception de la pièce. Les murs naturellement teintés clairs illuminaient l’espace et le plafond présentait des courbes régulières et travaillées, chaque détail était resplendissant. Le spectacle aurait été magnifique vu en d’autres circonstances, mais les mains au sol, la tête baissée et la peur au ventre n’étaient pas de bonne compagnie. Elle resserra ses jambes sous elle, cherchant un peu de chaleur dans cette salle froide et ouverte aux courants d’airs. Mais elle ne trouva que l’impatiente d’en découdre, elle sauverait sa place au sein du palais.

- Sa majesté le roi. Annonça dignement une voix masculine.

Aussitôt, bien qu’elle ne voyait rien la tête inclinée, elle reconnu le bruit des corps qui se courbent en cœur et les pas d’un homme qui prend place sur un large fauteuil.

- Je vous en prie messieurs dames, expliquez-moi donc pourquoi une jeune femme habillée si peu chaudement se trouve accroupie devant moi ?

Son ton n’avait rien de vulgaire, il exposait simplement des faits.

- Apportez-lui une couverture. Exigea-t-il.

On obéit et accouru vers elle une grande couverture de laine dans les mains. Elle l’attrapa et s’en couvrit rapidement, gênée sous tout les regards curieux. Après un instant le roi reprit la parole :

- Relève donc la tête et décline-moi ton identité.

Elle s’exécuta, relevant le visage et enregistrant dans son esprit tout ceux qu’elle voyait autours d’elle. Le roi était sur son trône, accompagné de sa fille qui occupait un fauteuil un rien moins imposant à ses côtés. Elle ne savait pas grand-chose d’elle sinon qu’elle était promise à prendre la suite du roi et qu’elle ne lui portait pas une grande sympathie. Depuis le temps qu’elle vivait ici elle n’avait pas croisé une seule fois cette princesse en dehors du palais, aucun sourire, aucune visite. Si elle devait devenir reine elle devrait sortir du château et découvrir le territoire, prendre des nouvelles de ses gens et s’intéresser aux autres. Hors elles n’avaient eu aucun contact, et cela avait le don d’énerver Laya en son fort intérieur. Cette princesse n’accordait aucune importance aux autres ? Très bien, elle lui rendrait la pareille.

- Je me nomme Laya, je suis la successeur d’Iris qui a été pendant de longues années votre guérisseuse majesté. Elle m’a légué son poste après de longues années de formation qui ont débutées depuis mes plus jeunes années.

- Bien, jusqu’ici la situation me paraît naturelle. Alors sais-tu pourquoi tu es face à moi ?

- Vos gardes croient à tort, mais cela je ne peux le leur reprocher, qu’Iris vous a dérobé quelque objet avant de me donner la relève, et que j’ai été sa complice j’en déduis. Expliqua-t-elle calmement.

Un soldat gradé s’interposa vivement entre elle et son roi :

- Monseigneur, nous n’avons rien dit à cette femme, si elle sait qu’un objet a été volé c’est qu’elle est coupable !

Des murmures scandalisés s’élevèrent de toutes parts, elle si jeune et si bien lotie, avoir pillé son roi !

- Majesté ! Interrompit-elle les rumeurs, je n’ai rien à me reprocher. Si j’ai compris que vous m’accusiez de complicité pour vol c’est uniquement parce que le véritable coupable m’a dérobé quelque chose à moi aussi.

Elle se fit un devoir de raconter en détail tout ce qui était arrivé, du départ de sa mentor à l’épisode du lutin. En omettant bien sûr le passage où elle avait eu sa première vision. Ceci fait elle considéra chacun des visages, qui, mût par une conscience collective, se tournèrent d’instinct vers leur roi.

- Jeune sorcière, débuta-t-il, j’ai entendu ton récit et l’ai considéré, cependant mes doutes ne sont pas levés. Tu dois comprendre que l’accusation qui pèse sur toi est importante et loin d’avoir été résolue par ton seul témoignage. J’appelle mes soldats au rapport.

Chacun s’exécuta avec une grande solennité, les soldats rendirent fidèlement leur vision des faits, insistants en sa faveur sur la non-résistance à les suivre, ce que certains interprétèrent comme une pure stratégie. Les opinions étaient divisées et le procès était éprouvant. Il aurait fallut se tenir dans le corps battant d’appréhension de Laya pour en saisir toute la teneur. Les badauds qui assistaient de façon neutre à la scène ne se sentaient pas impliqués et se contentaient d’un jugement infondé. Petit à petit, toutefois, l’esprit de la guérisseuse s’évanouit hors de son corps et survola l’audience, elle se sentit déconnectée de sa chair, une simple âme suspendue dans les airs, ne ressentant ni douleurs, ni blessures, ni envies. Un simple jet d’adrénaline l’avait propulsée loin de la mémoire et des souvenirs, elle ne répondait plus présente.

Elle ressentait l’odeur de la nuit, celle de la lune blanche et immanquablement insistante. Elle discernait par des sensations nouvelles la beauté de l’instant, rompu dans les airs gelés. La large et cristalline ouverture vers le monde extérieur supplantait l’assemblée lasse et négligente qui encerclait d’une force banale et agressive l’enveloppe corporelle de la femme. Elle rêvait de s’enfuir loin de ces ennuis impromptus, de renoncer à s’expliquer devant des Hommes à qui elle ne devait rien. A son roi elle devait bien le fait de l’avoir hébergée et nourrie, bien qu’en soit sa mentor revêtait à ses yeux ce rôle simple et unique. Elle avait offert sans complications un compte-rendu complet et honnête sur sa position, elle était innocente, on lui exigeait plus, on lui arrachait des mots et des phrases qui se retrouvaient déformés sous les langues et les gestes expédiés par des corps révulsés. Son essence redescendit dans un concert silencieux et invisible vers sa chair refroidie par l’absence occasionnelle de son intelligence battante et retentissante typique de la jeunesse. Après une adrénaline qui l’avait évaporée, elle se sentait plus apte à combattre les visages scrutateurs des flâneurs.

Ce n’est qu’alors qu’elle releva un regard attentif divergent des autres parmi la foule. Un faciès affirmé et réfléchi. Elle pouvait entendre le son des pensées bruyantes de la femme qui semblait en plein combat intérieur. En prenant du recul elle constata qu’elle avait affaire à la prétendante au trône, Victoria, ce qui la laissa pantoise. Le roi interrompit le fil de ses pensées en assénant à la foule une parole qui fit fureur, et, approchée par les soldats elle se demanda ce qu’il avait été dit. Elle se reprocha son manque d’attention, mais la fatigue assimilée à la peur dans son organisme ne la rendait pas alerte, au contraire.

- Je répète, dit le roi, pour que ce soit bien compris, que je ne prendrai pas de décision anticipée. La guérisseuse royale ici présente n’est pas rendue coupable des ses accusations mais n’en est pas moins toujours suspectée. Il lui est accordé un répit, elle peut se reclure dans son lieu de vie le temps que je débatte avec mes conseillers. La séance est levée jusqu’à nouvel ordre de ma part.

Elle était sous le choc, elle n’était ni perdue ni exemptée. Elle tâcha de relever sa tête et de croiser le regard de la femme en se levant, son instinct lui dictait que celle-ci la savait innocente, qu’elle croyait à ses mots. Et elle serait une alliée de poids en cas de besoin au vu de son titre. Néanmoins, la princesse soutint à peine son regard et s’éclipsa presque aussitôt par les portes, l’abandonnant sans soutien.

Laya en était affaiblie, elle accepta qu’on la guide jusqu’à sa maisonnette et se laissa choir sur le sol, bouleversée. La nuit était profondément avancée et ne lui laisserait que peu de temps avant qu’on vienne la déranger et la surveiller. Elle choisit donc de profiter de la tranquillité dont elle jouissait pour se préparer à disparaître.

 

Victoria était seule dans sa chambre à la fois prestigieuse et sobre. Les murs, blancs, offraient un aperçu nacré et raffiné. Nul décoration ou semblant de couleur autre que la princière tapisserie violette aux touches vertes qui couvrait une partie du mur, celui que la lumière n’atteignait pas et ne dévorait jamais. Elle en toucha les contours rugueux, amusée que la broderie ne s’use pas au travers du temps. Elle ne l’avait jamais perçu du moins, aussi loin qu’elle s’en souvienne ce mur avait toujours été dissimulé par cette draperie épaisse et âgée passée de mode. « nous devons honorer notre ancienne lignée qui traversa de multiples épreuves à travers les âges, cette tapisserie te rappellera incessamment qui tu es, et ton devoirs envers les tiens » lui avait un jour fait part son père.

Elle avait absorbé chacune de ses paroles, chaque inclinaisons de ses lèvres qui formaient un mot. Elle le vénérait alors, buvant autant d’eau que ses gestes, s’inspirant de ces décisions, de sa façon de penser, d’infléchir des directives. Elle le percevait orné d’un halo doré et puissant, tel un mentor renommé et invincible. Elle se sentait alors privilégiée d’être à son côté et de puiser dans la force de cet homme pour se forger sa propre lueur. Et elle l’était, irrévocablement.

Assise sur le sol, elle effleura patiemment de ses doigts fins la longue dalle de pierre froide qui pavait la surface sous ses pieds. Ce froid lui était familier, bien trop familier. Cette sensation lui devenait lassante, associée à des bons comme à des mauvais souvenirs elle ne ressentait que souvenirs confus et mêlés, l’éreintant de papillons noirs. Sentir sous le poids de sa chair les pierres lissés par des générations d’hommes et de femmes les empruntant lui procurait une nostalgie désagréable qui la contraignit à se lever et à abandonner tout sentiment griffu derrière elle.

Elle s’enthousiasma soudain de son départ imminent et s’obligea à se motiver pour boucler dans un sac de voyage les quelques affaires qu’elle emporterait. Ses pensées furetèrent avec bien des sujets avant de se stabiliser sur une personne, une aura. «Cette sorcière, quel âge a-t-elle, proche du mien je pense.» Son père exhalait d’une allure qui ne lui était pas naturelle lors du procès, la différence était infime entre son comportement de la matinée et celle lors de cette soirée, néanmoins elle était assez discernable aux yeux de sa fille, qui le connaissait par cœur. Elle avait ressenti comme si elle en partageait le corps sa nervosité et son inquiétude croissante. Après avoir analysé de ses yeux observateurs et de ses sensations quelques personnalités présentes elle avait conclu qu’une chose ne tournait pas rond, qu’au-delà d’une simple audience se dissimulait autre chose de plus fort et de plus ambitieux. Chacun des hommes de la garde était plus réactif qu’à leur habitude, son père était plus alerte et la cours plus lasse, un paradoxe non négligeable.

« Je ne sais dans quoi est impliquée cette fille mais ce n’est visiblement pas pour un simple vol, non c’est plus profond, plus dangereux. Je ne sais si elle-même en a prit conscience, mais sa vie ne tient qu’à un fil.» Elle respira profondément, la clé de ces comportements inhabituels résidait peut-être simplement dans l’objet dérobé. Il devait être d’une valeur hors du commun pour provoquer une telle réaction. Elle savait cependant, oui elle savait que cette sorcière était innocente. Elle en avait une certitude irrévocable. « Ce n’est pas une raison pour me tremper dans cette affaire, je ne dois pas me faire remarquer avant mon départ. C’est trop de risques inutiles, si elle veut s’en sortir elle devra compte sur elle-seule.»

Sa décision finale n’avait rien d’égoïste, elle-même se battait contre sa conscience qui lui dictait de rester au palais, mais elle ne devait pas céder à la tentation, elle devait fuir avant de n’en être plus capable. «Chacun ses soucis, les miens me font fermer les yeux ce soir, et me porteront loin demain.» 

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