Chapitre 1

Notes de l’auteur : Bonjour à toutes et à tous. Je vous souhaite la bienvenue sur cette histoire. Il s'agit du premier jet (même s'il a déjà été un peu réécrit et réadapté ^^) et j'espère qu'il vous plaira.
Très belle découverte et à très vite,
Stéphanie.

Edité le 04/02/23.

Empire d’Ylis, printemps 3046

Le néant. C’était ce qu’elle ressentait depuis le tragique accident qui avait coûté la vie à ses parents : le couple impérial. Leur disparition laissait l’empire orphelin, démuni face à cette perte aussi brutale qu’imprévisible. Le peuple et les alliés pleuraient, parfois en silence. Et pourtant, la vie devait continuer son chemin. Ils devaient tous se relever et avancer la tête haute, oubliant le chagrin et la souffrance. Désormais, le couronnement de l’héritière impériale était sur toutes les lèvres. La jeune Originelle de 34 ans enterrait à peine ses parents qu’elle se préparait déjà à prendre la relève : quel triste sort ! Devoir endosser son rôle d’impératrice aussi tôt, aussi vite, avant la fin de sa formation. Valenthia Eldiriel ne se sentait pas totalement prête, malgré toute l’aide de ses proches… enfin, pas de tous.

Célestia avait abandonné la Maison des Morts avant la fin de la cérémonie. Elle n’avait pas accepté ces cercueils fermés destinés à rejoindre les ténèbres au fond du tombeau familial. La princesse impériale de 25 ans avait préféré fuir la réalité, fuir la douleur plutôt que de craquer publiquement ; cela aurait été indigne de son statut. Valenthia ne lui aurait rien reproché, mais elle le savait malgré tout : loin des regards, toujours loin des regards. Trois jours et le silence s’était installé entre les deux sœurs.

Dans le ciel, Célestia errait sans but. Elle volait droit devant, sans se soucier du palais et de ses responsabilités. Elle méprisait sa vie au sein du palais impérial. Elle méprisait son sang, ses devoirs et sa perte de liberté. Enchaînée, c’était ce qu’elle serait après la prise de pouvoir de Valenthia. Sœur de la future impératrice. Cela n’était pas rien et elle endosserait alors un nouveau rôle, un rôle qu’elle ne désirait pas. Mais est-ce que Valenthia s’en préoccupait ? Probablement que non. Célestia vivrait dans son ombre. Elle serait contrainte de surveiller ses mots et ses actions. Sans le désirer, elle représenterait l’empire. L’empire. Ce foutu empire.

La colère. Le chagrin. Des larmes coulèrent sur son visage. Ses ailes fouettaient l’air comme si elles frappaient cette douleur dans le but de la faire disparaître. Sa rage s’exprimait dans leurs battements violents. Célestia volait, encore et encore. « J’ai besoin de toi à mes côtés. » Les dernières paroles de Valenthia. C’était faux. Totalement faux. Valenthia n’avait pas besoin d’elle, elle n’avait jamais eu besoin d’elle. Célestia hurla sa douleur tandis que le ciel se voilait. Elle se métamorphosa en plein vol. L’humaine ailée se transforma en une imposante louve à la fourrure marron, en accord total avec son plumage. Son regard d’ambre plongea dans ces sombres nuages qui commençaient à s’amasser. Elle brava ce temps dont le tonnerre se faisait déjà entendre.

Le vent se leva. Un éclair illumina le ciel. Célestia s’en moquait. Elle continua avant d’être piégée dans la tempête. La pluie, puis la grêle. L’Originelle, affaiblie par les émotions et le long vol, céda et chuta.

****

L’odeur de la viande. La chaleur d’un feu. Le confort de la paille. La louve grogna de bien-être avant de se remémorer les derniers événements. Ses paupières s’ouvrirent avec vivacité et Célestia tenta de se relever, en vain. Elle lâcha un râle de douleur.

— Doucement ! Évitez les mouvements ! Votre aile est blessée et elle doit rester immobile pendant quelques jours.

Un Originel se tenait de l’autre côté du feu. Il préparait un sanglier fraîchement abattu et il n’était pas impressionné par la louve agressive. Les babines retroussées et les crocs en avant, elle était prête à l’attaquer. Et pourtant, elle ne sentait pas la peur. Seule la colère dominait.

— Vous avez eu de la chance que je vous trouve, continua-t-il sans se préoccuper du comportement de la blessée, nous sommes dans l’un des refuges de mes terres. J’étais de retour de la chasse quand la tempête s’est déclenchée et que je vous ai vue tomber du ciel.

Il ne réagissait pas, gardant son calme, car il savait que c’était le meilleur comportement à adopter face à un loup dans cet état. De plus, son rang et son expérience l’avaient habitué à affronter bien pire. Il n’était pas un Originel facilement impressionnable, bien au contraire.

Ils s’observèrent un instant et Célestia s’apaisa. Ses cheveux châtains étaient ébouriffés et il possédait de magnifiques ailes lavées, cas rare chez les Originels et les Iwens. Cela se produisait quand deux individus totalement opposés s’unissaient ; le mélange de ces gênes créait un résultat étonnant, qui sautait parfois une génération.

— Je m’appelle Shebel Oweyn.

Les oreilles de la louve se dressèrent. Shebel Oweyn ? Du duché de la Forêt des Aigles ? Célestia connaissait le père, mais que peu son héritier. Cette famille ducale était réputée et fidèle à l’empire. D’ailleurs, le duc était un Chevalier de l’Empire, le grade le plus honorable qui existait. Ce titre se réservait aux personnes issues de familles ducales à la suite de faits méritables. Les Originels devaient agir pour une noble cause, pour sauver la veuve et l’orphelin, pour protéger les plus faibles. Ces Chevaliers de l’Empire pouvaient également siéger au Conseil impérial après une élection à l’unanimité, dans la limite des places disponibles. À l’inverse des titres de noblesse, celui de Chevalier de l’Empire n’était pas héréditaire. Il se conservait à vie, mais ne se transmettait pas aux descendants.

D’aussi loin qu’elle s’en souvenait, tous les premiers-nés de la famille Oweyn parvenaient à accéder à ce titre, même s’ils ne déposaient pas leur candidature au Conseil impérial. Célestia ne doutait alors pas du désir de Shebel Oweyn de continuer cette tradition honorable pour lui et les siens.

D’ailleurs, il avait bien dit : « Nous sommes dans l’un des refuges de mes terres. » Était-elle donc au duché de la Forêt des Aigles ? Aurait-elle volé aussi loin depuis la capitale d’Ylis, Blanche ? Son épuisement ne l’étonnait donc pas. Elle poussa un long soupir avant de lever son regard vers la structure qui les protégeait de la tempête. Le vent soufflait avec violence et la pluie frappait le refuge. C’était sûr, elle ne rentrerait pas maintenant, surtout pas avec une aile blessée.

Célestia tenta de bouger son aile gauche. Rien de cassé. Quelle stupidité ! Elle était stupide. Valenthia devait totalement paniquer… non, elle avait d’autres loups à fouetter. Elle n’avait pas le temps de se soucier d’elle. La future impératrice devait lécher les bottes des nobles en séjour au palais, soi-disant pour rendre hommage au défunt couple impérial. Foutaise ! Les célibataires et les veufs cherchaient une bonne alliance, un mariage qui leur permettrait d’avoir une couronne sur la tête. Et pourtant, son futur époux ne serait que prince consort.

Du bois fut jeté dans les flammes afin de les maintenir et Shebel se leva pour s’approcher de la louve. Il ne la craignait pas. La domination dont elle faisait preuve ne l’atteignait pas et ce comportement impressionna Célestia. D’ordinaire, les siens courbaient l’échine ou se méfiaient un minimum, mais pas lui. Comme s’il la considérait tel son égal. Il ne la jugeait ni faible ni dominante. Une louve. Une louve dans toute sa simplicité. Shebel semblait lire en elle. Quand son regard vert-gris se posa sur elle, Célestia leva ses yeux ambrés vers lui. Cette connexion fut étrange durant un court instant.

Il déposa de la viande non loin d’elle.

— Vous devez prendre des forces, Votre Altesse. Vous avez perdu votre louve dans la chute, mais elle a resurgi une fois au sol. Je crains que cela vous ait épuisée.

Elle ne se souvenait pas de ce qui s’était produit dans la tempête. Elle avait perdu connaissance et c’était le noir total jusqu’à présent. Célestia entama alors sa métamorphose pour redevenir humaine, sans aucune pudeur, face à son sauveur. Les Originels avaient l’habitude de se métamorphoser régulièrement et se rhabillaient rarement selon les circonstances ; les vêtements devenaient plus gênants qu’autre chose.

Son épaisse fourrure laissa place à une peau bronzée par le soleil de printemps. Un tatouage à l’encre végétale ornait finement ses deux poignets et représentait des plumes. Sa chevelure brune et ondulée retombait sur ses épaules, avec la pointe des cheveux d’un blanc de neige ; peu importait la saison et les coupes, les pointes perdaient leur couleur naturelle — ou se teintaient-elles en blanc ? Une particularité qui résultait également d’un gène mélangé.

Son regard noisette se leva vers Shebel et Célestia accepta la viande qu’elle engloutit sans hésiter tant elle était affamée.

— Comment m’avez-vous reconnue ?

— Les poils blancs au bout de vos oreilles et de votre queue, sourit-il.

La princesse impériale l’analysa un instant. Elle étendit son aile droite et tenta d’installer son aile gauche du mieux qu’elle le put.

— Bien vu. Peu observent à ce point, confirma-t-elle en léchant ses doigts ensanglantés.

Ce sanglier était succulent. La chair était tendre et juteuse ; à l’inverse de patienter le retour du gibier au palais où il était préparé. Chasser. Traquer. Tuer. Célestia huma l’air ambiant, l’air de la forêt, de l’humidité de la pluie. Elle entendait certains animaux à l’extérieur, défiant les intempéries. Elle entendait le bois de l’abri chanter sous l’orage, un doux chant de craquement, de bruissement. L’Originelle se remémora des souvenirs, lors de vagabondage avec son père l’Empereur. Elle se souvenait se réfugier dans des grottes quand le temps se dégradait et qu’ils n’avaient plus la possibilité de retourner à Blanche en toute sécurité.

Son père. Son visage avait toujours été tendre avec elle. Toujours un sourire pour ses deux filles, même s’il avait éduqué Valenthia comme l’héritière, il avait toujours su les considérer comme ses enfants avant tout. Une voix réconfortante. Des mots rassurants. Célestia ne l’avait jamais vu comme l’Empereur, non. Un père, toujours un père. Un père partit trop tôt. Elle n’était pas prête à être lâchée de la sorte dans ce monde.

— Toutes mes condoléances, Votre Altesse. J’ai perdu ma mère il y a maintenant bien des années, mais son absence forme un vide qui ne sera jamais comblé. Il nous faut juste apprendre à vivre avec.

— Aucun enfant n’est prêt pour une telle épreuve. Même si c’est tout naturel que les parents partent en premier… mais pas comme cela…

Pas comme cela. Le couple impérial n’avait jamais été imprudent à ce point. Il avait toujours veillé à la sécurité des trajets. Pour Valenthia et Célestia, il était impensable que leurs parents pussent avoir été aussi inconscients. La tempête avait été annoncée et elles étaient fréquentes en cette période de l’année. Que leur était-il passé par la tête pour prendre un tel risque ?

La princesse empêcha ses larmes de couler à nouveau.

— Pardonnez-moi ! Ces derniers jours ont été éprouvants.

— Au point de fuir Blanche ? Je garderai le secret et vous pouvez rester ici aussi longtemps que vous le souhaitez, proposa Shebel.

— Pourquoi… pourquoi faites-vous cela ?

L’Originel se leva. Il récupéra une bûche sur la réserve non loin et la jeta dans le feu.

— Je n’ai jamais aimé les mondanités, surtout lorsque nous souhaitons une certaine tranquillité selon les événements. Tous ces nobles, ces faux semblants. Faire bonne impression. Garder la tête haute et sourire. Ces imbéciles qui se pavanent alors qu’ils ne sont pas les bienvenus, mais qu’il ne faut surtout pas froisser…

Dès lors, Célestia croisa une lueur étrange dans le regard de Shebel. Une lueur de colère et de rejet. À ses paroles, elle sentait nettement son animosité vis-à-vis de la haute société et des exigences qu’elle imposait, du prix à payer : la liberté. La jeune Originelle ne parlait jamais ouvertement de ses opinions à ce sujet, surtout pas s’ils étaient aussi honteux et tranchés. Shebel, malgré son haut rang parmi son peuple, n’hésitait pas à exprimer son ressenti et Célestia aimait cette franchise dans laquelle elle se retrouvait. Aucun de ses amis ne conversait avec elle de la sorte, dans le cas où elle pouvait réellement les considérer comme des amis. Célestia, pour tout le monde, était une Altesse Impériale et la deuxième dans l’ordre de succession ; autant dire qu’elle attirait la convoitise.

Shebel s’était tu en pensant l’avoir contrariée, choquée, mais le regard de sa protégée en disait long sur ses propres pensées. Le mâle sourit. Il haïssait les barrières. Il méprisait le fait de réfléchir sur les mots avant de les prononcer, par crainte de représailles ; pire lorsqu’il s’agissait de la famille impériale. Combien de fois aurait-il pu finir en prison pour cela ? Il ne comptait plus, car il y échappait à chaque coup.

— À croire que ce monde n’est pas fait pour des individus tels que nous, déclara Célestia.

— Au contraire, Votre Altesse. Il nous appartient seulement de le former à notre image.

Une ombre passa un instant. Une voix grave sortant des ténèbres. Elle s’alliait à la perfection à ce regard de braise. À peine une seconde avant que tout disparût. Une simple seconde qui parut une éternité pour Célestia, comme si son instinct détectait quelque chose d’étrange en Shebel, quelque chose de dérangeant, quelque chose de dangereux.

— Tenez ! fit-il en lui offrant une couverture, les nuits sont fraîches ici si nous n’avons pas notre fourrure. Demain, je vous ferai raccompagner par un garde.

Et cela n’était pas une option. Célestia comprit aisément qu’elle n’avait pas son mot à dire. Elle garda le silence. L’attitude changeante de Shebel la mit sur ses gardes et elle le remercia dans un simple murmure. Blessée, l’Originelle se savait en situation de faiblesse. Il était hors de question de déclencher les hostilités. Shebel se moquait bien de son rang, elle l’avait bien saisi. Elle s’enveloppa dans la couverture et s’installa sur la paillasse de l’abri. Les oreilles attentives, le regard vif, Célestia ne dormirait pas paisiblement cette nuit et Shebel en était conscient.

Celui-ci annonça profiter que la tempête se calmât pour réaliser un tour des environs, s’assurer qu’il n’y eût aucun danger. Shebel vérifia son poignard attaché sur le devant de sa ceinture. Il s’empara d’une tunique marron qu’il enfila par la tête et par les bras. Elle tomba sur son torse avec fluidité, ainsi que dans son dos. Elle s’ouvrait sur le côté par un laçage vert, permettant de se vêtir et de se dévêtir sans gêner les ailes en passant par-dessus. Elle était d’une grande simplicité. Cependant, elle offrait une bonne protection contre les intempéries et un excellent camouflage pour la chasse dite classique. Et Shebel quitta le refuge.

Il observa un temps le ciel lourdement voilé. Les éclairs zébraient encore ce vaste monde au-dessus d’eux. Le tonnerre grondait, mais il s’était éloigné au fur et à mesure de la nuit. Il se dirigeait vers le sud, chassé par le vent océanique du nord. Les Crêtes de Diamants, l’immense chaîne de montagnes, le ralentissait et le bloquait ; pour cette raison que les orages étaient violents dans cette région de l’empire d’Ylis.

Shebel s’écarta du refuge en direction de l’ouest. Il progressait avec rapidité afin de rattraper son retard, même s’il serait attendu pendant des jours s’il le fallait ; personne n’oserait le contredire. Il se questionnait encore sur son idée absurde de voler au secours de cette Originelle, dont il avait ignoré l’identité au sauvetage. Il aurait pu la laisser à son sort, il aurait pu la laisser mourir dans cette chute au cœur de la tempête. Il aurait pu, il aurait dû. Et pourtant, il n’avait pas hésité. Il n’avait pas hésité à porter secours à l’un des siens. Célestia avait perdu sa transformation lors de sa chute. Et là, il avait vu qu’elle était une Originelle. Une Originelle et il n’avait pas pu s’en empêcher. Si elle avait été une Iwenne… oh que oui, il l’aurait laissée mourir ! Cette espèce était reconnaissable par leur manque d’ailes sous leur forme humaine, mais une fois transformée, les Originels et les Iwens étaient semblables en tous points.

Ce peuple vivait au royaume d’Hayna, à l’ouest, de l’autre côté du Lac d’Émeraude. Ce territoire était pris en étau entre le lac et l’océan de Crystal. De bien petites terres face à l’empire qui s’étendait aussi par l’est, enclavant même des états de la Confédération d’Arcean ; d’ailleurs, Shebel avait eu vent de dissidents de la part de certains confédérés. Il se promit de creuser.

Il marcha de longues minutes, s’assurant de ne pas être suivi par Célestia. Son odeur s’était estompée jusqu’à disparaître : aucun risque. Il continua et esquiva une branche qui se brisa d’un arbre. Elle s’écrasa avec fracas au sol. Puis, il aperçut enfin la grotte. Un feu de camp éclairait l’intérieur et réchauffait les deux Originels. Ils l’observèrent un bref instant en silence. D’un mouvement à l’unisson, ils baissèrent la tête et reculèrent de quelques centimètres. Shebel les écrasait de sa prestance et de sa domination. Il toisa ces messagers.

— Alors, où est ce témoin ? lâcha-t-il sans préavis.

Ses yeux d’ambre fixèrent ses semblables qui désignèrent le long couloir. Shebel s’enfonça dans les ténèbres de la grotte seulement éclairée par des lanternes. L’air humide démangeait ses narines et le clapotis de l’eau irritait son ouïe ; un lieu bien désagréable pour son espèce. Au fur et à mesure de son avancée, il sentait la peur envahir l’endroit. Il capta aussi les pas de l’Originel et un froissement de tissu, comme si ses mains étaient contraintes d’évacuer son anxiété en faisant quelque chose, n’importe quoi.

Une fois face à la porte, il l’ouvrit et entra. Un Originel plus âgé se trouvait devant lui, apeuré et dépravé. Shebel retint un froncement de sourcil et l’invita à s’asseoir sur une chaise. Il obéit après un instant d’hésitation et observa furtivement la vieille table en bois avec un pichet, quelques verres, de la viande séchée et du pain ; preuve que cette grotte n’était pas abandonnée. Shebel lui servit du vin et s’installa à son tour. Il se voulait rassurant afin que ce témoin ne se refermât pas. Son aura dominatrice eut un effet apaisant et protecteur.

— Vous étiez présent lors de l’accident qui a coûté la vie au couple impérial ? Vos accusations peuvent s’avérer graves si elles sont infondées, annonça Shebel.

Le témoin jeta un rapide coup d’œil à la porte, comme s’il s’attendait à voir débarquer quelqu’un ou s’il attendait quelqu’un d’autre. Aurait-il souhaité voir le duc en personne ? Il tremblait de la tête aux pieds et il renversa la boisson lorsqu’il saisit son verre.

— Racontez-moi ! Personne ne vous fera de mal ici, assura Shebel.

— Euh… je… je sais ce que j’ai vu… je crois, commença-t-il. Ils étaient plusieurs, deux… ou trois…

En réalité, il ne savait rien. Shebel soupira d’avoir été dérangé pour si peu. Cet Originel était incohérent dans ses propos. Personne ne le prendrait au sérieux et c’était sans doute pour cette raison qu’il fuyait ; il savait qu’il serait pris pour un fou ou pour un imposteur. Shebel le laissa bégayer sans l’arrêter. Puis, il fut interpellé. Son regard changea brutalement. Un éclair traversa ses yeux d’ambre. En alerte, le loup en lui était prêt à bondir : les Ombres du Ciel.

— En êtes-vous sûr ? coupa-t-il.

— Oui. « Pouvoir aux Ombres du Ciel », c’est ce qu’ils ont dit. De cela, j’en suis absolument sûr.

Shebel se leva en silence et lentement. Malgré l’incohérence de ses paroles, ce témoin avait prononcé le nom de cette organisation, chose qu’il n’aurait jamais dû faire. Et dire qu’il aurait pu repartir libre. Désormais, il était une menace. Sentant le danger, le pauvre Originel tenta de sortir des griffes de Shebel, en vain. Il ne le laisserait pas partir, plus maintenant.

— Je… je devrais aller à Blanche pour parler avec Dame Valenthia Eldiriel…

— Oh, non ! murmura Shebel en passant dans son dos.

Il posa sa main sur son épaule droite avant de la diriger vers son aile.

— Vous n’irez nulle part, souffla-t-il en broyant l’os carpien de son semblable.

Un hurlement de douleur résonna dans la grotte. Des larmes de souffrance coulèrent sur le visage de l’Originel. Sous le choc, il ne se débattit pas et Shebel put en faire de même à son aile gauche. À demi conscient, le témoin remarqua à peine Shebel tourner autour de lui tel un prédateur. Sa tête était posée sur la table et il sombrait peu à peu dans les ténèbres.

— Vous n’auriez jamais dû prononcer ce nom. Prendre la vie d’un des nôtres me répugne, je vous l’assure, expliqua-t-il en toute tranquillité. Mais vous en savez trop.

Les doigts de Shebel glissèrent dans les cheveux de sa victime avant de les saisirent pour redresser la tête.

— Rien… vu. Rien ente… entendu. Je ne dirai rie… rien. Je vous le jure.

Trop tard. Shebel lui brisa la nuque sans hésitation.

Son regard d’ambre contempla ce corps sans vie. L’instinct sauvage s’éveilla un instant pour réclamer une chasse sanglante, à défaut d’avoir pu traquer cet Originel. L’heure n’était cependant pas aux jeux, loin de là. Le courroux de Shebel se ressentait jusqu’à l’entrée de la grotte. Si les choses devaient être bien effectuées, il fallait les réaliser soi-même. Aucun témoin. L’ordre avait-il été si compliqué que cela ? Comment celui-ci avait-il pu se faufiler entre les mailles du filet ? Était-il le seul ? Shebel devait-il s’attendre à ce que l’information remontât jusqu’à Blanche ? De plus, quel était le fou ayant osé prononcer le nom de l’organisation sans aucune précaution ?

Il tourna les talons et quitta les lieux afin de rejoindre l’extérieur. Ses ailes s’ébrouèrent avec violence, heureuses d’être à l’air libre, loin de cette grotte étriquée. Elles fouettèrent jusqu’à créer une bourrasque et les deux Originels à proximité se protégèrent des fins débris.

Puis, dans un silence absolu, Shebel s’approcha d’eux avant de prendre la parole.

— Débarrassez-vous de lui ! Jetez-le de la falaise, cela doit ressembler à un accident ! commanda-t-il. A-t-il de la famille ?

— Un frère. Il possède une ferme avec sa femme et ses deux enfants, confirma l’un des hommes de mains.

— Surveillez-les ! S’ils posent des questions ou s’ils savent quelque chose, éliminez-les !

Une fine pluie s’abattit sur eux. Le tonnerre grondait au loin et les lourds nuages noirs fuyaient désormais les lieux ; des étoiles commençaient à percer le voile épais. L’éclat de la pleine lune tentait péniblement de se frayer un chemin. Ces intempéries étaient une aubaine pour dissimuler le meurtre par un accident durant la tempête, personne n’en saurait rien. Il hâta ses deux sbires, empêtrés dans les ailes du cadavre. Ils le traînèrent sans ménagement. Son corps se heurta aux rochers, aux troncs d’arbre, écorchant la chair telle une feuille.

Puis, une haute au bord du précipice, il fut balancer. L’Originel se brisa contre la paroi, sur laquelle il rebondissait par moment. Il emporta avec lui des résidus de terre et de caillasse. Des plumes s’arrachèrent pour retomber en douceur, virevoltantes dans la brise. Shebel huma le tendre effluve du sang ; il le rassasiait. Il ordonna à ses fidèles de s’atteler à leur mission et ils acquiescèrent sans un mot.

Désormais, le noble devait se charger de Célestia. Il n’avait besoin de personne pour infiltrer le gouvernement. Il était un héritier ducal et fils de Chevalier de l’Empire ; Shebel avait presque les clés du pouvoir. Et pourtant, il se questionna. Cette petite princesse semblait en proie à la liberté et, face au deuil, elle s’avérait plus vulnérable. L’occasion rêvée pour approcher la famille impériale ?

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Will Maïlaw
Posté le 14/11/2022
Bonjour Stéphanie,

C'est la première fois que je me prête à l'exercice de donner mon ressenti sur le travail de quelqu'un sur ce site. Je m'excuse donc par avance si je formule mal ce commentaire.

Je trouve l'histoire très bien écrite pour un premier jet, la lecture est aisée et je me suis rarement arrêté. J'ai beaucoup aimé découvrir les différents éléments de ton univers sans que ce soit décrit à outrance, me laissant à moi, lecteur, faire mes propres déductions (exemple du fil de ma pensée : Les personnages ont des ailes, OK, et... ah ils se transforment en loup aussi, OK, des loups avec des ailes ? C'est original, etc.)

Je n'ai pas eu le temps de m'attacher aux personnages comme ce n'est encore que le premier chapitre et qu'il y a beaucoup d'exposition à faire. Je trouve justement le dosage entre description de ton monde et avancement de l'intrigue avec le développement de tes personnages bien mené, sans me donner le sentiment de trop plein d'informations.

Au tout début de ton histoire, tu parles du personnage Kana Eldiriel, et comme tu lui accordes un moment d'introspection "Kana Eldiriel ne se sentait pas totalement prête, malgré toute l’aide de ses proches… enfin, pas de tous" j'ai cru que ce serait elle l'héroïne principale de l'histoire. Et après le fait de parler de Roania par la suite, je ne savais pas si je devais me mettre à la considérer comme étant le personnage dont on allait suivre l'intrigue ou non, ou si un autre personnage allait être présenté.

J'aime bien pour le moment le personnage de Roania, son deuil et son chagrin sont très bien représentait lors de sa fuite. Cependant quand elle se transforme en loup en plein vol, j'ai pensais à un loup tout court, sans aile, un suicide si tôt en préparation !? Et ce n'est que deux paragraphes plus tard que j'ai compris que la louve avait aussi des ailes (mon cerveau pré-formaté n'avait pas pensé à cet éventualité).

Nous retrouvons alors le personnage de Shebel. Au début je le pensais un peu de façon cliché, comme le vagabond qui sauve la princesse en détresse sans connaître ses origines. Puis au fur et à mesure de la discussion, j'ai ressenti le personnage comme étant beaucoup plus mystérieux, et même menaçant sur la fin de leur discussion. Bref, un personnage complexe et intéressant qui me donne envie d'en savoir plus sur lui par la suite.

Le peu de description lors du vol de Roania, m'a un peu comme elle, étonné de la distance qu'elle avait parcourue en si peu de temps. On sait qu'elle a volé un long moment, puisqu'elle le fait jusqu'à épuisement, mais je ne l'ai pas ressenti ou lu dans le texte cette notion de temps du style "elle vola, aveugle du temps passé..." bref des petites phrases pour exprimer le temps qui passe.

Sinon pour finir, plusieurs passages ont retenus mon attention, je mets les plus remarquables :

- Alors j'ai peut être l'esprit mal tourné ! Mais le passage "Son aura dominatrice eut un effet apaisant et protecteur." m'a fait pensé à autre chose :) . Son aura sereine ou son aura imposante comme synonyme :D ?

- "Sentant le danger, le pauvre Originel tenta de sortir des griffes de Shebel, en vain." Comme on parle souvent de métamorphose, je ne sais pas si ce sont des griffes métaphoriques ou réels...

- "Pour Kana et Roania, il était impensable que leurs parents pussent avoir été aussi inconscients." pussent -> du subjonctif imparfait ? Rien à signaler, le mot m'a juste surpris :)

Voilà, j'espère que ce commentaire t'aideras, j'ai hâte de lire le chapitre suivant.
Très bonne continuation.
Stéphanie DB
Posté le 14/11/2022
Bonjour et merci beaucoup pour ton commentaire. Il est très bien formulé, je te rassure et je ne prends pas mal tes remarques (je ne publierai pas si je n'acceptais aucune critique ^^).

Je ne vais pas spécialement répondre à tout, lol, mais je vais essayer de reprendre certains points (si j'en n'oublie pas en cours de route).

Kana sera tout aussi importante que Roania et Shebel. J'ai eu un choix un faire en ce début de roman : qui présenter en premier ? Shebel est un personnage que j'adore et la chronologie des événements ont fait que c'est tombé sur ce duo XD Il n'y a pas vraiment un seul personnage principal. Il faudra les prendre ensemble.

Shebel n'est pas un personnage facile à gérer, par sa personnalité, ses actions, et son double jeu. J'espère que ça passera bien. Faudra pas hésiter à me signaler là où ça coince.

Je vais voir pour arranger le vol et le temps qui passe. Aussi mieux confirmer le genre de créatures qu'ils sont, lol. Des loups ailés, je confirme. Mais niveau explication univers, je ne vais rien rajouter. J'ai peur que ça fasse trop et il y aura pas mal d'informations par la suite ;)

Faut que je fasse attention sur les tournures métaphoriques, effectivement. Je n'avais pas pensé à une possible confusion. Je serai plus prudente à l'avenir.

Faudra s'habituer au subjonctif imparfait XD Je n'utilise pas la règle (la non-règle en réalité) du présent.

Encore merci pour ta lecture et ton commentaire, et j'espère que la suite te plaira tout autant.

Belle journée,

Stéphanie.
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