Chap 4 : La première fois

Par Achayre
Notes de l’auteur : Premier jet non corrigé - Ecriture du 16 au 21 janvier 2022
Le 07/09/23 : mise en ligne de la version corrigée

Luzerne regardait son jeune camarade marcher les mains dans les poches et le menton bas. Il devait avoir deux ou trois ans de moins qu’elle, mais l’égalait presque en taille. Le teint pâle, vite susceptible et visiblement peu habitué à la compagnie, Lev ruminait à dix pas devant elle. Luzerne, à l’inverse, appréciait de ne pas faire le trajet seule jusqu’à Grand Val. Pas de chance, elle était tombée sur un râleur parfaitement hermétique à ses facéties. L’adolescente était brusque et assez mal dégrossie, mais jamais elle ne lui aurait volé ses affaires. Sa plaisanterie à bord du bateau avait tourné au vinaigre et Lev refusait de lui parler depuis qu’ils avaient débarqué.

— Dis, tu vas faire la gueule tout le long du chemin ? l’interpela-t-elle d’un ton léger.

Buté comme savait l’être sa tante, le garçon ne répondit pas. En signe de mécontentement, il tenta de cracher dans l’herbe, mais ne réussit qu’à souiller sa manche, ce qui attisa sa colère.

— Allez, tu tires la tronche jusqu’à la place centrale de ce village, et après c’est mon tour jusqu’au prochain, plaisanta-t-elle dans l’espoir de réchauffer l’atmosphère.

— La ferme ! explosa Lev, hors de lui. On n’est pas amis, on ne voyage pas ensemble ! T’es… t’es… une greluche !

Luzerne eut un hoquet de surprise face à l’insulte, puis éclata de rire. Elle s'esclaffa si fort et si longtemps que des larmes perlèrent aux coins de ses yeux bleus. Malgré ses tentatives pour paraître plus virile, Lev avait le mot « gentil » gravé sur le front. Voir ce blondinet bafouiller, à la recherche d’une insulte potable, valait son pesant d’or. Hilare, Luzerne se fit violence pour retrouver un semblant de sérieux.

— Greluche ? l’enjoignit-elle à répéter. T’as pas mieux dans le bec ?

— Greluche ! Voleuse ! s’emporta Lev. Espèce de… de… heu… Greluche !

— Eh bah, y a du boulot pour tout ce qui est virulence, se moqua-t-elle. Et puis je ne suis pas une voleuse.

— Et ma bourse ? rugit Lev, se faisant mal à la gorge.

— Elle est bien plus en sécurité avec moi qu’à ta ceinture, lui fit remarquer l’adolescente. Vu comment tu surveilles tes affaires, tu l’aurais déjà perdu trois fois.

— Menteuse ! rétorqua Lev d’une voix grésillante.

Luzerne franchit rapidement la distance qui les séparait et l'agrippa par le col. Forte, elle le souleva presque, l’obligeant à se mettre sur la pointe des pieds.

— J’en ai ma claque de tes insultes, s’énerva-t-elle à son tour. Tu veux que je te complimente en retour ? Avec ton corps de lâche et ton caractère de fifils à sa mémère, j’ai de quoi te rhabiller pour la saison.

Lev ouvrit de grands yeux ronds terrifiés. Elle l’avait déjà rossé et y parviendrait à nouveau, sans grand effort. Le garçon se mit à trembler au bout du bras de la rouquine.

— On n’est pas amis, ragea Lev.

— Dans ce cas, devenons amis, si c’est ça qui te turlupine, conclut l’adolescente.

Elle le relâcha, lui défroissa le col, et tendit l’un des battoirs qui lui servaient de mains dans sa direction. Lev la regarda faire, interdit.

— Serrer une main, tu sais faire ?

— Je ne sais rien de toi…

À cours de patience, Luzerne le bouscula pour qu’il reprenne sa marche le long du chemin. Elle se posta à sa droite et prit l’initiative d’enterrer la hache de guerre.

— Moi, c’est Luzerne, se présenta-t-elle. Luzerne Sativa.

— Comme le capitaine ?

— Je suis sa nièce, acquiesça la demoiselle aux bras d’acier.

— Je comprends mieux pourquoi il te laisse faire n’importe quoi.

Luzerne lui claqua l’arrière du crâne.

— Désolée, mais quand tu dis de la merde, ça me donne envie de te cogner.

Lev couina comme l’enfant qu’il était encore, derrière son masque de râleur, puis se palpa la tête pour s'assurer qu’elle ne présentait aucune bosse.

— Moi, je m’appelle Lev Karczma, énonça-t-il.

Il s’attendait à une réaction de la part de son interlocutrice, mais l’adolescente resta de marbre.

— Je suis le fils de Miraaka ! revendiqua-t-il, bouffi d’orgueil.

— Celle des histoires pour enfants ? se renseigna la rouquine.

— Celle des grandes légendes, la corrigea Lev.

Luzerne leva les yeux au ciel, puis le dévisagea un instant, dépitée.

— Je ne pensais pas que tu étais ce genre de garçon.

— Quel genre de garçon ?

— De ceux qui racontent des âneries avec aplomb.

— Mais, c’est vrai ! s’offusqua Lev.

— Oui, oui… éluda l’adolescente, amère. Tu vas à Grand Val pour l’aider à tuer un dragon ?

— Non, j’y vais pour être formé par… T’es en train de te foutre de moi ? se ravisa le garçon.

— Si peu, ironisa-t-elle. Moi, je suis attendue par un des forgerons de la ville. J’ai terminé mon apprentissage, et mon oncle m’a trouvé une place chez un ancien client.

— Ça explique pourquoi t’es taillée comme une bûcheronne, lança Lev, se voulant blessant.

— Faut dire qu’avec des bras comme les tiens je n’arriverais même pas à actionner le soufflet, renvoya Luzerne sur un ton identique.

— Tu as gagné, j’arrête les piques, abdiqua-t-il. Forgeronne, c’est une bonne place.

— Ouais ! confirma l’adolescente. Dans la famille, on est forgeron ou batelier de génération en génération.

— Je ne vois pas le rapport entre les deux.

— Ceux qui ont la bougeotte embarquent sur l’eau, les autres s’installent dans un coin et tapent sur du métal jusqu’à s’en rompre les os.

Il y avait de la fierté dans cette précision lugubre. Les iris bleus de l'irrévérencieuse Luzerne brillaient d’un éclat singulier lorsqu’elle évoquait son métier. Une force l’habitait : une sorte de vitalité incandescente. Elle le dominait autant par sa carrure que par son charisme. Si l’on avait demandé à des passants lequel des deux jeunes était un aventurier en devenir, Lev était convaincu qu’ils auraient tous désigné l’adolescente, et non lui. Ça le rendit un peu plus amer à son égard.

— Et toi, tu faisais quoi avant de marcher vers l’inconnu ? enchaîna-t-elle, en le voyant repartir dans son humeur grise.

— J’aidais ma tante à faire tourner sa taverne.

— Hum… c’est vrai que tu as plus une trogne à servir des choppes qu’à les vider, le taquina Luzerne. Pourquoi t’es parti ?

— Ma mère est morte, déclara Lev, le regard dans le vide. Je ne l’ai presque pas connue. Forcément, elle était toujours sur les routes pour vivre de grandes choses. Ce voyage, c’est ce qu’elle m’a laissé en héritage, dans son testament. Je vais enfin apprendre la magie et pouvoir prendre sa suite.

— Je pensais que Miraaka était morte depuis longtemps, fit remarquer Luzerne, sans tact. Ça va faire quoi, presque quinze ans que le roi Théobald a rendu l’âme et que les Arcanes Royaux se sont séparés ?

— La disparition du roi a changé énormément de choses, admit Lev, mais ma mère n’est pas morte à la dissolution de sa compagnie. Elle a vécu d’autres histoires après cela !

— Dont au moins une qui a porté ses fruits, l’asticota Luzerne en le pointant du doigt. Est-ce qu’on la raconte dans les tavernes, celle-là ?

Lev serra les poings, refusant d’entrer dans le jeu de l’adolescente. Elle cherchait sûrement à déclencher une dispute pour le rosser à nouveau.

— Je ne connais pas mon père, si c’est ça que tu veux savoir, grommela le garçon. D’après ma tante, il est mort avant ma naissance.

— Pfiou ! siffla Luzerne. Ton histoire est tellement improbable et tirée par les cheveux que j’aurais presque envie de te croire. Si je résume bien : tu as tourné le dos à la seule famille que tu connais, du jour au lendemain, tout ça pour accomplir les dernières volontés d’une héroïne de légende dont tu ne sais rien. J’espère que c’était vraiment ta mère, sinon tu vas morfler le jour où tu tomberas de ton nuage.

— Elle l’est ! assura Lev, théâtral. Il n’y a pas d’autre vérité. C’est pour ça que je ne me sentais pas à ma place à la taverne. Une fois formé, je pourrai accomplir de grandes choses.

Luzerne n’eut pas le cœur à poursuivre ses railleries. Que son héritage fût vrai ou non, ce garçon était à plaindre. Ce n’était pas un mauvais gars, malgré son caractère un brin lunatique, pourtant elle ne pouvait s'empêcher de penser qu’il était dans l’erreur. Chaque famille avait ses histoires, ses croyances et sa façon de faire, mais les convictions de Lev ne reposaient que sur des légendes. Elle avait déjà vu cela chez d’autres jeunes orphelins : cette propension à bâtir une illusion autour de leur vie pour y donner un sens plus supportable. Le conte de fées tenait un temps, jusqu’à ce qu’une vérité trop crue ne vienne faire voler en éclat le miroir aux alouettes, les laissant désemparés, brisés. Personne ne méritait un tel désespoir.

Perdus dans leurs réflexions respectives, les deux jeunes se retrouvèrent bientôt sur la place d’un village dont ils ignoraient le nom. Personne n’avait jugé utile de l’annoncer sur un panneau, ni de le citer sur la carte de Lev. Ils étaient là, quelque part entre Lampaden et Grand Val, les pieds rendus douloureux par une trop longue marche. Luzerne — que les convenances encombraient rarement — se déchaussa et plongea ses jambes jusqu’à mi-mollet dans l’eau fraîche d’une fontaine.

— Aaaah, ça soulage ! s’exclama-t-elle, assez fort pour attirer l’attention sur eux. J’avais les arpions en feu.

Si une vieille rombière poussa un long soupir désapprobateur en la regardant, aucun villageois ne se risqua à venir lui faire une remontrance. Son allure presque masculine tenait à distance les grincheux et les prétendants en mal de compagnie d’un soir. Lev se fit plus discret, se contentant de poser une fesse sur un banc. Locataire d’un corps trop grand pour son âge, mais beaucoup moins impressionnant que celui de sa comparse, il manquait d’assurance. De l’autre côté de la place se dressait une statue de femme de trois mètres de haut.

— Je ne pensais pas que des gens vénéraient encore cette fille, fit remarquer Luzerne, les deux mains plongées dans l’eau pour se masser les doigts de pieds.

Lev leva le nez vers la femme de pierre et passa en revue ses connaissances sur les Saintes auxquelles les habitants du Royaume d’Arpentras vouaient un culte. Son visage gracile offrait un sourire affectueux à quiconque se tenait devant elle.

— C’est Sainte Oléane, celle pour qui le monde fut créé ? proposa-t-il, hésitant.

— Ouais, confirma l’adolescente. La Sainte préférée du roi Théobald, pas celle du peuple. Il en avait fait ériger partout, des comme ça, mais peu de villages les ont conservées après sa mort.

— L’histoire est belle, se remémora le garçon. Alors que les premiers humains de la création erraient, sans but dans l’obscurité informe, les Ténèbres s’éprirent d’une jeune fille et bâtirent un écrin dans lequel elle vécut heureuse. Une terre qui perdure, en son souvenir, et dont nous profitons tous aujourd’hui.

— C’est surtout triste à s’en pendre et douteux à en vomir, protesta Luzerne. Un attachement à sens unique entre une fille et un concept, une création jamais appréciée à sa juste valeur, sans compter l’ingratitude de la gourdasse lorsqu’elle finit par offrir le monde à sa descendance qu’elle a eue avec un autre. Franchement, le roi, il devait drôlement se sentir seul pour célébrer un truc pareil. Moi, je comprends que les gens se soient vite tournés vers des Saintes plus respectables.

Un coassement outré ponctua la charge blasphématoire de l’adolescente. Le boulanger, qui passait par là avec sa brouette pleine de pain, la dévisageait les yeux écarquillés par la stupeur. Il n’avait pas manqué un mot de Luzerne et le rouge montait à son visage, annonciateur d’un courroux en approche.

— On ferait mieux de reprendre la route, proposa l’adolescente, consciente qu’elle venait de dépasser les bornes.

Luzerne et Lev eurent beau se hâter de ramasser leurs affaires, ils quittèrent ce petit village paisible sous une pluie de quolibets et de noms d’oiseaux d’une rare richesse.

— Les gens aiment Sainte Oléane ! T’es tarée de dire des trucs pareils en public, lui reprocha le garçon, obligé de courir avec ses ampoules.

— Les gens sont idiots ! insista Luzerne, qui gambadait cinq mètres devant lui.

Ils dépensèrent ce qui leur restait d’énergie à mettre un maximum de distance entre eux et les villageois en colère. Lorsque Luzerne considéra qu’ils étaient hors de danger, elle fit une pause sur un rocher le temps que Lev la rattrape. Vif, mais maladroit, il ne s’était laissé réellement distancer qu’à l’occasion d’une chute en dévalant la pente à flanc de colline. Le garçon s’était râpé les mains, le nez, ainsi que le front, et du sang perlait de son menton. Cela lui donnait l’air moins gamin. Pensant qu’il aurait eu plus de mal à la suivre, elle le félicita pour sa course à travers champs. Lui ne l’écoutait que d’une oreille. Ses doigts farfouillaient dans sa bouche à la recherche d’une éventuelle dent cassée.

— Tout fa… bava-t-il en essuyant sa main sur sa tunique. Tout ça, parce que tu ne peux pas t’empêcher d’emmerder les gens !

— Rohhh, ça va le cul béni, dédramatisa l’adolescente. J’ai pas, non plus, pissé sur des offrandes. J’ai jamais pu piffrer les gens qui se prennent trop au sérieux.

— Tu ne crois donc en rien ? s’indigna Lev. Cette Sainte, elle est importante pour eux. Tu peux le comprendre ça ?

Luzerne braqua sur lui les deux bouts de ciel qu’elle avait au fond des yeux, pour le faire taire, et tira sur une chaînette qui pendait autour de son cou. Au bout de celle-ci se balançait une minuscule enclume en laiton.

— Moi, je rends grâce à Sainte Galane, patronne des forges, lui expliqua-t-elle, mais je ne la maudis pas lorsque je me tape sur le doigt, ni ne pousse du pont ceux qui osent prétendre que c’était en réalité un homme. Elle n’aurait pas rejoint les Saintes, s’il avait suffi de quelques mots crétins pour ternir son œuvre ou remettre en doute ce qu’elle est. Les Saintes sont au-dessus de ça.

— Donc tu admets que tu t’es comportée comme une gourdasse ? la tacla Lev, trop content de saisir l’occasion.

Luzerne tenta de lui coller une claque derrière la tête, mais le garçon s’y attendait et parvint à l’esquiver.

— Toi… toi… bouillonna-t-elle, l’index tendu vers lui.

Lev éclata de rire. Cette mésaventure, suivie d’une dispute ridicule, avait fini par faire fondre le mur de glace qu’il avait érigé entre eux. Luzerne plissa les yeux, le suspectant de se moquer d’elle. Finalement, emportée par la jovialité soudaine du garçon, elle ajouta son rire aux éclats qui résonnaient entre les arbres.

Au cours du trajet qu’ils couvrirent avant le coucher du soleil, la défiance laissa place à la convivialité. Lev et Luzerne ne marchaient plus dans le silence. Ils partagèrent des anecdotes amusantes sur les pochetrons de la taverne ou à propos de clients, parfois rocambolesques, qui se présentaient à la forge.

Lev avait été élevé essentiellement entouré d’adultes. Les rares enfants qui venaient au monde au Loir-Gris ne survivaient pas aux rigueurs du climat et à l’isolement de la bourgade. Du fait de la pauvreté ambiante et de la prostitution occasionnelle à laquelle se livraient les villageois, ces disparitions d’enfants ne questionnaient personne. Elles étaient même souvent désirées. Seule Dolores avait accompli le miracle de maintenir en vie un petit être dans ce lieu de perdition. Lev était l’exception qui confirmait la sinistre règle en vigueur sur ces terres retirées. Ce soir-là, au milieu de nulle part, Lev découvrit ce qu’était l’amitié.

— Je suis désolé pour la bagarre sur le bateau, lui confia-t-il.

— Pourquoi ? s’étonna-t-elle. Je t’ai défié et tu as réussi à me chopper lors d’un moment d'inattention. Tu devrais plutôt être fier de ton coup. D’ailleurs, tu as une drôle de manière de montrer ton désir à une dame.

Prête à partir dans un fou rire, Luzerne désigna sa croupe charnue dans laquelle Lev avait croqué à pleines dents.

— Non, mais, c’est que… s’empourpra le garçon.

De nouveaux éclats de rire dérangèrent les oiseaux qui regagnaient leurs nids pour la nuit.

— Il va bientôt faire trop sombre pour continuer, fit remarquer Lev.

— Je sais, mais à cause de moi nous avons repris la route et le prochain village est très loin.

— À marcher dans le noir, la seule chose qu’on va réussir à faire c’est se tordre une cheville ou se prendre une branche dans l’œil, poursuivit le garçon. Il faut s’arrêter pour la nuit.

La lumière de la lune passait difficilement entre les branchages environnants. Un soir de pleine lune, il aurait sûrement été possible de poursuivre, en marchant bien au centre de la route, mais seulement un quart de l’astre était accroché sur la voûte céleste. Luzerne hésita, trahissant une gêne.

— T’as peur du noir ? s’empressa de demander le garçon à son aînée, moqueur. Si tu veux, tu peux me tenir la main.

— Dans tes rêves, la brindille, grogna la rouquine. C’est moi qui te protège, pas l’inverse.

— Et tu comptes me protéger de quoi avec les genoux qui tremblent ? renchérit Lev.

— J’en sais rien. Il pourrait y avoir des loups dans le coin, ou d’autres trucs encore pires, supposa-t-elle, réticente à s’arrêter.

— Au moins, si on s’arrête, on pourra allumer un feu et surveiller les alentours, proposa le garçon. Là, on avance à l’aveugle.

— Mais ferme là ! aboya-t-elle, incapable de dissimuler plus longtemps son inquiétude. Tu vas nous porter la poisse.

— Donc, t’as bien peur du noir, nota Lev.

— T’as peur de tout le reste ! lui asséna-t-elle, loin des échanges cordiaux de leur récente réconciliation.

— Mais, au moins, j’ai pas peur du noir, se vanta-t-il. Les bougies, ça coûte trop cher, il a bien fallu que je fasse sans.

Incapable de distinguer la suite de la route, Luzerne fut contrainte d’écouter le jeune Lev. Elle détestait se sentir ainsi diminuée. Bientôt, elle disposerait de sa propre forge dans laquelle brûlerait un brasier rougeoyant, sans discontinuer, et plus jamais elle ne serait obligée d’affronter les ténèbres. Si elle avait moins exposé ses yeux aux flammes de la forge, l’adolescente aurait préservé sa vision nocturne. Elle payait, ce soir-là, le prix de sa passion. Lev guida sa camarade jusqu’à une souche d’arbre et ils s’assirent dessus, dos à dos.

— Tu sais dresser un feu pour un campement ? l’interrogea le garçon, visiblement incapable de s’en charger.

— Tu crois que je pourrais faire mon métier si je ne savais pas allumer un feu ? le railla la rouquine. Il n’y a rien de sorcier là-dedans.

Elle sortit un briquet de sa botte et le fit crépiter entre ses doigts.

— Trouve nous du petit bois, ordonna-t-elle.

Une directive simple et limpide, mais qui ne fit pas bouger le garçon peu réceptif.

— Bordel, secoue-toi ! l’engueula-t-elle. Tu veux être un aventurier, alors c’est le moment.

Lev se leva de la souche, propulsé par un ressort invisible, et risqua un pas dans l’inconnu.

— Tu as entendu ?

— Arrête de jacasser et trouve-moi du bois !

— J’entends une chose qui gronde…

— Je suis fatiguée et ce n’est plus du tout drôle, le coupa l’adolescente.

Ce n’était malheureusement pas une plaisanterie. Elle l’entendait aussi, maintenant. Un grondement sourd qui amplifiait à chaque seconde. Luzerne imagina toutes sortes de créatures répugnantes qui ronronnaient à l’idée de les croquer. Avoir peur du noir était une chose, mais elle ne se laisserait pas dévorer sans se battre. Elle extirpa, de sa besace, le lourd marteau que lui avait offert son précédent formateur, bien décidée à broyer le crâne du premier monstre qui passerait à sa portée. De sa main libre, elle continuait à faire étinceler la pierre de son briquet, dans l’espoir d’en tirer une flamme. Le miracle lumineux se produisit juste avant que le bruit ne les atteigne.

Malgré sa vue basse, Luzerne distingua deux grosses pupilles ardentes se détacher du rideau noir qui les recouvrait. Le grondement emplissait l’air, assourdissant et terrifiant. Lancée à vive allure sur la route, l’imposante créature à l’origine de ce capharnaüm ralentit à l’approche des jeunes, avant de s’arrêter à moins d’un mètre d’eux. Ce ne fut qu’à cet instant que Luzerne comprit de quoi il s’agissait.

Assis dans sa charrette bringuebalante, tirée par un duo de chevaux et équipée de lanternes, un vieux paysan les héla.

— Faut t’y pas être fendus pour camper au bord de la route, les gamins ? Vous cherchez la mort ?

Aucun des deux ne répondit, médusés par l’apparition si soudaine de l'attelage. Lev avait plongé derrière la souche, laissant Luzerne gérer seule la situation.

— Vous êtes perdus ? leur demanda le vieillard.

Nouveau silence figé.

— Ohé ! Z’êtes brelots ou quoi ? s’impatienta-t-il, prêt à redémarrer.

Les chevaux piaffaient d’impatience.

— Dernière chance d’pas passer l’nuit dehors ! brailla-t-il en désignant l’arrière de sa charrette. Vot’ mère, elle vous a pas appris qu’c’était dangereux d’traîner dans l’bois l’nuit ?

La stupeur évacuée, Luzerne retrouva l’usage de son corps et se précipita vers l'attelage providentiel.

— Oui ! On monte ! Vous nous sauvez la vie, le remercia-t-elle. Lev, radine toi par là !

Il ne se fit pas prier, bondissant hors de l’herbe, tel un lapin pourchassé par un renard. Epuisé, Lev s’endormit avant qu’ils n’aient rejoint le village. Aux premières lueurs du jour, il se réveilla dans une grosse touffe de paille. Luzerne l’avait porté et déposé là sans qu’il ne s’en rendit compte. Le garçon se surprit à sourire. Il avait enfin une vraie aventure à raconter.

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Alex Banner
Posté le 19/03/2022
Et c'est encore moi : il me tardait d'avoir la suite, et Luzerne est plutôt cool (j'avais peur qu'elle soit un peu agaçante). Meilleure réplique le coup du "t'as un corps de lâche" ! Je pensais pas lire ça un jour dans de la fantasy !

Sur la fin, je crois qu'il y a un souci de tiret pour le dialogue (deux tirets pour le même personnage, j'ai un peu buggué). Dialogues qui sont d'ailleurs bien maîtrisés, j'aime beaucoup !

Le lore avec Oléane et les Saintes est pas présenté hyper subtilement, mais j'ai vu tellement pire ailleurs que c'est du détail. J'aime beaucoup l'histoire et surtout les personnages, le style aussi me plaît énormément !
Achayre
Posté le 20/03/2022
Re-re :)
Il y a une réplique de dialogue à reprendre, effectivement. Je n'ai pas encore trouvé le temps de m'en occuper :)

Beaucoup d'éléments du lore seront dévoilés une fois que Lev sera arrivé au bout de son petit voyage ;)
Arod29
Posté le 12/03/2022
Hello!
Me revoilà par chez toi!
Un très bon chapitre. D'énervante tu réussis à nous la rendre sympathique Luzerne. C'est toujours bien rythmé. La plupart des remarques et coquilles ont déjà été noté. A plus tard pour la suite!
Achayre
Posté le 12/03/2022
Hello !
Luzerne, c'est un amour comparé à ce que tu vas découvrir plus loin ;)

Au plaisir de te recroiser dans les parages !
Laure Imésio
Posté le 21/02/2022
Bonjour,
J'ai repris avec plaisir le fil des aventures de ton jeune apprenti héros. Malmené dans le chapitre précédent, le voilà riche d'une amitié naissante avec une fille des prés, vrai garçon manqué. Luzerne devient un personnage attachant au fil des pages, presque davantage que Lev, à qui elle vole la vedette. Allez pour terminer une petite remarque, pas sur l'orthographe ! J'aime beaucoup lire tes scènes d'action et tes descriptions, je trouve que dans ce chapitre ce sont les dialogues qui l'emportent. Ils sont pratiques pour donner des informations, mais peut-être qu'en varier la forme serait intéressant. J'espère ne pas avoir froissé le vieil homme grincheux qui sommeille en toi. A bientôt.
Achayre
Posté le 21/02/2022
Hello.
Pour ne pas être froissé, l'important c'est de ne pas faire de repassage :p (oui, c'est nul comme blague, mais c'est trop tard ^^).

Qu'entends tu par "varier la forme" de mes dialogue ? Je suis ouvert aux suggestions, mais je n'ai pas bien compris :)
Aeliana
Posté le 14/02/2022
Hola, Holé,

Aloors

Pour le chap d'avant et Luzerne, du coup, je trouve qu'on ne comprend pas assez bien le twist de garçon/fille et qu'on a plutôt l'impression que ce n'était pas clair / qu'on avait pas bien compris. Mais faudrait d'autres avis.

Pour ce chap :
"Lev ruminait à dix pas devant elle." => Lev ruminait dix pas devant depuis ... ?

"Elle le dominait autant par la taille que par la carrure." => vu que tu as dit qu'elle était à peine plus grande, je ne sais pas, je voyais plus "autant par la carrure que par le charisme" genre (en enlevant le doublon avant), au moins un physique un moral.

"tu as tourné le dos à ta seule vraie famille, " => elle ne sait pas du tout si c'est la seule ? Elle ne sait pas si il ne va pas apprendre auprès d'un oncle ou si il a des frères ? Pas assez clair pour qu'elle puisse conclure ça.

"les dernières volontés" => pareil, il a dit "je vais enfin pouvoir" pas "ma mère a demandé à ce que.. dans une lettre"

Elle n'a pas les infos que tu lui met dans cette partie là.

"Alors que " => ça arrive un peu comme un cheveux sur la soupe. ça manque d'une phrase disant qu'il prend une voix plus posée, ou quelque chose du genre.

"Vif et endurant" =>on ne s'attend pas à ce qualificatif

La suite dès que je peux !
Achayre
Posté le 14/02/2022
Coucou.
Effectivement, Luzerne en sait peut être un peu trop sans en avoir parlé. Il faudra que je reprenne ces passages.
Pareil pour la taille, il faut que je précise mes fiches de perso... que je n'ai pas fait et ça se sent dans les erreurs :/

Plein de courage pour ta semaine.
Aeliana
Posté le 14/02/2022
Voilà la suite :

"ui confirmait la règle sinistre" => la sinistre règle.
C'est une déformation pas top normalement ça non ? Genre c'était qui infirme la règle et on s'est tous mis à dire n'imp ?

Il faut que l’on s’arrête pour la nuit. => ça fait très parfait pour une phrase orale aux vues de ses autres au dessus. "Il faut qu'on" ?

"un quart seulement de l’astre" l'enchainement avec le seulement ici n'est pas le plus fluide

" l’engueula-t-elle." => on a 2 phrases d'elle à la suite, donc pourquoi revenir à la ligne et avec un autre tiret si il n'y a pas de phrase du narrateur entre ?

Lev se leva de la souche et se risqua, d’un pas dans l’inconnu. =>problème de virgule++ ici

Elle extirpa, de sa besace, le lourd => j'aurais plus vu l'inverse en construction pour que ce soit fluide.

— Dernière chance de pas passer la nuit dehors ! brailla-t-il => même remarque ici, il manque une phrase de transition ou autre si deux fois de suite le meme parle

Je trouve la fin beaucoup trop rapide. Comment est la charette ? Leur place à l'arrière, les cahors de la route ? Il faut à mon sens ajouter beaucoup à la fin de chapitre, en descriptions, pour qu'on se sente vraiment dans l'histoire et qu'on imagine les décors.

Tu parles aussi beaucoup de branchages mais juste après il y a une route assez grande pour une charette ? J'aimerai plus de précision, je les pensais dans les sous bois sur un sentier plus qu'autre chose.

Et sinon, bien sûr que j'aime l'histoire hehe, je veux connaitre la suite à chaque fois ^^
Deslunes
Posté le 29/01/2022
Une amoureuse pour Lev, une simple camarade d'aventures, l'on peut se poser la question sur leur future relation.. Plus dans ce chapitre que dans le précédent, car cette fois, il sourit.
Cette dernière petite phrase laisse ce chapitre en suspend et interpelle pour le suivant, côté relationnel. Bonne méthode.
En effet beaucoup de coquilles que je ne relèverai pas mais une question : Dans les dialogues quand c'est Luzerne (dans l'exemple donné) qui parle pourquoi en 2 cadratins, un seul suffirait, non ?
— Trouve nous du petit bois, ordonna-t-elle.
— Bordel, secoue toi ! l’engueula-t-elle. Tu veux être un aventurier, alors c’est le moment.
Exemple : — Trouve nous du petit bois, ordonna-t-elle. "Bordel, secoue toi ! finit-elle par l'engueuler. Tu veux être un aventurier, alors c’est le moment.
Achayre
Posté le 29/01/2022
Hello.
Merci pour ton commentaire !
C'est bien une erreur dans le dialogue. Il faudra que j'ajoute une ligne ou transforme la tirade autrement :)
eysselia
Posté le 24/01/2022
Salut ^^,

Je commente les deux chapitres en une seules fois, faut dire qu'ils s'enchaînent et se complètent bien. Un peu comme Lev et Luzerne, ils s'opposent sur beaucoup de point, là ou lev est réveur et va avoir besoin d'un grand coup de peid au derrière pour voir la réalité, Luzerne, elle, est bien ancré dans le présent et n'est pas dupe qu'il y a une part d'exagération dans les légendes, ce qui l'empêche pas d'avori ces croyances (c'est agréable d'ailelurs d'en écouvrir un peu plus sur le monde avec cet petit incartade dans les croyances des gens, tous en caractérisant un peu plus les personages). Là ou Lev rève d'avoir un avenir brillant, elle a déjà construit le sien et se dirige vers là ou il doit commencer à ce réaliser encore plus. J'adore comment tu fais bien sentir la passion de luzerne, par ailleurs, j'aime bien le personange tout court en faite.
En bref, leur opposition leur donne une bonne dynamique, et le fait qu'ils ne soient pas trop écarté en âge permet malgrès leur différence ce rapprochement facilement. En plus du coup je me demande si ce besoin d'amitié que Lev n'avait jamais pu avoir avant va avoir lui jouer des mauvais tour dans le futur. Leur chamailleries donne du mouvement.

Je retrouve la fluidité des précédents chapitres dans ces deux là et quel plaisir c'est à te lire.

Bonen continuation et merci pour la lecture ^^.
Achayre
Posté le 24/01/2022
Quelle avalanche de compliments :D :D Merci beaucoup !
Pour tout te dire, Luzerne n'a commencé à exister dans ma tête seulement lorsque j'ai commencé à réfléchir au chap 3, puis elle a pris beaucoup d'ampleur et se retrouve avec un rôle bien plus important que prévu :) Elle est cool, et ce n'est pas fini :)
Altaïr
Posté le 24/01/2022
Bonjour Achayre,
j’avais hâte de lire la suite, la voilà ! Je suis toujours autant impressionnée par ta constance et ton écriture prolifique !
Les dialogues sonnent bien et, comme depuis le début de ton histoire, les images se joignent aux mots. Sauf à un passage : celui où la charrette déboule en grondant. Je n’ai pas tout de suite fait le rapprochement avec les ronronnements qui ont effrayé Luzerne. Cela dit je peux être parfois un peu longue à la détente … Autrement Lev et Luzerne se complètent bien : Luzerne bouscule Lev avec sa brutalité amicale, et les doux espoirs de Lev attendrissent Luzerne.
Quelques coquilles :
l’un des battoirs qui lui servaIENT de mainS (=battoirs)
DésoléE, mais quand tu dis de la merde
dépitéE
je suis attenduE (Luzerne)
je n’arriveraiS (même pas à actionner le soufflet)
tact (sans E).
Que son héritage fût
passa en revuE
les ténèbres se sont éprisES d’une jeune fille et ont bâti (sans S)
Le garçon s’était râpé
s’il avait suffi (sans T)
Donc tu admetS que tu t’es comportéE
bouillonna (deux N)
Luzerne fut contraiNte
ils s’assirent dessus (moi aussi je trouve s’asseyèrent plus joli 😉)
Vot’ mère elle vous A (sans accent)
sans qu’il ne s’en rendit (au lieu de rende) compte »

Bonne continuation !
Achayre
Posté le 24/01/2022
Merci pour ce retour très dense en coquilles :p Héhé. Il faut que je consacre un peu plus de temps à me relire, même sur un premier jet. Je les corrigerai dans la semaine, promis !
Ravi que tu prennes toujours autant de plaisir à me lire. Cette semaine, nous avons eut moins d'action, plus de psychologie, ce sera sans doute un peu pareil pour le prochain chapitre alors ne perds pas le fil ;)
Au chap 6, je devrais sortir de l'intro et attaquer enfin ce qui était à l'origine mon chapitre 1 :D
TiteTeigne
Posté le 23/01/2022
Un chapitre très dynamique et fluide dans les dialogues. Encore une fois, de nouvelles facettes de Lev se révèlent. Dans le même temps, tu ne délaisses pas Luzerne, qui se dévoile un peu plus dans ce chapitre. Une relation autant amicale que piquante qui donne une sensation de rebonds dans les échanges. On ne s'ennuie pas et on s'amuse de leurs péripéties.
Cependant, on ne peut s'empêcher de reconnaître la perspicacité de Luzerne quand aux rêves un peu grand d'aventure de Lev, et de partager avec elle comme un sentiment de pitié si la désillusion venait à lui apparaître brutalement par la suite.

Tu précises une dissolution des Arcanes Royaux, ce qui répond à mon questionnement lors du chapitre précédent. Si Miraaska évoluait depuis 15 ans en indépendante, des particuliers lui confiaient des tâches ou elle faisait ce qu'elle voulait (comment elle gagnait sa vie en fait ?) ? Cela veut donc dire qu'elle a eu Lev après cette dissolution. Pourquoi n'aurait-elle pas arrêter d'arpenter les routes pour l'élever si elle n'avait plus d'engagement envers le Roi ou ses anciens compagnons ?

Quelques coquilles relevées si je ne me trompe pas :
- "Les pupilles bleuEs"
- "Je suis désolé" (désolée) - c'est Lev qui parle
- "Ou (où) d'autres trucs encore pire"
Achayre
Posté le 23/01/2022
Coucou :) Merci pour ce retour.
Tout d'abord, je suis content de voir que j'arrive à ne pas trop sombré dans les clichés et que la découverte des personnages se fait avec un peu d'originalité.
Pour ce qui est de Miraaka, comme tu dois t'en douter, les détails et les raisons de ses choix seront expliqués plus tard, lorsque le récit s'y prêtera (il y a beaucoup à dire).
Je voulais que Luzerne soit plus ancrée dans le réel que Lev afin de trancher avec son jeune âge et sa vision déformée de la vie. J'espère ne pas lui avoir trop donné le rôle de la fille méchante, mais plus celui de la voix de la raison.

Au plaisir de te divertir avec la suite :) Le prochain chap devrait être le dernier de l'introduction.
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