Chap 17 : Liés par le sang

Par Achayre
Notes de l’auteur : Premier jet non corrigé - Ecriture semaine 15 de 2022
07/09/23 : Mise en ligne de la version corrigée

Ksenia accueillit les renforts avec un enthousiasme que Cyriaque aurait préféré artificiel. Rien que de la regarder sourire sans cesse lui tapait sur les nerfs. Personne ne pouvait être aussi positif et plein d’entrain, à longueur de temps, sans que cela ne soit suspect. Elle devait être droguée, ou peut-être simplette. Le mage hésitait, car, hormis sa bonne humeur épuisante, l’archère semblait en pleine possession de ses moyens. Son analyse du fléau qui furetait dans la forêt autour du Loir-Gris était d’une grande qualité.

— Il dévore systématiquement ses victimes ?

— Elle ! rectifia la brune. Je suis persuadée que c’est une femelle.

— Qu’est-ce qui vous fait dire ça ? voulut approfondir Cyriaque.

— Il y a trop de proies et elle dévore en priorité les parties riches en graisse, expliqua-t-elle en désignant la répartition des morsures sur plusieurs croquis d’une précision proche du réalisme.

Le vieux mage n’y connaissait pas grand-chose en art, mais il consultait régulièrement de très nombreux ouvrages illustrés. Ksenia avait développé un talent pour le dessin, qui dépassait celui d’illustrateurs réputés. Il suffisait de voir Moïra détourner le regard pour comprendre à quel point les croquis rendaient justice aux atrocités commises par la bête.

— L’hiver est loin et elle est dans les parages depuis trop longtemps, poursuivit la traqueuse. Je pense qu’elle se renforce dans l’attente de mettre bas. Si nous la laissons arriver à terme, elle ne quittera plus ce territoire et nous devrons faire face à toute sa portée.

— Combien de petits ? relança l’ancien Arcane Royal.

— Mon travail c’est de la tuer, pas de me lancer dans un élevage.

Son sourire imperturbable ne l'empêcha pas d’arquer un sourcil avec assez d’assurance pour rembarrer le vieux grincheux. La trentaine et pas loin d’une vie entière d’expérience dans son activité, Ksenia savait s’affirmer. Cyriaque parut satisfait de la réponse. Fidèle à ses habitudes, il lui avait tendu une embuscade au détour d’un échange banal. Elle avait franchi l’obstacle de la façon espérée, ce qui la plaçait, pour un temps, dans la catégorie des gens avec qui le mage pouvait tenter une collaboration.

— Et vous n’y êtes pas parvenue, constata Cyriaque.

— En effet, admis Ksenia. Cela fait-il de moi une faible femme ?

— Du tout ! répondit le Renard, sans hésiter. Au contraire, j’ai plus de considération pour quelqu’un qui sait quand s’arrêter et demander de l’aide, que pour un âne qui s’obstine à échouer par orgueil.

— Il faut dire que la situation échappe au cadre normal d’une traque. Cette créature n’est pas la seule à faire son marché parmi les ouvriers de passage dans ce village. J’ai découvert ceci en étudiant les cadavres que l’on m’a rapportés.

L’archère déplia d’autres dessins qu’elle conservait dans un porte documents. Du bout de ses doigts cornés par le frottement de la corde, et teintés par les fusains, elle présenta la scène d’un crime moins sanglant. Les trois arrivants purent visualiser à la perfection les traits tirés du visage de la victime. Une unique plaie s’ouvrait sur la peau grise. Sa forme et sa profondeur donnaient l’impression qu’une partie de la victime avait été aspirée par l’orifice. Elle était le centre de stries concentriques, comme celles engendrées par le ricochet d’un caillou sur l’eau. Un détail, tranchait avec la métaphore. L’onde, ainsi matérialisée, ne s’étendait pas depuis la plaie, mais s’y concentrait.

— Un puissant drain magique, décréta Cyriaque. Vous avez eu raison de faire appel à nous.

— Moi, j’ai simplement envoyé un rapport à mon contact, se défaussa Ksenia. Je suppose qu’il s’est ensuite adressé à vous car vous avez déjà vu ce genre de chose ?

— La vérité n’est pas loin de votre déduction. Quelqu’un a drainé ma compagne, juste sous mon nez. Cela remonte à si loin que vous deviez à peine sortir de l’école.

Ksenia ne releva pas la pique. Son humeur constante tenait en partie à sa capacité à ne pas se laisser atteindre par les mots. Elle dégageait une douceur qui contrastait avec l’aspect meurtrier de son métier de traqueuse. Cyriaque n’avait plus l’âme à être attiré par cette jeune femme, mais ses yeux d’obsidienne et son air mutin mettaient son indifférence à rude épreuve. Dans son fourreau, Ételrune vibrait comme pour lui signifier sa jalousie. Aussitôt, l’émoi fugace de Cyriaque envers la traqueuse se dissipa. Conscient que l’arme partageait jusqu’à la plus secrète de ses pensées, le mage la dégaina et la déposa sur la table entre lui et Ksenia. Sous la caresse affectueuse de ses doigts, Ételrune retrouva sa sérénité.

— Combien de morts ? se renseigna Cyriaque.

— Quatorze dévorés et trois… drainés, énuméra Ksenia. C’est comme ça que vous avez dit ?

— Ce sort doit avoir un nom à coucher dehors, mais connaître son effet nous suffit, non ?

— J’essaye seulement d’être exhaustive dans mon rapport. D’ailleurs, si vous aviez un nom de coupable à me proposer, je suis preneuse. Mon truc, à moi, c’est les animaux, pas les détraqués.

— Il est trop tôt pour nommer une ombre, refusa le mage. L’homme que je pourchasse est aussi volatile qu’une vapeur d’alcool dans une tempête. Si c’est bien lui, je ne peux pas prendre le risque que mon hypothèse soit archivée sur l’un de vos parchemins.

Amusée, Ksenia ramassa ses dessins, carnets et autres preuves utiles à l’enquête.

— Pas de confiance mutuelle, nota-t-elle, à voix haute. Uniquement une petite escapade meurtrière en forêt. Aucun problème.

— Croyez-moi. Vous n’avez pas envie que votre nom soit murmuré à l’oreille de celui pour qui j’ai fait tous ces kilomètres, l’avertit Cyriaque. Ma seule preuve de son existence est la régularité avec laquelle périssent tous ceux que j’ai pu mettre dans la confidence au fil des années.

— Charmant ! souffla l’archère aux cheveux noirs de jais.

— Et nous, ça ne vous dérange pas que l’on sache de qui on parle ? s’offusqua Moïra, qui était restée silencieuse jusque-là.

— Vous êtes tous les deux en danger de mort depuis l’instant où vous êtes entrés à mon service, lui rappela l’ancien Arcane Royal.

— Nous sommes vos apprentis, pas vos larbins ! se fâcha-t-elle.

— Vu depuis mes bottes, cela fait si peu de différences, se moqua Cyriaque en souriant à Ksenia. Allez donc vérifier nos affaires avec la demoiselle. Je ne tolérerais pas qu’il nous manque quoi que ce soit une fois lancé sur les traces de notre cible.

Moïra opina et se leva de table pour montrer à la traqueuse qu’elle était disposée à s’en occuper sur le champ. À la gauche de son maître, Lev ne bougea pas. L’adolescent était perdu dans ses pensées. Il n’avait pas vraiment écouté les explications de Ksenia, et encore moins les ordres de Cyriaque.

Une seule chose monopolisait l’ensemble de ses capacités de réflexion. Dolores continuait à l’ignorer. Distante envers ses clients, elle l’était d’autant plus à son encontre. Ils n’avaient pas échangé un mot, ni le moindre rictus. Pourtant, elle avait salué Moïra et son maître. Ses paroles tournaient en boucle dans le crâne de l’adolescent : Mon neveu est mort.

Certes, elle l’avait mis en garde, trois ans plus tôt, mais qui aurait pris ce genre de déclaration au sérieux ? C’était sa tante. La femme qui l’avait recueilli dès la petite enfance. Y compris après une fugue, elle aurait dû l'accueillir à bras ouverts, soulagée de le retrouver vivant. Au contraire, elle appliquait sa menace avec zèle. Dolores avait fait abstraction de sa présence au point de ne pas lui apporter sa commande.

Lev fit grincer sa chaise en se levant. Puisqu’elle refusait de le servir, alors il viendrait s’imposer à elle. L’adolescent était prêt à se battre si besoin. Elle n’aurait aucun mal à le neutraliser, mais cela valait mieux que rien. La version de Lev qui marchait à sa rencontre se sentait bien différente du fuyard abreuvé de légendes qui avait déserté les lieux un soir d’avril. Elle s’en rendrait compte et tomberait le masque.

Dolores aperçut son neveu, du coin de l'œil. Ce crétin refusait d’intégrer qu’elle n’était plus sa tante. Si seulement elle disposait de pouvoirs magiques : elle aurait fait disparaître ce revenant encombrant. Porter son regard au loin ou se détourner vers d’autres tâches devenait difficile. Lev était là, planté devant le comptoir à la recherche d’une faille dans cette mascarade.

— Dolores, pourquoi tu fais ça ?

Au même titre que le claquement de la corde d’un arc fait bondir un lièvre à l’abri des fourrés, sa question poussa la tenancière à quitter son poste. Elle n’avait pas beaucoup d’options de repli, alors elle s’enferma dans la réserve. La manœuvre — des plus efficaces face à un ancien amant un peu trop envahissant — s’avéra inutile contre un gamin qui connaissait l’emplacement où elle cachait le double des clés.

Lev contourna le meuble contenant les assiettes vides, puis glissa son bras entre les fûts de bière alignés le long du mur. Dolores avait ses manies. Le jeune homme savait qu’il dénicherait de quoi déverrouiller la serrure sous l’amas de torchons sales et détrempés que sa tante fourrait dans cet espace. Il lui suffisait de braver quelques secondes l’odeur âcre de la pisse tiède qu’elle servait à ses habitués. La clé était bien là, avec celle de la cave.

Dolores sursauta lorsque la serrure cliqueta dans son dos. Derrière le masque d'indifférence qu’elle s’était fabriqué, elle était à vif. Sa rapière pendait à la patère près du coffret faisant office de caisse. Il lui fallait autre chose pour se défendre contre le fantôme qui s’avançait vers elle. Par défaut, elle attrapa la première poêle qui passa à sa portée et la balança au visage de son neveu.

— Wow ! Je veux juste te parler. Je pensais que tu serais heureuse de me revoir, plaida l’adolescent en esquivant le projectile improvisé.

— Elle est morte ! Tu es mort ! Il n’y a plus que moi, couina la tenancière, des larmes plein les yeux.

— Je suis bel et bien vivant, contesta Lev. J’ai grandi, mais je n’ai pas changé au point que tu ne me reconnaisses plus.

L’apprenti mage tentait de raisonner sa tante, submergée par une forme de panique.

— T’avais pas le droit de m’abandonner, répliqua Dolores, l’écume aux lèvres. Vous m’avez tous abandonnée. C’est le sang de maman qui veut ça. Miraa avait les veines pleines de cette malédiction et, toi, c’est pareil.

— Je ne comprends rien à ce que tu racontes. Tu vas faire un malaise si tu continues comme ça, s’inquiéta Lev. Assieds-toi.

Loin de retrouver son calme, Dolores ouvrit un peu plus grand les vannes de son désespoir accumulé. Jamais elle ne s’était confiée à lui à propos de son enfance. Tout ce que Lev savait se résumait à une profonde rancœur entre sa mère et sa tante. Dolores avait pris son neveu à sa charge, mais n’avait jamais digéré que Miraa ait pu lui tourner le dos.

— Maman nous a abandonnées. Miraa s’est sauvée dès qu’elle a pu. Puis toi tu en as fait de même. C’est dans votre sang. Moi je suis celle qui reste, celle qu’on oublie, celle dont on n’a plus besoin.

Trois années de larmes, trop longtemps contenues, se déversaient à torrent depuis ses yeux rougis. Lev voulut s’approcher et la prendre dans ses bras, mais elle le repoussa. Dolores n’était plus la force de la nature qui tenait son établissement au bout du monde. La gamine blessée, qui vivait derrière son masque d'indifférence, était remontée à la surface.

— Qui s’est occupé de moi lorsque j’ai failli mourir de la fièvre l’hiver dernier ? demanda la tenancière, tremblante. Qui m’aide à faire tourner la taverne les jours où j’ai tellement mal aux jambes que j’arrive à peine à descendre l’escalier ? Qui est là pour me sourire les soirs de pluie ? Personne !

Elle lança une botte de carottes au visage de son neveu, qui l’esquiva.

— Il fallait m’écrire, j'aurais demandé à pouvoir venir te voir, voulut se dédouaner le garçon.

— Ajouter l’humiliation de réclamer la charité en plus de la morsure de la solitude ? Jamais ! Tu m’entends ? Jamais ! hurla-t-elle dans la réserve. Si je ne suis rien pour vous trois, à quoi bon vous faire sentir désiré ? Vous êtes des monstres aux cœurs vides.

Lev cessa de vouloir absolument la calmer. D’une certaine manière, elle avait raison. Ne venait-il pas de passer trois ans loin d’elle, sans prendre des nouvelles ? vrai dire, son crime était plus ancien. Alors que Dolores l’avait recueilli, il ne lui avait jamais donné la place de mère qu’elle aurait dû prendre dans sa vie. Soir après soir, histoire après histoire, Lev n’avait fait que glorifier sa mère absente, en négligeant les émotions que pouvait ressentir celle qui veillait sur lui. Sa jeunesse et son immaturité n'excusaient rien. Il y avait bien une malice dans son sang, dans son héritage, qui l’entraînait loin d’elle.

— J’ai été égoïste, reconnut Lev. Je n’ai pas réfléchi aux conséquences de mes choix sur toi.

Ses larmes se joignirent à celles de la tenancière.

— Fais ce pour quoi tu es venu et quitte ce village une bonne fois pour toute, lui intima-t-elle. Tu t’es engagé sur un chemin qui ne passe plus par moi.

Dolores avait repris un peu de contrôle sur ses émotions, suffisamment pour sécher ses larmes et parler plus distinctement. Elle resta prostrée dans le fond de la réserve, à la façon d’un animal blessé qui espérait se faire oublier par son bourreau. La douce amertume dans sa dernière phrase relevait plus de l’abandon que du pardon.

Lev frissonnait. Une blessure de la profondeur d’un gouffre s’était ouverte dans sa poitrine. Il porta sa main là d’où provenait la douleur, mais rien n’était palpable en surface. Les plaies à l’âme ne laissaient des traces visibles que par celui qui les portaient. Intrigué par ces sensations, il déploya son aura orangée et découvrit qu’elle avait pris une teinte plus sombre. L’idée qu’elle puisse devenir noire, comme celle dont Cyriaque avait parlé dans son histoire, ajouta à sa tristesse.

— Comment va ta tante ? s’enquit Moïra lorsque Lev la rejoignit enfin pour les préparatifs de la mission.

— Cette femme avait raison, lui dit-il, dépourvu d’émotions perceptibles. Tout ceci n’était qu’une méprise. Je suis orphelin depuis trois ans.

Moïra grimaça face au revirement qu’avait pris cette visite à la taverne. Malgré la distance qu’imposait leur rivalité, la jeune mage savait parfaitement ce que revoir un proche signifiait à ses yeux. Elle avait la chance de pouvoir échanger avec sa famille. Ils ne partageaient pas son enthousiasme envers son choix de carrière, mais aucun ne lui avait tourné le dos, ni n’avait coupé les ponts. Moïra se surprit à poser une main compatissante dans le dos de Lev, qui ne chercha pas à s’y soustraire.

— Le Maître compte sur nous pour régler cette affaire rapidement et sans accros, rappela la jeune femme. Tu t’en sors avec les préparatifs ?

— Mes armes sont aiguisées, acquiesça-t-il.

— Tu as tes outils ?

— Marqués, triés et mémorisés, confirma Lev en tapotant les différentes lanières ou poches qui les maintenaient en place sur sa tenue.

Ksenia leur adressa un sourire amusé, les mains occupées à limer la pointe de ses flèches.

— Vous êtes marrants tous les trois, se réjouit-elle. On dirait un père et ses deux enfants. La famille Grincheux en vadrouille.

La plaisanterie tomba à plat, entre l’humeur macabre de Lev et la morgue naturelle de Moïra. Cyriaque, quant à lui, s’était soustrait aux conversations et mangeait seul dans un coin de la taverne. Par chance, le vent glacial qui lui répondit n’affecta pas le ravissant sourire de la traqueuse.

— C’est un sacré attirail que vous transportez, fit-elle remarquer, curieuse. Vous allez vraiment vous servir de tout ça ?

— Nos pouvoirs reposent essentiellement sur une grande polyvalence, expliqua Moïra. Nous sommes entraînés pour pallier à tous les imprévus.

— Hum… moi j’en règle la plupart avec une bonne flèche dans l'œil, mima Ksenia. Ma plus grosse cible, c’était un éléphort, et vous ?

— Un borl, répondit Moïra, sûre d’elle.

— Oh ! s’exclama l’archère. Pas mal ! Et toi ?

Lev n’était pas vraiment là. Son esprit n’avait pas quitté la réserve et poursuivait, seul, l’échange avec sa tante. L’acceptation du choix de Dolores n’était rien de plus qu’une façade. Alors, loin des vantardises des deux femmes, il répondit sans réfléchir.

— Un frelon.

Ksenia ne put retenir un rire tandis que Moïra levait les yeux au ciel, déçue mais pas surprise. Lev les regarda sans comprendre. Il lui fallut de longues secondes pour remettre dans l’ordre cette conversation qui se déroulait hors de portée de son attention. D’après ce qu’il avait lu dans les ouvrages de Cyriaque, un éléphort mesurait environ six mètres de long pour trois de haut et pouvait provoquer des sécheresses tant il absorbait l’eau présente sur son territoire. Dans un autre registre, les borls étaient d’immondes bulles de chair flasque de quatre mètres de diamètre, qui se nourrissaient exclusivement de cadavres volés dans des cimetières. Lev se frappa le front du plat de la main lorsque l’évidence de sa médiocrité lui apparut.

— Faut pas le prendre mal. On commence tous en bas de l’échelle, voulut le rassurer Ksenia.

Le sourire de l’énergique brunette était de trop. Vexé, Lev se renfrogna. Il avait parfaitement conscience de l’aspect presque exclusivement théorique de sa formation. Dans le Bois Sifflant, il n’avait que Taupin comme adversaire, et le jardinier était peu enclin à lui servir de cible. Lev compensait ce manque d’expérience par une grande inventivité. Il palliait également sa hargne par de la malice, ce qui plaisait à son maître. Cyriaque prônait la ruse plus que l’affrontement direct. Une méthode qui permettait à l’ancien Arcane Royal de rester un mercenaire redoutable, malgré sa main manquante et sa magie bridée.

— Maître ! interpella-t-il ce dernier. Me laisserez-vous échanger ma chambre contre celle de Moïra, si je porte le coup fatal à cette créature ?

— Tu ferais mieux de te concentrer sur l’idée de survivre à cette mission, le tacla le vieux mage. Mais, c’est d’accord. Je crois que pour faire bonne mesure, j’irai jusqu’à la faire dormir dans l’atelier.

Lev gratifia Moïra d’un geste provocateur qui enterra les prémices d’un rapprochement entre rivaux. Certes, il avait grandi et mûri, mais l’adolescent n’était pas à l’abri d’un relent de mesquinerie infantile.

— Pfiou ! siffla Ksenia. Je ne vais pas m’ennuyer avec vous deux. Ce serait triste que l’on en perde un en route, vous formez un duo adorable.

L’archère chargea son paquetage sur son épaule droite et se dirigea vers la porte de l’établissement. Se pensant hors de portée de leurs oreilles, elle s’abandonna au rire qui lui chatouillait les lèvres depuis le début. Une série de notes cristallines qui piquèrent les tympans de Moïra, comme autant d’aiguilles.

— Je pensais que…

— J’ai déçu ma tante. Je déçois le Maître. Je vais te décevoir. Autant anticiper ce qui est inéluctable, l’interrompit-il. Les héros n’existent que dans les livres. Moi, je ne suis qu’un tocard avec un rêve idiot.

Moïra avait effectivement des reproches à lui faire, mais rien d’aussi blessant. Profondément affecté par ses retrouvailles ratées avec Dolores, Lev s’était infligé un châtiment bien pire. Elle était sur le point de le contredire lorsque Cyriaque se leva de sa chaise.

— Si tu as l’intention de te morfondre, fait-le en silence, le réprimanda-t-il. À moins que la seule trace que tu veuilles laisser derrière toi soit celle d’un gars qui comptait les cailloux dans ses bottes au lieu de marcher vers la gloire ? Je suis certain qu’Ermanno serait emballé à l’idée de chanter ça dans tout le royaume.

Cyriaque s’avança jusqu’à son apprenti, l’air plus courroucé que d’ordinaire. De sa main manquante, il désigna la porte par laquelle était sortie Ksenia, et, de la valide, un tabouret près du comptoir.

— Choisis ta vie ! Pas demain. Pas quand tu te sentiras prêt. Pas quand ce sera facile. Pas quand ce sera trop tard. Maintenant !

Lev fixait l’ombre sous le museau de la cape, là où se cachaient les yeux de son maître. Il était de nouveau debout entre les tables de la Rap’, à devoir choisir entre le confort ou l’aventure. Ses motivations avaient changé. Le petit garçon, bercé par les légendes, n’avait pas survécu à son voyage. Cette fois, encore, il laissa la part du sang de sa mère, qui coulait dans ses veines, prendre la décision.

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TiteTeigne
Posté le 20/04/2022
Les retrouvailles entre Dolores et Lev sont plus approfondies et comme échangé lors du chapitre précédent, cela manquait et je suis contente que tu l'aies développé ici. Il y a des sentiments mais ça ne dégouline pas non plus de pardon ou mielleuses retrouvailles. Je trouve le ton juste et approprié, permettant à Lev d'encore plus s'affirmer dans ses choix et qui il est.
Moïra est plus en retrait que dans les chapitres précédents mais cette place lui est tout adaptée ici, avec une présence bienveillante. Nouvel aspect d'une affection frère-soeur.

Tu introduis un nouveau personnage, Ksenia, fort sympathique ! Une excellente répartie dans l'ensemble du récit, comme une petite flamme dynamique et qui apporte du peps. Cependant, est-elle une petite brune ou a-t-elle les cheveux noirs de jais ?
Je trouve très intéressant que tu développes le visuel par le dessin et la description de quelques créatures de ce monde.

Il n'y a plus qu'à partir à l'attaque !

Quelques petits oeufs de Pâques qui se sont cachés dans ton texte :D
- "Je suis persuadéE"
- "Mettait son indifFérence à rude épreuve"
- "Vous m'avez tous abandonnéE"
Achayre
Posté le 20/04/2022
Coucou !
Merci pour ce retour. Effectivement, il y a quelques petits ajustements à faire ;p
Un chapitre lourd émotionnellement avant d'enchainer sur un retour à l'action.
C'est important d'avoir ton ressenti, une fois encore, cela me permet de voir si j'ai bien transmis le coeur de chaque chapitre :)

A très vite !
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