Chap 16 : Parcours chaotiques

Par Achayre
Notes de l’auteur : Premier jet brut et non corrigé - Ecriture semaine 14
07/09/23 : Mise en ligne de la version corrigée

D’ordinaire, Moïra supportait plutôt bien le tangage et le roulis des chariots sur les mauvaises routes de campagne. Mais, ce matin-là, elle était verte et se cramponnait à l’attelage pour ne pas vomir. Dans son ventre, un excès de liquides festifs et pas assez de nourriture solide se livraient une guerre qu’elle était sur le point de perdre. Ils avaient beaucoup trop festoyé à leurs succès respectifs. Luzerne l’avait mise au défi de dépasser ses limites et la jeune mage avait eu le tort d’accepter pour l’impressionner. Maintenant qu’elle avait rejoint son maître, l’idée paraissait stupide. Les regrets ne servaient à rien, et puis Moïra n’en avait pas vraiment. Ils s’étaient amusés.

À l’autre bout de la planche couverte de feutre qui leur servait d’assise, Lev n’en menait pas large. Le regard fuyant envers l’autre apprentie, il naviguait à travers les brumes alcoolisées qui se dressaient entre sa mémoire et les événements de la veille. Tout ne pouvait pas être vrai. Il en avait forcément inventé une partie. Aussi jeune adulte fut-il, cette nuit improbable l’avait emmené jusqu’en des terres jusque-là inconnues. Son estomac avait pris l’heureuse initiative de se vider au coin d’une rue, avant qu’ils ne rejoignent Cyriaque. Sans cela, il aurait anéanti les bottes du vieux mage.

Leur maître gardait la bouche close et les dents serrées, depuis que le cocher avait lancé les chevaux en direction de l’ouest. Il se contentait de les observer, de sous l’ourlet de sa capuche. La tête de renard qui l’ornait avait presque l’air vivante pour les deux fêtards encore gris. Cyriaque faisait rouler des mots dans le fond de son crâne, à la recherche de la pique la plus acerbe à leur lancer. Nul besoin d’un témoin pour lui résumer la nuit de débauche qui s’était jouée en son absence. La mine misérable, le teint terreux, les yeux rougis, et l’haleine de bouc de ses apprentis parlaient pour eux. Le Renard prenait soin de son image. À défaut d’être aimable ou sympathique, il mettait un point d'honneur à paraître irréprochable dans ses actes. Or, les deux jeunes, qu’il traînait à contre-cœur, venaient probablement de se donner en spectacle devant un quartier entier. C’était inacceptable.

— Pitoyables… finit-il par maugréer. J’emmène mes apprentis en ville et je récupère deux loques. J’espère que le jeu en valait la chandelle, car, à notre retour au Bois Sifflant, vous allez morfler comme jamais.

À sa grande surprise, aucun des jeunes ne se saisit de l’occasion pour reporter la faute sur l’autre. Malgré un appel du regard par son maître, Moïra resta muette. En partie parce qu’elle ne se sentait pas capable de parler sans vomir, mais également pour se préserver. Elle n’avait pas envie de jouer avec le vieux mage, préférant le laisser à ses suppositions. Fin comme il était dans ses observations, Cyriaque en avait certainement déjà déduit trop d’éléments qu’il serait suicidaire de vouloir confirmer ou rejeter. Le doute restant offrait une alternative suffisante.

— Nous avons rencontré une connaissance commune, se résolut à expliquer Lev. S’en est suivie une fête dont le déroulé nous a échappé à cause de la boisson. C’était la première fois que je…

— Pitoyable ! insista Cyriaque, tout en l'interrompant d’un signe. Je ne veux entendre aucune justification. Que vous ayez tété les loches d’une Sainte ou écumé les bordels m’importe peu. Je vous ai demandé d’être en forme ce matin et c’est un échec total. Votre volonté est inexistante. Voilà pourquoi je vous tiens si souvent à l’écart du monde.

Le mot choisi par Cyriaque prenait plus de sens à chaque phrase. Lev et Moïra se sentaient effectivement pitoyables. Sans se défaire de son attitude consternée, le vieux mage extirpa une miche de pain aux céréales, de sa besace, et la rompit en son centre.

— Mangez ça et buvez vos gourdes en entier, leur ordonna-t-il. Nous ferons une pause quand vos vessies seront prêtes à exploser. En espérant que cela suffise à expurger vos corps de l’alcool et de la bêtise.

Les deux apprentis ne se firent pas prier. Dans l’estomac de Moïra, la mie se gorgea, autant qu’elle le put, de l’alcool qui cherchait à remonter. Lev, pour sa part, macha peu afin que le pain garde du volume. Cette cale salvatrice lui permit d’oublier les cahots de la chaussée. Après cette claque verbale, Cyriaque préféra les laisser dormir. Il serait toujours temps de les sermonner lorsque leurs cerveaux seraient en état d’en apprendre une leçon.

De larges routes commerciales en chemins, puis de pistes en sentiers à peine praticables, le voyage durerait plus de jours que Lev ne pourrait en retenir. Son corps s’était vite remis de sa nuit de retrouvailles avec Luzerne, mais la planche qui servait de banc lui engourdissait les fesses au point qu’il demandait à descendre à chaque occasion. Qu’il faille écarter une branche ou guider les chevaux sur un passage incertain, l’adolescent était volontaire. Se rendre utile permettait surtout de rompre la monotonie du voyage.

Ils ne prirent pas le bateau à Lampaden, comme lors de son périple avec la rouquine. Un bac les transporta sur la rive opposée où ils grimpèrent dans un nouvel attelage, encore moins confortable que le précédent.

La majeure partie du temps, Cyriaque n’ouvrait les lèvres que pour boire ou manger. Il s’offrit, cependant, trois longs exposés sur la morale, la nécessité d’avoir un but dans la vie, et l’importance de tenir ses promesses. Au cours de son existence, il avait souvent sacrifié beaucoup pour ses idéaux, mais pas une fois il ne les avait abandonnés. Le Renard suivait ses codes, sa morale et ses raisons. Lev se demanda si, dans le fond, ce n’était pas cela qui faisait de lui un héros méritant une légende. Au fil du temps, une foule de gens avait brillé en terrassant des créatures, mais combien y étaient parvenus sans se perdre en route ?

Sire Daan avait sombré dans le stupre accompagnant sa gloire. Lucide croyait tant en ses dons qu’elle demeurait aveugle aux erreurs qui la conduisirent à sa fin. Tolen avait succombé à la peur du dernier chapitre de sa vie, se transformant en monstre pour le fuir. Miraaka avait mis son héritage en péril en voulant le rendre plus prestigieux. Rien qu’au sein des Arcanes Royaux, les exemples se montraient frappants. Cyriaque menait sa barque à contre-courant, prêt à tout perdre pour rester fidèle à ses choix. Le collier de services rendus qui pendait à son cou était le témoin de son engagement auprès des autres. Pour le peu qu’ils l’aimaient, Cyriaque ne leur avait pourtant jamais tourné le dos.

Au cours du voyage vers le Loir-Gris, le groupe ne s’accorda que peu d’arrêts, généralement imposés par la fatigue des chevaux. Lev se berçait d’illusion en s’imaginant pouvoir ronfler paisiblement jusqu’à destination. Son maître était contrarié et réfléchissait à une astuce pour pourrir la vie au petit impudent qui osait copier son apparence. Le vieux mage profita de leur passage le long de la rivière, qui s’écoulait depuis Himska, pour mettre ses apprentis à l’épreuve.

Puisqu’ils étaient assez complices pour lui faire honte en duo, il leur imposa des exercices de collaboration. Depuis l’attelage en mouvement, Moïra et Lev durent déployer leur aura afin de pousser une branche d’un mètre de long, à contre-courant. Chacun lié à une rune gravée aux extrémités du morceau de bois, ils s’efforçaient de coordonner leurs actions, afin de la maintenir verticale et immergée aux deux-tiers. Le tout, sans se laisser distancer. Dire qu’ils perdirent de nombreuses branches dans les premières heures relevait de l’euphémisme.

Trop occupée à vouloir prouver sa supériorité, Moïra poussait trop fort et déséquilibrait l’ensemble. Quant à Lev, il manquait terriblement d’anticipation et perdait son lien dès qu’un objet trop gros s’interposait entre eux et la rivière. Cyriaque ne manqua pas de le houspiller jusqu’à plus soif.

— Si tu n’as pas au moins trois temps d’avance sur la vie, alors tu es déjà mort ! lui braillait-il dans les oreilles. Anticipe les obstacles ! Lis les mouvements du monde autour de toi ! Et toi, Moïra, arrête de croire que tu vas y arriver sans lui !

L’ancien Arcane Royal savait pertinemment que l’exercice était trop difficile pour les deux jeunes, mais il tenait à voir s’ils s’en rendraient compte d’eux-mêmes et comment ils géreraient cet échec inévitable. Cyriaque poussa le vice jusqu’à leur faire une démonstration de sa propre maîtrise. Il dégaina Ételrune et l’envoya danser dans un bosquet à trente mètres sur leur droite. La lame sans garde virevoltait entre les troncs, s’offrant par moment le luxe de les entailler au passage. L’aura sombre émanant de Cyriaque se divisait en une multitude de ramifications qui contournaient les obstacles pour nouer un second lien avant que le précédent ne soit rompu.

— Vous serez à votre plein potentiel le jour où vous saurez faire ça.

Illustrant ses mots, l’aura de Cyriaque se rassembla en un unique faisceau que les troncs, entre lui et la lame, ne parvenaient plus à interrompre. Son lien avec Ételrune était si fort qu’il persistait, malgré l’interférence d’obstacles denses. Lev peinait à maintenir sa liaison à travers l’air et l’eau, alors l’exploit de son maître le laissa sans voix. Cependant, fidèles à l’obstination de Cyriaque, les deux apprentis refusèrent d’abandonner face à leurs évidentes lacunes.

L’exercice prit fin lorsque l'attelage bifurqua vers le nord, laissant la rivière derrière eux. Si la température ne baissa pas significativement, l’humidité et la grisaille prirent d’assaut le paysage. Lev se pencha par-dessus bord pour scruter les alentours. D’ici une heure ou deux, le Mont Rude imposerait sa présence à la limite entre le ciel et la terre. Bon nombre de chants ou de poèmes évoquaient les divers reliefs du Royaume d’Arpentras, mais aucun ne s’attardait sur cette montagne. Son seul intérêt se résumait à son rôle de barrière naturelle contre le froid qui tuait quiconque se risquait à la surface des Bancs de Glace. Gravir un roc aussi inhospitalier, uniquement pour se brûler les yeux en contemplant des glaciers à perte de vue, ne présentait aucun intérêt.

Cyriaque avait déjà arpenté le royaume du nord au sud et d’est en ouest. Dans sa jeunesse, il s’était émerveillé des richesses culturelles et naturelles qui l’entouraient. À présent, le mage se moquait des paysages champêtres ou des traditions folkloriques des gens qui peuplaient les villages traversés. Il trouvait sa distraction dans les yeux de ses apprentis. Cyriaque leur avait concocté un nouvel exercice, et le désarroi que celui-ci leur inspirait était un régal.

— Mais, Maître ! protesta Moïra. Si l’on échoue, on risque de se tuer.

— Dans ce cas, n’échouez pas, rétorqua le mage. Lors de votre entraînement, vous avez souvent eu l’occasion de vous contenter d’essayer. Dans une véritable situation d’urgence, vous n’aurez pas ce luxe. À chaque mission, vous ferez un pari sur votre aptitude à la réussir. Si vous n’êtes pas capable de faire mentir les probabilités et d’infléchir le destin à votre avantage, autant vous en apercevoir avant qu’il n’y ait d’autres enjeux que votre propre vie.

Cyriaque ordonna à Lev de marquer d’une rune les deux roues arrière de l’attelage. L’apprenti s’exécuta sans enthousiasme. Afin d’accélérer leur progression en soulageant les chevaux, le mage voulait qu’ils accompagnent le mouvement avec leurs auras. La moindre erreur de dosage ou de manipulation provoquerait la rupture de l’essieu. Bien que Moïra continuât à signifier son désaccord jusqu’au dernier moment, Cyriaque n’en démordit pas. Remettre en doute ses directives ne figurait pas parmi les prérogatives de ses apprentis.

Ce fut le cocher qui dut le supplier d’arrêter. L’action de Lev et Moïra sur les roues avait rendu trop de liberté aux chevaux habitués à l’effort physique. Ceux-ci s’étaient sentis pousser des ailes et galopaient sur un chemin tout juste adapté au trot. À chaque virage, l’attelage manquait de se renverser. Le cocher tirait sur les rennes, à s’en rompre les doigts, mais les chevaux avaient pris leur mors aux dents. Cyriaque n’intervint pas, attendant de voir combien de temps ses apprentis lui obéiraient aveuglément avant de comprendre qu’ils devaient lui tenir tête. Après un échange de regards entendus, Moïra et Lev inversèrent le mouvement, ce qui força les chevaux à ralentir. Furieux, le cocher menaça de les débarquer, et Cyriaque dut s'acquitter d’un généreux pourboire afin de clore l’incident.

À mesure qu’ils approchaient du Loir-Gris, la concentration de Lev faiblissait. Une fois arrivés, le groupe n'échapperait pas à une rencontre avec Dolores. La tenancière de la Rap’ était un élément central de la communauté. Pour Lev, elle était avant tout la femme qui s’était occupée de lui pendant son enfance. Prétendre qu’elle l’avait élevé était un bien grand mot, car elle s’était contentée de faire le minimum. Néanmoins, Dolores avait pallié au plus grand manquement de Miraa : son absence. Lev éprouvait de l’affection pour elle. Dans cette famille, les torts étaient souvent partagés, mais jamais oubliés. En s’enfuyant du village à la première opportunité, Lev s’était montré ingrat, et cela, Dolores ne pouvait pas le pardonner.

Cyriaque connaissait l’histoire du jeune apprenti, sur le bout de ses cinq doigts. Ce n’était pas par hasard s’il avait décidé de l’extraire de son cocon à l’occasion de cette mission. Il estimait nécessaire de confronter Lev à son passé pour juger de ses progrès sur le plan psychologique. La poursuite de Tolen dans le nord lui avait offert l’excuse parfaite. Trop parfaite pour que ce ne soit qu’une coïncidence. Malgré ses intenses réflexions, Cyriaque ne trouvait aucune raison pour laquelle Tolen chercherait à s’en prendre au fils de Miraaka. Si un piège se cachait derrière les attaques en cours, il se devait de l’anticiper.

Lev voyait ses craintes prendre forme. Il distinguait des silhouettes familières sur la place du village vers laquelle se dirigeait leur attelage. Une foule d’ouvriers saisonniers s’était massée en arc de cercle, face à un groupe de villageois. Harold Sequens, qui faisait office de chef du village, tentait en vain d’apaiser les cris que poussaient les mécontents. Deux ivrognes lui faisaient office d’escorte. Aucun n’aurait pu s’imposer face à un bûcheron en colère, mais cela faisait plus protocolaire. À sa droite, se tenait Dolores. Peut-être la seule personne que les saisonniers écoutaient un tant soit peu au Loir-Gris. Elle les nourrissait et les alcoolisait régulièrement, ce qui faisait d’elle une interlocutrice légitime.

Rapière ébréchée à l’épaule, la tenancière scrutait les ouvriers un par un, à l'affût d’éventuels débordements. Ils n’étaient pas assez saouls à son goût et une empoignade n’était pas à exclure. Harold savait encaisser les gnons, mais survivrait-il à cette nuée d’assaillants ? Comme à chaque incident, Dolores regrettait qu’il n’y ait pas de milice au Loir-Gris. Les saisonniers, s’ils s’entendaient sur un point, prenaient l’ascendant sur le chef du village et parvenaient à lui dicter ses décisions. Telle était la triste vérité sur la gestion du village hors de l’hiver. L’arrivée de l’attelage lui offrit une diversion inespérée.

La foule qui réclamait des nouvelles des disparus, ainsi que le recrutement de mercenaires le long des pistes forestières, aux frais du village, se retourna vers le bruit des chevaux. Une hostilité palpable se déversa jusqu’à leurs sabots. S’il s’y était risqué, le cocher ne serait pas parvenu à les faire avancer davantage. Il frappa de son poing la fine cloison qui le séparait de ses passagers.

— Terminus, tout le monde descend ! brailla-t-il à leur attention.

À la haute saison, la région devenait un brin moins hasardeuse pour les voyageurs. Cependant, l’accueil qu’ils reçurent au contact de cette foule l’encouragea à ne pas s’attarder. Aussitôt les sacs déchargés et sa course payée, le cocher rebroussa chemin. Moïra, Lev et leur maître se retrouvèrent donc seuls sous les regards mauvais d’une trentaine de bûcherons furibonds. Certes, le vieux mage aimait les entrées remarquées, mais celle-ci avait l’air d’un mauvais augure.

— C’qui eux ? beugla une voix nasillarde, perdue dans la masse.

Les voyants approcher de manière menaçante, l’ancien Arcane Royal s’interposa entre les brutes et ses apprentis. Ételrune siffla en fendant l’air. L’arme vint se placer en première ligne et obtint l’effet escompté. Impressionnés, les bûcherons reculèrent d’un pas.

— On se détend, les bas du front, leur intima Cyriaque. Nous sommes ici pour neutraliser la créature qui croque vos camarades.

— Y a déjà quelqu’un qu’est là pour ça, voulu l’éconduire une femme à la crinière truffée de copeaux. On a plus un rond à donner ! Nous, on veut des résultats, pas des guignols en balade.

Galvanisé par sa témérité, le reste de la troupe de bûcherons brailla une volée d’insultes. Des bras s’élevèrent en chœur et des doigts injurieux furent adressés aux visiteurs.

— Vous n’êtes pas mes clients, alors épargnez-moi votre radinerie, éluda Cyriaque. J’ai à faire avec la personne dont vous parlez.

Il s’avança, Ételrune tournoyant de plus en plus vite. La foule tarda à se disperser devant lui. Cyriaque, fidèle à son aversion pour ses semblables, se fendit d’un dernier avertissement.

— Soit vous me laissez devenir la solution à votre problème, soit vous devenez le problème que je vais m’empresser de résoudre. À vous de voir…

La belle unité qui rassemblait les manifestants fondit dès qu’ils prirent conscience que l’étrange homme à la capuche de renard ne plaisantait pas. Jusqu’au plus crétin de la bande, ils purent sentir leurs poils se hérisser dans leur dos. Ce qui rodait dans la forêt était plus abstrait, et, de ce fait, moins dangereux que la lame volante. La foule se dispersa au son de quelques bravades non assumées. Il ne resta bientôt plus que Dolores et le chef du village, dont l’escorte s’était volatilisée. Cyriaque leur fit grâce d’une brève révérence en guise de salutations.

— Toujours aussi impressionnante, félicita-t-il son arme en l’effleurant des doigts sur la trajectoire la menant au fourreau.

Les deux villageois échangèrent des messes basses sans quitter leurs visiteurs des yeux. À en croire sa gestuelle embarrassée, presque fuyante, l’homme sensé diriger les lieux suppliait Dolores de prendre le relais. Harold Sequens était un lâche, du même acabit que la majeure partie de ses administrés. Exaspérée, la tenancière plaqua sa main droite sur le visage du poltron et lui écrasa la face en l’envoyant valser. Elle invoqua la pitié des Saintes alors qu’il disparaissait dans sa maison.

— Vous devez être Dolores Karczma ? l’interrogea Cyriaque en désignant la rapière d’un hochement de menton. J’ai beaucoup entendu parler de vous.

— Quel sens de l’observation, ironisa-t-elle. Et, si vous êtes le Runard, on m’a beaucoup trop conté de vous.

Ses répliques étaient froides et cinglaient tel un fouet. Elle n’était pas heureuse de les recevoir.

— Je préfère le nom de Renard, la corrigea le vieux mage en lissant le bord de sa capuche vulpine. Et voici mes deux apprentis, Moïra et votre neveu Lev.

Dolores renifla bruyamment à la fin de la phrase de Cyriaque.

— Vous devez faire erreur, le reprit-elle, à son tour. Mon neveu est mort il y a trois ans, en apprenant le décès de ma petite sœur Miraa.

— Toutes mes condoléances et mes excuses pour cette méprise, se désola le mage.

Lev était au bord des larmes. Pas une seconde elle ne lui avait adressé un regard depuis leur arrivée. Il n’avait pas pris au sérieux ses menaces de le bannir définitivement de sa vie, lors de son départ. Lui qui espérait pouvoir renouer avec le dernier membre de sa famille, il se retrouva dévasté par la distance irrévocable que sa tante venait de mettre entre eux. Lev voulut lui faire signe, mais Dolores se détourna et prit la direction de la taverne.

— L’aventurière que vous êtes venus voir vous attend à la Rap’ depuis des jours, déclara-t-elle sans dévier de sa route. Espérons que vous ne déterrerez pas d’autres disparus.

Sonné, Lev prit la suite de son maître et de Moïra. Luttant pour éteindre des émotions si longtemps refoulées, il franchit le seuil de cette bâtisse qu’il n’avait plus le droit d’appeler sa maison.

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TiteTeigne
Posté le 10/04/2022
Un peu de lecture sous cet agréable soleil du dimanche :)

Haha j'aime beaucoup les découvertes de l'ivresse et comment tu racontes les "joies" des gueules de bois des deux jeunes adultes. Leur honte devant leur maître, que l'on reconnaît comme irréprochable et toujours tiré à 4 épingles, n'annonce pas de médaille ; on sent arriver la réprimande juste dans ta description des réactions de Cyriaque. Les deux jeunes gens se retrouvent dans l'impossibilité de répondre/répliquer contrairement à leur personnalité habituelle. Drôle à lire x)
Cyriaque se justifie de les avoir couper du monde pour les protéger de ce genre de débordement. Le problème, c'est que quand tu ne connais pas, tu es curieux et tu testes. Lev n'a rien vécu de sa jeunesse, alors quand il peut enfin sortir voir le monde, on peut comprendre son envie de le découvrir et de goûter à tous les plaisirs possibles et inimaginables pour étancher sa soif d'aventure, jusque là retenue dans les bois. C'est ce qu'on appelle se sociabiliser, très important en tant qu'adolescent ! Ce n'est qu'en passant par le fond (de la bouteille) qu'on se dit que finalement, ce n'était pas la meilleure idée du siècle. Mais au moins, il aura cela dans son palmarès !
À contrario de l'état déconfit des deux jeunes apprentis, tu écris une belle éloge de Cyriaque, ce qui le rend encore plus charismatique. Mais reste très mesquin : à toujours se chamailler, Moïra et Lev passent complices dans leur débauche. Une punition de collaboration, rien de plus sensé selon Cyriaque XD Autant je comprends les leçons qu'il veut leur enseigner, autant la pédagogie est quelque peu "agressive", surtout qu'il s'en délecte ^^ Maintenant que le monde lui a révélé toutes ses merveilles, autant chercher d'autres plaisirs, et notamment dans la persécution de ses apprentis !

La fin me laisse plus sur ma faim. On attendait impatiemment les retrouvailles entre Dolores et Lev et celles-ci se trouvent être assez courtes, et plutôt "violentes" pour Lev.

Quelques petites remarques :
"S'en est suiviE une fête"
"écumer les bordelS"
"la femme qui s'était occupéE de lui"
"elle avait pallié" (palier)
"à tant d'assaillantS"
"les voyants (je ne comprends pas l'emploi de ce terme) approchaient" (approcher)
"dont l'escortE s'était volatiliséE"
Achayre
Posté le 11/04/2022
Coucou,
et oui la nuit a été agitée. A chacun de s'imaginer jusqu'à quel point la situation a dérapée :p
Cette seconde partie est toujours aussi difficile à ordonnée et à écrire. Du coup je dois revoir mes plans pour donner plus de place à Dolores et annuler un autre retour qui devait avoir lieu dans le prochain chap. Je ne dois pas bacler les retrouvailles :)
L'envie de faire une pause est grande, mais si je le fais j'ai peur de ne pas redémarrer après.

A très bientôt !
TiteTeigne
Posté le 15/04/2022
Mais la pause peut être tout aussi bénéfique pour prendre le temps de réfléchir à quel destin et à quelle personnalité tu souhaites associer chaque personnage. Prendre le temps de construire chaque brique de ton histoire sans te mettre la pression d'éditer un chapitre par semaine. Car cela peut te conduire à écrire sous pression plutôt que de laisser libre court à ton imagination ;)
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