5. Tante Anne

Cloîtrée dans le minuscule placard du premier étage, coincée entre différents portraits d’ancêtres, Astrée se ratatinait contre le mur. Elle cherchait à disparaître, portable à la main, entre les rangées de housses poussiéreuses, tandis que la naphtaline lui irritait les narines. 

— Pourquoi tu parles si bas ? demandait la voix éteinte, rendue presque mécanique après son voyage au travers de l'appareil.

— Parce que j'ai peur qu'ils m'entendent !! s'insurgea à voix basse, son interlocutrice.

— Qui ?

Du fin fond de son lit, Pâris n'avait pas encore totalement émergé, et conservait le téléphone allumé entre son oreille et son oreiller, tandis qu'il s'interrogeait encore quant à la réalité de cette scène. Était-il réellement éveillé ou bien s'agissait-il d'un rêve totalement surréaliste ?

— Les cavaliers de l'Apocalypse, je te dis ! scandait la jeune femme.

Elle se recroquevilla un peu plus sur elle-même, ses genoux venant se ranger sous son menton, tandis que d'un bras elle consolidait la position.

—T’as raison, Astro. Salue-les de ma part.

Alors qu'il s'apprêtait à raccrocher afin de poursuivre sa nuit, la voix plaintive de sa sœur l'en dissuada, et le soupir qu'il poussa depuis la capitale fut nettement perceptible arrivé à Beynac.

— Ok, reprenons tout depuis le début, si tu le veux bien.

Cette fois-ci, sa voix était plus nette, son timbre plus vif, et le bruit des draps qu'on froisse ou défroisse se fit entendre depuis l'autre bout de la ligne. Il venait de se redresser.

— Pourquoi tu te caches ?

— Pour pas qu'ils me trouvent, enfin !

Ce qu'il pouvait manquer de perspicacité parfois !

— Qui ? Les quatre cavaliers de l'Apocalypse ?

— Quatre ? Tu penses qu'ils sont quatre ? demanda-t-elle, soudain encore plus paniquée.

Astrée jeta des regards à la ronde, malgré le fait qu'elle n'avait toujours pas bougé du placard, et sursauta lorsqu’une manche en vison lui effleura la nuque.

— J'en sais rien, c'est toi qui me parles des caval...

— On s'en fout des cavaliers, bon sang ! le coupa-t-elle sans ménagement. T'es supposé me rassurer, Pâris !

— Astrée, je suis à mon max, là !

Il ne pu le voir, évidemment, mais à cet instant précis, sa sœur roula des yeux. Animée par une peur irrationnelle, elle n'avait pas vraiment su vers qui se tourner. Après un long moment d'inertie passé ramassée contre le mur, elle avait finit par se remettre, d'abord sur ses pieds, puis en mouvement, achevant sa course roulée en boule au fond d'un placard.

— T’es où, là ? demanda-t-il à nouveau.

— Je te l'ai déjà dit, dans un placard.

— Non, mais où ? Il se trouve où, ce placard ?

S'ensuivit un petit moment de flottement durant lequel Astrée s’interrogea sur les pourcentages et probabilités d’un Alzheimer précoce. 

— Bah... Dans la gentilhommière.

Elle avait développé un comportement, certes, très étrange au sortir de sa transe tout aussi étrange, mais pas au point de mettre les voiles pour aller coloniser le placard d'un voisin.

— Oui, je m'en doute, répondit son frère, ce qui la rassura un peu. Mais elle est où la gentilhommière ?

— Toujours dans le même village, on n'aurait pas osé la déplacer sans t'en avertir.

— Ok, attends, on va faire plus simple, il s'appelle comment ce foutu village ?

— Beynac, Pâris ! Tu me fais peur, tu sais ?

— Et c'est quoi ton nom à toi ?

Où voulait-il en venir ? Il lui fallut une fraction de seconde pour enfin parvenir à comprendre la mécanique du cerveau fraternel, et un simple « oh » traînant informa ce dernier qu'enfin, elle était parvenu à la même conclusion que lui.

— Oui, oh ! T'es une de Beynac de Beynac à Beynac ! Tes ancêtres ont construit cette ville, et toi tu te terres dans un placard parce que... Parce que quoi, au juste ?

— Parce qu'il y a des gens dans la maison... répondit-elle tout bas.

— Vire-les ! T'es chez toi, bordel !

Il avait raison ! Évidemment qu'il avait raison ! Elle avait bien chassé tout un troupeau de touristes, la veille, c'était autrement plus compliqué que deux malheureux intrus, tout de même. Et à mesure que son frère parlait, elle sentait les forces lui revenir, la fierté aussi. Oui, mais...

— Et s'il me regarde encore ?

— S'ils te regardent encore ? Qu'est-ce que ça change ? Si tu n'es pas présentable, enfile un jean, bon sang.

Comment lui dire ? Comment lui faire comprendre ce qu'elle-même ne parvenait à s'expliquer. Quand il posait ses yeux sur elle, elle était comme bloquée. Incapable de parler, incapable de raisonner, incapable, même, de simplement se souvenir de respirer.

— T'as raison ! Je fermerais simplement les yeux ! conclut-elle en se redressant.

Bien sûr, cette décision n'éclairerait pas plus Pâris quant aux très récentes angoisses de sa sœur, mais puisqu'elle semblait, à présent, déterminée, il se félicita mentalement d'être parvenu à mener à bien sa mission, surtout à une heure aussi imbuvable de la matinée. Et sans café ! Il tendit l'oreille pendant qu’Astrée se redressait et bataillait avec quelques vieux vêtements et autres vieilleries entassées dans le placard, pour en sortir. Puis, brusquement, tout cessa. Plus de bruit, plus de respiration fatiguée, et pire encore, plus aucun juron. Il répéta son prénom, vérifia la ligne, s’assura qu’elle n’avait pas raccroché, lorsque soudain :

— T'as appelé la police ?

Lui aussi, à présent, percevait l’écho des sirènes que sa soeur entendait approcher toujours un peu plus. Le portable à l'oreille, elle ne prêta plus vraiment attention à sa crainte de croiser les squatteurs, elle n'était plus obnubilée que par cette symphonie criarde qui ne faisait que de s'amplifier.

— Qui ? interrogea-t-elle en dévalant les escaliers.

— Eux ? répondirent-ils, alors, à l’unisson.

C'était la seule explication recevable, la gendarmerie ne se déplaçant que très rarement d'elle-même, encore moins toutes sirènes hurlantes dans un si petit village. Astrée tourna la clef dans la serrure, et ouvrit la porte au même instant où une première voiture bleue dérapait sur le gravier, juste devant la lourde grille en fer forgée. 

 

*

 

Dans son bel uniforme dont la ceinture lui divisait l'embonpoint en deux, l’officier avançait dans la cour. Outre la bedaine et la moustache savamment travaillée, la démarche finissait de parachever le cliché du gendarme de campagne. Le genre de gendarme qui a oublié qu'il était, justement, à la campagne, et non envoyé en intervention dans une cité de banlieue. Paume sur son arme, prêt à mettre en joue le premier chat errant venu, il avançait d'un pas décidé en direction d'Astrée, qu'il pensait être son interlocutrice. Pourtant, la réelle plaignante venait de faire son entrée, et cavalait, malgré ses talons aiguilles -à croire qu'aucun des protagonistes n'avait compris le concept de village de campagne- sur les pavés plus que centenaires. On l'eut dit comme projetée d'un défilé haute couture, passant directement du podium à Beynac, sans aucune transition.

— Ah, Brigadier ! entonnait-elle de sa voix toujours trop haut perchée, un sourire conquérant aux lèvres. Désolée de vous avoir fait déplacer, mais je n'imaginais pas qu'elle puisse sortir d'elle-même.

Elle devait certainement parler d'Astrée, mais cette dernière ne lui prêtait pas attention, pas plus que le gendarme qui venait de s'arrêter à hauteur de la brune. Mais, la susdite brunette ne lui accordait pas d’intérêt non plus, elle dardait un regard hésitant en direction de l’homme, l’intrus de tout à l’heure, le cavalier de l'apocalypse, qui venait d’émerger du parc sur leur droite. Il s'était arrêté à la délimitation entre celui-ci et la cour, se contenta de s'adosser contre la pierre du mur, et prit bien soin de ne pas poser ses yeux sur Astrée. Comme s'il était curieux de connaître la fin de l'acte deux tout en se refusant à y prendre part.

— Brigadier ? répéta la blonde en s'immobilisant à ses côtés, cherchant à attirer une attention qu'elle n'avait pas obtenu spontanément.

Ce devait être, probablement, la première fois de sa vie qu'elle subissait une telle offense. Une réflexion qui tira un sourire à la propriétaire.

— Capitaine ! corrigea le gendarme en tapotant, de l'index, les trois bâtons qu'il portait à l'épaule, avant de revenir pincer la pointe de sa moustache. C'est quoi le problème ici ?

Son accent à couper au couteau avait quelque chose de familier et rassurant, alors que son regard ne cessait de glisser de l'une à l'autre, des improbables talons de l'une aux jambes toujours nues de l'autre, avant de jeter un bref coup d'œil au spectateur silencieux et lointain.

— Vous êtes qui, vous ? demanda-t-il, finalement, à la blonde.

— C'est à elle que vous devriez poser la question ! s'indigna-t-elle en désignant Astrée d'un mouvement de menton dédaigneux.

Visiblement le gentil capitaine venait de perdre des points dans l'estime de Miss France. Elle en avait même ravalé son sourire conquérant.

— Je n'ai pas pour habitude de poser des questions dont je connais les réponses, mademoiselle.

Sans la moindre attention pour Blondie, le Capitaine offrit un clin d'œil à Astrée, avant d'ôter son képi d'une main, et lisser sa calvitie de l'autre.

— Tout le portrait de ta mère, petite baronne, reprit-il avec cette bienveillance et cette familiarité dont seuls sont capables les êtres vous ayant connu au berceau. J'ai failli pas t'reconnaître ! T'as bien poussé !

Ses yeux grimpèrent de ses pieds nus jusqu'au sommet de son crâne en jachère, avant de revenir rapidement stagner au milieu de sa silhouette.

— Enfin, pas de partout.

Une réflexion ponctuée d'un éclat de rire, tandis qu'Astrée enroulait ses bras autour de son buste, cachant ce que le gendarme lui reprochait de ne pas avoir. Elle avait gardé un aspect juvénile et sa poitrine ne faisait pas exception. Elle allait de pair avec ses hanches étroites, sa taille menue, et ses courtes jambes. Une adulte coincée dans le corps d'une adolescente. Elle ne s'en plaignait pas. Du moins, pas de ça.

— Désolée d'interrompre ces si touchantes retrouvailles, mais pourrions-nous en venir au problème qui nous intéresse ?

La blonde revenait à la charge. Elle ne semblait pas comprendre pourquoi on tenait salon au lieu d'intervenir, tout comme Astrée ne comprenait pas pourquoi les squatteurs s'étaient sentis suffisamment en confiance pour appeler la gendarmerie.

— Et quel est le problème qui nous intéresse, jeune fille ?

Les mains dans le dos, sa bedaine en avant, le Capitaine, lui, se délectait de la situation, comme détenteur d'un secret connu de lui seul.

— Et bien pour commencer vous pourriez demander à cette...

Femme ? Jeune femme ? Demoiselle ? Être humain ?

— Vous pourriez lui demander ce qu'elle faisait dans les parties condamnées de la maison, et surtout vous pourriez l'escorter vers un endroit plus propice à...

Son prestige ? Son rang ? Son incommensurable magnificence ?

— ... sa condition.

Ce faisant, la blonde lorgnait avec exaspération et réticence pure les jambes d'Astrée. Elle n'était visiblement pas familière avec le concept de nudité partielle dans la confidentialité d'un foyer qu'on croyait, naïvement, à l'abri des voyeurs.

— Sérieusement, il va falloir que je te le répète combien de fois ? intervint la jeune femme. Je suis chez moi, ici. 

De son index tendu, elle balaya l’intégralité de la cour.

— Avant ça allait bien au-delà, évidemment, incluant la totalité du parc, et non juste le quart, ainsi que le château et ses dépendances. Je ne vais pas te dresser le plan du cadastre, sachant que tu as quelques difficultés à comprendre, mais… Ce village porte mon nom, ma grande. 

Le ton se voulait courtois, le sourire aimable, mais le sarcasme totalement perceptible.

— Astrée de Beynac, la présenta le capitaine, pleinement satisfait d'avoir fait le déplacement. Baronne de Beynac.

Même si Astrée avait une sainte horreur qu'on lui rappelle un titre dont elle n'avait que faire, cette fois-ci, elle dut bien se l'avouer, il n'aurait pu s'avérer plus à propos. Pour autant, elle ne savoura son triomphe sur Miss Perfection qu'un très court instant, lui préférant plutôt la réaction de Monsieur Froid Polaire à l'autre bout de la cour. Elle n'aurait pu en jurer, mais elle crut apercevoir l'esquisse d'un sourire. Ou bien n'était-ce que le fruit de son imagination ? Elle avait toutes les difficultés du monde à se le représenter souriant. Toutefois, il ne lui laissa pas le temps de vérifier sa théorie. Il préféra tourner les talons, encore une fois, et s'éloigner de cette drôle de démarche, lente, gracieuse et, quelque part, douloureuse aussi.

— Bon, et maintenant si tu nous disais ce que toi, tu fabriques chez moi, Blondie ? À moins que tu préfères qu'on attende que tu convoques le GIGN ?

 

*

 

— Elle a mis la Gentilhommière en location ! Elle a loué notre domaine !

Elle expulsait sa rage, balançait tout le contenu d'une armoire dans un carton, hurlait dans le combiné. Après un semblant d'explication apporté par une blonde radoucie mais toujours aussi exaspérante, la jeune femme avait préféré retourner se retrancher dans sa trop grande maison afin de pouvoir exploser tranquillement, sans que le souffle n'éradique la moitié de la vie sur Terre. Incapable de rester inactive elle avait jeté son dévolu sur cette pauvre armoire, dont les occupants achevaient leur vie, en vrac, au fond d'un carton. Et maintenant, elle devait expliquer à un frère pour le moins interdit, le résultat de son explication avec Dame Perfection.

— A qui ? demandait-il, tout aussi stupéfait que sa sœur, mais beaucoup moins enragé.

— Je sais pas, un couple qui s'la pète ! Mais ce n'est pas le plus important, elle a loué notre maison ! Et visiblement, ce n'est pas la première fois, madame fait ça depuis des années, chaque été ! T'imagines un peu ?

C'était ce que la blonde lui avait expliqué. Enfin, pas à elle, puisqu'elle semblait éprouver quelques réticences à lui parler directement. C'était au Capitaine qu'elle avait présenté le contrat de location qui spécifiait les dates et assurait du caractère officiel de la chose. Eux, ils étaient en règle, mais ce n'était pas pour autant le cas de la pseudo propriétaire ayant apposé sa signature.

— Passe-moi Benjamin ! ordonna-t-elle, à nouveau, en envoyant son pied tasser un manteau de fourrure dans la boîte.

— Non, Ast, tu lui fais peur, il ne veut pas te parler.

— Il faudra bien qu'il me parle ! Il s'agit de sa mère, bon sang !

Anne de Beynac. C'était le nom figurant sur le bail locatif. Anne de Beynac. La mère de Benjamin et Simon, donc. Sa propre tante ! Et accessoirement l'ex-épouse de son oncle qui, naïvement, lui avait laissé l'usufruit de son patronyme après le divorce. Elle avait utilisé ses affaires et ses clients comme argument. Changer de nom de famille après des années d'utilisation de celui-ci aurait pu compromettre l'essor de sa carrière. Astrée comprenait parfaitement ce qu'elle entendait par « affaires » désormais ! Louer une demeure qui ne vous appartient pas, est tout de même plus simple lorsqu'on porte encore le nom des propriétaires.

— Et si tu me parlais des locataires ?

— Le couple tout bidon ?

— Ils sont tout bidon ou bien ils se la pète ?

— Ce n'est pas incompatible.

— Pour combien de temps ont-ils loué la maison ?

Voilà un autre détail qui exaspérait la jeune femme, et provoqua un nouveau soupir censé expulser hors d'elle cette frustration liée à sa totale impuissance face aux événements. Pour la maniaque du contrôle qu'elle était, cette situation était proprement insoutenable.

— C'est ça le pire ! Ils ont loué pour tout l'été !

— Et tu ne peux pas les mettre dehors ?

— Aussi douloureux que ça puisse m'être de l'avouer... Ils sont dans leur bon droit. Ils ont payé pour un service, et le chèque a été encaissé, expliqua-t-elle, un peu plus calme à présent. 

— Comment vendre une maison déjà occupée ?

— Surtout lorsque les occupants sont des vacanciers de luxe ayant payé le prix fort pour leur tranquillité.

Ça aussi elle l'avait appris de la blonde, lorsque cette dernière s'expliquait avec le Capitaine. S'ils avaient accepté de payer un tel prix c'était parce qu'on leur avait promis isolement, tranquillité et silence. Et, évidemment, ça ne collait pas vraiment avec des visites d'aspirants châtelains et agents immobiliers à toute heure du jour et du soir.

— J'ose même pas quitter mon coin de peur de tomber sur Bernard et Bianca !

— Tu devrais commencer par te renseigner sur leurs prénoms, ça faciliterait sûrement la cohabitation.

— Charlotte et... J'sais pas trop. C'est un prénom russe. Bernard et Bianca ça leur va bien mieux, si tu veux mon avis.

Charlotte ! Astrée n’avait pas retenu son patronyme. Quant à Monsieur froid intersidéral, elle n'avait pas tout compris au fabuleux récit conté par la blonde, mais visiblement il était russe, important et particulièrement imbuvable. Le dernier adjectif n'émanant pas de Blondie, mais d'elle-même. Il ne parlait pas, ne faisait que grogner, se volatilisait toujours sans un mot, mais jamais en oubliant de la gratifier, elle, de tout le dégoût qu'elle lui inspirait. Fantastique ! Les prochains jours s'annonçaient absolument féériques !

— Tu veux que je vienne ? se rappela à elle son frère.

— Oui, excellente idée, comme ça on ouvre carrément un hôtel.

Consciente de s'en prendre à tort à son frère, elle laissa échapper une excuse dans un soupir, alors qu'elle se laissait tomber à la renverse sur le matelas. Rien, dans toute cette histoire, n'avait de cohérence. Et puis c'était qui, ce type, à la fin ? Comment était-il parvenu à lui bousiller le cerveau aussi rapidement et l’air de rien ? Proprement insupportable ! Son mutisme, sa froide distance... Tout n'était qu'arrogance et inconfort chez cet homme ! Et que penser de sa si charmante amie ? Et dire qu'elle avait eu le sentiment étrange qu'un retour aux sources s’imposait... L’intrus n'avait pas encore ouvert la bouche qu'il lui tapait déjà sur les nerfs. Et la suite des événements n'allait probablement pas arranger les choses.

 

*

 

La douleur physique était secondaire, acceptée, presque désirée tant l'autre, insondable, arrachait ses tripes et lui martelait le crâne. Une douleur qu'il avait fait le choix de transformer en rage, si tant est qu'il soit encore maître d'une quelconque décision. Puisqu'il ne maîtrisait plus rien, alors chaque seconde de chaque minute de chaque heure de sa vie avait perdu son sens. Tout comme cette pièce qui, hier encore, lui évoquait une sorte de sanctuaire. Pas vraiment une pièce, à peine plus vaste qu'un placard, mais du sommet de laquelle il se sentait plus ou moins libre, à l'abri des ordres et contraintes du quotidien. 

Aujourd'hui, son sanctuaire n'était plus que chaos tandis que, de ses grandes mains, il réduisait à néant tout ce qu'il y avait apporté. Lui d'ordinaire impassible, intouchable derrière ce masque d'inaccessibilité, était sorti de sa réserve, et laissait éclater ce feu qui détruisait tout sur son passage. Le carton à dessins avait échoué au sol, tandis que les esquisses voletaient jusqu'à lui, transformant la petite pièce circulaire en une volière où les oiseaux en cage auraient tous eu le même visage. Ce mouvement de colère ne suffit pas à étancher sa soif, et bientôt ses doigts agrippèrent, un à un, les feuillets d'un bloc, froissant chaque visage avant de l'arracher. Un bloc après l'autre, le sol se parsema rapidement de ces petites boules de papier, alors que, dans l'escalier, on entendait les talons résonner.

— Syssoï... tenta la voix depuis l'embrasure de la porte, sans pour autant oser la franchir.

Une interruption qui se voulait apaisante, mais qui n’obtint que l'effet contraire. Rien ne pouvait plus le calmer. Son existence entière se résumait à un champ de ruines.

— Laisse-moi, essaya-t-il de la prévenir, poings et mâchoires serrés, rassemblant ses dernières forces pour tenter de se contrôler.

Un talon passa totalement à côté de cette mise-en-garde pourtant très claire, et s'ébranla, esquissant le simple mouvement de franchir cette embrasure pour le rejoindre. Rien de plus que le craquement du parquet, ou le mouvement d'air dû à un pied qui se soulève. Infime. Et pourtant suffisant pour qu'il le sente, le ressente, qu’il vienne agacer ses nerfs tendus et privés de leur épiderme protecteur.

— Dégage !

Le rugissement suffit à la faire reculer. Un rugissement qui transforma ses traits, sa voix, mais surtout son regard. Elle le connaissait. Elle le connaissait autant qu'il autorisait à ce qu'on le connaisse. Elle se vantait même de le connaître mieux que personne, ce qui était probablement faux, mais qu'importe. Elle avait entrevu différents aspects de sa personnalité, toujours la surface de chaque face, puisqu'il ne laissait jamais rien voir d'autre. Mais ça... Ça, elle ne l'avait jamais vu. Et, elle devait bien l'admettre, ça fichait la trouille.

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Tac
Posté le 20/04/2021
Yo Ophélie !
ça fait du bien cette touche d'humour dans ce chapitre ! Elles ont l'air bien relou, leurs affaires de famille.
Je crois que tu peux enlever la première astérisque, le décalage temporel entre les deux moments qu'elle sépare est pour moi trop infime pour justifier sa présence qui signale logiquement une ellipse.
Je ne pense pas que je vais continuer plus avant ma lecture. Pour le moment j'ai l'impression que l'histoire va être centralisée autour d'Astrée et de l'inconnu, et je sens que ça va m'agacer. Désolée ! En tout cas tu as vraiment une patte stylistique, donc continue à travailler ça :)
Plein de bisous !
OphelieDlc
Posté le 23/04/2021
Merci pour tes retours et merci pour ta lecture.
En effet, niveau stat, la part belle est donnée au duo de protagonistes, donc je ne te retiens pas.

Merci encore ;)
Alie
Posté le 09/03/2021
Coucou,

Je poursuis ma lecture avec plaisir. :) J'avoue avoir été désarçonnée par le début de ce chapitre, j'ai eu l'impression d'en avoir loupé un, justement, de chapitre haha. Mais ensuite tout devient limpide. Quelle *insérer nom d'oiseau* cette tante Anne ! J'en reviens pas de son culot. En tout cas, il n'y a pas qu'Astrée qui soit perturbée par cette rencontre inopinée. J'ai hâte d'en savoir plus sur cet homme si mercuriel et mystérieux, peu importe l'époque où on le découvre. Je continue ma lecture avec joie. ^^
OphelieDlc
Posté le 12/03/2021
Coucou,

Oui, je comprends que l'entrée en matière puisse désarçonner. On la quitte sonnée dans le salon, puis on la retrouve roulée en boule dans un placard.
"Mercuriel" comme c'est bien trouvé pour qualifié cet homme ! Je regrette de n'y avoir songé moi-même. :))
Morgane64
Posté le 26/02/2021
Bonsoir me revoilà. J'ai beaucoup aimé le chapitre, la confusion, les tentatives de mises au point. Je crois juste (mais c'est peut-être voulu) qu'il faut que le bel inconnu soit plus présent dans l'échange, quand le gendarme intervient. Même s'il ne parle pas, que l'on sente plus sa présence. Et que la tante soit amenée plus tôt. Et qu'Astrée ne perde pas de vue qu'elle est venue pour vendre la maison, comment va-t-elle s'y prendre avec des locataires dedans ? Juste qu'elle se pose la question.
Très bien l'intervention de son frère.
Pour les coquilles "elle cru" et "elle allait de paire".
Je suis sous le charme, je continue
OphelieDlc
Posté le 26/02/2021
Merci ! Ca me touche énormément étant moi-même sous le charme de ton style, ta trame, ta narration et tout le reste !

Merci pour tes retours, et aaaaaaah tellement désolée pour les fautes incrustées.
Morgane64
Posté le 26/02/2021
J'ai oublié, tu as vu ? Tu as aussi un Baptiste et une Anne...
MayPhoenix
Posté le 23/01/2021
"elle du bien se l'avouer" -> elle dut

Oh, la tante a vraiment tiré profit de l'"abandon" du domaine et du nom qu'elle avait gardé même après le divorce. J'aime où ça part, même si je suis curieuse de comment l'histoire va continuer avec le couple installé légalement et toute cette histoire de location/revente.

Comme toujours, j'adore tes descriptions!
OphelieDlc
Posté le 24/01/2021
Merci pour les coquilles (je dis "les" parce que j'ai vu sur tes autres commentaires qu'il y en avait un bon paquet) ce n'est pourtant pas faute de re-re-re-re-relire.

Oui, la tante est ce qu'on fait de mieux en matière de bienveillance et d'altruisme. Mais puisque son ex-époux est avocat, ce n'est peut-être pas une si bonne idée que de l'escroquer des années durant. Haha
Notsil
Posté le 21/09/2020
Coucou !
Eh bien, quel retournement de situation. Bien trouvé, le coup des locataires ! Et je comprends toute la rage d'Astrée :)
Blondie est adorablement détestable. Par contre, j'ai eu des confusions entre elle et Astrée lors de leur "discussion" avec le gendarme, des moments où je ne savais plus trop à qui le "elle" faisait référence. Bon, ça vient peut-être de moi, mais si jamais... ^^

La dernière partie est intrigante. Le bonhomme dont on ne connait pas le nom, qui chamboule Astrée et qui lui-même est chamboulé... ça donne envie de voir comment va se passer leur rencontre ;)

Bon, Tantine va se faire passer une soufflante, j'imagine, et je me demande comment Astrée va cohabiter avec eux. Sans compter que si on en croit les passages des autres époques, j'imagine que le Syssoï (est-ce son nom actuel, en fait ?) et Astrée sont liés plus ou moins comme des simili âmes soeurs.

Hâte de lire la suite :)
OphelieDlc
Posté le 21/09/2020
Merci pour ton commentaire et ta lecture si rapide. Ca me booste, tu n'as pas idée à quel point.

Je pense que je vais tenter d'améliorer la confrontation Astrée/Charlotte, afin que cela soit moins confus. Ca ne vient pas de toi, rassure-toi, tu n'es pas la première à me le signaler. J'avais déjà chercher à démêler un peu, mais pas assez visiblement. A force d'avoir le nez dedans, je ne vois plus grand chose. :))

Oui, c'est bien Syssoï (même si Astrée va, pendant un bon moment, lui trouver tout un tas de surnoms peu flatteurs avant de parvenir à retenir son prénom.)

La suite devrait arriver plus vite, cette fois ;)
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