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Par -LF

— Lâchez-moi ! protesta Arian en se débattant des menottes qui lui enserraient les poignets.

Deux gardes qui patrouillaient le marché l’avaient prise au passage et amenée au poste, classique, qui comprenaient comme tous les postes une petite cellule, un bureau et des latrines. Ils forcèrent la jeune femme à s’asseoir, qui se plia à l’ordre avec une grimace mécontente. Elle grogna en essayant de se libérer de ses liens. Le premier garde, un Elfe qu’elle devina croisé comme elle, car il était de grande taille et ses oreilles plus rondes, ôta son chapeau haut-de-forme et le posa sur le bureau derrière lequel il s’assit. Contrairement à son collègue qui était roux, lui était naturellement blond, mais ses cheveux étaient teints en bleu. Arian eut un sourire moqueur. Ils portaient tous les deux une redingote blanche, serrée à la taille par une ceinture de cuir et une épée soigneusement rangée dans son fourreau.

— Marc, interpella-t-il son collègue qui préparait la cellule, tu veux bien aller me chercher de l’encre à la papèterie ? On avait dit qu’on en prendrait sur le chemin du retour et à cause de Madame on a complètement oublié.

— Exact ! s’exclama-t-il en reprenant son chapeau. Je file !

Il passa la porte du poste et la referma derrière lui. Le garde resté derrière avec elle plissa les yeux et posa la besace confisquée sur le bureau, avant de soigneusement l’ouvrir et en vider le contenu devant les yeux de sa propriétaire qui le fixait d’un air mauvais. Curieux, il énuméra les objets qu’il pouvait voir :

— Un peu d’or, des fioles, un petit sac de… qu’est-ce que c’est que ça ?

Il tendit le petit pochon fermé d’un bout de ficelle à la voleuse qui eut une mine surprise.

— Ca ? demanda-t-elle. Vous ne savez pas reconnaître de la lavande quand vous en voyez ? Et vous avez du sang Elfe ?

— Prouve-le et ouvre le sac, déclara-t-il en lui déposant près d’elle.

Arian soupira et défit la ficelle, en plongeant le bout de ses doigts dans la petite poche pour en prélever une pincée. Quand elle ressortit ses doigts, elle ne tenait pas de brins de lavande mais une poudre couleur ocre.

Le garde n’eut pas eu le temps de dégainer son épée ou de donner l’alerte : elle marmonna une étrange formule et souffla la poudre sur lui. A son contact, il tomba mollement sur le bureau, endormi. Immédiatement, Arian se leva et fouilla le pantalon du garde pour se défaire des menottes qui entravaient ses mouvements. Alors qu’elle les cherchait à l’aveugle à l’aide de ses mains, ses yeux s’attardèrent sur la paperasse du bureau, et furent attirés par un avis de recherche pour meurtre : le dessin plutôt flatteur du suspect était celui d’un Elfe aux cheveux plaqués en arrière et aux petits yeux de fouine.

Xiom.

Arian trouva finalement les clés, et se défit des menottes, qui tombèrent dans un grand bruit sur le sol du poste, empoigna l’avis de recherche et le fourra dans sa poche avant de tout réunir dans sa besace et de filer dans les latrines, où la fenêtre, assez grande pour la laisser passer, était pile à la bonne hauteur. Elle bondit et s’extirpa du poste, récupérant sa liberté presqu’aussi vite qu’elle l’avait perdue. Elle entendit la porte du poste s’ouvrir, et la voix de l’autre garde s’écrier de panique :

— Spencer ! Qu’est-ce qu’elle t’a fait ?

Elle ricana et escalada les rebords qui faisaient obstacles à sa fuite.

 

 

Kassandr observait la devanture d’un armurier avec un intérêt hésitant, passant du bout de ses doigts le cuir de son armure usé par le temps. Il passa la porte de la boutique et se dirigea vers le comptoir, où une vieille femme se tenait, un couteau dans une main et les esquisses d’une petite sculpture de bois dans l’autre. Elle leva les yeux vers lui et l’accueillit chaleureusement.

— J’ai besoin d’une nouvelle armure, dit-il. Une armure légère, vous faites quelque chose pour les amphibiens ?

La vieille dame se mit à réfléchir, et hocha la tête.

— Oh oui, scanda-t-elle, je dois avoir du cuir de Kraken dans la réserve. C’est rare d’avoir des Atlantes dans le coin, et encore moins ceux des abysses.

Kassandr eut un sourire poli et un mouvement respectueux de la tête. La vendeuse passa à l’arrière-boutique, laissant sur le comptoir sa lame et son œuvre. Quand elle revint, elle tenait sur son épaule de larges et épaisses pièces de cuir de Kraken qu’elle posa près de lui. Armée d’un ruban millimétré, elle mesura l’Atlante avec précision, et nota toutes ses mensurations sur un petit bout de papier.

— On met quoi comme ferraille avec ça ? l’interrogea-t-elle. En métal inoxydable, on a de l’acier. Sinon, on a de l’argent ou de l’or.

— De l’acier, choisit Kassandr, je ne suis pas un monarque ou un soldat.

— Combien d’armes à faire tenir ? J’offre les emplacements, c’est sur la maison.

— Très aimable. J’ai trois armes : mon arbalète, mon épée et mon poignard courbé. Je porte les deux premiers dans le dos et le poignard le long de ma cuisse.

— Pas besoin de carquois ?

— Le carquois est indépendant, placé à la verticale. Il est très fin et léger.

L’armurière prenait scrupuleusement des notes puis lui sourit. Ses yeux étaient vert-mousse, et de petites rides se creusaient aux coins.

— Est-ce que je peux vous demander un service contre une petite ristourne sur votre armure ? demanda-t-elle finalement, l’air embarrassé.

L’Atlante hocha la tête, intéressé. La vieille dame lui tendit un dessin griffonné sur un petit bout de papier.

— Vous pourriez me trouver ce chat ? Je suis trop vieille pour arpenter les rues de Caustabro. Est-ce que vous pourriez essayer de me le ramener ? C’est facile, il a les yeux vairons.

Kassandr se gratta la nuque, mais finit par accepter, légèrement confus. Il vit l’armurière se mettre déjà au travail à peine avait-il passé la porte. Armé du portrait félin, il s’engagea dans une rue adjacente, pour sauver l’animal perdu.

 

Xiom était assis en tailleur sur le sol de la chambre, et lisait un livre qu’il avait trouvé dans la bibliothèque. Kanku lui tenait compagnie, et pratiquait un peu de magie à faible échelle. Quelques feux follets s’échappaient de son sceptre, faisaient le tour de la pièce et revenaient vers lui, disparaissant dans un bruit de crépitement. L’Elfe fronça les sourcils et tendit le livre ouvert à l’Orc en râlant :

— J’arrive pas à lire.

Kanku posa son sceptre et s’approcha de l’ouvrage. Elle tendit la main et lut à haute-voix.

— « Cinq pincées de glaïeul, une plume de Sirène Beta, de l’eau d’Elémentaire… » c’est un livre d’alchimie. Tu lis le Betlandien ?

Xiom eut une moue de réflexion, puis secoua la tête. Il ne lisait pas le Betlandien. L’Orc se mit à sourire et reposa le livre plus loin pour reprendre ses entraînements, avec une très grande discipline. L’Elfe se laissa tomber sur le sol et resta allongé à la regarder faire. Elle était très calme, très lente, pour réaliser des sorts minutieux. Une petite pierre était posée sur le sol, et Kanku la fixait, traçant de ses longs ongles semblables à de petites griffes peintes en noir d’étranges signes dans l’air. La surface rigide de la pierre se mit à onduler, comme de l’eau et une petite silhouette s’extirpa, sans visage et sans doigts. Xiom eut un mouvement de recul surpris. La drôle de petite entité descendit du caillou et se mit à courir en direction de la porte, lorsque Kanku serra finalement le poing et emporta dans son mouvement sa créature qui fondit sur le sol dans une flaque de poussière. Elle ferma les yeux et relâcha enfin sa respiration. L’Elfe lui jeta un regard inquiet et observait avec horreur la poussière qui jonchait le sol.

— Ca c’était flippant, commenta-t-il en reportant ses yeux sur elle.

La magicienne se mordit la lèvre inférieure, et détourna le regard, gênée.

— Il faut bien que j’aie de quoi impressionner le Président, souffla-t-elle.

— Va pas lui faire peur surtout, ricana-t-il. On le connaît pas, il pourrait t’enfermer dans un bunker et ne plus te laisser voir le jour.

— Arrête ! protesta Kanku, visiblement apeurée.

Xiom roula vers elle et lui sourit, taquin, depuis le parquet où il était étendu.

— J’ai pas dit que j’allais les laisser faire ! râla-t-il en lui souriant à pleines dents.

L’Orc croisa les bras et se mit à bouder. Xiom, déconcerté, se redressa, et ses oreilles s’orientèrent immédiatement vers un bruit qui provenait de l’extérieur. Kanku l’avait aussi entendu, et se tourna vers la fenêtre : quelqu’un était en train d’escalader.

Xiom tira une dague et la tint fermement, prêt à s’en servir. L’attente sembla interminable, et les bruits bien plus forts, quand soudainement, la frimousse essoufflée d’Arian fit irruption à la fenêtre et entra à grands fracas. Kanku amortit sa chute avec un sort, et la voleuse resta un instant à récupérer son souffle et vit les regards concernés de ses compagnons rivés sur elle.

— Je me suis faite pincer sur le marché, avoua-t-elle. En résumé… je suis recherchée par la garde maintenant. Mais visiblement…

Elle tira de sa poche l’avis de recherche qu’elle avait précieusement gardé et le déroula, révélant le portrait de l’Elfe, qui le prit immédiatement pour l’examiner plus en détail. Il fronça les sourcils.

— … visiblement je ne suis pas la seule ! compléta-t-elle en s’étirant et frottant ses poignets encore douloureux. Xiom, t’aurais pas quelque chose à nous dire ?

L’Elfe se mordait l’intérieur des joues, consterné.

— C’est impossible, murmura-t-il. C’est la première fois que je mets les pieds ici, et ça dit que j’ai commis un assassinat dans la capitale. C’est impossible !

Arian frotta son menton.

— T’as une signature ? demanda-t-elle finalement. Une manière de déclarer tes assassinats ?

— Je transperce la paume de leurs mains avec ma dague, expliqua-t-il en leur montrant la lame. Mais l’incision est spéciale, puisque ma dague est magique.

Kanku plissa les yeux, et se remémora le bandit de la taverne. Il allait le tuer. Pourquoi ne l’avait-il pas fait ? Pour elle ? La lame de Xiom était fine, gravée de lettres noires, en elfique ancien, et dont la traduction approximative que l’Orc arrivait à en faire était « Nourris et Vaincs ».

— Mais ça, précisa Arian après un moment de réflexion, ils ne le savent pas. Ils ne savent pas que ta dague est magique. Du coup, ce serait très facile de reproduire ta signature. Et avec l’histoire de la Fée…

Xiom la fusilla du regard. Kanku haussa un sourcil intéressé et curieux.

— C’est quoi l’histoire de la Fée ? demanda-t-elle en jouant machinalement avec ses doigts.

L’Elfe soupira et s’éloigna à la fenêtre.

— Une rumeur circule sur lui, expliqua Arian. L’une des causes de sa renommée, c’est qu’il aurait réussi à abattre une Fée. Je l’ai entendue le soir de notre rencontre : un des joueurs l’avait reconnu et avait marmonné que c’était quelque chose de connu dans le milieu.

Xiom leva les yeux au ciel.

— Mais les Fées n’existent pas, s’étonna Kanku.

— Beaucoup de gens y croient pourtant.

La voleuse s’approcha de l’Elfe. Elle posa l’avis de recherche dans un coin de la pièce et se frotta les poignets, rougis par les fers.

— Donc t’as un imitateur dans cette ville, murmura-t-elle. C’est flatteur non ?

— La dernière chose dont j’ai besoin c’est d’un abruti qui se prend pour moi, rétorqua-t-il. Si on réussit à le choper, je lui règlerai son compte.

On toqua à la porte, et Kanku l’ouvrit prudemment. Le réceptionniste de l’hôtel tenait une lettre scellée de cire et lui donna gentiment avant de s’éclipser aussi vite qu’il était venu. L’Orc reconnut le blason de la République de Betland et l’ouvrit. Son visage fut traversé d’excitation, elle la lut à haute voix :

« Chère Magicienne,

Vous êtes conviée au palais du Président Gosling pour une entrevue. Veuillez amener avec vous de quoi présenter vos capacités magiques et tâchez d’être ponctuelle.

Montrez cette lettre à la garde : elle est unique et sera votre clé pour accéder à la salle présidentielle.

 

Sincèrement,

Le Secrétaire d’Etat. »

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