28 | Aux racines de nos pensées (2/2)

NOVA ELLÉE.

Je ne sais pas combien de temps nous sommes restés ainsi. Je crois il y avait mes moments d’absence, d’autres de pleine présence et vlop! réabsence. Le vieillard s’était parti dans ses pensées à lui, tiraillé de l’intérieur il cassait ses biscuits en petits morceaux et combattait un conflit intérieur ou j’en sais rien. Lorsqu’enfin, il a daigné relever la tête, planter son regard dans le mien, il avait dû prendre une décision tant c’était ferme. Résolu. Il m’a alors avoué qu’il ne savait pas s’il pouvait me faire confiance mais qu’il allait quand même le faire, parce que si la Brocante m’a laissée venir ici, au dernier étage, c’est qu’il y a une raison et que cette raison n’est certainement pas celle de nous pousser à nous entretuer. Aussi, il jouera cartes sur table et tant pis si, à me confier certaines choses qui devraient peut-être rester secrètes, il court à sa propre perte. Et moi, un peu à l’ouest je crois, j’ai davantage tiqué sur la Brocante que sur le reste, alors je n’ai pas résisté à lui demander si cet endroit est en vie ou quelque chose comme ça ? Parce que, tout de même…

Le brocanteur a souri en subité. Une lueur a filé! dans son regard, c’était une excitée de folie! comme de la délirivresse. Tout à coup il oublie tout ce qu’il voulait me dire et il s’exclame :

— Oui ! Fantastique, tu ne trouves pas ?

Il s’approche même tout sautillé sur ses fesses et ça m’éveille à moi des pétillées dans les yeux la perspective d’un lieu-vivant… lieu-viva des beaux éclats !

— Mais comment c’est possible ?

— Oh ! À vrai dire je ne sais pas. Parfois je me dis que ce sont toutes ces idéelles que je recueille qui prennent possession des objets et donnent une âme à la Brocante, d’autre fois que ça s’explique par mon signe astrologique, comme je suis Vierge et que je peux animer des objets en Eurythmie. Comment savoir ?

Il souriait tellement fort et c’est parti alors il a commencé à m’expliquer tout en détails comme ça fonctionnait, seulement je n’arrivais plus à l’écouter parce qu’il a parlé de l’Eurythmie et je trouvais ça vraiment étrangia : les Eurythméens n’évoquent pas ce mivage avec autant de liberté en Sublunaire, et encore moins à une personne inconnue dont ils ne peuvent savoir si elle en est ou pas. Ils tiennent à garder leur existence secrète, bien que je n’ai toujours pas compris pourquoi. Ça ne peut signifier qu’une seule chose : le vieil homme sait que j’ivoyage dans ce mivage, et à la fin il en sait beaucoup plus sur moi que moi sur lui et quoi qu’est-ce que ça veut dire alors ?

Ça m’a frissonnée, assez ailleurs je n’arrivais plus à écouter ce que racontait le brocanteur, lui qui s’était enfui dans sa grande explication sur le comportement de la Brocante et il n’arrêtait pas il ne s’arrêtait plus, les yeux brasillant de scintille, faisant des grands gestes ça mettait des miettes de thé et des gouttes de biscuit partout. Nova-normal Nonopas-épuisée aurait été fascinée, mais là tout était plus glutilent dans ma tête, et mou… tellement mou… J’ai baillé, je n’ai repris le fil qu’à partir du moment où l’érudit révélait que ce dernier étage est comme un refuge qui rejette toute personne ou force qui lui seraient mal intentionnées. C’est un mécanisme d’auto-défense, vois-tu ? Il a pris un exemple : un jour une personne voulait le dérober, elle est entrée dans le bâtiment tout bien elle y a navigué tout bien, mais lorsqu’elle a commencé à monter les marches du dernier étage, elle a été prise d’une subite nausée et migraine. Elle n’arrivait plus à avancer, ça lui était physiqué impossible ! Plus elle montait, plus elle avait mal. Le brocanté l’a alors chassée, elle n’est plus jamais revenue, et il disait c’était fascinant à voir, crois-moi ! Absolument ex-tra-or-di-naire !

En pâle-figure, j’ai regardé le brocanteur et j’avais les pensées à l’hypra vives maintenant. Pulsées à la peur. Car enfin : qu’est-ce qui empêchait la Brocante de changer son avis à mon sujet et soudain s’attaquer à moi ? Rien. Radicalé rien. Et je… je… et après je… le vieil homme s’aperçoit de mon malaise. Il se penche soudain, le visagé tout doux tout sucré, pour me souffler :

— Ne t’inquiète pas, Nova. La Brocante t’acceptait déjà il y a dix ans de ça. Si son opinion n’a pas changé après toutes ces années, je doute qu’elle le fasse en l’espace de quelques minutes.

— Qu-quoi ? Dix ans de quoi ?

Oh oui, je suis bien l’éveillée maintenant. Le buste piqué droit, piqué quoi-mais-qu’est-ce-qu’on-me-raconti’raconta, j’ai les mains qui serrent fort ma tasse et qui bientôt l’explosent ou j’en sais rien. L’homme remarque bien que je déjante, il soupire gratte son épaule, son dos s’affaisse et il est si vieux soudain. Il triste un sourire. Il y a presque une miette de pitié dans ses yeux ou une miette de regrets et soudain il murmure alors :

— Oui… C’est bien ce que je pensais. Toi aussi, tu ne te souviens de rien…

— Quoi, mais qu’est-ce que vous dites encore ?

— Je te dis que tu es déjà venu ici mais que tu n’en gardes aucun souvenir.

— Si je ne suis venue qu’une fois quand j’étais enfant, ça n’a rien d’étonnia…

— Oh mais justement, Nova : tu n’es pas venu qu’une seule fois.

— Vous m’avez toujours pas dit qui vous êtes.

— Jasmin Fleury, pour vous servir !

Et re-vlop ! qu’il se renfile un biscuit en détournant le regard, tout à la fébrile. Et moi je la pose ma tasse sur la table ou ma grande force de jour-tout l’éclatera à la serrer si fort. Si je me retrouve avec des taches de thé en plus sur mon short, je pense que je ne le supporterai pas déjà que je serai toute brûlère et alors colère…

— Vous dites n’importe quoi… Qu’est-ce qu’un enfant viendrait mettre ses pieds dans une brocante ?

— Et si je commençais par te parler de ta mère Angéline ?

Mon imperceptible soupir. Mes paupières que je frottifrotte. Mon geste de main qui lui dit va, va, parle-moi de ce que tu veux, moi j’écoute en tentant de ne pas dodormer. Il hoche sa tête, je m’installe plus profondé dans le pouf. Ramène mes longi-jambes contre moi. Et puis merde je reprends ma tasse la monte à mes lèvres parce que tout de même ce thé me remplit le ventre de douci-chaleur. Mon regard dévie un instant sur le métamorphe, puis sur le violoncelle, retour sur le métamorphe, les choses ça se floute, comme si je ne sais ? je perdais mes yeux à avoir autant sommeil, il reviennent sur Jasmin Fleury qui me confie :

— Ta mère Angéline était mon apprentie gemmeuse. Une excellente, je dois dire… En fait ? La meilleure que je connaisse. Elle avait une force d’idéellation comme rarement j’en ai vu chez quelqu’un, étant d’une rare finesse lorsqu’elle lisait des gemmes et d’une grande ténacité lorsqu’elle en fabriquait.

Jasmin ajoute une cuillerée de miel dans son thé. Le touille un instant puis reprend :

— Elle était particulièrement assidue à la tâche, vois-tu. Et pendant longtemps, je n’ai pas compris sa soif de connaissance ni sa hargne. Je pensais qu’elle désirait créer des gemmes à maître particulièrement résistantes pour y préserver des idéelles précieuses ou que sais-je ? Alors qu’en vérité, elle désirait l’inverse.

— Comment ça, elle désirait l’inverse ?

— Elle voulait craquer des gemmes à maître, Nova. Avoir accès à des idéelles qui ne lui étaient pas destinées.

Alors il ne dit plus rien pendant un moment, comme s’il attendait une réaction de ma part. Or moi j’ai l’esprit-brume j’ai les pensées-ombre je n’arrive pas à réfléchir à penser et je fais remuer mon fond de thé ça tournitourne et je… oh. Oh ? Et si…

— C’était le violoncelle, n’est-ce pas ? soufflé-je en relevant le visage de ma tasse.

Lentiment il hoche la tête, continue :

— Le jour où elle me l’a apporté, elle m’a dit qu’il appartenait à sa famille et qu’il se léguait depuis plusieurs générations en attendant qu’il retrouve sa véritable maître. Elle me racontait que d’après ses ancêtres, il referme une vérité qui nous fera reconsidérer beaucoup de choses que nous prenons pour acquises, allant jusqu’à changer notre perception du Temps et notre rapport au Ciel. Angéline m’a longtemps dit qu’elle était cette maître et qu’elle devait apprendre à lire les idéelles bloquées à l’intérieur. Elle ne l’était pas. Je l’ai su, je l’ai compris lorsque le violoncelle me l’a chanté un soir, précisant que sa véritable maître était une Grande Voyageuse, « épieuse de vibrations internes ». Bien sûr, c’est très métaphorique tu me diras, mais je sentais bien que toute la description ne collait pas à ta mère. Je me souviens bien de son dernier vers, d’ailleurs, il avait fredonné : « À l’interstice des vécus et des vivras, elle est un grain d’éternité. » Encore aujourd’hui, je ne sais pas ce que ça veut dire mais… mais ce n’était pas Angéline. Voilà au moins une certitude que j’avais.

Il soupire, enlève son vinocle, le frotte avec la manche de sa chemise.

— Je ne sais pas ce qu’il y a à l’intérieur de ce violoncelle, Nova, et ça me tue de ne pas savoir, mais une chose toutefois est sûre : je ne forcerai pas son passage. Le jour où j’ai compris ce que ta mère désirait faire, il y a une quinzaine d’années, ça m’a mis hors de moi. Nous étions à cet étage, le violoncelle m’avait ouvert une part de lui sans que je comprenne pourquoi, et je ne voulais plus qu’une seule chose : que ta mère parte et ne revienne pas. Craquer une gemme à maître va à l’encontre de toute mon éthique, vois-tu ? Et… et… je ne sais plus exactement comment tout ça s’est mis en branle, mais… Ce jour-là, la Brocante s’est animée pour la première fois. Des objets se sont mis à voler dans tous les sens, s’attaquant à Angéline ils se jetaient sur elle. Elle n’a pas eu d’autre choix que de fuir. Bien sûr, elle est revenue à plusieurs reprises par la suite. M’envoyant d’autres gens aussi, le récupérer. Elle n’a jamais réussi. La Brocante, à chaque fois, les laissait en paix dans les quatre premiers étages mais s’en prenait à eux au dernier, où se trouvait l’instrument. Alors elle a fini par abandonner…. même si… enfin…

Son regard était éreinté, délavé comme si, et son dos-fluette s’est extra courbé.

— Même si elle s’est débrouillée pour anéantir ma réputation de gemmeur par après…

Il se perd un instant dans ses pensées, fané avec ses souvenirs, puis se réveille vivévif en secouant sa tête et fleurissant un sourire de ses petites dents.

— Enfin bref ! tente-t-il la jovialité. Un beau jour, bien des années après, elle a fini par revenir. Sauf que ce n’était pas pour le violoncelle. C’était avec un enfant. Un enfant et une boussole.

Il replante son vinocle dans son oeil et m’observe longtemps… trop longtemps. Je me suis torsadée sur le pouf, subitement mal à l’aise, une houle d’angoisse qui souffle dans le ventre. J’ai souri crispément mais là encore, je ne savais pas pourquoi je souriais. C’est juste que je… bon voilà… ne sais…

— Tu avais dix ans quand tu es arrivé ici pour la première fois, Nova. Et le truc c’est que…

Je crois qu’il me fixe encore mais il n’est plus là et soudain il baisse la tête. Yeux flouâtées, il observe son biscuit à moitié grignoté entre ses doigts, en émiette des petites poudres qui tombent dans la poussière. Reprend alors, même si c’est sans me regarder, d’une voix feutrée :

— Je suppose que tu connais le signe astrologique de ta mère ?

— Capricorne.

— Son pouvoir eurythméen alors ?

— Hhm… On m’a dit que les Oscopes sont hypermnésiques. Ils possèdent une mémoire extraordinaire.

— C’est exact. Ta mère est l’une des rares qui a réussi à développer son pouvoir plus encore. Du temps où elle venait ici, elle était capable de modifier la mémoire d’autrui.

Je cligne des yeux à plusieurs reprises, bugue à l’intérieur. Avant de finalée rire à la nerveusée :

— Qu’elle en soit capable ou pas, jamais elle ne ferait ça.

Il redresse subité le visage, comme s’il avait été piqué quelque part. La voix dure :

— C’est pourtant ce qu’elle m’a fait.

— Vous vous trompez.

— Je sais quand même ce dont je me souviens ou ne me souviens pas !

— Mouais…

Je n’ai pas envie de le croire et ça devient roc à l’intérieur. Imperturbable, Jasmin continue :

— Et justement, te concernant : elle m’a ôté tous mes souvenirs qui datent de cette période-là, si bien que pendant longtemps, je ne me rappelais pas de toi ni de ce que nous faisions.

— C’est parce que rien n’a jamais existé. Vous vous êtes inventé des choses, vous –

— Non. Je n’ai rien inventé.

— Comment dire qu’une chose a existé si vous-même ne vous en rappelez pas !

— La Brocante s’est souvenue à ma place. Voilà une chose que ta mère n’avait pas prévue.

Malcontente, je pose ma tasse, croise les bras en m’enfonçant dans le pouf et l’observant plus qu’avec vilaine morgue.

— Certains de mes souvenirs se sont glissés dans des gemmes, Nova. Il me fallait simplement les retrouver. Ce n’est pas si invraisemblable à croire que ça, ou bien ?

— Oh non, absolument pas ! Je me réjouis d’entendre ce que vos souvenirs vous ont révélé de si mémorable.

— Vu comment tu réagis maintenant, tu ne me croiras pas.

— Allez-y toujours. Qui n’essaie pas ne sait pas !

— Tu t’idéellais le corps, Nova. Et tes mères voulaient que je t’examine pour cette raison-ci.

Je tousse m’étouffe. Avec le morceau de biscuit qui ressort à travers la gorge. Jasmin me demande si tout va bien et quand j’ai enfin réussi à tout finir arrêter de tousailler, je m’écrie :

— Non mais vous êtes sérieux ? Vous voulez vraiment me faire croire que c’est possible de… de s’ôter le corps ?

— Je n’aurais pas dit ça comme ça mais…

Il sourit se penche, murmure un oui excité, puis se lève en annonçant qu’il va remettre de l’eau à bouillir là-bas. Ça me scandalise de l’intérieur, trouvant absolument révoltant qu’il lâche une bombe pareille avant de s’en aller vaquer à autre chose. Heureusement, pendant qu’il s’active devant la kitchenette, il continue à parler :

— C’était un grand mystère pour tes mères, et si Angéline était rebutée à l’idée de demander mon aide, elle savait qu’en Ville, j’étais la personne qui avait fait les recherches les plus pointues sur les idéelles. Enfin, excepté l’Observatoire bien sûr. Elle n’avait pas d’autre choix que de me contacter si elle voulait avoir un éclairage nouveau à ton sujet, et devait se dire que, pour ma part, si j’étais toujours en colère contre elle, je serais beaucoup trop curieux pour refuser de t’étudier.

Je frisson-chauffe à la poitrine. Premiéré parce que ça devient de plus en plus déraisonnablant son blablatage et c’est comme s’il se foutait toujours toujours plus de moi. N’a-t-il vraiment aucune limite ? Deuxiémé parce que dans le cas où ça serait vrai, Jasmin parle de moi comme si j’étais un objet de laboratoire, sans émotion sans rien, à ausculter à tester (?) mais je refuse d’être ça et encore plus de penser que maman-Angie a pu me considérer comme ça un jour elle aussi. L’eau chauffe, Jasmin n’ajoute rien pendant qu’il prépare sa nouvelle théière. Ma baillée. Mon immense baillée que ça me fait couler les yeux. Je ne veux pas… croire à… Rassis face à moi, ayant posé son nouveau plateau sur la table basse, Jasmin m’épingle de son regard-pétillance.

— Elle avait raison.

J’essaie de me contenir j’essaie de ne pas m’en faire mais ça me brûle les veines doucement qu’il en rajoute une couche surtout que je refuse m’entendez-vous je refuse de croire à toutes ces joyeuses sornettes. Rembrunie, j’aimerais me boucher les oreilles mais la vérité c’est que j’écoute et même de manière beaucoup trop attentive, surtout quand il continue en affirmant que nous avons passé beaucoup de temps ensemble, avant que je disparaisse subitement. De sa vie et de sa tête. Mon existence avait été évincée de son esprit, et il suppose que dans l’absolu, il n’aurait même pas dû se douter que quelque chose en lui n’était pas normal. Seulement voilà, il le ressentait ce vide… Ce vide lourd et brouillard qui le rongeait de l’intérieur en ne le quittant jamais vraiment. Il lui a fallu plusieurs années avant de remonter à moi, puisque les premiers temps il ne savait même pas ce qu’il cherchait. Si c’était un lieu, un objet, une personne, une part de lui-même ? Et quand enfin il y est parvenu, il a voulu me contacter, bien sûr, mais il n’a jamais osé parce que… Il hésite.

— Parce que quoi ? l’encouragé-je à mi-voix, la gorgi toute serrée.

— Je ne sais pas, Nova. Je me demandais si tes mères ne t’avaient pas un peu renversé la tête à toi aussi, et comme tu me paraissais particulièrement en phase avec elles, je craignais que tu ne me croies pas et leur rapporte notre discussion. Angéline serait alors revenue, m’aurait à nouveau effacé la mémoire… Je n’étais pas prêt à perdre tout ce que j’avais laborieusement réussi à récupérer après plusieurs longues années, tu comprends ? Alors j’ai juste… abandonné, je suppose ?

Il sourit mais c’est noué et baisse les yeux d’un peu de cette honte qu’il ressent. Et moi je déglutis à la difficulté, avec mon ventre qui tangue et ma tête aussi et ma respiration est partie au galop et après je ne veux pas y croire et je murmure vous mentez… vous mentez… vous dites n’importe quoi, v-vous… et après je me souviens des paroles de Maxy elle me prévenait que maman-Rosa et maman-Angie ne sont pas nettes et je crois que Jasmin s’approche il est à côté tandis que je l’observe avec des gros yeux et ce truc qui... qui se bloque dans la poitrine et après a-après j’ajoute et je panique presque et j’affirme qu’il ment sinon j’en serais encore capable de m’idéeller ! Pourquoi j’aurais perdu ça, alors que l’envie n’a pas manqué, vous savez, parfois de vouloir m’arracher la peau et… et… je ne peux pa-as avoir perdu ça…

— Pas si tes mères t’ont fait oublier comme elles m’ont fait oublier à moi.

J’ai des larmes à la bordure des cils et peut-être que Jasmin aussi.

— Allons Nova… Tu ne le sens pas ? Ce vide, quelque part en toi ? Ou alors… cette couche superficielle qui te recouvre ? L’impression d’agir faussement. De ne pas être… soi ?

Peut-être oui… non… non NON et pourtant ça se casse peu à peu les choses dans moi comme si j’avais porté des illusions de verre toute ma vie et c’est juste tellement mal parce que même s’il raconte des fichaises Jasmin, je ne pourrai plus jamais m’empêcher de douter quand je penserai à mes mères et vasouille c’est de mes mamans dont on parle ce n’est pas…

— Moi aussi je ne voulais pas y croire, Nova. Longtemps je me suis pensé fou, me convainquant que je faisais toute une histoire pour rien. Mais ce n’est pas parce qu’on porte du vide en soi qu’il n’existe pas. C’est pour ça que je n’ai jamais cessé, tu sais ? De tenir cette Brocante et collecter, encore et encore, nos idéelles. Là où l’être humain ment, aujourd’hui demain tout le temps, elles sont notre seule possibilité pour remonter aux racines de nos pensées et toucher la vérité vraie.

— Mais pourquoi me faire oublier ça à moi ? Pourquoi… ‘fin…

Il soupire, ébouriffe ses cheveux-poussière.

— Je ne suis pas sûr, Nova. Mais je pense que tes mères voulaient que tu cesses de t’idéeller. Et peut-être… bon, sûrement que je n’étais pas d’accord et que je t’encourageais au contraire à le faire. C’est peut-être ce qui a entrainé notre séparation lorsqu’elles l’ont découvert, et que comme ni elles ni moi n’avons pu te faire arrêter, elles ont choisi une méthode un peu plus… extrême.

Je l’observe toujours plus hébétude, et ça se fend vraiment maintenant, ces bouts de verre qui crient et crissent en moi. Le pire c’est que ses mots n’expliquent pas pourquoi ça serait mal de s’idéeller pourquoi pourquoi je ne comprends même pas pourquoi ça m’affecte autant mais le fait est là c’est juste que voilà j’en ai tellement RÊVÉ de ce corps-nuage qu’apprendre que c’était possible autrefois ça fissure tout en pire alors je demande encore et encore pourquoi m’enlever ça ? Mais Jasmin est incapable de me donner une réponse. Il voit que ça me travaille sans savoir quoi faire alors il… quoique ? Soudain il papillote un sourire, de ceux qui penchent vers l’excitation d’une idée de génie. Se penche en avant, s’empare du métamorphe et me le tend, tout fierté soudain. Et moi qui avais complètement oublié le bouquiné, je sèche mes yeux-brumaille et l’observe sans comprendre.

— Tiens, si c’est vraiment ce que tu souhaites savoir, ce livre te donnera la réponse ! Il se transforme en fonction des envies de chacun…

— Il me donnera à lire le journal de Siloé…

— Quoi ? Pourquoi le journal de Siloé ?

— Parce que…

J’hésitère. Parce que c’est l’Ombre qui m’a dit ça. Parce que c’est ce qui était prévu.

— Écoute, je ne sais pas pourquoi tu voulais lire son… journal, mais ça ne fonctionne pas comme ça. On ne peut pas vraiment décider en avance de son contenu, le métamorphe capte nos envies profondes et ce sont des envies dont nous n’avons nous-même parfois pas conscience.

— Alors comment vous pouvez être sûr qu’il répondra à ma question ?

— Je ne le suis pas. C’est juste que je vois à quel point ça t’impacte alors je me dis que peut-être…

Il hausse des épaules en fleurissant son doux sourire, pousse le métamorphe dans ma direction. Ma main s’en approche mais au moment où elle effleure la couverture, elle sent son pouvoir d’attraction et se met à trembloter et plus rien je n’ose plus rien faire. Je me lève. À la subite. À la respiration qui pulse supra vite. J’annonce à Jasmin que je ne peux pas lire ça maintenant. Je suis trop fatigue je ne sais même pas si j’arrive encore à lire et même si j’y arrive ça va peut-être me dire des choses affreuses et cette nuit c’en est trop. Sous les étoiles et les catacombes j’ai eu ma dose. Là maintenant j’ai juste besoin de… temps. Je crois. C’est ça. Déjà pour nettoyer mon short, ensuite pour assimiler tout ça. Et après… et après je reviendrai, Jasmin. Je vous le promets. Je reviendrai pour lire le métamorphe et discuter de ces autres choses irrésolues. Je sais que j’étais la méfiance jusqu’à maintenant mais je crois que vous avez raison, mes mères ne sont pas toujours honnêtes avec moi, vous n’êtes pas la première personne à me le dire.

Jasmin a compris. Il m’a laissé sortir sur un tristo-sourire, coincé entre la peur que je déballe tout à mes mères et l’espoir que je revienne à lui en ayant préservé le secret. Sur le perron, j’ai croisé Léon Ariel qui patientait assis sur le trottoir. Il m’a souri et ça restait sordide avec sa joue brûlée mais au moins, il ne jouait pas avec son couteau et l’Ombre n’était nulle part en vue. Ça m’a rassurée. Ça m’a… vacillée. Les jambes faibles, j’ai tangué puis retrouvé l’équilibre lorsque je me suis adossée contre le mur en attendant que les étoiles arrêtent arrêtent de tourner. Je pleurais aussi je crois ? et je ne savais même plus pourquoi, c’était juste une poussière d’étourdissée, mon corps qui doulère, l’impression d’être trahie par mes propres mères et la force plus aucune force pour penser, briller, rêver, danser, rire, Nova-vivre quoi. À la place, on ne récupérait qu’une Nova-flétrissure et je me détestais alors d’être comme ça mais tout compte fait je ne savais même plus ce que j’étais. Au loin, l’aube se levait doucette, avec le soleil blond qui chantait sous la lune beige. Le vent était là aussi, il puait le béton en emportant avec lui ma vie d’antant. Vie d’insouciance vie d’enfance que je ne valdinguerai plus aussi jovialée qu’auparavant. Soupirée, je me suis laissée glisser et mon dos a râpé le mur. Assise, j’ai été prise d’une colossale vague de fatigue et je… je... NON SURTOUT NE regardais T’EN– le ciel en lui trouvant un fond –DORS d’aplati PAS et de ployé ou alors de noyé et moi j’avais NON la chaleur de l’été NON NON sur les yeux et peut-être comme ça NE T’– je les ai juste fermés ENRÊVE le temps d’une mi-seconde PAS je les rouvr– je les rouv– pourquoi c’est si lourd les paupières SURTOUT NE je les r– je les · .  ̇ ·

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