23 janvier 2013

Par Sabi
Notes de l’auteur : écrit à 18:00

Après tout ça, j’ai pas bougé de mon appart de toute la soirée. J’ai enfermé le sac dans mon frigo (comme quoi quelque part, certaines choses ne changent pas), et j’ai attendu. L’angoisse que c’était. Je fumais clope sur clope devant la télé. Les émissions passaient les unes après les autres, talk-shows, documentaires, pubs. Parfois je zappais d’une chaîne à une autre, mais je ne regardais rien. Je revenais sans cesse sur la journée, sans m’arrêter, en boucle. J’en ai eu marre, et vers 2 heures du matin, j’ai dégotté un cahier (c’est toi) d’un des tiroirs que j’utilise jamais, et je t’ai raconté la journée. Après, j’étais tellement crevé que je suis allé m’allonger sur le canapé, et puis black-out. Ou pas tout à fait. Il y avait Joseph armé d’un briquet qui me versait de l’essence dessus sans rien dire. Et moi, je pouvais rien faire, j’étais bâillonné, pieds et poings liés sur une chaise. Qu’est-ce que ça puait le gaz-oil, j’en avais plein le nez. Puis le vieux Jo me regardait droit dans les yeux en allumant son briquet, avant de le laisser tomber sur la flaque d’essence. Les flammes. 

J’ai ouvert les yeux en sueur. C’était le matin, tôt, genre vers 6 heure. J’ai jeté un œil à mon portable, mais rien. Personne n’avait encore eu le réflexe de venir me chercher des poux. Même pas Ahmed. Combien de temps il fallait pour qu’il soit mis au courant ? Sans déconner, quelle merde. À tous les coups il savait déjà mais essayait d’abord de sauver sa peau. Après tout, c’est lui qui m’avait recommandé.

Ouais je sais, c’est pas sympa de penser ça de Ahmed. Mais Darwin, ici c’est le quartier, la zone. Tu merdes, tu te démerdes par tous les moyens. Parce que y a personne qui viendra t’en sortir.

Bref, j’ai réfléchi deux secondes à ce que j’allais faire. C’est clair que la cargaison que j’avais à livrer était bien plus spéciale que prévu. Pourquoi des glaçons ? En quoi des glaçons, ça a de la valeur ? Ouais, tout d’abord, il fallait que je sache ce qu’il y avait dedans. J’ai bien pensé à les rendre directement à Ahmed ou à Joseph, mais il me fallait des garanties. Si je rends le sac sagement, Joseph ne me cherche pas de noises. Voilà le deal que je veux. Sauf que sans aucun moyen de pression, comment être sûr que le vieux allait tenir sa part ? Donc, trouver de quoi il retourne avec ces glaçons. Et le seul qui pouvait me donner des renseignements facilement, c’était Ahmed. Du coup Darwin, je suis allé voir ce couillon.

Dehors, tout était comme d’habitude. Pas de van suspect, pas de 4X4 inconnu aux vitres teintées, pas de « vigiles ». Alors, je me suis comporté comme d’habitude, tu vois. Je me suis dit que si je me mettais à raser les murs comme quelqu’un qui s’attend à recevoir de la visite, c’était comme mettre une pancarte à néons sur le corps avec marqué dessus : « Venez me chercher ». Des potes à moi traînaient sur les bancs, des gamins jouaient avec leurs scooters et leurs motos. J’ai fait comme d’habitude. J’ai traîné avec Benoich et Hamin deux secondes le temps de checker que tout allait bien, et faire genre que tout baignait. Benoich venait de faire chromer sa caisse, il en était tout fier. Quel con. Pas lui, moi. Pour du pèze, j’ai trempé dans une affaire louche, et maintenant j’y suis jusqu’au cou. Je me suis éloigné en promettant qu’on se tiendrait au jus, et j’ai marché les mains dans les poches, direction les Azalées où crèchent Ahmed et sa famille. 

J’avais beau faire comme si tout allait bien, je suis pas fou pour autant. Je suis pas sorti sans rien, t’inquiète Darwin. Un flingue dans ce cas là, crois-moi, ça fait toute la différence. Me demande pas où je l’ai trouvé, trop long à expliquer. Tout en marchant dans la rue, je sentais le canon du colt, froid et graisseux contre mon dos. Je l’avais planqué au niveau de la ceinture, dans mon dos, sous mon T-shirt. Avec une veste-jean par-dessus, la bosse était indétectable. 

En un rien de temps, je suis arrivé aux Azalées. Ahmed habite au 3e, appartement 310. C’était le genre d’immeuble où tu souhaites pas trop t’attarder dans le hall d’entrée. Pas que la faune soit envahissante, non. Juste, le bâtiment est vieux, le sol est pas reluisant, et les coins du plafond sont envahis par la moisissure. Attends Darwin, l’ascenseur est une merveille. Un deux places avec un parfum de pisse, qu’en dis-tu ? C’est comme ça. Faut croire que la merde est un bon engrais pour les Azalées. Mais bon, il y a pire. Il y a certains endroits du quartier où tu ne voudrais pas mettre les pieds à cause du trop grand nombre de prédateurs en train de zoner à attendre la proie qui finira bien par passer.

Bref, j’ai pris l’ascenseur en respirant par la bouche. Arrivé au 3e, j’ai compté trois portes sur la droite et j’ai frappé à la suivante. Je ne m’étais pas annoncé. Je ne tenais pas à ce que Ahmed ait le temps de prévenir le vieux Jo de mon passage. Au bout de 10 secondes, on m’a ouvert. Quelle chance, c’était Ahmed. Il a pas eu l’air surpris de me voir débarquer.

« Yo Samir, tu tombes bien, j’allais t’appeler. »

Samir, c’est mon surnom. Quand j’étais encore un gamin, j’étais le chef de ma petite bande. Et en arabe un émir est un chef. Du coup, Samuel est devenu Samir, et ça m’est resté. Ahmed s’est écarté et m’a laissé entrer. Chez lui, il y avait personne. Coïncidence ? D’habitude, il y avait au moins sa mère.

« Ma daronne est partie faire des courses, qu’il m’a précisé, comme s’il lisait dans ma tête.

- Tu veux prendre quelque chose ?

-Un coca, s’teupl. »

Nous sommes arrivés dans le salon et je me suis assis sur le sofa en cuir noir. Ahmed faisait tout pour être accueillant. Il avait un petit sourire au coin des lèvres. Quelqu’un qui le connaîtrait pas assez s’y serait peut-être laissé prendre. Mais il traîne avec moi depuis la maternelle. Et puis, on était tous les deux impliqués dans cette affaire. Forcément, il savait ce qui s’était passé hier. Il essayait de m’entuber, ça faisait pas un pli. Je sentais mes mains transpirer. Bordel Darwin, ça puait pas la merde. Ça puait la tonne de merde ! Ahmed avait décidé de la jouer de cette manière ? OK, j’allais devoir la jouer franc jeu. Alors qu’il revenait avec deux canettes de coca de la cuisine, j’ai dégainé mon flingue, et je l’ai pointé droit sur lui.

Sur le coup, Ahmed s’est figé sur place, les deux canettes dans chaque main.

« Wow, Samir, du calme ! Qu’est-ce que tu fous ? »

« Ta gueule Ahmed ! Joue pas au con avec moi ! »

« Tu déconnes ou quoi ? »

« Pose tes cannettes et va caler ton cul dans le fauteuil ! »

Pour montrer que j’étais sérieux, j’ai enlevé la sécurité.

« OK, OK. Calme-toi. »

Et il s’est exécuté. 

« Y avait quoi dans la cargaison que j’ai transportée hier ? »

Le visage d’Ahmed montrait tous les signes de l’incompréhension.

« Ben, j’te l’ai dit, des glaçons. »

« Ben ouais c’est ça le problème tu vois. Parce que ce sont bien des glaçons. »

« Hein ? »

« Tu vas pas me faire croire que t’es pas au courant que c’est pas des diamants qu’il y avait dans le frigo ? »

« Je comprends pas Samir. Qu’est-ce que tu veux dire ? C’était pas des « glaçons » ? Mais comment tu sais ça ? »

Là, j’ai eu un doute. On l’avait pas mis au courant ?

« Qu’est-ce qu’on t’a dit pour hier ? »

« Ben, apparemment l’opération a foiré et les « glaçons » ont été volés, voila. »

« Et ça t’est pas venu à l’idée de venir voir si j’allais bien ? »

« Ben, tu sais comment ça fonctionne par ici.. »

« Ouais, c’est ça. »

Je le savais déjà, mais si j’avais eu besoin d’une confirmation, je l’avais : Ahmed en avait rien à foutre de moi. Tu parles d’un ami d’enfance.

« Mais comment tu sais que ce sont pas des diamants ? »

« T’occupe. T’es sûr que tu sais rien ? »

Pour faire bonne mesure, je lui ai chatouillé la tempe avec le bout de mon canon.

« Fais gaffe, depuis hier, j’ai le doigt qui tremble. »

Je devais donner l’impression d’être déter’, parce qu’il y a cru.

« J’te jure que j’sais rien. Le vieux Jo m’a rien dit. Il m’a juste demandé de trouver un gars fiable, c’est tout ! »

« Ah ouais ? Alors autre question : ils viennent d’où ces glaçons ? Qui c’est que ça intéresse comme ça ? Ces gars des Mimosas, c’est qui ? »

« J’sais pas, j’te jure. Joseph est en contact avec des tas de gens. Il traite avec des grands producteurs de coke, de schite et d’héro. Ouais, il connaît du monde, et pas des petites frappes, OK ? »

« Et les gars des Mimosas ? »

« Un gang qui se fournit chez Joseph. » 

« Merci, ducon. J’avais pas deviné tout seul ! Qu’est-ce qu’ils vendent ces gars ? »

Et j’ai appuyé davantage sur la tempe de cet enfoiré. Tout le stress que j’avais accumulé depuis hier se déchargeait. 

« J’sais pas ! C’est un nouveau gang ! Ils viennent de se former ! Tout ce que j’sais, c’est qu’il paraît qu’ils ont les crocs ! »

« C’est un gang de jeunes ? »

« Non, c’est des expérimentés à c’que j’ai entendu dire. »

Je suis arrivé à cours de questions. J’avais pas obtenu grand-chose, fait chier. Je suis parti sans m’attarder, après avoir menacé Ahmed comme il faut pour pas qu’il fasse une connerie. Du genre parler de tout ça à Joseph. C’est qu’une fois dehors que je me suis dit qu’il aurait fallu que je lui demande ce que Joseph comptait faire avec sa cargaison dans la nature. J’étais tellement sur les nerfs que j’avais oublié comme un con. Merde.

Je suis rentré chez moi et j’ai cadenassé ma porte. Heureusement que je vis seul. Ça aurait été galère de gérer tout ça avec quelqu’un dans les pattes.

Maintenant Darwin, il faut que je planifie ce que je vais faire avec ce que j’ai, c’est-à-dire pas grand-chose. J’ai le sac de glaçons rescapés toujours dans le frigo. A prioriils viennent d’une grande organisation, vu avec qui Joseph traite d’habitude. Les gars des Mimosas sont un jeune groupe voulant se faire connaître, et qui étaient pas des bleus. Merde, il faut vraiment que je découvre ce qu’il y a dans ces saloperies gelées. Sans ça, pas moyen de faire un échange sécurisé avec le vieux. J’ai besoin de plus d’infos. T’as pas une idée Darwin ?

 

J’ai trouvé. Je vais devoir aller faire des courses. M’attends pas pour manger ce soir Darwin, je risque de rentrer tard.

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Edouard PArle
Posté le 09/10/2021
Coucou !
Cette histoire sent vraiment très mauvais, ça ne peut que mal se terminer.
Sacrée scène quand Samir pointe le revolver sur la tempe de son "ami", après le premier chapitre je ne pensais pas forcément qu'il serait capable de faire ça^^
Le style marche bien vu l'histoire racontée. Je n'ai rien remarqué de particulier sur la forme.
Un plaisir,
A très vite.
Sabi
Posté le 09/10/2021
Wesh,
Content que ce soit un plaisir !
Ciao.
Beckouel
Posté le 25/05/2020
Toujours bon, ça glisse sans trop de fiortures (mais il y en un peu je pense). Belle montée d'adrénaline et ça tient en haleine. Si tu connais pas déjà, je te conseille la lecture de "Comme des rats morts" de Benedek Totth, un Hongrois, ça devrait te plaire.
Sabi
Posté le 27/05/2020
Merci, non je ne connais pas. Je dois dire que je ne suis pas coutumier du genre d'histoire que j'écris avec Ice. Ce sont mes premiers pas dans les récits plus "sombres" et "réalistes".
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