22 janvier 2013

Par Sabi
Notes de l’auteur : écrit à 3 heures du matin (23 janvier 2013)

Première page de ce journal intime. Je vais te donner un nom, attends un peu. Tu comprends, j’avais besoin de toi. Vraiment. Genre à 100 %. Il me fallait quelque chose pour compenser, pour digérer, pour mettre au clair certaines choses. Il me faut du temps pour réfléchir, tu vois. Ouais, du temps. Je vais commencer par le début, histoire que tu comprennes et que je me remette les choses à l’endroit.

Tout a commencé lorsqu’on m’a proposé ce job. J’en voulais pas, tu sais, au départ. J’en voulais pas, mais j’avais besoin de fric. C’est le fric qui fait tourner ce monde. Sans fric, tu fais rien, tu ne vis pas. Tu es réduit à aller faire la queue à la CAF, à attendre tes allocations jusqu’à la fin de ta vie. Le gouvernement te tient par les couilles avec la tune qu’il te donne. T’es un assisté tu comprends. Si le gouvernement part en couille, c’est fini, t’as plus rien.

Bref, je voulais de la tune. Et il y a Ahmed qui est venu avec cette proposition, une affaire qu’il disait.

« Tout c’que t’as à faire, c’est transporter ce frigo depuis le garage à Joseph, jusqu’à l’immeuble des Mimosas. »

J’aurais dû me scier une jambe ce jour là. J’aurais dû lui dire : « non merci Ahmed, j’le sens pas poto ». Et à la place, je lui ai dit : « Y a quoi dans ce frigo ? ». « Des glaçons » qu’il a répondu. « Des glaçons du genre qu’il faut pas perdre tu vois ce que j’veux dire ? ».

Des glaçons, Darwin (ouais je vais t’appeler comme ça maintenant), ça veut dire dans le jargon, des diamants. Dans le quartier, il y a toujours eu du trafic. De la cam’ principalement. Mais les rumeurs disaient qu’il y avait aussi de plus gros poissons que de la cam’. Apparemment, Ahmed avait pas pu se contenter d’être une sardine. Il avait voulu devenir un brochet. Et maintenant, le brochet voulait me recruter. Il a sorti la maille devant moi. Un acompte selon ses dires. J’ai pas pu dire non. J’avais besoin de fric, et l’occasion se présentait, alors.

Le lendemain, je suis allé au garage de Joseph avec une remorque. Avec le vieux Jo, on a monté le frigo à l’arrière de la camionnette, et je suis parti fissa. Le vieux Jo, c’est pas quelqu’un avec qui tu as envie de taper la discute, si tu vois ce que je veux dire. Il trempe dans trop d’affaires sales pour avoir une réputation de Monsieur Propre. En vrai, si t’as le malheur d’être dans de beaux draps avec Jo, attends toi pas à ce que ton linge reste blanc bien longtemps. Il a des contacts le Jo. Et il m’a regardé avec un regard, ce vieux. On sentait qu’il m’évaluait. Est-ce que cette mule allait faire l’affaire, oui ou non ? Il a dû décider que je passais son crash-test, parce qu’il a fini par me montrer où était rangé le frigo. Mais le message était clair. Tu fais une seule connerie, et tu finiras carbonisé dans une voiture sur un parking du coin.

Bref, ce frigo, il fallait surtout que rien ne lui arrive jusqu’aux immeubles des Mimosas.

Et je te le donne en mille Darwin. Faut pas être un génie pour savoir qu’au frigo, il lui est arrivé quelque chose.

Au début, tout s’est bien passé. J’ai démarré le moteur, et je suis parti en direction du centre-ville. Je respectais au poil de cul prêt le code de la route. Je m’arrêtais au feu rouge, au stop. Je regardais bien à droite et à gauche avant de m’engager. Je guettais le connard potentiel qui aurait traversé en dehors du passage-piéton. Tu l’auras compris Darwin, j’étais vigilant à 200 %, le radar branché à scruter les échos sous-marin à la recherche du moindre blop de travers. Et bien malgré tout, ça a pas été suffisant.

Ça s’est passé devant l’entrée du parking des Mimosas. L’erreur fatale. Je me suis cru arrivé, et j’ai relâché mon attention. Toujours être prêt jusqu’au bout. J’ai déconné. J’ai pas fait gaffe au camion qui arrivait de l’autre côté de la route et qui, d’un coup, venait de braquer droit sur moi. Enfin, pas sur moi précisément. Plutôt sur l’arrière de la camionnette sur laquelle était monté le frigo.

J’ai entendu un rugissement de moteur alors que je tournais pour entrer sur le parking. Quelques secondes plus tard, un énorme bruit de tôle pliée, tordue. Mon véhicule a été traîné sur plusieurs mètres avant de faire un tonneau et de s’arrêter la tête en bas. L’airbag s’était déclenché et je flottais dans un nuage gonflable. J’ai ainsi pu m’en sortir indemne. Le frigo pour sa part a volé dans les airs au premier impact. On aurait cru un sauteur olympique. Il a dû franchir le mur des 3 mètres. C’était vraiment un frigo de compète. Les deux compartiments se sont ouverts, et leur contenu s’est répandu sur le sol. Des sacs entiers de « glaçons » se sont retrouvé étalés sur le bas-côté. Enfin, je te dis tout ça, mais c’est pas comme si je les avais vus moi-même. J’étais presque dans les vapes à ce moment-là. À vrai dire, ça a pas traîné. Quelques secondes de plus et je m’évanouissais pour de bon, j’avais eu mon compte. J’ai juste eu le temps d’entendre au loin quelques coups de feu, sûrement les gars des Mimosas alertés par le raffut qui venaient défendre leur trésor.

Tu parles d’un boulot facile. Faudra que je pense à aller dire deux mots à Ahmed sur son échelle de la dangerosité complètement foireuse.

Enfin bref, quand j’ai repris conscience, tout était terminé. Les kidnappeurs de glaçons étaient repartis avec les sacs, et les gars des Mimosas avaient dû se lancer à leur poursuite. Tout le monde m’avait oublié. Tant mieux tu me diras. Je me suis extrait de l’habitacle du conducteur à travers le pare-brise totalement en miettes, et j’ai jeté un œil autour de moi. Il faisait chaud, il faisait froid. J’sais plus. Qu’est-ce que j’allais faire ? Il était arrivé quelque chose au frigo. Le vieux Jo allait me laisser avec un sac-poubelle sur la tête dans la forêt et trois balles dans la poitrine. Bordel, qu’est-ce que j’allais faire ? Et c’est là que j’ai vu ce qui avait échappé à tout le monde : un sac de « glaçons » à moitié caché sous la remorque retournée et à moitié pliée. C’était peut-être ma chance. Jo allait peut-être se montrer clément grâce à ça. Enfin, si le vieux connaissait le concept de clémence. Le corps secoué de tremblements partout, j’me suis saisi du sac, et j’ai tracé sans me retourner. Il fallait que je m’éloigne de la scène le plus vite possible avant que quelqu’un n’ait l’excellente idée de revenir.

J’ai couru, couru, couru sans m’arrêter jusqu’à chez moi. Contre ma poitrine en feu je sentais le picotement glacé du sac me refroidir, me soutenir. Et c’est quand je suis arrivé à mon appart, que j’ai tourné la clé dans la serrure et que je me suis affalé contre la porte en bois de l’entrée que je me suis rendu compte d’autre chose. Les « glaçons » étaient pas des « glaçons ». C’étaient de vrais glaçons enfermés dans des capsules de refroidissement, elles-mêmes bien visibles dans le sac transparent. Déjà que l’affaire sentait pas bon, là j’ai clairement reconnu l’odeur.

C’est celle de la merde, Darwin.

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Edouard PArle
Posté le 01/10/2021
Coucou !
Juste une petite question : tu as écrit cette histoire à 3 heures du matin ou c'est le narrateur ?
Sinon ce début d'histoire me plaît bien, ça change d'Orcelia et tu gères très bien aussi. Le rythme est bon et le narrateur me plaît.
j'attends de voir ce que donne la suite.
Une petite remarque :
"et que je me remette les choses à l’endroit." j'enlèverai le "me"
Toujours un plaisir de te lire,
A bientôt !
Sabi
Posté le 01/10/2021
Hey !
Non, c'est le narrateur.
Toujours un plaisir de te voir lire avec plaisir.
Ciao
Edouard PArle
Posté le 02/10/2021
okay ca me paraissait le plus logique mais je voulais être sûr.
Beckouel
Posté le 18/05/2020
Bonjour. J'aime bien ce début qui part super vite, mais pas trop vite. Il va falloir suivre ce rythme, cela risque d'être compliqué (à moins que tu es déjà tout bien organisé). L'idée du journal est pas mal, on se demande d'où le narrateur écrit (prison? hôpital? asile? au-delà?). Bon courage,
Sabi
Posté le 18/05/2020
Merci
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