11. Le conte

Par Romane
Notes de l’auteur : Merci pour vos retours sur les précédents chapitres ! Viya va enfin conter en public... Mais est-elle prête ? :o

 

Sitôt les portes du petit salon refermées, Viya se tourna vers Fid. Elle aurait sans doute dû être émerveillée par le luxe de la pièce, les dorures qui en couvraient les murs, ses innombrables tableaux retraçant l’histoire d’Hydendark ou la splendide fresque qui s’étendait au-dessus de leur tête, mais elle n’était habitée que par une colère sourde mêlée de terreur.

– Mais qu’est-ce qu’il vous est passé par la tête ?  Pourquoi, par la Montagne, lui avez-vous dit que j’étais Légendière ?

Un sourire sarcastique étira les lèvres de son mentor.

– Aux dernières nouvelles, j’avais cru comprendre que la Confrérie t’avait reconnue comme telle.

– Oh, ne jouez pas avec moi ! Vous savez très bien que ça ne fait pas tout !

Elle se mit à trembler et s’écroula sur une causeuse qui se trouvait là en prenant son front entre ses paumes. Fid dut réaliser qu’il avait manqué de tact, car il tira une chaise face à elle, sur laquelle il s’installa. Il lâcha sa canne et posa ses mains sur les genoux de la jeune fille.

– Je vois trois raisons.

Elle baissa la tête et la secoua.

– Un : tu vas prouver à Sœur Helena que tu es Légendière et que tu ne retourneras pas à la Sororité.

– Mais…

– Deux : ceux qui éveillent l’intérêt du Prince-Héritier ou du Roi obtiennent aussi celui des gens d’Hydendark. Après ce conte, ton échec aux Joutes Automnales sera définitivement oublié.

– Ou remplacé par un autre encore plus cuisant.

Il ne sembla pas l’entendre.

– Trois : Nous allons pouvoir étudier comment Eugénia réagit.

– Elle va s’étrangler de rire, souffla-t-elle.

Cette fois, Fid marqua un temps d’arrêt.

– Je rajoute une raison. Quatre : tu vas prendre conscience qu’il n’y a aucun obstacle entre toi et tes rêves, hormis ceux que tu te mets toi-même. Tu vas conter et quand tu auras terminé, tu auras fait le premier pas du reste de ton existence.

Il tira d’une des poches intérieures de sa veste le boîtier qui renfermait l’insigne des Légendiers puis ajouta :

– Et je te donnerai ceci.

Les yeux de Viya s’humidifièrent de larmes de terreur.

– Vous m’aviez promis que j’avais le temps.

– C’est une demande princière, tu n’as pas vraiment le choix.

– Vous savez très bien ce que je veux dire. Vous avez provoqué ça.

– C’était tout à fait involontaire.

Elle renifla avec mépris. Elle n’en croyait pas un mot.

– Je vous déteste. Je ne sais même pas quoi conter.

La chèvre de Monsieur Seguin, évidemment. Tu n’as pas grand-chose d’autre en réserve.

Il n’y avait que lui pour pointer ses faiblesses au moment où elle avait le plus besoin d’être rassurée.

– Ça ne fait pas très sérieux comme histoire, non ? insista-t-elle.

Viya ne savait pas trop ce qu’elle espérait. Peut-être que le Légendier réalise qu’elle se trouvait vraiment en difficulté et qu’il prenne sa place. Ce qu’il ne ferait pas.

– Je n’en vois pas de meilleure, au contraire, se contenta-t-il d’objecter d’un ton tranquille.

 Elle s’obligea à réfléchir. Le conte ferait passer un message à la Sororité. C’était une histoire qui plairait à un Prince coincé sur la presque-île depuis sa tendre enfance. C’était enfin un récit où chacun pouvait lire une ode à la liberté ou à l’ordre établi, selon sa préférence. Le texte idéal dans ces circonstances politiques troublées.

– Tu me fais confiance ?

 Viya opina avec lenteur.

Il décréta que le Prince attendait et qu’il ne fallait plus tarder. Elle se mit donc debout et s’éclaircit la voix, puis commença à conter pour Fid, d’abord timidement puis avec plus d’assurance. Ils avaient déjà travaillé sur ce texte et elle réalisa qu’elle se souvenait de ses conseils. Quand elle oubliait certaines formulations, son mentor lui faisait signe de broder et elle s’exécutait. Sa plus grosse difficulté fut sa tendance à piétiner sous l’effet du stress. Un tic qu’elle était parvenue à réprimer chez les Orateurs, mais qui ressurgissait au plus mauvais moment.

– Si tu ne peux vraiment pas rester immobile, marche. Arpente ton espace, arrête-toi, recommence, interagis avec le public. Mais fais attention à ne pas t’essouffler.

Ce fut probablement le conseil le plus avisé qu’il lui donna. Lorsque vingt minutes se furent écoulées, elle se sentait un peu plus sereine.

– Pas de huées, que des lauriers, dit alors Fid.

Sa peur revint au galop et sa gorge se serra. Elle s’obligea à respirer.

– Pour seules offrandes, quelques légendes.

Contre toute attente, et même si elle la prononça avec un sentiment d’imposture, la phrase lui éclaircit la voix. C’était sans doute à cela qu’elle servait, songea-t-elle. Puis Fid ouvrit les portes et elle ne pensa plus à rien, sinon à sa prestation.

Les conversations se turent peu à peu alors qu’elle s’avançait. Ses jambes tremblaient un peu, ses mains aussi. Elle perdit Fid de vue alors que la foule se refermait dans son dos, tout en s’écartant devant elle pour lui ménager un espace au centre de la salle. C’était peut-être mieux ainsi : voir les expressions du Légendier l’aurait déstabilisée. Elle se concentra sur le Prince, qui lui offrit un sourire charmant. Dans l’assemblée, il eut des « chut » et des « taisez-vous » discrets. Enfin, le silence tomba.

– Madame, que nous conterez-vous ?

Elle réalisa avec horreur qu’elle n’avait pas prévu d’accroche. Fid avait-il omis sciemment de l’aider à la préparer ? Elle balaya son ressentiment pour retrouver sa concentration. Elle s’inclina et improvisa :

– Une conte d’aube et de forêt, un récit de fougue, de liberté et de déchéance. L’histoire de la chèvre de Monsieur Seguin.

Elle se trouva vaguement ridicule, mais un frisson d’approbation parcourut la foule. Elle le sentit comme sur sa propre peau.

Elle prit une inspiration :

– M. Seguin n’avait jamais eu de bonheur avec ses chèvres. Il les perdait toutes de la même façon : un beau matin, elles cassaient leur corde, s’en allaient dans la montagne, et là-haut le loup les mangeait. Ni les caresses de leur maître ni la peur du loup, rien ne les retenait.

Elle commença à s’agiter et suivit le conseil de Fid, arpentant le cercle formé pour elle en poursuivant son conte. Lorsqu’elle parlait devant un public chez les Orateurs, elle avait l’impression de traverser un long couloir sombre avec, pour unique horizon, la fin de son discours. Dans cette pièce au contraire, elle se sentait consciente de tout ce qui l’entourait. Pourtant, elle évitait de regarder les gens, et se fiait plutôt aux murmures et aux énergies qui circulaient dans la salle. Ses yeux se posaient seulement sur le Prince-Héritier quand elle passait devant lui. Il avait un visage sympathique qui la rassurait. Surtout, il paraissait intéressé par ce qu’elle racontait, bien qu’elle butât quelques fois sur des mots ou oublia une partie de l’histoire, qu’elle parvint à réinsérer dans le récit par la suite grâce à une analepse. Elle crut même déceler une pointe d’émotion sur ses traits lorsqu’elle conclut.

Le prince leva les mains à la hauteur de son visage et applaudit. L’assemblée suivit. Elle inclina profondément la tête, comme elle avait observé son mentor le faire.

Quand elle se redressa, elle fut prise d’un vertige si intense qu’elle vacilla. Fid apparut à ses côtés sans qu’elle ne l’ait vu arriver et la maintint fermement par le bras pour l’empêcher de défaillir.

– Est-ce que ça va ? souffla-t-il.

Alors que la foule se dispersait, elle prit une profonde inspiration. Son tournis cessa et elle acquiesça.

– Comment j’étais ?

– Pas trop mal.

Son sourire démentait la tempérance du propos.

– Je me suis trompée.

– Tu t’es bien rattrapée. Oh, tes nouveaux admirateurs veulent te parler, je te laisse.

– Non, restez, je…

Mais il était déjà parti. Quand le Prince se retrouva devant elle, Viya s’empourpra. Et si, en dépit des dires de Fid et de ce qu’elle avait cru percevoir, son conte lui avait déplu ?

– Madame, vous nous avez offert une bien belle histoire.

Elle se sentit rougir bêtement.

– Merci, Votre Altesse Royale.

– Fid a été mon conteur attitré, savez-vous ? Il y a bien longtemps, lorsque j’étais enfant.

– Je l’ignorais.

– C’est une histoire bien embarrassante. Fid a participé à une soirée donnée au Palais au cours de laquelle il a conté. Le petit garçon de quatre ans que j’étais n’avait guère le droit d’être là, mais je m’étais caché derrière un rideau. Son conte m’a ébloui. Le lendemain, j’ai insisté auprès de mon père pour le faire déplacer au Palais-Citadelle. Fid est resté à mon service jusqu’à mes onze ans. Mais je ne vous importune pas davantage, nous sommes sans doute nombreux à vouloir vous parler.

La jeune fille lui adressa un sourire et s’inclina.

Quelques visages inconnus vinrent la féliciter. Psappha l’embrassa chaleureusement. Puis ce fut au tout de Guy Igane et Kerl s’approchèrent ensemble. Viya sentit son cœur s’emballer.

–  Eh bien, Madame, commença le romancier, il semblerait que vous êtes en bonne voie pour… votre reconversion. J’en suis soulagé pour vous, à vrai dire. Lorsque nous nous sommes vus il y a quelques jours, vous n’avez pas décoché un mot si bien que je craignais que vous n’ayez perdu l’usage de la parole… Si je n’avais pas eu l’occasion de vous entendre pendant votre Joute Automnale, certes brièvement, je vous aurais crue muette.

De toute évidence, il avait choisi ses mots avec soin. Peut-être les avaient-ils préparés par écrit, car il avait ce qui ressemblait à une tache d’encre sur les doigts. Mal à l’aise, Viya chercha Fid du regard, mais il était introuvable. Psappha discutait de son côté.

Kerl prit la parole, lui ôtant la lourde tâche de façonner une répartie appropriée à cette amorce fielleuse.

– Je suis heureux pour toi de te savoir chez les Légendiers, fit-il avec sincérité.

– Vous semblez bien plus… dans votre élément au 12 Dreamyard Alley, approuva Igane.

Viya remarqua qu’il s’octroyait parfois une pause avant de lancer ses piques. Il devenait aussi volubile, comme si son animosité se déversait de lui en un fleuve intarissable. C’étaient des détails que son oreille entraînée d’ex-Oratrice avait l’habitude de détecter. L’Écrivain ne savait pas lisser son timbre. Cela n’échappa pas non plus à Kerl, qui lui fit un demi-sourire désolé. Hélas, Viya, n’avait pas le talent pour lui répondre. Fid aurait trouvé une répartie bien sentie, mais elle… Son ancien mentor parut un brin déçu qu’elle ne réagisse pas. Il finit par lui souhaiter bonne chance pour la suite de son parcours et prit congé, espérant sans doute entraîner Igane dans son sillage, mais celui-ci se rapprocha un peu plus d’elle.

– À n’en pas douter, oui, vous êtes bien mieux chez les conteurs. Après… la douloureuse déveine qui fut la vôtre, j’imagine que vous avez dû être soulagée qu’on vous reprenne, fut-ce dans la troisième et dernière Corporation. Je vous souhaite de mieux réussir chez les Légendiers que chez les Orateurs. Cependant, ce ne devrait pas être bien difficile.

– En effet.

Elle se gifla mentalement. Il l’insultait à mots couverts, et elle lui donnait raison ! Elle se sentit brusquement de trop.

– Excusez-moi.

Viya le quitta en s’efforçant de marcher à pas mesurés. Elle chercha un instant Fid des yeux, ne le trouva pas. Elle avisa qu’on avait ouvert l’une des portes-fenêtres pour faire rentrer un peu de fraîcheur. Elle sortit à l’extérieur et inspira une grande goulée d’air nocturne. Le lac n’était qu’une vaste étendue sombre et huileuse. Ses yeux se mirent à piquer. Elle se réentendait conter. Dans son souvenir, sa voix lui semblait trop aiguë. Fid pouvait en dire ce qu’il voulait, elle se trouvait pitoyable. Elle n’était pas faite pour ce monde. Igane l’avait compris, il serait bientôt des dizaines à se rendre compte qu’elle ne valait rien. Elle déambula le long de la façade pour calmer son angoisse, la gorge nouée, les mains tremblantes. Il ne fallait pas qu’on la voie dans cet état. Elle devait vite retrouver sa contenance. Son mentor la cherchait sans doute. La jeune fille s’arrêta devant la fenêtre ouverte du petit salon adjacent à la salle de réception où elle avait préparé son conte. Là, elle prit de lentes respirations.

Enfin apaisée, elle s’apprêtait à retourner sur ses pas quand une main surgit dans son dos et la traîna de force à l’intérieur.

Elle n’eut pas le temps de hurler que la croisée du petit salon se referma sur elle dans un claquement.

– Comment as-tu osé ? hurla une voix qu’elle connaissait trop bien.

Elle se retourna vers Eugénia.

– Le Prince t’a demandé à toi de te livrer à ton misérable spectacle alors que je lui ai été présentée la première et que je suis Oratrice. C’était mon moment et tu me l’as volé.

« Je t’aurais volontiers laissé la place », aurait-elle dit pour éviter le conflit, quelques semaines plus tôt.

Elle décerna à Eugénia un sourire provocant.

– Mais c’est moi qu’il a choisie. Tu n’es peut-être pas aussi extraordinaire que tu le prétends.

La douleur sourde de la gifle que lui décocha Eugénia ne fut rien à côté de la douleur qui vrilla tout son corps quand l’impact la projeta contre le dossier d’un des fauteuils.

– Tu n’es qu’une impostrice ! Tu ne mérites pas ça ! C’est ma vie à moi, pas la tienne. C’est clair ?

Viya ne répondit pas. Pliée en deux, elle n’arrivait pas à respirer et sa tête tournait. Elle fut brutalement saisie par les cheveux et retint un cri de souffrance.

– C’est clair ? répéta Eugénia en tirant sa tête en arrière.

Au travers des larmes de douleur qui lui embuaient les yeux, Viya vit le visage de sa tortionnaire contracté de rage. C’était une réaction disproportionnée. Qu’allait donc s’imaginer Eugénia ? Viya avait été expulsée de l’Ordre des Orateurs. Elle appartenait à une corporation aussi mal en point que l’immeuble où ses membres avaient élu domicile. De ce qu’elle avait pu constater, son mentor avait une fâcheuse tendance à noyer ses problèmes dans l’alcool. Elle n’était pas une menace. Elle ne l’avait jamais été.

– Tu as truqué les Joutes, souffla-t-elle en méprisant la douleur sur son crâne qui s’accentua brutalement. Tu n’avais pas besoin de ça pour m’éliminer, alors pourquoi…

La gifle suivante lui ôta la possibilité de continuer.

             – Parce qu’ils le méritent ! hurla l’Oratrice. Vous le méritez tous ! Et vous ne résisterez pas à ce qui se prépare !

            – Vous ? répéta la jeune fille, l’esprit embrumé. Les Légendiers ?

Eugénia se figea d’un seul coup, avant de sortir comme une tornade par la porte-fenêtre qu’elle referma derrière elle. Restée seule, Viya s’écroula sur le fauteuil. Sa joue la cuisait et son cuir chevelu irradiait. Elle peinait à reprendre ses esprits. Son ennemie du 26 Place des Orpailleurs l’avait brutalisée à maintes reprises. Elle l’avait insulté, elle avait détruit ses livres, volé ses couvertures, elle l’avait bousculée au réfectoire pour renverser son plateau. Elle n’avait pas manqué une seule opportunité de la ridiculiser et de persifler. C’était la première fois qu’elle levait la main sur elle.

« Vous ne résisterez pas à ce qui se prépare ». Se pouvait-il qu’Eugénia participe en effet à un complot ?

Des larmes de rage lui piquèrent les yeux. Elle y réfléchirait plus tard. Son cœur battait trop vite et des sueurs froides la traversèrent. Elle fixa un point au plafond et quand elle eut récupéré un peu, elle sortit du salon par la porte principale. Ses joues la brûlaient encore et elle devait avoir des marques, mais celles-ci passeraient peut-être pour un coup de chaleur.

 Viya n’avait qu’une idée en tête : trouver Fid pour rentrer à Dreamyard Alley. Le monde autour d’elle baignait dans une lumière trouble. Sa gorge la serrait tant qu’elle étouffait. Un orchestre avait commencé à jouer une valse entraînante. Les rires et les danseurs l’insupportaient. Elle se sentait tel un fantôme au milieu d’un carnaval.

Elle retrouva Fid en train de boire une autre coupe, dans un coin. Il scrutait la salle sans prendre part aux festivités. Lorsqu’elle se glissa à ses côtés, elle s’arrangea pour tourner un peu la tête et dissimuler la rougeur sur sa figure.

– Alors, aimes-tu le goût des louanges ? demanda-t-il sans détacher son regard de l’assemblée.

« Je ne sais pas, je m’en moque, Eugénia m’a frappée, j’avais raison, le trucage n’est qu’une étape d’un plan plus vaste, sortez-moi d’ici. »

– Elles ont une légère saveur d’hypocrisie. Je suis fatiguée, j’aimerais rentrer.

Elle ne sut pas comment elle parvint à garder une voix égale.

– Nous n’avons pas vraiment eu l’occasion d’observer Eugénia. C’est pour ça que j’ai fait cette foutue traversée en bateau.

Viya sentit une bouffée de ressentiment l’envahir. Fid évoquait ses propres tourments sans deviner un seul instant la tempête qu’elle avait dans le cœur.

– Oh, croyez-moi, j’ai eu plus que l’occasion de l’observer, persifla-t-elle.

Elle regretta son emportement lorsqu’alerté par son ton, il baissa enfin la tête pour la détailler. Elle se sentait honteuse, elle ne désirait pas qu’il sache qu’Eugénia lui avait porté des coups. La jeune fille voulut se décaler légèrement pour s’assurer qu’il ne voit pas les marques, mais elle agit trop tard. Les sourcils du Légendier se froncèrent.

– Qu’est-ce que tu as au visage ?

– J’aimerais vraiment rentrer, esquiva-t-elle d’une voix nouée par des sanglots qui ne tarderaient plus.

Elle ne sut pas comment et par quel miracle, mais il comprit brusquement.

– Eugénia ?

Elle acquiesça en fermant les yeux pour faire barrage à ses larmes.

 La main de Fid se posa sur son épaule. Il la considéra quelques secondes avec gravité, puis l’entraîna vers la sortie. Le personnel qu’ils croisaient leur souhaita une bonne fin de soirée. Ils redescendirent les longs escaliers, avec pour Fid un peu plus d’aisance qu’à l’arrivée. Ou de précipitation.

Quand ils parvinrent sous la charmille, elle n’y tint plus et lui raconta tout. Il tiqua lorsqu’elle lui rapporta les paroles d’Eugénia. C’était la première piste sérieuse qu’ils avaient d’un éventuel complot.

– Je l’ai provoquée, reconnut-elle lorsqu’elle eut achevé son récit.

– Certes, c’était maladroit. Mais elle t’a jalousée et elle t’a frappée.

Il prononça cette dernière phrase avec colère et celle-ci rasséréna Viya plus que n’importe quoi d’autre.

Il n’eut plus entre eux que la musique de la célébration échappée des fenêtres ouvertes.

– Je peux déposer une plainte contre l’Ordre des Orateurs.

– Ils vont croire que vous vous acharnez sur eux.

– Ce ne serait pas complètement faux, fit-il avec malice. Ils m’ont expulsé à tort et je suis plutôt du genre rancunier.

Viya secoua la tête.

– Laissez tomber.

Alors qu’ils atteignaient la berge du lac, Fid s’arrêta brutalement. Elle pensa que sa phobie de la navigation le reprenait, mais lorsqu’il se tourna vers elle, il avait un air de gamin espiègle.

– J’allais oublier.

Il tira d’une de ses poches le petit écrin qui renfermait l’insigne des Légendiers. Il ouvrit la boîte, attrapa l’objet entre son pouce et son index et le leva à la hauteur du visage de la jeune fille.

– Félicitations, Légendière.

Viya le regarda l’accrocher sur le devant de son manteau, sans vraiment réaliser. Des larmes, de bonheur cette fois, perlèrent à ses cils et elle oublia tout à coup Eugénia, la Sœur, sa panique avant de conter, et jusqu’à la douleur qui irradiait toujours de sa joue. Fid lui offrit un sourire attendri auquel elle répondit par une moue mutine, pour cacher à quel point elle était touchée.

– Avouez, vous cherchez juste à gagner du temps avant d’entrer dans le bateau.

La répartie tira un deuxième sourire au Légendier. Elle ne put retenir un éclat de rire involontaire. Ça faisait trop d’émotions pour une seule soirée, ses nerfs allaient la lâcher pour de bon. Elle expira longuement.

– Merci.

Sa voix vibrait de reconnaissance.

– C’est mérité.

Ces trois petits mots lui arrachèrent à nouveau des larmes. C’était la première fois que quelqu’un les prononçait pour elle. Fid la regarda se débattre avec son émotion en gardant une distance pudique qui ne parvenait pourtant pas à dissimuler sa tendresse.

 

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Edouard PArle
Posté le 11/03/2023
Coucou Romane !
Très très bon chapitre.
Je suis assez partagé avec le personnage d'Eugénia. En même temps je la trouve trop méchante pour vraiment la détester (genre sa haine ne s'appuie sur rien, donc c'est dur de la trouver crédible à ce stade de l'histoire) et en même ça la rend super intrigante et intéressante. Juste : pourquoi elle déteste autant Viya ? Je trouve que tu en joues très bien et j'ai vraiment hâte d'avoir des éléments de résolution. Et comme les personnages se posent les mêmes questions que moi à son sujet ça me donne encore plus envie de savoir ce que tu prépares xD
Le duo Fid Viya fonctionne bien dans ce chapitre avec effectivement énormément d'émotions positives comme négatives. J'ai été embarqué du début à la fin avec Viya, j'étais content pour elle.
Le personnage du prince est intéressant, le fait qu'il connaisse Fid m'intrigue. J'ai l'impression que la bonne impression laissée par Viya pourrait avoir son importance à l'avenir.
La chute du chapitre est super mignonne ! Ca fait du bien de lire des moments comme ça (=
Un plaisir,
A bientôt !
Romane
Posté le 06/07/2023
Coucou Édouard ! Merci pour tes commentaires et désolée pour le délai avec lequel j’y réponds ! Je les lis toujours avec plaisir, mais souvent sur téléphone et ce n’est pas l’idéal pour moi pour te répondre !

Je suis vraiment heureuse que tu aies apprécié ce chapitre !
Louison-
Posté le 03/06/2021
Coucou !
Et sans grand étonnement, encore un superbe chapitre. Vraiment plus j'avance et plus j'aime <3 J'aime parce que tes personnages sont attachants, parce que les relations qui se tissent entre eux sont soit emplis de tendresse (Fid-Viya), soit haineux (Eugénia-Viya), parce que l'intrigue se densifie à mesure qu'on avance (un complot mené? :O), parce que ton héroïne n'est pas toute puissante, parce que c'est sincère et authentique et bref, c'est dur à décrire, comme sentiment, mais oui, sache que j'aime ton histoire, et espère de tout coeur la voir un jour publiée sur papier, je me la procurerai sans hésiter <3

Alors merci pour ça. Très doux moment de lecture que tu nous offres là.
Romane
Posté le 07/06/2021
Bonjour Louison et merci pour ce doux commentaire ! <3
Contesse
Posté le 20/05/2021
Fid est vraiment trop mignon. Son attachement pour Viya est évident, il transcende tous ses mots et ses actions, et pourtant il reste à distance et ne le montre pas ! Si bien que seule Viya ne s'en rend pas compte ^^ Leur relation va devenir un point phare, moteur de l'histoire je pense et j'ai hâte de voir comment ça va avancer.

J'avais raison pour Eugenia ! Sa haine va plus loin qu'une simple jalousie, la violence de ses mots et de ses gestes était saisissante. J'avais mal pour Viya, et en même temps j'étais frustrée qu'elle ne fasse rien pour se défendre ! Mais Viya est comme ça, elle a été martyrisée pendant toutes ces années et elle est terrorisée par Eugenia :/ J'ai hâte de voir ce que cette dernière cache vraiment.

J'ai été émue moi aussi quand Viya a reçu son insigne ! Enfin des compliments et des mots doux ça fait du bien, aussi pour le lecteur xD

Petites choses que j'ai remarquées :
"il n’y a aucun obstacle entre toi et tes rêves, hormis ceux que tu te mets toi-même" --> ce n'est que mon avis, mais je trouve l'expression "se mettre des obstacles" pas très jolie à l'oreille, peut-être pourrais-tu utiliser une expression plus adaptée ? Comme "hormis ceux que tu dresses/t'imposes toi même" ? C'est à toi de voir :)
"Puis ce fut au tout de Guy Igane et Kerl s’approchèrent ensemble" --> tu as oublié des mots ici je pense ? Ou mélangé 2 constructions de phrases ensemble ? Je pense que tu voulais dire quelque chose comme "ce fut au tour de Guy Igane et Kerl de s'approcher ensemble" ou "Igane et Kerl, qui s'approchèrent ensemble" ? ;)

À bientôt !
Romane
Posté le 24/05/2021
Tu as tout à fait raison : leur relation va devenir le moteur ! (C'est souvent comme ça dans mes histoires, j'aime que les choses partent des personnages !)

Merci pour ta lecture !
> Je vais réfléchir à tes propositions pour cette histoire d'obstacles ^^
> Aïe, oui, méli-mélo de construction : il faut lire " de s'approcher ensemble" :-)
dodoreve
Posté le 30/04/2021
Je m'attendais à voir une réécriture entière du conte, mais c'est très bien comme ça. En fait c'est assez fou : j'ai beaucoup d'attentes d'un chapitre à l'autre, mais l'impression que j'apprécierai tes choix, peu importe leur direction. (Alors : je me rends compte que je dois te noyer sous les louanges, mais c'est vraiment sincère.)
Et je crois que j'avais oublié de te dire combien j'aimais la formule des Légendiers lorsque je l'avais découverte. Elle est belle, elle fait vibrer, elle est parfaite pour s'en aller conter.
Revenons à ce chapitre : il se trame donc quelque chose de décidément très louche avec Eugenia. Hâte d'en savoir plus !
Au plaisir de te relire à nouveau, et merci encore de nous donner cette histoire <3
("Elle l’avait insulté" insultée*)
Romane
Posté le 02/05/2021
J'ai hésité, pour la réécriture. Mais comme c'est un conte qui vient de chez nous et qu'il est relativement récent, je n'avais pas trop à coeur de modifier le travail de l'auteur ! Et puis, mon chapitre commençait à devenir excessivement long, j'ai donc préféré faire court (en laissant au lecteur le choix d'aller lire ou non tous les textes présents en écho dans ce roman ^^ La plupart sont dans le domaine public, et accessibles)

Merci pour tes compliments ! <3 Je ne me remets toujours pas de la ta gentillesse et de celles des personnes présentes ici, du bon accueil réservé à ce texte. Etant très critique envers moi-même, cela me fait un bien fou !


Merci de m'avoir signalée cette coquille !
Jane Demo
Posté le 30/04/2021
J'ai commencé à lire votre histoire... et je n'ai pas pu m'arrêter !
J'ai crée un compte pour pouvoir vous laisser ce commentaire. L'univers me plaît beaucoup, les personnages sont attachants, la relation qui se construit entre Fid et Viya est touchante... je n'ai qu'une envie : lire la suite. S'il est édité je l’achèterai sans hésiter.
Romane
Posté le 30/04/2021
Je vous remercie pour votre enthousiasme et votre adorable commentaire !

Je suis ravie que l'histoire vous plaise ! La suite sera publiée très rapidement (je publie environ un chapitre tous les deux jours) !

Le roman n'est pas encore édité, mais j'espère qu'il le sera un jour :-)
Je suis, en attendant, heureuse de vous compter parmi mes lecteurs et lectrices !
Romane
Posté le 30/04/2021
Petite curiosité de ma part : comment avez-vous découvert mon histoire ? :-) Vous lisez régulièrement sur Plume d'Argent ? Si je vous pose la question, c'est que vous êtes la deuxième personne à créer un compte spécialement pour me laisser un commentaire :-) Je vous remercie par ailleurs d'avoir pris le temps de m'écrire !
Jane Demo
Posté le 30/04/2021
C'est le fruit du hasard.
Je recherchais un forum d'écriture et je suis tombée sur ce site. Le concept m'a plu et j'ai navigué sur les différentes pages pour tomber sur votre histoire. C'est la première que je lis sur ce site. Le titre m'a accroché et je me suis laissée emportée par le récit :). Donc non, je ne suis pas une lectrice régulière de Plume d'Argent. C'est une découverte toute récente. Il me semblait important de vous faire un retour. J'ai ajouté votre roman dans ma pile à lire pour ne pas louper la suite :)
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