Histoire :
Quand l’enlèvement et le meurtre d’un premier enfant ébranle la ville de Worcester, le lieutenant Dinsie s’attelle à l’enquête avec un professionnalisme calculé. Il a la ferme intention de prouver à son entourage que la tragédie de 2012 ne se reproduira pas. Suffit-il de le vouloir, cependant ? Le sort semble s’entêter à réveiller d’anciennes blessures ; une question taraude alors Lewis : et si son sentiment de persécution était finalement fondé ?
/!\ Cet récit « contient des scènes de sexe et/ou de violence imagées. Destiné à un public averti. »
Avis :
Sur FPA, on se retrouve souvent à essayer des textes qu’on n’oserait pas encore acheter en librairie. En l’occurrence, pour moi, les polars. J’ai toujours eu une espèce de méfiance lointaine à leur égard ; je ne connaissais pas d’auteurs auxquels me raccrocher pour faire le plongeon, on ne peut pas en connaître réellement les thèmes sans que ça nous indique la fin, il y en a tellement que j’avais peur de choisir quelque chose de trop semblable à un épisode de série pour me happer efficacement.
Et puis Danah a écrit Ghost in the Graveyard, et j’ai adoré.
Howard ferma les yeux. Le halo des réverbères dessinait des rosaces contre ses paupières, la pluie grésillait sur le capot, le vent chahutait la bagnole sur ses amortisseurs. Il avait à peine conscience de se raccrocher au volant, de placer ses doigts là où le lieutenant Lewis Dinsie mettait d’habitude les siens, comme s’il cherchait son empreinte sur le plastique encore tiède.
Peut-être ne connaissez-vous pas encore la plume de Danah, je me dois donc de commencer par là. C’est une plume sans pitié, d’une délicatesse brute. Danah nous croque ici un personnage principal cynique et de plus en plus taciturne. La « tragédie de 2012 » semble avoir laissé au lecteur un Lewis Dinsie dur et amer, qu’on suit sur la pointe des pieds de peur qu’il nous remarque.
À travers lui se découvrent les autres, mais comme à travers un filtre. En se protégeant de leur compassion, Lewis nous apporte la vision d’un Hartburn grognon et autoritaire, d’une Jeannie radieuse mais méfiante et d’une Stanton intrusive et naïve…
Ces personnages, on les adore et les soupçonne à tour de bras. À quel point sont-ils vraiment « bons » pour Lewis ?
— Tu m’écoutes ? lança Hartburn en s’appuyant à la paroi qui séparait la cage à lapin de Lewis de celle de son voisin.
— Ouais.
— Paie-toi ma fiole.
— Non. Regarde.
Lewis rangea la boîte d’allumettes. Il sentait le regard circonspect de son capitaine sur sa joue : il cherchait le sarcasme là où les autres cherchaient le mépris. Ces ratés de communication venaient de Lewis, forcément ; une façon d’agir ou de s’exprimer qui ne sonnait jamais vraie.
Bon, me direz-vous, mais si on accroche pas à l’aspect policier, hein ?
Eh bien pas de soucis, Ghost in the Graveyard est là ! Je pense qu’un polar uniquement centré sur la police et l’enquête ne me captiverait qu’à moitié. L’enquête aurait beau être passionnante, j’aurais envie de davantage connaître les personnages.
En parallèle de ses collègues du commissariat, Lewis doit aussi se confronter à sa famille. Là encore, la plume est acérée. Je me refuse à en dire plus, déjà parce que je me répèterais (ce portrait de famille est encore une fois dépeint par un Lewis obnubilé par le besoin de bien faire), ensuite parce que c’est tellement plus agréable de découvrir par soi-même ! Enfin… agréable, on se comprend.
Mais Lewis avait l’impression qu’elle préférerait rester là. Qu’elle préférerait rentrer à la maison, peut-être. Avec eux. C’était ce qu’il aurait voulu, lui. Coincé entre son frère et sa sœur qui trépignaient, les mains toujours tremblantes, toujours crispées sur son jean, Lewis attendait en espérant que Maman changerait d’avis.
Un point, enfin, sur l’écriture et le rythme. S’il vous reste des appréhensions sur l’aspect polar, foncez alors pour tout le reste : pour l’histoire de famille, pour le personnage de Lewis, pour le rythme, pour le jeu des points de vue, pour l’Écriture. Oui, avec un « e » majuscule.
La plume de Danah est immersive et très belle. Je ne peux pas résumer mieux les sensations qu’elle réussit à nous faire éprouver en lisant. Vous sentirez le soleil, la pluie, les lumières… Vous entendrez les averses et verrez le temps tout gris de Worcester. Vous aurez le cœur battant à la seule idée de vous faire prendre…
J’ai ici l’occasion de vanter les qualités d’écrivain de Danah, et j’en profite. Pour certains, elles ne sont plus à démontrer, pour d’autres il y a tout à découvrir ! Alors ouvrez « Ghost in the Graveyard », ouvrez-le maintenant, et savourez-le à pleines dents !
Lewis avait un mal fou à la cerner. Même ici, dans son élément, elle lui paraissait déplacée, comme si la lumière des néons ne lui donnait pas le même relief qu’au décor. Lewis connaissait les lignes du bureau de Jeannie, la tranche des ouvrages d’anatomie entreposés sur l’étagère métallique, les étiquettes cornées des dossiers classés par ordre alphabétique. Fut un temps, ils s’amusaient à comparer leur maniaquerie ; et dans l’antre ordonnée de Jeannie, Stanton n’était qu’une pelote de nœuds et de paradoxes.